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Une Gerbe de Blé Coupé

Courte Réfutation de la Théorie Holographique
par le Recours aux Mystères d’Eleusis

John Lamb Lash

Télécharger l'essai avec les illustrations.

Traduction par Dominique Guillet de l'essai "A Sheaf of Cut Wheat".

Je ne sais pas pourquoi mais les mots émergent parfois d'eux-mêmes. La Muse peut être une créature volage mais, à sa manière, elle est infiniment fidèle. Ce qui commence comme une réfutation brève d'une théorie moderne, qui est à ce point stérile qu'elle ne vaut pas un pet de lapin, m'entraîne de nouveau au coeur des Mystères... Pour ceux qui trouveraient le ton, en ce début d'essai, sévère, mâle, abstrait, sans vie et d'un intellectualisme sans coeur, essayez de m'imaginer ainsi: je ne suis pas un homme du 21 ème siècle asservi à son intellect et lui vouant un culte au terminal de son ordinateur; je suis un chasseur solitaire dans une grotte, sculptant des glyphes sur une anthère d'os blanc.

La théorie de l'hologramme ou de l'holographe fut originellement proposée par Karl Pribam et développée ultérieurement par des écrivains tels que Michael Talbot (Mysticism and the New Physics) et David Icke, auteur de nombreux ouvrages sur l'intrusion extra-terrestre. Grosso modo, cette théorie stipule que l'univers est une projection holographique de notre mental, ou de nos fonctions cérébrales, ou quelque combinaison des deux si nous considérons que le cerveau soit distinct du mental, comme certains des exposants de cette théorie l'affirment. (Pour un bon résumé de la théorie mental/cerveau dans le contexte des idées de Pribam, voir The Aquarian Conspiracy de Marilyn Ferguson). En bref, la théorie implique que c'est ma conscience même qui produit le monde dont et dans lequel je suis conscient, tout en n'étant pas conscient de la manière dont je le produis. Je vous propose de m'accompagner pendant que j'exécute une petite danse caprine autour de ce concept épineux.

Brève Réfutation

Pour commencer, je vais resituer la proposition dans une syntaxe différente, en utilisant le concept clé de perception.

Si l'univers est le produit de ma perception, cela signifie que ma perception de l'univers, qui appartient à la dynamique de l'univers in toto, incluant ses dimensions objectives et subjectives, est également un produit de ma perception. Donc, ma perception est un produit, ou une création, de ma perception. La syntaxe de la théorie de l'hologramme est clairement redondante: l'univers est le produit de ma perception d'un univers qui inclue déjà la perception qui le produit. Cette proposition s'annule et ne conduit nulle part.

Encore de la Nouvelle Syntaxe

Si nous assumons, maintenant, que ma perception de l'univers m'est donnée par l'univers, au travers d'opérations psychosomatiques qui à la fois englobent ma conscience et qui la dépassent, je peux donc dire alors que ma perception procède de l'univers et qu'ainsi mon expérience de l'univers va se transformer si ma perception se modifie, si je “reçois” l'univers différemment. Il peut alors s'avérer adéquat d'envisager une syntaxe revue qui inclue la perception et la réception et qui les met en contraste afin de pouvoir folâtrer (joyeusement, ajouterais-je) par delà les clôtures de la théorie holographique.

La nouvelle syntaxe offre une paire de propositions corrélées qui s'avèrent pertinentes. Premièrement, la Réception prédétermine la Perception: nous percevons l'univers en fonction de la manière dont nous le recevons et en fonction de ce que nous recevons, sous forme de signaux, d'informations, de stimuli sensoriels. Secondement, la Perception filtre la Réception: la manière dont nous pouvons recevoir l'univers est influencée par la manière dont nous le percevons. La dynamique de perception-réception est clairement identique aux processus connus de rétroaction Gaïenne. Suivant le principe alchimique - “que tes oeuvres soient guidées par la nature” - cette syntaxe offre une description de la conscience interagissant avec le cosmos, c'est à dire du couplage univers-mental qui correspond aux phénomènes patents de la nature.

Une modification dans ma perception change ma relation à la source de ma perception, que l'on peut assumer être l'univers, mais cela ne transforme pas l'univers pour autant. La nouvelle syntaxe nous permet d'établir des distinctions claires que nous négligerions autrement; elle génère elle-même spontanément de telles distinctions. Avec la précision suivante stipulée “que l'on peut assumer être l'univers”, en référence à la source de notre perception, nous sommes capables de concevoir que la source de notre perception de l'univers pourrait être autre que l'univers même. C'est une ligne de recherche à suivre mais qui est distincte de la ligne que j'adopte dans cet essai. J'appellerais cette variation la ligne Védantique, à savoir la supposition que la source de notre perception de l'univers n'est pas l'univers ou dans l'univers que nous percevons. Elle est caractéristique de l'Advaita Vedanta, à savoir le non-dualisme métaphysique Hindou. Dans le sens opposé, j'adopte la ligne Tantrique, appelée Mayavada Vedanta, qui présuppose que la source de notre perception de l'univers réside dans l'univers perçu, dans l'ensemble des forces et des phénomènes (appelés Maya) qui composent réellement et véritablement le cosmos dans son ensemble.

Complémentarité Mental/Nature

Une modification de ma perception change la dynamique mental/univers. Au mieux, nous pourrions supposer qu'une modification dans le mental effectuerait une modification dans l'ensemble mental/univers. Cette supposition suit Bateson, par exemple, sur le concept de complémentarité du mental et de la nature. Nous assumons un ensemble mental-nature, un couplage structurel, parce que c'est au coeur de chaque moment dont nous faisons l'expérience dans le monde physique. Nous savons qu'une modification du mental (attitude, perspective, raisonnement) va changer le couplage et induire une relation différente à la nature pour le sujet humain, celui qui possède le mental, mais cela n'affecte pas la nature directement.

Je proposerais la complémentarité mental-nature de Bateson comme un cadre de référence-test pour développer une nouvelle syntaxe théorique pour le couplage mental-univers. Par nature, j'entends le domaine des sens opérationnels dans la biosphère, l'habitat planétaire. Ce domaine s'étend à des dimensions cosmiques parce que nous avons la preuve perceptuelle directe d'étoiles distantes et d'une galaxie extérieure visible, M 31, Andromède. Bateson suit la règle alchimique et écrit souvent comme s'il était une réincarnation de Goethe, saisissant une seconde occasion de développer sa théorie de la perception morphologique. Goethe, bien sûr, fut également profondément inspiré par les arts alchimiques Occidentaux.

L'erreur récurrente de la théorie de l'hologramme, et des systèmes corrélés de syntaxe théorique (voir David Icke et d'autres exemples de pensée magique) est la supposition que notre perception de l'univers procède de nous mêmes, les observateurs. Je considère que le dépassement de cette supposition est une des grandes transformation syntaxiques véritablement transcendantes qui puissent nous conduire vers une approche complètement différente de rencontre avec le cosmos.

“Les implications perceptuelles de Gaïa” fut un article rédigé par David Abram, et publié dans The Ecologist en 1985. C'est l'exposé le plus brillant sur la théorie de Gaïa en termes de science cognitive, de Gnose et de noétiques. L'article d'Abram est concis et hautement allusif et il laisse de nombreux points en attente de développement intégral, comme il le fait, dans une certaine mesure dans The Spell of the Sensuous. Cet article est un signal lumineux que l'on ne peut ignorer car il touche à la révélation ultime des Mystères, la gerbe de blé coupé. Abram affirme que la perception est “un phénomène réciproque organisé tout autant par le monde environnant que par soi-même”. Cette affirmation concerne le couplage mental-nature et suggère une dynamique à deux voies, en contraste avec le processus unidirectionnel de perception d'un monde qui n'influence pas la manière dont il est perçu mais offre simplement un spectacle à observer. Devançant l'écopsychologie d'une bonne dizaine d'années, Abram dit aussi que “la psyché est une faculté de l'écosystème en tant qu'ensemble”, plutôt qu'une entité séparée et distincte, subjective et “désincarnée” - une entité totalement dénaturée. Finalement, Abram conseille fermement que nous allions au-delà de “la conviction selon laquelle notre mental est tout autre chose que le corps lui-même.”

Les trois points d'Abram sont intimement corrélés à l'expérience de l'initiation dans les Mystères, et plus particulièrement l'initiation enthéogénique à Eleusis qui culminait dans le geste du hiérophante tenant une gerbe de blé coupé devant les initiés.

La Plaine Rharienne

Les Mystères étaient les écoles de la co-évolution avec Gaïa, la Magna Mater. L'orateur Latin Cicéron, qui est réputé avoir été initié à Eleusis, écrivit: “Dans les Mystères, on apprend plus au sujet de la nature que des Dieux” (Sur la Nature des Dieux, 1.42). Ayant placé le mythe de la Sophia Déchue au coeur de leur vision du monde, les initiés Païens se consacraient à la dimension surnaturelle de la nature. Afin de maintenir leur état de communion vivante et réceptive avec la Déesse et afin d'harmoniser leur mental avec les finalités transhumaines de Gaïa, ils se plongeaient très souvent dans une immersion profonde et sensorielle avec la nature. La méthode qu'ils utilisaient pour faire l'expérience de l'instruction suprême était conférée par la Déesse elle-même, tel qu'il est écrit dans l'hymne Homérique à Déméter:

“Elle leur enseigna le ministère de ses rites
Et leur révéla ses mystères magnifiques
Qu'il est impossible de transgresser, de sonder et de dévoiler
Car le grand respect des Dieux réprime la voix”.

Ceux dont les langues étaient liées étaient les mystai (du Grec muein, parler à voix sourde, au travers des lèvres fermées), ceux qui participaient aux rites. Par une astuce littéraire, l'Hymne Homérique révèle ce qu'il dit ne pas pouvoir être dévoilé par les mystai. Au début de l'Hymne, lorsque Déméter, la déesse des grains d'Eleusis, apparaît sous une forme humaine à la reine Metanira, cette dernière lui offre une boisson d'hydromel, du “vin sucré de miel”, mais Déméter le refuse en disant de façon assez énigmatique qu'il ne lui est pas permis de boire de cette potion. Par contre, elle instruit Metanira de préparer un autre breuvage “d'eau avec de l'orge et de la menthe pouliot fraîche”. Cette boisson à base d'orge est le kikeon, la potion enthéogénique bue durant les Grands Mystères d'Eleusis et ailleurs dans les enceintes des Mystères dans tout le monde classique.

Dans l'ancien temps, à Eleusis, l'orge croissait dans la Plaine Rharienne qui longeait la ville. De façon mystérieuse, une partie de la récolte était appelée “orge blanc”, alors même qu'elle était colorée par l'ergot, Claviceps purpurea, qui infestait les grains et les décolorait en violet-noir. Travaillant avec G. Gordon Wasson, le chimiste Suisse Albert Hofmann, qui découvrit le LSD, démontra que le kykeon d'Eleusis, la boisson demandée par Déméter, était une potion psychédélique dont les propriétés actives dérivaient de l'enthéogène fongique, l'ergot.

La Lumière des Mystères

Les vestiges des ruines d'Eleusis présentent trois sculptures qui illustrent l'organisation, la méthodologie et la source surnaturelle de l'illumination dans les Mystères. Une de ces sculptures fait référence à ce que le chasseur d'hérésies, Hippolyte, (170-236 EC) raconte par le témoignage d'un épisode saisissant qui a déconcerté les érudits de toutes les époques: au moment où les initiés émergeaient du telesterion, le sanctuaire intérieur de l'initiation, le hiérophante, qui conduisait la cérémonie, leur montrait “une gerbe de blé dans le silence coupée”. Ce geste révélait “le grand, le merveilleux, le plus parfait secret pour un initié dans les vérités mystiques les plus élevées” (Réfutations de toutes les hérésies. Chapitre 3).

La frise de l'architrave du petit Propylée à Eleusis (Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, illustration 57) montre la gerbe de blé, la source biologique de l'illumination, sur la gauche. A son côté se trouve la rosette à seize pétales, huit à l'intérieur et huit à l'extérieur. La rosette était le symbole de l'organisation des cellules des Mystères constituées de seize adeptes, huit hommes et huit femmes tels qu'ils sont dépeints sur le bol Orphique du serpent ailé et sur le bol de Pietroasa, provenant de Roumanie. (Voir The Mysteries, dans la série Eranos Yearbook, Bollingen, édité par Joseph Campbell). Les pétales intérieurs de la double rosette à Eleusis représentent les mystai qui se consacraient à maintenir et à développer les instructions reçues lors des rencontres récurrentes avec la Lumière des Mystères, tandis que les huit pétales extérieurs représentent les huit initiés qui se dédiaient à l'interprétation, à la traduction et à la transmission extérieure de ces instructions. Les adeptes permutaient de rôle périodiquement, ce qui leur permettait de se concentrer sur différentes tâches. Les rôles changeaient au fil des saisons et reflétaient les techniques d'initiation très antiques d'accompagnement de la société par des rites, centrés sur la déesse, de mort et de régénération. Les temples étaient orientés vers les points cardinaux afin que ces rites pussent être mis en oeuvre in situ. Avant la construction des temples, tous ces rites se déroulaient dans la pleine nature, dans l'environnement majestueux des cercles mégalithiques, des dolmens et des menhirs, sous les étoiles en mouvement.

La troisième sculpture sur le fronton d'Eleusis, ressemblant à une urne cylindrique, représente le courant de la Lumière des Mystères, conçu comme une transmission massive qui se forme en colonnes rondes et érigées. Le telesterion, ou sanctuaire intérieur, dans lequel les initiés rencontraient la Lumière, était composé de nombreuses colonnes. Les mystai, dans un état altéré de conscience, se déplaçaient parmi ces colonnes comme s'ils dansaient dans un lent Niagara de marbre en fusion. Au coeur des chutes immobiles siégeait le calme immaculé, aussi profond et dense que le puits sans fond du tonnerre qui roule. Certains textes des Mystères des Codex de Nag Hammadi comparent la Lumière Blanche à une fontaine débordant d'un doux jaillissement de torrents massifs. Dans le Discours sur le Huitième et le Neuvième, l'initié s'exclame:

“Je suis un Intellect mais, cependant, je perçois un autre Intellect, celui qui anime mon âme. Je vois celui qui me pousse à l'oubli total de moi-même... J'ai trouvé l'origine de la puissance qui est au-dessus de toutes les puissances, celle qui n'a pas de commencement. Je vois une fontaine qui déborde de vie” (58).

Ceux qui peuvent maintenir leur attention sur la Lumière Organique pénètrent dans “l'assemblée du Huitième”, un terme codé des Mystères pour indiquer les membres de la cellule réceptrice (pétales intérieurs). L'Apocryphe de Jean et la Sophia de Jésus Christ décrivent aussi des torrents d'illumination mystique. Cette transmission de la Lumière des Mystères était illustrée par le pilier stylisé sur le fronton d'Eleusis. Le mystes dans la Sophia de Jésus Christ fait l'éloge de la beauté de “la Lumière qui brille sans projeter d'ombre, empreinte de joie et d'exubérance indescriptibles” (Codex de Berlin, 115). La Lumière Organique est partout et imprègne toute chose. Elle ne brille pas sur ce qui est vu mais de ce qui est vu, en émettant une luminosité douce et blanche, de la consistance de la guimauve, en laquelle la matière est en état d'apesanteur.

Les Mystères étaient célébrés durant la nuit parce qu'il était plus aisé d'amener les néophytes en présence de la Lumière lorsque la perception sensorielle normale était atténuée par les ténèbres. Les célébrants n'étaient pas éblouis par une parade fantasque de torches enflammées comme certains rapports antiques le mentionnaient. Alors qu'ils déambulaient dans le telesterion, chacun d'entre eux se voyait attribuer avec soin un pilier, à l'aide d'une torche, parce que la Lumière des Mystères devait être observée, et absorbée en petites doses progressives. Les initiés non seulement contemplaient le pilier mais aussi la substance lumineuse dont ce qu'il voyait était imprégné: la Lumière Organique, comme je propose de l'appeler. La Lumière Organique est vivante, consciente et capable de communiquer avec ceux qui la contemplent. “La Lumière était considérée pleine d'écoute et de paroles” (La Paraphrase de Shem, CNH, VII, 1, 1:30). Sa masse physique - connue comme la Pierre Blanche ou la Pierre Philosophale dans les traditions alchimiques qui préservèrent certains aspects des Mystères - est paradoxalement superdense et sans masse, ce qui indique un état de haute porosité. La Lumière Organique jaillit des choses matérielles comme si elle était un tourbillon infini de nougat crémeux et lumineux mais, néanmoins, tous les aspects extérieurs et les objets restent intacts, flottant avec sérénité dans la luminosité surnaturelle qui les imprègne.

L'epopteia, la vision assistée par le hiérophante, était soigneusement évaluée pour s'adapter aux facultés du novice. L'autopsia, la contemplation directe et indépendante de la Lumière Divine, venait en son temps chez ceux qui avaient aiguisé leur faculté d'attention vis à vis d'elle. Les Gnostiques s'appelaient eux-mêmes “la race debout” parce qu'ils étaient capables de contempler la Lumière Organique, lorsqu'ils se tenaient debout, et d'absorber la force des courants telluriques massifs circulant entre la terre et le ciel. Se tenant debout, attentifs, concentrés et sobres dans les courants ondulants et opalescents, ils se gardaient des hallucinations et recevaient une transmission d'intelligence Gaïenne, un influx de l'Esprit Planétaire.

L'instruction par la Lumière constituait la voie normale des Mystères et son secret le plus soigneusement gardé. Les initiés enseignaient ce qu'ils avaient appris de la Lumière mais ils promettaient, par un voeu de secret, de ne pas divulguer comment ils avaient reçu cette instruction.

Extase Cognitive

Le secret suprême des Mystères d'Eleusis était révélé par le geste du hiérophante qui tenait la gerbe d'orge fraîchement coupée. Déméter initiait les rites du grain mais cette affirmation mythologique est généralement considérée comme signifiant qu'elle était la déesse à laquelle on attribua l'origine de l'agriculture. Cependant, ce n'était pas l'agriculture que les mystai pratiquaient. “Le mystère du grain” semble concerner l'agriculture, et Eleusis était situé dans la plaine Rharienne où l'orge croissait en abondance mais, c'était, en fait, l'influence de l'ergot dans le panicule d'orge qui constituait le mystère et non pas le travail pénible et séculaire de l'agriculture.

Chaque tige de blé contient dans l'épi la graine pour se reproduire: de même, les initiés d'Eleusis rassemblés en un groupe, la gerbe, contenaient en leur mental la semence-connaissance pour reproduire ce qu'ils connaissaient, pour transmettre la sagesse initiée aux générations futures. Le grain possède le pouvoir de se reproduire mais aussi, en raison du champignon d'ergot, un pouvoir de révélation. Les mystai concevaient les deux pouvoirs, biologique et mystique, comme une unité. Ils participaient, physiquement et mentalement, à un niveau supérieur de génération, la transmission épigénétique de la sagesse initiée.

La récolte du grain - car c'était une gerbe coupée qu'ils voyaient dans la main du hiérophante - révélait aux mystai la nature réelle de leur activité cognitive et leur rappelait également leur responsabilité sacrée d'enseigner selon la méthode par laquelle ils avaient été instruits. Techniquement, cette méthode peut être appelée l'extase cognitive: la connaissance de toute chose dans un état d'attention extatique, par une immersion sensorielle profonde dans le monde naturel et dans les sens corporels. C'est également une bonne définition de la Gnose en termes enthéogéniques.

Il existe un autre aspect de ce symbolisme graphique, si on peut l'appeler ainsi. La récolte du grain avait en vision d'arrière plan la plaine Rharienne regorgeant de grains dorés ondoyant dans les premières lueurs de l'aube lorsque les initiés émergeaient du telesterion. Ils voyaient la gerbe coupée et plus loin les champs ondulants de blé mûr (les Grands Mystères étaient célébrés en automne, juste avant les récoltes) et dans les deux visions, ils se voyaient eux-mêmes. Parce qu'ils étaient “récoltés” de par leur initiation, ils pouvaient pourvoir une nourriture spirituelle à de nombreuses personnes et même durant de nombreuses générations. Cependant, ceux qu'ils devaient nourrir ne mangeaient pas du grain récolté (à savoir infecté par le champignon) comme les initiés. Ils mangeaient seulement du pain.

Et il existe un autre aspect symbolique dans le geste du hiérophante. En tenant la gerbe coupée, ils montraient aux initiés non seulement qui ils étaient mais ce qu'ils avaient réussi à apprendre grâce à l'instruction par la Lumière, la vision d'illumination suprême: tout comme le blé nous est donné par Déméter, il en est de même de notre connaissance du monde naturel, l'endroit où il croît. Au moment où les initiés émergeaient de leur rencontre directe avec la Lumière Organique, la révélation qui leur était donnée intentionnellement était la certitude que notre cognition du monde extérieur nous est donnée de l'extérieur de par le pouvoir de la déesse de la terre, Déméter. Avec révérence et gratitude, ils comprenaient que l'état altéré vécu durant l'illumination était accessible grâce à la potion enthéogénique qu'ils ingéraient, de par ses propriétés biochimiques, et au même moment ils découvraient que leur capacité de percevoir normalement était également conférée par une agence extérieure, la déesse de la terre que nous appelons aujourd'hui Gaïa.

Ils prenaient conscience de la source d'enracinement de leur connaissance, maintenant qu'ils possédaient Son Mental.

La certitude que notre processus cérébral de perception, notre façon de connaître le monde, nous est donné de l'extérieur, est une expérience sublime et extatique: la signature de la conscience initiée. Cette expérience ne peut ni être simulée ni être profanée. Comme le chante l'hymne homérique, les anciens rites du grain sont “impossibles à transgresser, à sonder et à dévoiler”. Lorsque je décris l'instruction par la Lumière Organique, il pourrait être dit que je dévoile ces anciens mystères, mais ce n'est pas le cas. Pourquoi? Parce que je ne fais que décrire un processus d'apprentissage et bien qu'il est vrai que je dévoile comment les initiés étaient instruits - ce que, à ma connaissance, personne n'a jamais fait au cours de l'histoire: et voilà, vous le lisez pour la première fois sur internet - je ne dévoile pas l'aspect essentiel de cette expérience. Il est clair que j'en dis plus que quiconque avant moi mais je ne dis rien de la vérité sacro-sainte.

Immersion Sensorielle

Les mystai découvraient, lorsqu'ils contemplaient la gerbe d'orge coupée, ce qu'ils avaient déjà appris par l'initiation mais avec cet acte graphique, ils étaient imprégnés en tant que groupe, ils étaient unis ensemble en un moment sacré. Leur compréhension procédant de l'initiation est cohérente avec les trois éléments de science cognitive proposés par Abram dans son essai très réaliste.

Le fait que la perception soit “un phénomène réciproque organisé tout autant par le monde environnant que par soi-même” était appréhendé directement au cours de l'initiation. Les mystai, en extase cognitive, prirent conscience que la perception est réciproque, il est vrai, mais plutôt dans le sens d'une réciprocité par laquelle je donne une partie de ma fortune à quelqu'un qui n'a rien et nous la dépensons libéralement ensemble. Ils découvrirent que le champ cognitif intégral des êtres humains, et de toute la biosphère, est organisé et nourri par le monde extérieur, une projection de l'intelligence vivante de la planète - dans les mots d'Abram “une propriété de l'écosystème en tant qu'ensemble”. A la suite de l'expérience la plus sublime conférée à l'espèce humaine, les mystai prenaient conscience qu'ils n'étaient pas différents du blé qui poussait dans les champs avoisinants. L'arrogance de savoir ce qu'ils savaient était contrebalancée par la compréhension de ce qu'ils étaient, selon des termes Gaïens. Lorsqu'ils recevaient Son Mental, les mystai devenaient des instruments de la Nature tout autant dépourvus d'ego que les plantes croissant du sol. Pour eux “la conviction selon laquelle le mental n'est rien d'autre que le corps lui-même” aurait été non seulement une conviction mais une réalité vivante, directe et irréfutable. La Gnose est une illumination de tout le corps physique et, qui plus est, psychosomatique. Vous ne percevez pas la Lumière Organique dans votre mental ou dans votre tête ou même dans votre coeur: vous la rencontrez avec tout votre corps, en position érigée.

Serpents de Sagesse

Les Mystères enseignaient une vérité scientifique qui pourrait très bien servir de proposition fondatrice pour la science noétique d'aujourd'hui: la Magna Mater, la Dea-Meter qui est aussi Maya rend possible la connaissance du monde naturel au travers de l'instrument du cerveau humain d'une manière particulière et réductrice mais également, d'une façon beaucoup plus dynamique et holistique, au travers de tout le complexe corps-mental. La Devi, ainsi que Gaïa-Maya est appelée en langage de dévotion, ne pourvoit pas simplement le cerveau humain au service de la connaissance, ELLE reproduit activement notre perception du monde au travers du cerveau. La théorie du cerveau holographique de Karl Pribam, et ses corollaires, tentent de décrire cette dynamique, mais malheureusement sans faire référence à la présence enracinante de la déesse.

La connaissance expérientielle de la “reproduction” que Gaïa réalise, via le cerveau et le corps, était l'héritage sacré des Mystères. Les Gnostiques rejetaient la reproduction biologique en faveur de ce miracle transcendantal, mais cependant fondé sur le corps. Le ravissement face à la Lumière Organique est intensément sexuel, divinement et incomparablement sensuel, mais néanmoins, il ne suscite aucun désir pour l'union charnelle. Le corps intégral, et illuminé sexuellement, si l'on se permet cette expression, est l'instrument de la conscience supérieure dans la Gnose, l'extase cognitive. Ce n'est pas le kikeon qui produit cette extase. C'est chaque rencontre avec la Lumière Organique. Le breuvage enthéogénique, ingéré à Eleusis, n'induit pas l'état de conscience permettant de rencontrer la Lumière, il permet simplement d'éliminer ce qui en bloque la réception (cf. la nouvelle syntaxe ci-dessus) - à savoir, la fixation de l'ego, l'égoïsme et l'illusion de la séparation. La mort de l'ego et l'abandon extatique au sensorium vivant du monde naturel sont les signatures de la pratique Gnostique. C'est tout aussi éloigné du baratin de l'équation Dieu-Soi que vous puissiez l'imaginer; cependant, rien n'est plus divin que de se tenir en présence de la Lumière Organique.

Les télestai qui passaient par la mort de l'ego et entraient en transe, avec tout leur corps, évoquaient souvent leur expérience par une imagerie serpentine parce que la Lumière des Mystères implique la Kundalini, le Pouvoir du Serpent. Les écrits Gnostiques font référence à la Divine Sophia comme ayant une forme serpentine, à l'image de l'ADN. La Kundalini est une sorte d'extrait labile de la Lumière Organique, le flux opalescent de Sophia déposé dans l'organisme humain. Lors de la transe shamanique, l'initié rencontre souvent un Serpent magique qui peut apparaître de façon extérieure, en tant qu'entité indépendante, tout autant que de façon intérieure, un organisme serpentin qui s'étend de la tête aux viscères. “Cécrops, Héros, O Roi, ceux qui à tes pieds sont en forme de serpent” s'exclame le poète Grec (cité par Jane Ellen Harrison dans Themis, un répertoire riche de connaissance des Mystères). Dans une illustration célèbre, Déméter tend “l'enfant divin” des Mystères à Cécrops, l'homme-serpent qui représente le lignage des gardiens mâles du sanctuaire d'Eleusis. Cécrops tient dans sa main gauche la gerbe de grain sacramental et fait un geste de sa main droite, un doigt aux lèvres pour indiquer le statut du mystes: “une gerbe de blé en silence coupée”.

La forme duelle de Cécrops, humain en-haut et serpent en-bas, représente la fusion du corps humain avec le pouvoir serpentin de la Mère Divine, une union de la tendresse la plus exquise. Les initiés des Mystères étaient des Serpents de Sagesse, des adeptes de la Kundalini et des dévots de Gaïa-Sophia qu'il ne faut pas absolument pas confondre avec les “reptiliens” mentionnés par les diverses traditions planétaires. Les initiés étaient, en fait, la principale ligne de défense de l'humanité contre les envahisseurs non-humains connus des Gnostiques sous le nom d'Archontes et connus de nos jours sous le nom de reptiliens, de Gris, d'ET, etc.
Les non-initiés qui évoquaient les Mystères croyaient que les rites étaient destinés à célébrer et à remercier la déesse Déméter pour avoir donné la pratique de l'agriculture à l'humanité. Ce n'était sûrement pas ainsi que les telestai les considéraient. Au premier lieu, l'agriculture fut une découverte humaine et non pas un don divinement inspiré. En second lieu, les non-initiés célébraient l'image populaire de Déméter, une divinité agricole, et ignoraient son rôle occulte en tant que Devi-Maya-Shakti, la Mère Divine qui rend le monde visible aux créatures douées de sens et vivant dans ces mondes.

Maya signifie “mesurer, faire apparaître en augmentation, dimensionner”. Dea-Meter est l'équivalent exact de Maya-Shakti dans le Mayavada Vedanta, l'école de Tantra qui se développa en étroit parallèle avec les Mystères. Les tantrikas affirment que l'univers se manifeste physiquement d'une manière qui se conforme à notre capacité de le percevoir avec nos sens. C'est un principe noétique fondamental commun à la Gnose et au Tantra Vidya.

Le pouvoir de dimensionner est le même que celui de manifester les choses: c'est pourquoi toute chose dans l'univers apparaît en formats dimensionnels, dans un spectre graduel de formes organiques et inorganiques - dans des échelles fractales emboîtées, si l'on veut s'exprimer avec un peu plus de fantaisie. Si l'on peut se permettre un jeu de mots, ces “échelles” sont les écailles sur le corps de la Mère Serpent (jeu de mot en Anglais avec “scales”). Les initiés à Eleusis prenaient conscience comment Gaïa, l'intelligence planétaire, réduit l'échelle de ses facultés “reproductives” afin de s'harmoniser avec les modalités qui peuvent être appréhendées par le cerveau humain. Elle reproduit le monde pour nous - à chaque instant! - afin qu'il paraisse être le produit de notre perception, une construction générée de l'intérieur, même si l'acte perceptuel nous est donné, et nourri, de l'extérieur.

Le geste de la gerbe de blé coupée est un exemple de ce que l'on peut appeler un symbole fonctionnel: un objet ou une image qui symbolise un processus dans la nature et qui, en même temps, manifeste le processus même qu'il symbolise. Par exemple, l'Arbre alchimique est un symbole fonctionnel de l'enveloppe atmosphérique de la Terre sur laquelle les arbres réalisent le processus de photosynthèse. L'Arbre à la fois symbolise l'enveloppe atmosphérique et fonctionne réellement dans l'environnement qu'il symbolise. La méthode d'enseignement dans les Mystères consistait à expliquer la nature par des symboles fonctionnels et non pas par des allégories et des métaphores qui indiquent une chose en référence à une autre.

La théorie holographique est bien loin de pouvoir en arriver là.

John Lash. Flandres. Juillet 2005

Traduction de Dominique Guillet