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L'Apocalypse de Pierre

John Lash

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Traduction de Dominique Guillet

L'Apocalypse de Pierre. CNG. VII, 3. Cinq pages et demies. Un dialogue de révélation. Sujets principaux: polémique anti-rédemptionniste, tirade contre la religion institutionnelle, le Révélateur docétique ou spectral, le “sauveur rieur”. Exceptionnellement bien préservé.

Ce texte rapporte une discussion dramatique entre un homme appelé Pierre et un guru ou “maître spirituel” qui n'est jamais explicitement appelé Jésus ou Christ, bien que ses paroles et ses actions soient réminiscentes de celles de Jésus dans le Nouveau Testament. Dans Allogenes, l'instructeur est un telestes, ou hiérophante, de la cellule des Mystères. L'environnement de l'Apocalypse de Pierre est le monde extérieur, dans lequel les telestai vivaient aussi et enseignaient. Le recours à des noms connus dans le Nouveau Testament peut être considéré comme une indication de l'intégration du Gnosticisme au sein du Christianisme mais peut tout aussi valablement être considéré comme une indication de l'intégration de personnages du début du Christianisme dans un environnement diversifié et non-Chrétien. La règle de base de la lecture est ici de ne pas inférer des allusions au Nouveau Testament que les récits Gnostiques constituent des “emprunts” aux Evangiles.

L'Apocalypse de Pierre suit la convention de tout le corpus Copte en utilisant des termes spécifiques codés pour Jésus et le Christ. Ni l'un ni l'autre de ces noms n'est épelé pleinement à aucun endroit des Codex de Nag Hammadi. Nous trouvons plutôt IS (iota-sigma) et XRS (chi-rho-sigma) ou juste XS avec une ligne au-dessus des lettres, indiquant ce que les érudits qualifient de nomina sacra, “les noms sacrés” (“Code de Mystères” serait peut-être un terme plus adéquat. Il existe également d'autres exemples de code interne secret: ainsi, Kalyptos dans Allogenes est écrit KLS avec une marque surlinéaire.) Ajoutez à cela le fait que Chrestos soit interchangeable avec Christos et il devient évident que l'identification directe de personnages Gnostiques avec des “contreparties” du Nouveau Testament est hautement douteuse. Pour ajouter à la confusion, les érudits remplissent régulièrement les espaces manquants des nomina sacra. Ils utilisent des parenthèses pour des “abréviations de scribes qui ont été explicitées par les éditeurs”. XS devient “Christ (christos)” et IS est rendu par I(ESOU) et traduit par “Jésus” afin de se conformer avec l'appellation de ce nom dans le Nouveau Testament en Grec. Mais le Christos des Gnostiques n'est pas identique au Christ et les Gnostiques prirent grand soin de démarquer leur utilisation du nom Jésus de toute référence à un personnage historique. Leur recours délibéré à l'expression “le Jésus vivant” est présent dans ce texte. Au fil de la lecture de cet essai, se clarifient les termes Christ, Christos et Chrestos.

L'Apocalypse de Pierre est l'un des quelques textes des Codex de Nag Hammadi à présenter des personnages dans un environnement physique, avec des indications quelque peu anecdotiques. Pierre et “le sauveur” (soter en Grec) sont assis dans le temple. Des événements de la vie réelle se déroulent, ce qui est très rare dans les Codex de Nag Hammadi, mais il émane quand même, de cet environnement normal, une énergie surnaturelle. A première vue, il est aisé d'assumer que l'Apocalypse de Pierre soit un emprunt à la tradition Evangéliste. Voici une scène entre Jésus et un disciple qui n'a pas été intégrée au Nouveau Testament. Mais pas du tout, c'est une scène qui appartient à une tradition totalement différente. Pierre et le sauveur ne sont pas deux personnages tirés des fables des Evangiles: ils se situent dans un autre scénario. Ni le maître, ni le disciple, ne peuvent être réduits à des personnages du Nouveau Testament. Le texte lui-même affirme que le maître illuminé de la Gnose n'était “pas mentionné parmi aucune génération des prophètes” (71.7). Ce sauveur-là se tient en dehors de la tradition Judéo-Chrétienne. Les enseignements qu'il prodigue émanent d'un lignage différent, même s'il a recours à des éléments narratifs du Nouveau Testament et même à des paroles attribuées à Jésus dans les Evangiles.

Dès l'ouverture du dialogue, la sauveur met en garde Pierre de distinguer entre différentes expressions de ce qui est juste (dike) afin qu'il puisse discerner ceux qui rayonnent de “la plénitude (pleroma) de la vérité”. Ceux qui sont véritablement illuminés prennent conscience de l'identité du “Fils de l'Homme” (en Copte SHIRE PER NTR PIROME), c'est à dire, l'humanité véritable. Dans une parodie intentionnelle de la tradition selon laquelle Jésus a désigné Pierre, le “roc”, comme le premier apôtre de son église, le maître Gnostique fait de Pierre le gardien d'un enseignement secret (c'est à dire, non institutionnalisé) et ajoute une remarque déconcertante: “En cela, soit fort pour la durée de l'imitation de la justesse” (71: 22-25). Ce sont des paroles codées et qui font allusion à l'affirmation répétée, au travers de tous les Codex de Nag Hammadi, que certains principes Juifs et Chrétiens étaient des contrefaçons de principes Gnostiques. L'imitation (antimimon) est un thème au coeur de la protestation Gnostique contre la doctrine de la rédemption. Ce n'est pas un pastiche de Jésus donnant comme mission à Pierre d'institutionnaliser son message. Tout au contraire, il montre un maître Gnostique instruisant un étudiant dans la manière de reconnaître les contrefaçons de notions Gnostiques. Un des effets de cette contrefaçon est la succession apostolique dite avoir commencé avec Pierre! Nous avons ici une des pointes les plus piquantes de l'ironie Gnostique.

Ensuite, des événements étranges commencent à se manifester dans l'environnement qui semble normal. Lorsque le sauveur décrit une scène ressemblant à la crucifixion, une foule menée par des prêtres apparaît et les attaque, en leur jetant des pierres. Pierre veut fuir mais, étrangement, le maître lui dit: “Cache ton visage dans ta robe et dis moi ce que tu vois” (72;4 f). Pierre perçoit alors une lumière glorieuse et pénètre probablement dans un état visionnaire dans lequel il est à-demi présent à la scène qui se déroule à l'extérieur et à-demi présent à un autre environnement surnaturel. Le maître profère alors des invectives cinglantes à l'encontre de ceux qui les attaquent physiquement. Il proteste contre les doctrines Chrétiennes, qui devaient être formellement définies (comme canoniques) à l'époque durant laquelle ce texte fut traduit, et contre ceux qui propagent de telles doctrines:

“Ils seront faits prisonniers en raison de leur manque de perception. Et les ingénus, bons et purs parmi eux, seront livrés aux mains du bourreau même quand il semble qu'ils aillent au royaume de ceux qui louent un Christ ressuscité. Et ils louent les hommes qui propagent le mensonge. Ils s'accrocheront au nom d'un homme défunt, pensant ainsi devenir purs. Mais ils seront grandement profanés et sombreront au nom de l'erreur et sous le pouvoir d'agents mauvais et sournois et de dogmes divers; ils seront vaincus de façon perverse” (ayant perdu leur capacité de choix) (74: 1-22).


Le maître Gnostique dénonce violemment la doctrine de la Rédemption comme un produit de l'erreur (planeh). Ses exposants vont “blasphémer la vérité et proclamer des enseignements mauvais” (74:23). Quelques lignes concernant les Archontes et “une femme nue” sont déconcertantes et vient ensuite une envolée très forte: “ce ne sont pas toutes les âmes qui appartiennent à la vérité ou à l'immortalité” (75:12) ce qui est clairement une répudiation de la vision “catholique” de l'âme. Il s'ensuit un passage étrange sur “l'âme immortelle” (féminine) qui est peut-être une allusion à Sophia, la déesse déchue de la cosmologie Gnostique.

Et la diatribe continue. Le maître met en garde contre ceux qui profanent les Mystères et en font de fausses imitations (76:26f). Ce sont des “messagers de l'erreur” (77:25), une allusion aux Archontes. Il nie que le bien et le mal émanent de la même source, une vision soutenue par Marcion (autour de 170). Dans un autre commentaire codé, le maître condamne “Hermas, le premier-né du vice” (78:18). C'est une allusion à une défaite dont pâtirent les Gnostiques Syriens qui tentèrent d'introduire les enseignements des Mystères concernant le “guide intérieur” dans le courant dominant et dont le projet fut carrément coopté par les moralistes Chrétiens qui en firent une contrefaçon dans le personnage de Hermas, un pécheur repenti. Les enseignements Gnostiques sont intentionnellement pervertis “de sorte que la lumière véritable ne soit pas appréhendée” (78:20). Le maître fait l'éloge des femmes et des hommes réunis par “une amitié spirituelle” dans la Gnose mais il prédit que “la race similaire de la congrégation des femmes adviendra comme une imitation” (79:8), sans doute une référence aux femmes qui deviennent nonnes. Il rejette également ceux qui se déclarent évêques et diacres et qui agissent “comme s'ils avaient reçu une autorité de Dieu” (79:24). Il met en garde contre ceux qui revendiquent de détenir la clé du salut et qui opprimeront “ceux de peu de capacités mentales” qui sont dépourvus de la force et de l'intuition pour leur résister.

Soudain, le maître invite Pierre à stopper leur conversation intense et à retourner vers “la vraie vie”. Pierre semble ensuite avoir une vision de la crucifixion mais le sauveur insiste sur le fait que “celui que tu vois au-dessus de la croix est le Jésus vivant” (en Copte PE PETONG IC), le terme codé pour un personnage intrapsychique à distinguer d'une personne historique (81:15). Dans un retournement Gnostique typique de valeurs “le Jésus vivant” n'est pas identifié avec un homme qui a vécu historiquement mais avec un personnage surnaturel qui vit éternellement. Ce n'est pas celui qui souffre mais “le substitut” (en Copte SHEBIO). Matthieu (27:32) dit que lorsque les Romains furent prêts à emmener Jésus vers le Golgotha, “alors qu'ils arrivaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, de son nom Simon; ils le forcèrent à porter la croix”. Le Gnostique Basilides affirma que Simon, et non point Jésus, mourut sur la croix. C'est le substitut. Quelle que soit la personne qui meure physiquement, il existe un autre événement supraphysique en cours: le Jésus vivant est un spectre lumineux qui “rit au-dessus de la croix” (82:5). Le rédempteur docétique (de Grec “dokein”, sembler, apparaître) manifeste un corps spectral comparable au Nirmanakaya du Bouddhisme. Une révélation spéciale est conférée à Pierre selon laquelle “celui qu'ils crucifièrent est leur 'premier né' (dit sarcastiquement) et la demeure des démons et le vaisseau d'argile en lequel ils demeurent, appartenant aux Elohim et à la croix qui est sous la loi” (82:21-25).

Voici une attaque frontale acerbe contre la “théologie de la croix”, la doctrine de l'expiation divine au travers de la mort du sauveur tout autant que contre l'arrière-scène Juive de la tradition Chrétienne, car les Elohim sont condamnés comme participant de l'illusion de masse et la loi Juive est réfutée de même. La foule qui croit en l'expiation divine voit une chose mais les Gnostiques voient une autre chose et “rient de leur manque de perception” (83:2). Nul besoin de préciser, de telles attaques virulentes à l'encontre des croyances rédemptrices n'étaient pas vues d'un très bon oeil par les premiers convertis Chrétiens.

S'exprimant dans le rôle du sauveur rieur, le maître dit: “Je suis l'esprit d'intelligence (en Copte PI NOERON MPNA) empli de lumière radieuse” (83:8). Ces lignes ont recours à des codes en épelant esprit, pneuma en Grec, PNA avec une ligne au-dessus des lettres. Finalement, le maître envoie en mission l'étudiant ébranlé mais illuminé proclamer son enseignement “à ceux d'une autre race, qui ne sont pas de cet âge” (83:17). Ceux qui sont capables de comprendre seront de plus en plus conscients tandis que ceux qui ne peuvent même pas commencer à comprendre perdront le peu de conscience qu'ils possèdent. Pour accepter et conférer cette sorte de connaissance secrète, on doit être capable d'accepter que la conscience qui émerge vient en abondance. (83:24). Au dernier moment, Pierre retourne à ses sens normaux.

Bien qu'elle se situe dans un environnement ordinaire avec des détails anecdotiques (la lapidation par la foule et une crucifixion sont des événements assez banals en ces jours en Palestine), l'Apocalypse de Pierre n'a rien d'ordinaire. Loin d'être un emprunt aux fables pittoresques “gurutisantes” du Nouveau Testament, elle constitue une scène perturbante digne d'un thriller mystique aux effets spéciaux. Le contraste avec Allogenes est à la fois dramatique et instructif. Ce qui se passait dans les cellules des Mystères était réservé aux seuls Gnostiques. Mais même dans le monde extérieur, les Gnostiques perçoivent des situations familières d'une manière totalement différente de ceux qui les entourent. La lecture des Codex de Nag Hammadi, avec un esprit ouvert et réceptif, va de temps en temps briser vos attentes.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.