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Planète Terre, Planète Désert?
Dominique Guillet
Pénurie d’eau
Il existe une “Journée Mondiale de l’Eau” comme il existe une journée mondiale des femmes, une journée mondiale de l’enfance et peut-être bientôt une journée mondiale de l’humus ou une journée mondiale des vers de terre!
C’est l’occasion, pour tous les hypocrites, de lâcher quelques larmes de crocodiles sur le sort des femmes, sur le sort de l’eau, sur le sort des enfants, bref sur le sort de tous les opprimés.
Cette année, le thème de cette journée mondiale de l’eau était “Faire face à la pénurie d’eau”. La pénurie va bientôt conférer à cette nouvelle opprimée le statut d’eau primée. L’eau bientôt plus chère que le pétrole ( ce qui va ruiner tous les espoirs des inventeurs de moteurs à eau) ou plus chère que le vin ( ce qui va aggraver les dégâts de l’alcoolisme)?
Bref, selon la FAO, la pénurie en eau représente l’enjeu du 21ème siècle. “L’enjeu réside essentiellement dans la nécessité de trouver des moyens plus efficaces de conserver, d’utiliser et de protéger les ressources en eau de la terre.”
Cela ne fait que quelques dizaines d’années que l’on entend ce type de discours creux.
Aujourd’hui, et cela ne date pas d’hier, ce sont 2,6 milliards d’humains qui sont sans assainissement, et ce sont 1,3 milliards d’humains qui sont sans accès à l’eau potable. Tous les ans, 2 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent de maladies diarrhéiques liées au manque d’eau potable.
Parlons d’argent et évoquons quelques chiffres. Il existe un “Fonds pour l’environnement mondial” (FEM) qui comme l’ONU le déclare “a été établi en 1990 dans le but de fournir des ressources financières supplémentaires pour traiter les questions environnementales mondiales des pays en développement et des économies en transition”. Ce fonds ne dispose que de 2 milliards de dollars par an, pour toute la planète.
Il faudrait, par exemple, investir 1,5 milliard de dollars pendant 10 ans pour que les 300 millions d’Africains, qui n’ont pas d’eau potable, puissent y accéder et pour que 80% d’entre eux puissent accéder à l’assainissement.
En comparaison, tous les ans, les pays occidentaux subventionnent leur agriculture à hauteur de 350 milliards de dollars. Et tous les ans, les dépenses militaires mondiales sont de l’ordre de 900 milliards de dollars.
Il faut se rendre à l’évidence: la communauté internationale a décidé de laisser mourir de soif, ou de maladies liées à des eaux souillées, toute une partie de l’humanité.
Les voeux pieux et les discours pleurnichards des institutions internationales ne sont que des paravents.
Et cela se comprend. C’est une question de survie pour les nantis. C’est une question de survie pour leur agriculture moderne qui consomme quasiment 90 % de l’eau douce de toute la planète.
Le choix est simple: ou on donne de l’eau à toute l’humanité ou on tente de faire perdurer l’agriculture moderne non durable. Les nantis qui contrôlent la planète ont décidé de privilégier l’agriculture des riches.
L’agriculture moderne non seulement désertifie les sols, non seulement empoisonne les humains et les animaux mais en plus, elle épuise les réserves d’eau douce.
Les variétés modernes de maïs sont la quintessence de ce délire agricole. Un hectare de maïs requiert, aux USA, au moins 5 millions de litres d’eau mais en raison de l’évaporation, ce sont 8 millions de litres d’eau qu’il faut amener par hectare. Ce qui fait 1000 litres d’eau par kilo de maïs produit, et encore ce n’est qu’une moyenne car certaines études évoquent jusqu’à 1500 litres d’eau par kilo de maïs.
Il faut bien préciser que ce gaspillage éhonté de l’eau douce pour la culture du maïs n’est pas lié à la nature du maïs qui est une plante C4, à savoir une plante résistante à la sécheresse. Les variétés de maïs traditionnelles pouvaient croître dans les déserts du Mexique ou de l’Arizona. Les Hopis, par exemple, semaient leur maïs à 30 ou 40 cm de profondeur dans le sable du désert avec des bâtons à semer. C’est l’agronomie moderne qui a fait du maïs une pompe à eau. Et comme les réserves d’eau sont en train de baisser sur toute la planète, les apprentis-sorciers du bricolage génétique nous promettent de nouvelles variétés de maïs chimériques résistantes à la sécheresse. La boucle est bouclée.
Le maïs constitue en France la principale culture irriguée et ce surtout dans le sud-ouest. Mais elle n’est pas la seule: le blé, la betterave, la vigne, la prairie, etc, sont également irrigués.
Voici quelques estimations, quant à la quantité d’eau nécessaire pour l’agriculture US, données par le très réputé Professeur Pimentel, de l’Université de Cornell, dans son ouvrage: “ Ecological Integrity: Integrating Environment, Conservation and Health” (Island Press, Washington DC, 2001).
Pour 1 kilo de pommes de terre: 500 litres d’eau
Pour 1 kilo de blé: 900 litres d’eau
Pour 1 kilo de fourrage: 1000 litres d’eau
Pour 1 kilo de maïs: 1500 litres d’eau
Pour 1 kilo de riz: 1900 litres d’eau
Pour 1 kilo de soja: 2000 litres d’eau
Pour 1 kilo de viande de boeuf: 100 300 litres d’eau
Dans le catalogue des folies agricoles irriguées, la production de viande détient ainsi la palme de la non-durabilité et du gaspillage.
La consommation de viande, au niveau planétaire, rappelons-le, est passée de 44 millions de tonnes en 1950 à 265 millions de tonnes en 2005. Et cette tendance ne fait que s’amplifier.
La quantité d’eau utilisée par kilo de viande diverge en fonction des études.
Selon Georg Borgstrom, de l’Université du Michigan, il faut “seulement” 21 000 litres d’eau pour produire 1 kilo de viande de boeuf.
Selon l’Université de Californie, il faut 44 000 litres d’eau pour produire 1 kilo de viande de boeuf, 13 700 litres d’eau pour produire 1 kilo de viande porc et 6 800 litres d’eau pour produire 1 kilo de viande de poulet.
Une étude publiée par une commission des Nations Unies en 2004 rapporte le chiffre de 70 000 litres d’eau par kilo de viande de boeuf.
Ce chiffre n’est pas très éloigné de celui du Professeur David Pimentel dont les calculs sont fondés sur la nourriture moyenne d’un boeuf aux USA, à savoir 100 kilos de fourrage et 4 kilos de grain par kilo de viande produite.
Aux USA, 65 % des productions agricoles sont destinées à nourrir le bétail (contre 1 % en Inde!).
Sur le plan mondial, la production de grains est de 1985 millions de tonnes dont 60 % sont consommés par l’homme, 36 % sont utilisés comme aliment pour le bétail et 3 % sont brûlés comme fuel.
Si on raisonne en termes de calories, il faut 50 fois plus d’eau pour produire une calorie de viande qu’une calorie de pomme de terre.
Raisonnons maintenant en termes de douche. Admettons que l’on prenne tous les jours une douche de 5 minutes à raison d’un flux de 18 litres d’eau par minute. Quel est l’équivalent d’un kilo de viande de boeuf, selon les calculs du Professeur Pimentel, en termes de douches?
Trois années de douches quotidiennes équivalent à 1 kilo de viande de boeuf!
Ces quelques chiffres nous aident à mieux comprendre le dilemme de la planète que l’on pourrait (presque) résumer comme un choix entre l’eau pour les pauvres et de la viande pour les riches.
Le dilemme se complexifie, en fait, car les riches, maintenant, non seulement veulent de la viande, et encore plus de viande, mais ils veulent aussi des agro-carburants pour faire rouler leurs voitures.
La folie des nécro-carburants est ainsi en train de se répandre comme une peste sur toute la planète. Elle accentue d’autant plus la pénurie de l’eau car il faut jusqu’à 3600 litres d’eau pour produire un litre d’éthanol (à partir de 2,5 kilos de maïs). En 2006, aux USA, 20 % de la production nationale de maïs ( à savoir 55 millions sur les 270 millions de tonnes produites) a été brûlée dans les centrales à éthanol.
Encore plus de pénurie d’eau
Le bilan de l’agriculture moderne est encore pire que ce que l’on peut imaginer car ce ne sont que les effets directs que nous venons de décrire.
Il nous faut maintenant aborder les conséquences indirectes de cette agriculture non-durable sur la gestion des eaux.
Le premier aspect concerne la destruction de la couverture végétale dans les grandes plaines, en particulier dans le passé aux USA et en Australie et plus récemment dans des pays comme le Kazakhstan. Aux USA, un nouveau concept agronomique, aussi insensé que celui de la “vigueur hybride”, vit le jour dans les années 1860-1870. Selon ce concept, la pluie allait suivre la charrue, à savoir que la destruction de la couverture végétale des grandes plaines allait augmenter le régime des pluies.
N’importe quel enfant d’une tribu d’Amérindiens aurait pu prouver aux agronomes US qu’ils avaient complètement perdu la raison. Les cycles de sécheresse et de tempêtes de sable, dont le “Dust Bowl”, eurent raison de ce délire laboureur quasi mystique. Mais les dégâts furent considérables.
Le second aspect, souvent lié au premier, concerne la destruction de l’humus dans le sol. La perte d’humus fait du sol une vraie passoire, ou une chape de béton sur laquelle tout ruisselle, en fonction de la nature des sols. En bref, les sols de l’agriculture moderne ont perdu toute capacité de rétention équilibrée de l’eau pour une croissance harmonieuse des plantes alimentaires. Ce problème est d’autant plus aggravé que les populations de vers de terre ont été décimées par des dizaines d’années d’agriculture mécanisée et toxique.
L’irrigation intensive des cultures n’existe que parce que la structure des sols a été complètement détruite et parce qu’aussi, l’industrie a inventé des arroseurs mécaniques. L’irrigation intensive des terres agricoles provoque, soit dit en passant, un énorme problème de salinisation sur toute la planète.
Le troisième aspect est lié à la déforestation. Les 300 millions d’hectares de forêts tropicales qui ont été détruits durant ces 20 dernières années, l’ont été en grande partie pour des productions agricoles. C’est une catastrophe planétaire car les forêts sont non seulement un poumon mais une immense réserve d’eau.
L’arbre, par essence, appelle la pluie. Et quand la pluie vient, elle percole sans aucun ruissellement.
La déforestation chasse la pluie et amène la sécheresse. Et si jamais la pluie vient, elle ne percole plus, elle ne fait que ruisseler et générer des inondations qui aggravent l’érosion des sols. C’est un cercle vicieux.
Et cela ne va pas être aisé de sortir de ce cercle vicieux en raison des bouleversements climatiques qui sèment le chaos sur la planète depuis plusieurs années et qui augmentent en sévérité. Ces bouleversements n’auraient peut-être pas été aussi “bouleversants” si les écosystèmes naturels avaient été respectés, et si les activités agricoles avaient été gérées harmonieusement.
Il est trop tard et la planète a épuisé sa capacité de prendre des coups sans réagir.
Les grands glaciers planétaires sont en train de fondre. Au mois d’avril 2007, l’Inde était complètement bouleversée d’apprendre que, peut-être, dès 2025, tous les glaciers de l’Himalaya auraient disparu.
Les glaciers de l’Himalaya sont la source de 7 grands fleuves: le Gange, l’Indus, le Brahmaputra, le Mekong, le Thanlwin, le Yangtze et le Fleuve Jaune. La fonte des glaciers va tout d’abord provoquer d’immenses inondations ainsi que des glissements de terrains catastrophiques et ensuite générer une impitoyable pénurie d’eau.
Les gouvernements évoquent, à moyen terme, de déplacer des centaines de millions de leurs paysans. Ce qui est parler pour ne rien dire et juste pour amuser les journalistes. Les déplacer vers quel ailleurs? Surtout si la montée des océans recouvrent les grands deltas et une bonne partie du Bangladesh.
Le problème se pose de la même façon en Amérique du sud. La fonte totale des glaciers des Andes pourrait rendre totalement inhabitable une grande partie de ce continent.
Les glaciers, en fait, constituaient auparavant 70 % de la réserve d’eau douce de la planète. Leur disparition sur tous les continents va provoquer d’énormes catastrophes dont il est très difficile d’imaginer la nature.
Finissons par une notre d’optimisme, une petite cerise sur le gâteau de sable: en France, malgré 70 ans de chimie intensive sur les terres agricoles, toutes les réserves d’eau Françaises ne sont pas encore irrémédiablement polluées!! Cela s’arrose!
En effet, selon les enquêtes publiées par l’IFEN en 2005, 96% “seulement” de nos cours d’eaux et 61% “seulement” de nos nappes phréatiques sont pollués par “seulement” 230 pesticides: la molécule la plus présente étant l’atrazine qui génère cancers (du sein et des ovaires), maladies cardio-vasculaires, dégénérescences musculaires, lésions des poumons et des reins, etc.
Aux USA et au Canada, des études sérieuses ont mis en évidence la présence, dans les eaux, de très nombreuses substances: estrone, ethinylestradiol (venant des pilules contraceptives), des anti-inflammatoires, des remèdes contre le cancer, des tranquillisants, etc. Aux USA, chaque année un million de patients cancéreux sont traités par chimiothérapie. Ces patients génèrent approximativement, chaque année, 650 000 tonnes d’excréments qui sont évacuées dans les égouts. Des chercheurs se sont aperçus que toutes les substances utilisées en chimiothérapie sortaient intactes des systèmes de retraitement d’eau. Toutes ces substances sont mutagènes, carcinogènes, tératogènes et embryotoxiques.
Au Canada, en 1998, deux chercheurs, White et Rasmussen, ont calculé que la génotoxicité présente dans l’unité de retraitement des eaux usées de Montréal d’une part et dans le St Laurent d’autre part étaient seulement imputables à l’industrie à hauteur respectivement de 15 % et de 10 %. Tout le reste avait une origine “mystérieuse”, selon leurs commentaires.
En 2005, en Suisse, une thèse de doctorat a porté sur la contamination de l’environnement par les substances pharmaceutiques. (recherche de Tauxe Würsch, Annick ; Tarradellas, Joseph).
“Dans la première partie de cette recherche, la présence et le devenir de cinq médicaments très utilisés (Acide Clofibrique, Ibuprofène, Kétoprofène, Acide Méfénamique et Diclofénac) ont été analysés dans trois STEPs durant quatre à sept jours consécutifs. L’Ibuprofène, le Kétoprofène, l’Acide Méfénamique et le Diclofénac sont des anti-inflammatoires (NSAIDs). L’Ibuprofène et l’Acide Méfénamique sont les médicaments les plus vendus de cette étude: 17 tonnes par an et par substance en Suisse. L’Acide Clofibrique est un métabolite du clofibrate, de l’étofibrate et du clofibrate d’étofylline. Ces substances hypolipémiantes sont utilisées pour abaisser les concentrations plasmatiques élevées de cholestérol et de triglycérides. La méthode analytique développée pour analyser ces cinq médicaments permet de récupérer généralement plus de 70% de ces composés. Les limites de détection (5-15 ng/l) permettent la détection de ces substances dans les échantillons d’eaux usées.
Les résultats de l’analyse des échantillons montrent que ces cinq substances étaient persistantes et se retrouvaient dans les effluents des STEPs ...”
En conclusion, au bout du compte qui va trinquer? Nous sommes en pleine pénurie d’eau et ce qui reste d’eau peut difficilement mériter le qualificatif de H2O!
L’eau de boisson, l’eau d’irrigation, est devenue un dangereux cocktail de pesticides, de produits pharmaceutiques et de résidus industriels.
Et pour couronner le tout, l’eau, bien précieux et bien collectif de l’humanité, est devenue une affaire privée dans les griffes de quelques multinationales mafieuses.
Voleurs d’eau, Voleurs de terre, Pollueurs d’eau, Pollueurs de terre, ce sont les mêmes!
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