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Chapitre 8

Au Sein des Mystères

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

L'institution des Mystères est le phénomène le plus intéressant dans l'étude de la religion. Selon la conception de l'antiquité, les secrets ou les mystères, par lesquels il était possible d'être initié, étaient source de connaissance religieuse; il existait un processus graduel de développement dans les choses religieuses; in fine, il existait une science de l'âme, une connaissance des choses occultes”. G.R.S. Mead. Fragments of a Faith Forgotten.

Les érudits qui se spécialisent dans le Gnosticisme évoquent rarement les “Mystères”. Lorsqu'ils le font, ils appliquent à cette expression une définition étroite: les Mystères étaient des rituels, émotionnellement chargés, célébrés dans les cultes Païens répandus au Proche Orient, en Egypte, en Grèce, durant l'ère Helléniste (de 320 à 30 avant EC). Cette caractérisation est correcte mais elle ne va pas assez loin. Les sources antiques présentent un tableau beaucoup plus large en termes de cadre temporel tout comme en termes d'amplitude géographique. Elles font référence aux Mystères en fonction de localités (Hibernie, Samothrace), en fonction de noms culturels-raciaux (Brahmane, Phrygien, Egyptien), en fonction de noms de cultes (Druidique, Orphique, Osirien). Elles présentent, par le biais de ce qu'on pourrait appeler une vision à large spectre des Mystères, un réseau s'étendant des îles les plus septentrionales de la Grande-Bretagne à la côte Méditerranéenne de l'Afrique et jusqu'au coeur de l'Asie, un réseau d'origine extrêmement ancienne.

La vision limitée stipulant que les “cultes Païens de salut”, comme les Mystères sont souvent nommés, n'existaient qu'au Proche Orient, et seulement durant la période Helléniste, influence la manière dont les érudits appréhendent le Gnosticisme. Ils font leur la supposition de longue date selon laquelle le mouvement Gnostique était constitué de sectes marginales et sporadiques qui virent le jour au sein du Christianisme primitif mais qui n'avaient pas d'existence antérieure. Ils assument que la religion Gnostique n'avait pas d'existence propre avant l'époque des premières références textuelles que l'on trouve dans les écrits des Pères de l'Eglise, à l'encontre des Gnostiques, initiées par la “Première Apologie” de Justin Martyr aux alentours de 150 EC. Cette vision, qui est maintenant acceptée unanimement, dénie le fait que les gnostokoi, tels qu'Hypatia, participèrent aux Mystères et invalide la possibilité que certains Gnostiques étaient des telestai, les fondateurs et les directeurs de ces institutions antiques implantées depuis fort longtemps.

Cependant, les tout premiers érudits soutenaient une conception totalement différente. Ecrivant un demi-siècle avant la découverte des Codex de Nag Hammadi, G.R.S. Mead affirma que “Pour préserver les éléments des traditions Mystérielles de l'antiquité, on trouve des formes Gnostiques en nombre beaucoup plus élevé que tout autre chose”. L'existence des Codex Egyptiens lui donne raison contre le consensus prévalant de nos jours.

Racines Shamaniques

Telestes (au pluriel telestai) est un terme Grec dérivé de telos “la finalité, le but”, “la chose ultime”. Le telestes est “celui qui est tendu vers une finalité”. C'est ainsi que les initiés du réseau des Mystères se nommaient eux-mêmes. Gnostikos était un autre nom signifiant la même chose: un initié bénéficiant de connaissances spéciales dans les matières divines, la volonté et l'oeuvre des dieux; en fait, un expert en théologie et en cosmologie. La plupart des érudits ne contrediraient pas cette définition mais cependant ils se refusent à accepter le fait que des gnostokoi, tels qu'Hypatia, avait une quelconque connexion avec la tradition religieuse la plus révérée de l'antiquité, à savoir les Mystères.

Les anciennes sources témoignent abondamment de la grande antiquité des Mystères et de leur orientation tellurique, à savoir leur consécration commune à la Magna Mater (la Grande Mère que je corrèle à Gaïa). Nonobstant, les érudits modernes n'ont que faire de ces évidences. Mais si les Mystères étaient fondés sur la Terre, n'auraient-ils pas suscité un attrait universel et n'auraient-ils pas été établis sur des territoires très étendus avec des variations régionales? Le culte de la Grande Déesse est caractéristique des cultures matriarcales émergeant des époques paléolithiques. Cela vaut également la peine de noter, dans ce contexte, que les formes les plus anciennes du shamanisme en Sibérie, en Oural, en Europe et ailleurs, témoignent d'une forte propension à vénérer la Déesse. Mircea Eliade souligne que malgré que le shamanisme ait été perçu comme une vocation d'homme, structurée en termes d'une religion Indo-Européenne d'un dieu céleste mâle dans laquelle “la divinité de la terre n'est pas du tout prééminente”, les racines les plus archaïques de l'expérience shamanique mettent en exergue le rôle essentiel des femmes - par exemple, chez les Ainu du Japon. Joan Halifax rapporte la légende Sibérienne selon laquelle le shaman originel était une femme-aigle qui nichait sa progéniture mâle dans un arbre magique. Un texte cosmologique Gnostique fondamental, “l'Apocryphe de Jean”, présente l'image de l'aigle shamanique sur l'Arbre de Vie. Elle se trouve dans un passage sur la Sophia Divine, “Celle qui est appelée Vie (Zoé), la Mère du Vivant”.

Il reste à reconnaître ou à explorer la possibilité que les pratiques et la connaissance Gnostiques aient été l'apogée de l'expérience millénaire “en techniques archaïques d'extase” (l'expression célèbre d'Eliade pour caractériser le shamanisme).

L'oeuvre des premiers érudits (généralement Allemands, tels que Richard Reitzenstein) valida clairement cette voie de recherche mais il n'est plus jamais fait référence à leur travail. Les pionniers, dans ce domaine, considéraient le mouvement Gnostique, dans le sens le plus large, comme un phénomène spirituel monumental originaire du coeur de l'Asie, antérieur au Christianisme de plusieurs siècles si ce n'est de plusieurs millénaires. Il existe maintenant une légère tendance à repartir vers cette conception. Dans son introduction à l'édition en Anglais de 1990 des Codex de Nag Hammadi, James Robinson écrit: “Ce débat semble se résoudre en faveur de la compréhension du Gnosticisme comme d'un phénomène beaucoup plus vaste que le Gnosticisme Chrétien documenté par les hérésiologues”. A ce jour, cependant, cette conception n'a pas eu d'impact sur la manière dont les érudits présentent le Gnosticisme au grand public.


Témoignage Sacré

“Il émana d'Isis une lumière et d'autres choses indicibles conduisant au salut”. Aristide, un initié des Mystères.

La signification des Mystères n'est pas entièrement claire car les initiés faisaient le voeu de silence vis à vis de ce dont ils faisaient l'expérience. Il est généralement supposé, néanmoins, que les participants des rites sacrés expérimentaient une profonde transformation de l'âme, une purification intérieure et une renaissance. “Les Mystères étaient des rituels d'initiation de nature volontaire, personnelle et secrète qui avaient pour finalité d'altérer le mental au travers de l'expérience du sacré”. Les participants se sentaient rechargés et régénérés mais non point “sauvés” parce que la rédemption, dans le sens Judéo-Chrétien, n'était pas compatible avec l'expérience religieuse Païenne. Si d'être sauvés signifie être pardonné de ses péchés par Dieu, d'être soulagé du fardeau solitaire, injuste et insupportable de la souffrance, par l'intervention d'une puissance surhumaine, d'être libéré des travaux de ce monde et d'atteindre (ou du moins d'en avoir l'assurance) l'immortalité dans un monde au-delà de celui-là, alors les Païens n'avaient définitivement rien à voir avec la rédemption.

“Le silence entourait tous les 'Mystères', un terme qui dérive du verbe Grec myo-, signifiant 'fermer les yeux' ou 'garder sa bouche close', et plus particulièrement 'de peur du danger' ou, par extension 'en contemplation empreinte de révérence'.” En ce qui concerne le voeu de silence, on pourrait penser qu'aucun témoignage relatif aux Mystères n'était autorisé mais ce n'est pas exactement le cas. Les initiés faisaient la promesse de ne pas divulguer les aspects les plus intimes des rituels. Ils ne pouvaient pas témoigner de ce qu'ils rencontraient au moment de la révélation ultime mais ils pouvaient y faire allusion et décrire, de manière générale, les effets de l'initiation, et ils le firent. Dans l'Ane Doré, l'écrivain Latin Apulieus (aux alentours de 150 EC) présente un récit probablement authentique et fiable d'une initiation dans les Mystères d'Isis. Au moment-clé de la révélation, une voix sublime s'adresse à lui:

“Je suis la Nature, la Mère universelle, la maîtresse de tous les éléments, la souveraine de toutes les choses spirituelles, la reine des défunts, la reine également des immortels, la manifestation unique de tous les dieux et de toutes les déesses qui soient connues sur terre.”

Le témoignage d'Apulieus est cohérent avec les anciens récits décrivant l'initiation comme une rencontre avec la Nature vivante, la Magna Mater - en termes modernes, Gaïa. Une rencontre marquée par l'épiphanie d'une lumière mystérieuse.

La révélation initiatrice était en partie clairvoyante et en partie clairaudiente car la révélation suprême de la Divinité se manifestait au travers de sensations tangibles. “La Lumière était empreinte d'écoute et de mots” selon la Paraphrase de Shem, des Codex de Nag Hammadi. Au moment suprême de la révélation, les initiés percevaient et entendaient, simultanément, une sorte de luminosité surnaturelle. Ce phénomène, apparemment, n'était pas simplement un aspect intensifié de la lumière atmosphérique telle que nous la connaissons. La lumière atmosphérique n'est pas visible mais rend toutes choses visibles. Mais la lumière des Mystères n'était pas de cette nature. “La Lumière Supernale” (un terme révérenciel appliqué dans les anciens commentaires) rencontrée dans les Mystères était visible. Considérez cette analogie: lorsque vous écrivez sur un ordinateur, la lumière électrique qui emplit l'écran est invisible (c'est à dire claire, transparente) mais la page sur laquelle vous écrivez est blanche et clairement visible.

Dans la Réfutation de Toutes les Hérésies, Hippolyte fait référence aux Brahmanes d'Alexandrie qui “affirment que Dieu est lumière mais pas celle par laquelle on voit”. Hippolyte, qui était des siècles plus proche du coeur de la matière en comparaison des érudits modernes, considérait comme normal que les Brahmanes de l'Inde fissent partie du vaste réseau des cellules de Mystères qui s'étendait au travers de toute l'Europe et jusqu'au coeur de l'Asie. Ses commentaires suggèrent que l'expérience de la Lumière Mystérielle (telle que je l'appelle) était universelle au sein du réseau. Hippolyte spécifie également la vision Gnostique, partagée par les Brahmanes, selon laquelle “la Divinité est un discours”. Cette affirmation tacite stipule que la Lumière Mystérielle est interactive. “L'écoute et les mots” fonctionnaient à deux voies. La “Lumière Infinie” est dite être vivante. La finalité de rencontrer la lumière est de découvrir “les mystères sublimes de la nature” (Hippolyte). L'illumination qui procédait d'Isis (selon le témoignage d'Aristide, cité au-dessus) était plus qu'une intensification éblouissante de la lumière naturelle. D'une certaine manière, la luminosité divine communiquait avec ceux qui la contemplaient.

Les enseignements Brahmaniques sur la Grande Déesse confirment le témoignage vivant que l'on trouve dans les écrits Hellénistes. “En tant qu'aspect féminin (Shakti) de Brahma, Sarasvati est la déesse de la profusion, du discours abondant (vac) et de la sagesse” ainsi que l'explique l'Indologiste réputé Heinrich Zimmer. Lorsque la Déesse est appelée Gauri “la blanche rayonnante”, elle est comparée à la blancheur du sommet glacial et blanc crémeux du Mont Kailash. La blancheur laiteuse de la neige ressemble à la lumière Mystérielle visible. Dans le Bouddhisme, la déesse qui incarne cette vision est la Tara Blanche, qui est intimement associée avec Amitayus et Amithaba, les Bouddhas de la Lumière Infinie. Les visualisations de la Tara Blanche en tant que “jeune fille aux seins épanouis” dont du corps “émane la grande béatitude transcendante” peuvent induire la régénérescence et même l'immortalité. La rencontre visionnaire dans les Mystères était intensément vitale, conférant les secrets de la vie - une révélation biomystique, pourrait-on dire. Dans la tradition Asiatique, les déités de l'illumination, telles que Tara, descendent des déesses des arbres préhistoriques ou de “l'Arbre-Mère”, Mutvidr. “L'Arbre du Monde, qui exsude sa sève d'or laiteux, représente 'la réalité absolue', un retour vers le centre et l'espace d'origine, la demeure de la sagesse qui guérit”.

La pratique de la Gnose était une illumination totalement somatique en présence de la Nature Sacrée que les Gnostiques connaissaient comme une divinité féminine vêtue de flux vivants de lumière blanche ondulante.

Le vahana, ou le véhicule d'une divinité, est l'instrument de sa révélation au travers des sens humains. Le vahana de la déesse Hindoue Sarasvati est le paon avec sa queue déployée pleine d'yeux. Longtemps après que les Mystères eussent été éradiqués pour faire place à la nouvelle religion du rédemptionnisme, les traditions alchimiques Occidentales préservèrent cette imagerie dans la cauda pavonis, la queue du paon, le symbole du rayonnement infrasensoriel dont il est fait l'expérience lorsque le Grand Oeuvre est accompli. La lumière blanche contient toutes les couleurs et elle est pleine d'yeux, une lumière qui perçoit tout. La Pierre Philosophale, souvent appelée la “pierre blanche” est également une métaphore occulte pour la présence visible de la Lumière Mystérielle.

Simon le Mage de Samarie fut le premier enseignant des Ecoles de Mystères connu pour avoir brisé son voeu d'anonymat et pour avoir défié ouvertement les partisans du rédemptionnisme. Une collection d'anecdotes du 3 ème siècle, les Reconnaissances Clémentines, décrit ses confrontations avec l'apôtre Pierre. Le Gnostique rejette avec force les prétentions de révélation divine faites par les Chrétiens non initiés. S'adressant à un groupe de Chrétiens convertis, il affirme explicitement: “Il existe une certaine puissance de Lumière immense et ineffable dont la grandeur peut être considérée comme incompréhensible, dont le pouvoir est inconnu du faiseur même de ce monde et de Moïse, le donneur de lois et de Jésus votre maître”. (Reconnaissances Clémentines, livre 2, chapitre 49). Il était extrêmement téméraire, à cette époque et dans ce contexte, pour un initié d'évoquer aussi ouvertement cet aspect intime des Mystères. Simon le Mage dénie purement et simplement le fait que Jésus ou Moïse, qui représentent la tradition Judéo-Chrétienne, eussent été initiés dans la révélation primordiale.

Lorsque Pierre demande à Simon “Si cette Lumière est une nouvelle puissance, pourquoi ne nous confère-t-elle pas quelque nouveau sens?” Simon réplique: “Puisque toutes choses qui existent sont en accord avec ces cinq sens que nous avons, la puissance dont l'excellence les dépasse ne peut rien y ajouter de plus.” Cette réponse révèle un point essentiel de la science cognitive caractéristique des enseignements Gnostiques: la lumière mystérieuse qui imprègne les sens physiques ne les altère pas mais, en les imprégnant de telle manière, elle permet à une révélation suprasensorielle d'émerger au travers de ces sens. La réponse implicite de Simon rappelle l'assertion déconcertante des maîtres Zen tels que Huang Po (10 ème siècle EC): “Votre nature authentique est quelque chose que vous ne perdez jamais dans les moments d'illusion; vous ne la gagnez jamais non plus au moment de l'Illumination”. Dans le Bouddhisme Tibétain, la lumière qui imprègne les cinq sens est connue comme le rayonnement quintuple des tathagatas. La Lumière crémeuse des Mystères, de substance de guimauve, n'oblitère pas les formes qui semblent y flotter comme des taches palpables. Elle n'altère pas non plus les apparences si ce n'est pour les défaire de leur densité et de leur masse habituelles.

D'autres témoignages sur la Lumière Mystérielle suggèrent des parallèles proches entre l'illumination Païenne et le mysticisme Bouddhiste. “L'âme, au moment du décès, passe par la même expérience que ceux qui sont initiés dans les Mystères. On est saisi par une lumière merveilleuse”. C'est ainsi qu'en parle le passage le plus célèbre des anciens témoignages sur les Mystères, le fragment de Themistios, ainsi qu'il est nommé. Les lecteurs familiers avec les manuels connus sous le nom de “livres des morts” de la tradition Tibétaine reconnaîtront ici un parallèle direct avec les enseignements Bouddhistes sur l'expérience de l'après-mort. Ces manuels, destinés à être lus aux défunts, décrivent une “lumière claire” et un jeu kaléidoscopique de lumières colorées, incluant une luminosité douce d'un blanc laiteux dite émaner de la “sphère céleste”. Les initiés Païens étaient apparemment capables d'accéder, avant leur mort, à cet aspect particulier de la luminosité qui se manifeste dans l'expérience de l'après-mort. (Le parallèle entre l'initiation Païenne et les états de l'après-mort décrits dans le Bouddhisme Tibétain constitue l'une des informations les plus essentielles, encore non explorées, dans l'histoire de l'expérience mystique.

Les écrits Gnostiques, qui prennent la forme d'un “discours de révélation” tel que la Paraphrase de Shem citée ci-dessus, offrent des descriptions, procédant de témoignages directs, de l'expérience des Mystères. L'initié rencontre un rayonnement sublime et communique avec lui. L'instruction par la lumière était l'événement initiatique suprême. Le Traité Tripartite, le plus long document des Codex de Nag Hammadi, spécifie que cette expérience est un privilège offert par la divinité suprême: “L'Originateur instruisait ceux qui étaient en quête de la vision supérieure au moyen de la luminosité de cette Lumière Immaculée” (87 - 88:10). Des textes de révélation tels que le Discours sur le Huitième et le Neuvième (CNH VI, 6) confèrent l'impression indéniable que les initiés recevaient une connaissance directement de la lumière divine. Dans ce texte, le hiérophante, l'initié vétéran qui accompagne l'initiant en présence de la lumière, déclare: “Réjouis-toi de cette révélation! Car voilà qu'émane du Plérome la puissance qui est Lumière et qui nous recouvre. Car je la vois! J'en perçois la profondeur indicible” (57:25 - 30). Des extraits de passages comparables, issus du corpus Gnostique, rempliraient une demi-douzaine de pages.

La Lumière Supernale, la Lumière Infinie, la Lumière Blanche, la Lumière Mystérielle, la Lumière Divine sont des noms réputés pour cette même réalité sublime. La lumière de l'illumination Gnostique n'est pas métaphorique, elle est substantielle. Pour mettre en exergue ses qualités vivantes et sources de vie, on pourrait aussi l'appeler la Lumière Organique.

Dans The Mystery-religions, Angus dit que “toutes les epiphaneiae antiques participaient de la nature de la lumière éblouissante”. L'initiant ou le mystes (au pluriel mystai) était soigneusement préparé à reconnaître la Lumière Organique et exercé à se concentrer fermement dessus. La profondeur et la durée de la rencontre mystique avec la Lumière variaient en fonction des capacités du néophyte. “Le fait que les mystai n'étaient pas réceptifs à la vision, de la même manière, semble être suggéré par la distinction faite par Psellus entre autopsia, par laquelle l'initiant contemple lui-même la lumière divine et epopteia, par laquelle il la contemple au travers des yeux du hiérophante”.

C'était cette expérience de l'instruction par la Lumière Organique, et la manière par laquelle ils y étaient amenés, que les initiés n'avaient strictement pas le droit de révéler. Cependant, ils n'étaient pas en quête de la Lumière à des fins égoïstes et pour garder par eux-mêmes les fruits de l'expérience ultime d'apprentissage. Ils n'étaient pas animés par l'obsession narcissique de la déification comme il a été communément supposé. Conformément à leur engagement de partager ce qu'ils avaient appris au travers de l'initiation, les telestai écrivaient et parlaient avec profusion. Bien que ne révélant pas les détails intimes de la rencontre suprême, ils écrivaient extensivement sur ce qui leur avait été inspiré. Ils instruisaient les autres, guidés par ce que la Lumière Mystérielle leur avait enseigné.

Régénération Mystique

“Comment développons-nous un Soi plus étendu?... La perspective écosophique se développe au travers d'une identification si profonde que le soi propre n'est plus du tout délimité adéquatement par l'ego personnel ou l'organisme. On fait l'expérience de soi-même comme une partie authentique de toute vie”.

Un dicton de la foi catholique stipule qu'il n'existe pas de salut en dehors de l'Eglise. Selon un ancien témoignage de la religion Païenne “il n'y a pas de salut sans régénération”. Le terme Grec palingenesis “régénération”, ne dénote pas l'action d'un agent surhumain produisant des effets sur le plan humain. On ne peut pas l'identifier avec la résurrection. La palingenesis était plutôt un événement dramatique qui se produisait dans l'âme du mystes en raison d'un contact intime avec le monde naturel, produisant un jaillissement de supervitalité et d'euphorie. La régénération était accomplie en termes sensoriels, dans l'environnement du monde naturel. Tout ce qui a survécu indique que l'initiation dans les Mystères était une illumination pleinement somatique, non pas un voyage hors du corps vers quelque espace éthéré au-delà de ce monde. Les témoignages, qui ont survécu, mettent en valeur que l'éveil Gnostique impliquait la véracité de l'illumination pleinement somatique, de la conscience cosmique dans le corps. L'expérience pourrait être comparée au ravissement mystique de la “phase de perfection” du Dzogchen, lorsque le corps n'est plus simplement un corps:

“Le terme kaya (sku) ne signifie pas seulement corps dans un sens physique ordinaire mais la dimension intégralement manifestée de l'individu. Le corps physique est, bien sûr, le point focal de cette dimension mais ce corps ne s'arrête pas à la peau. Il ne présente pas tant une forme statique, comme une statue, qu'une relation dynamique entre l'individu et son environnement”.

La rencontre de la Lumière Mystérielle, ici et maintenant, dans le monde sensoriel, dans l'environnement terrestre, produisait un jaillissement de supervitalité qui restait dans le corps de l'initié après que le rituel se fût terminé.

Un initié du culte d'Attis, un homme nommé Damascius, laissa ce récit: “J'imaginai que je devenais Attis et que j'étais initié par la Mère des Dieux dans le festival appelé Hilaria pour autant qu'il était destiné à signifier que notre libération de la mort avait été accomplie”. Ce que l'initié “imagine” n'est pas une fantaisie mais un événement mystique aussi réel que tout autre chose dans “la vie réelle”. Sympathia avec la vie d'un dieu Païen était une technique psychologique pour dépasser l'identification au soi personnel. Les Païens, qui faisaient l'expérience de l'initiation, ressentaient une connexion avec les forces de vie si intense qu'elle générait en eux un sens d'immortalité, un sens de vivre l'ici et le maintenant au-delà des limites normales de la conscience de soi. Cette expérience était “si profonde que le soi propre n'est plus du tout délimité adéquatement par l'ego personnel ou l'organisme”. (Naess, cité ci-dessus). Les initiés célébraient, ainsi donc, un triomphe, non pas sur la mort elle-même, mais sur le sentiment, empreint de peur, d'être mortel et confiné à une identité personnelle.

Dans leur aspect populaire, les “petits” Mystères étaient vécus comme des célébrations de joie et de sensualité. Les participants exprimaient leur libération des limites mortelles et égoïques dans l'hilaria, dans l'hilarité, les grands rires francs. Rien qui ne soit célébré dans les Mystères requérait de la souffrance ou de l'auto-punition; de même, ces rites antiques ne glorifiaient ni la souffrance humaine, ni la souffrance divine. Il est parfaitement trompeur de comparer, disons, les souffrances de Dionysos avec celles du Christ. C'est un autre de ces parallèles mythologiques fallacieux qui passionnent tant les érudits. La différence entre la béatitude régénératrice et la souffrance rédemptrice, c'est la différence entre l'initiation Païenne et la religion rédemptionniste.

L'initiation dans les Mystères Païens impliquait l'extase et l'euphorie, non pas la douleur en soi ni la douleur qui rachète ou même l'échappatoire à la douleur. C'était un chemin d'illumination par l'expérience directe à ne pas confondre avec le programme rédemptionniste qui exige une foi aveugle sur laquelle il est fondé. La vision écosophique d'Arne Naess implique la même finalité qui était accomplie lors de l'initiation Païenne mais sans explicitement la nommer. Il en existe, cependant, une différence cruciale car “l'identification” proposée par Naess, et d'autres partisans de l'écologie profonde tels que Warwick Fox, n'atteint pas la pleine dimension d'empathie extatique connue et célébrée durant des millénaires d'expérience Mystérielle. Afin de comprendre pourquoi il n'en est pas ainsi, nous devons nous pencher attentivement sur l'expérience de l'illumination Païenne.

L'Equation Dieu-Soi

Un texte Grec du 3 ème siècle, le Papyrus Magique de Mimaut, est caractéristique de la littérature de révélation Hermétique qui est comparable, à certains égards, aux témoignages sur les Mystères que l'on trouve dans les Codex de Nag Hammadi. Lors d'une prière de groupe, les initiés s'adressent tout d'abord au hiérophante, le guru qui accompagne les néophytes vers la Lumière Divine et puis, ensuite, ils s'adressent à cette Lumière même:

“Nous remercions, ô Très Haute, car grâce à ta présence gracieuse, nous somme venus vers la Lumière de l'Instruction, ineffable et innommable... Tu nous a offert le sentiment, la raison, et la connaissance - le sentiment afin que nous puissions te ressentir, la raison afin que nous puissions méditer sur toi et la connaissance afin que nous puissions nous réjouir de te connaître. Sauvés par toi, nous nous réjouissons que tu ne te sois pas montrée à nous dans ta complétude. Nous nous réjouissons que même dans nos corps mortels, tu nous a déifiés par la vision de toi-même... Nous sommes venus Te connaître, ô Toi Lumière perceptible à nos sentiments, ô Toi Lumière de la vie de l'humanité, ô Toi Lumière qui es la matrice fertile de tout ce qui existe”.

Il est étonnant de voir la formulation “Je-Toi”, considérée par Martin Buber comme le signe de la rencontre religieuse authentique, qui s'adresse ici à un phénomène transhumain de luminosité. Le mystes est “sauvé” par la rencontre avec la Lumière Organique mais non point sauvé de la manière dont la croyance rédemptionniste promet de sauver ses dévots. La Gnose est le contact direct et la communion avec la Divinité sans un quelconque agent intermédiaire. Bien que la guidance d'un guru-hiérophante puisse être bénéfique, cela n'est pas une nécessité absolue.

L'initié était “déifié” non pas dans le sens de devenir un avec Dieu, ou même de réaliser le “divin à l'intérieur”. Cette expérience se manifestait, plutôt, comme un effet collatéral de connaître ce que Dieu connaît, à savoir de connaître d'une manière suprahumaine, au travers d'une cognition augmentée, dans un état de conscience supérieure. La rédemption dans les Mystères Païens ne produisait pas une élévation à un statut divin mais, malheureusement, la déification fut interprétée de cette manière même par ceux qui ne firent jamais cette expérience par eux-mêmes mais qui, cependant, enviaient ceux qui l'avaient vécue et souhaitaient les imiter. En bref, la déification était la fixation des prétendants à la Gnose et ils étaient légion à l'aube de l'Age des Poissons. De nos jours, si les prétentions religieuses attachées à la théorie Gaïa sont transférées à l'écologie profonde, “l'identification” proposée par Naess et Fox pourrait dériver dangereusement vers la déification. Pour le moins, la définition courante, et encore controversée, de l'identification ne confère pas une importance suffisante, ou assez claire, à la mort de l'ego dans le processus de communion transcendante avec la nature.

La désinformation sur la déification peut être attribuée à diverses sources dans l'antiquité, mais plus particulièrement à l'imposteur Gnostique, Clément d'Alexandrie (140-215 EC) qui prétendit connaître les secrets les plus intimes des Mystères Païens. Il formula ce que l'on pourrait appeler l'équation Dieu-Soi pour expliquer l'initiation telle qu'il la supposait plutôt que telle qu'elle était. Clément est toujours largement cité quant à son affirmation selon laquelle le “Gnostique authentique” est quelqu'un qui sait que le soi intérieur est Dieu. Il déclara également que “la vie du Gnostique, selon ma vue, ne se différencie pas des oeuvres et des paroles qui correspondent à la tradition du Seigneur”. Comparez cette affirmation avec l'assertion de Simon Magus selon laquelle Jésus était ignorant de la Lumière. La vision de Clément est un exemple flagrant de la co-optation de la tradition Gnostique par la doctrine Chrétienne et les prétentions mystiques Christocentriques après 150 EC. Elle attribue, fallacieusement, un contenu Gnostique authentique aux doctrines Chrétiennes. De plus, elle fait apparaître le mouvement Gnostique comme un phénomène tardif du milieu du second siècle. Si les érudits ont raison d'affirmer que les sectes Gnostiques apparurent au moment même où les Pères de l'Eglise, tels que Clément, se mirent à les réfuter, le mouvement doit avoir été assurément de très courte durée. Il aurait émergé et aurait été réprimé en l'espace quasiment d'un siècle.

La Lumière de l'Instruction

La désinformation concernant l'initiation, qui commença avec Clément, a prospéré au fil des âges. Sa formulation de l'équation Dieu-Soi a été avidement embrassée par les partisans, de type Nouvel-Age, du Gnosticisme qui y perçoivent une confirmation de leur croyance selon laquelle les humains sont essentiellement divins. Est-il réellement concevable que l'expérience Mystérielle de la transcendance de soi, au travers de la mort temporaire de l'ego, pourrait avoir conduit à une telle vision? La quintessence de la leçon des Mystères était qu'aucun être humain n'est essentiellement divin mais chaque individu est doté d'une portion d'intelligence divine, le noos. Les Gnostiques enseignaient que nous sommes instrumentalement plutôt qu'essentiellement divins. Le facteur divin est présent dans une faculté que nous possédons, une faculté qui nécessite d'être cultivée, mais non pas en notre conscience en tant que telle, et spécialement pas dans notre conscience de soi.

Les mystiques du Nouvel Age considèrent l'affirmation de la divinité demeurant à l'intérieur comme “le vrai message de Jésus”, un message soit qui échappe à ceux qui sont dépourvus de la connaissance initiée, soit qui est intentionnellement perverti par les idéologues de l'Eglise assoiffés de pouvoir. C'est ainsi qu'Andrew Harvey, écrivant sur l'Evangile de Thomas des Codex de Nag Hammadi, fait l'éloge du “radicalisme sauvage et splendide” du Jésus Gnostique qui montrent à ceux qui sont en quête de Dieu comment découvrir “le Divin caché en eux” et comment devenir “un être humain divinement élevé”. Selon la vision d'Harvey, la “conscience de Royaume” prêchée par Jésus est une déification intérieure, l'affirmation selon laquelle dans le soi intérieur de chaque personne demeure le Soi Divin, la Présence de Dieu. Cela n'est pas l'enseignement Gnostique authentique bien qu'il soit communément considéré comme tel.

La formule Dieu-Soi est symptomatique de la persistance troublante de notions erronées dans l'histoire de la religion. Elle survit dans les convictions personnelles d'érudits tels qu'Elaine Pagels qui dit: “Le secret de la Gnose est que lorsqu'on parvient à se connaître soi-même au niveau le plus profond, on parvient à connaître Dieu comme la source de son être”. Cette affirmation est adroitement nuancée. Elle stipule prudemment que Dieu est la source de notre être plutôt qu'il y soit identique, comme il est présumé dans la formulation de Clément, adoptée ultérieurement par André Harvey et d'autres. La théologie Chrétienne Orthodoxe (telle qu'Elaine Pagels la représente) rejette l'équation franche Dieu-Soi comme une extravagance du Nouvel-Age, pour ne pas dire une hérésie. Pour les Juifs, tout comme pour le Chrétiens, la divinité ne peut être que distincte du soi qui la vénère.

Les visions de Clément furent développées dans l'atmosphère cosmopolite d'Alexandrie et elles circulèrent parmi les membres influents et éduqués de la société Egyptienne qui étaient déconcertés par le complexe sensationnel du rédempteur venu de Palestine et qui lui étaient vaguement sympathiques. Il déclara que la connaissance enseignée dans les Mystères était dérivée de Moïse et des Prophètes Hébreux - “une légère distorsion des faits pardonnable chez le Bon Père” - ainsi que Madame Blavatsky le remarqua, avec beaucoup de tact. Clément qualifiait les pratiques de culte Gnostiques de “viles et de méprisables” et insistait sur le fait que la philosophie Païenne, lorsqu'on la comprenait bien, représentait une version grossière de la théologie de la rédemption arrivant de Palestine à son époque. La crédibilité de Clément a été remise en question, et largement démolie, par George Mylonas, l'érudit le plus expert sur les Mystères d'Eleusis.

Clément est souvent cité comme ayant déclaré que tous les Gnostiques sont des Chrétiens authentiques. Il faut alors se demander quelle était pour Clément la notion de Chrétien. Sa réponse est “quelqu'un qui découvre que Dieu est identique avec son soi intérieur”, comme nous l'avons déjà souligné. Mais une étude sérieuse de ce phénomène met clairement en valeur que la mort de l'ego, et non pas l'identification avec Dieu, était le secret de l'expérience Mystérielle. Paradoxalement, un sens de divinisation se manifeste lorsque l'ego est momentanément dissous mais la déification de l'ego ou du soi ne fit jamais partie du programme Païen. La finalité des Mystères n'était pas la quête de pouvoir personnel de ceux qui étaient initiés, ou l'inflation éventuelle de leur ego, mais bien plutôt la consécration de leur mental et de leur vie à la Magna Mater. L'objectif de l'initiation était implicite à sa méthodologie: contempler “la Lumière de l'Instruction, ineffable et innommable” et apprendre des choses pratiques tout autant que sublimes de cette rencontre. Les initiés apprenaient comment co-évoluer avec Sophia et comment guider le potentiel humain à son niveau le plus élevé d'accomplissement. La perte de l'identité personnelle, durant l'initiation, induisait un sentiment momentané d'union avec Dieu - ou avec la nature, une cascade, un scarabée, tout ce qui venait à flotter dans la Lumière Organique- mais l'identification Dieu-Soi n'était pas la finalité ultime de l'initiation. S'il en avait été ainsi, les Mystères n'auraient été rien d'autre que des cuves d'incubation pour l'auto-glorification.

L'historien Robert Turcan observe, avec sagesse, que l'initiation Païenne “ne consistait pas 'à retourner vers soi-même' mais à devenir très différent en absorbant l'Altérité Intégrale qui est la divinité”. Ce commentaire en dit plus sur les Mystères que des volumes entiers de délires étouffants d'équation Dieu-Soi.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet