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Le non-labour dans les sillons de l’agro-chimie

Dominique Guillet

Article à télécharger en PDF (1,5 Mo)

Documento PDF (1,5Mo) en Español: "La no-labranza sigue los pasos de la agroquímica"

Suite à des articles louant le non-labour comme la nouvelle révolution verte et suite à la découverte de la page “agro-écologie” du CIRAD en France, il nous a semblé essentiel de faire le point sur cette pratique agricole appelée également “semis direct” et autrefois appelée “agriculture chimique” ou “chemical farming”. En effet, il y a non-labour et non-labour. Et celui de Fukuoka n’a strictement rien à voir avec celui de Monsanto!

Cette pratique, introduite par l’agriculture moderne il y a une quarantaine d’années, recouvre officiellement 96 millions d’hectares sur la planète (à savoir 4 fois la surface agricole de la France). Elle fut introduite avec le souhait louable de lutter contre l’érosion des sols. Cependant, elle est devenue l’agriculture la plus toxique du monde (chimères génétiques + pesticides à outrance) et on pourrait se demander si la lutte contre l’érosion n’était pas une gentille excuse pour accroître, de façon considérable, les profits de la mafia en contrôle de l’agro-chimie et des chimères génétiques.

La majorité des surfaces agricoles en non-labour sont dédiées à la production de viande (soja et maïs) et récemment d’agro-carburants (soja et maïs ). Alors que le cancer des pesticides accroît son emprise sur toute la planète, il n’est que temps de démystifier le non-labour chimique qui est une catastrophe (une de plus) pour l’environnement et la santé de l’humanité.

Origines du non-labour chimique

En Amérique du nord, les premiers essais de non-labour chimique virent le jour grâce à l’invention de l’herbicide 2,4 D dans les années 40.

En Europe et Amérique du nord, c’est l’invention du Paraquat en 1955 et sa commercialisation en 1961 qui permit l’expansion des pratiques de non-labour. Rappelons que le Paraquat est un des herbicides les plus dangereux et que début octobre 2006, la Déclaration de Berne lançait, sous la forme d’un site web, un «tribunal public» sur l’affaire paraquat. Cet herbicide est actuellement produit par Syngenta.

Les techniques de non-labour furent grandement facilitées également par l’introduction de l’atrazine. Cet herbicide peu onéreux fut introduit en France en 1962 et interdit en Europe en 2002: à savoir 40 années d’utilisation d’un herbicide qui fut jugé inoffensif par l’établissement scientifique à la solde de l’agro-chimie et qui est le principal polluant des eaux en France.

En Amérique Latine, c’est le Brésil qui fut pionnier dans l’introduction des techniques de non-labour. Les débuts sont reportés avoir été très lents pour la raison toute simple, c’est que seuls deux herbicides étaient disponibles à cette époque: le 2,4-D et le Paraquat.

Et certains osent parler d’agro-écologie et d’agriculture durable quand ils promeuvent le non-labour chimique! Quelle grande farce.

Le non-labour aux USA, inféodé à la chimie

En Janvier 2007, se tenait, dans l’état de l’Iowa aux USA, le 15 ème symposium national du “non-labour” sous le haut-patronage, depuis 1993, de la multinationale Syngenta, un des leaders de la chimie lourde (et le troisième consortium mondial de la semence). L’une des conférences principales portait sur un sujet essentiel et très d’actualité, à savoir la résistance sans cesse croissante des “adventices” aux herbicides, sur toute la planète.

Car, bien sûr, la grande majorité des agriculteurs pratiquant le “non-labour” ne fonctionnent qu’avec l’épandage des herbicides les plus puissants. C’est un non-dit et ce n’est pas le seul.

Sur le site internet du “no-till farmer” qui se considère comme la référence en non-labour aux USA depuis 1972, on peut trouver des actualités qui portent par exemple sur le tout nouvel herbicide homologué de Dow AgroSciences, le “SureStart” qui est spécialement conçu pour la maïs transgénique “Roundup Ready” et qui constitue le parfait complément au glyphosate de Monsanto ou bien encore sur le tout nouvel herbicide de Syngenta “Prefix” qui est spécialement conçu pour le soja transgénique et qui constitue, lui-aussi, le parfait complément au glyphosate de Monsanto.

On peut également trouver des liens qui pointent directement vers les grand ténors de l’agro-chimie, Dow AgroSciences, BASF, DuPont, etc, ou qui pointent vers les sponsors du non-labour, Syngenta, Bayer, etc....

On trouve également, en date du 9 janvier 2007, un article commentant la nouvelle vogue des agro-carburants qui précise que les “non-laboureurs” vont pouvoir augmenter leurs revenus en vendant leurs résidus végétaux aux centrales d’éthanol.

Le boom de l’éthanol est une bénédiction pour les agriculteurs en non-labour qui se plaignent que leurs résidus végétaux ne se compostent plus au champ. En effet, les sols succombent, suffoquent sous l’assaut des herbicides et autres pesticides appliqués en doses sans cesse croissantes. Il n’y a plus de vie microbienne et les sols deviennent biologiquement morts.

Témoin la contribution de John en date du 13 mai 2007 sur le forum du site de “no-till farmer”: John précise qu’il pratique le non-labour depuis 15 ans, qu’il cultive du soja et du maïs, qu’il utilise le glyphosate, le 2,4-D, l’atrazine et le Prowl. John s’étonne de ce que la population de vers de terre ne soit plus ce qu’elle était de par le passé et de ce que ses résidus végétaux ne se décomposent plus.

On trouve également sur le forum des commentaires sur les avantages respectifs des fertilisants 12-30-0-3, 10-34-0, 6-24-6, etc.

Sur les centaines d’articles publiés par la revue “No-Till Farmer” depuis près de 30 années, nous avons trouvé deux références à l’agriculture biologique.

Les surfaces officiellement en non-labour aux USA étaient en croissance constante. Elles sont passées de 7 millions d’hectares en 1990 à 21 millions d’hectares en 2000. En 2006, les surfaces ne sont pas connues; cependant, il est indiqué que 60 % du soja (36 % du soja à croissance indéterminée), 18 % du coton et 20% du maïs furent cultivés en non-labour.

La tendance à l’accroissement semble s’inverser du fait du découragement des agriculteurs en raison de la résistance des adventices au Roundup. Dans le sud des USA, ce découragement touche particulièrement les cotonniers de l’Arkansas, du Tennessee et du Missouri.

Le Soja non-labouré en Argentine

En Argentine, en 2006, 30 millions d’hectares constituaient la surface cultivée dont 70% en non-labour (appelé “siembra directa”). En 2005, le non-labour concernait 80% du soja cultivé, 70% du maïs cultivé, 60% du blé cultivé et 30% du tournesol cultivé. L’Argentine, à elle seule, possède 20 % des surfaces cultivées en non-labour sur la planète.

Selon le ministère de l’agriculture, en 2005, 98 % du soja cultivé est résistant au Roundup de Monsanto. Selon certaines ONGs, c’est en fait 99 %, pour ne pas dire la totalité. Le soja couvre, en 2007, 16 millions d’hectares pour une récolte attendue de 44 millions de tonnes dont 95% sont exportées.

L’Argentine souhaite atteindre une production de 100 millions de tonnes de soja.

L’implantation du soja en Argentine a été une catastrophe nationale, sous tous aspects. Elle a entraîné:

- L’expulsion des petits paysans. En Argentine, la situation est dramatique: alors que la surface en soja triplait, 60 000 fermes disparaissaient. En 1998, il y avait dans ce pays 422 000 fermes et en 2002, il n’en restait que 318 000, à savoir une réduction de 25% en l’espace de quatre années seulement. Ce qui veut dire concrètement que 104 000 familles paysannes ont été chassées de leurs terres et de leurs fermes en l’espace seulement de quatre ans.

De 1992 à 2005, on estime que 150 000 familles paysannes ont été chassées de leurs terres.

Dans la région de la Pampa, en 7 années le nombre de fermes passa de 170 000 à 116 000 alors que la surface moyenne d’une ferme passait de 243 à 538 hectares (en 2003).

Selon le ministère de l’agriculture, 500 hectares de soja génèrent un emploi agricole et un seul.

Il existe des exploitations agricoles de plus de 60 000 hectares.

- La déforestation. De 1998 à 2004, ce sont plus de deux millions d’hectares qui ont été déforestés pour le soja, à savoir très exactement 2 207 529 hectares. Ce sont 207 153 hectares de forêts qui ont été détruits dans la province de Chaco, 360 505 hectares dans la province de Salta, 629 059 hectares dans la province de Santiago del Estero, 700 000 hectares dans la province de Entre Rios, etc .

On estime que chaque année, ce sont 250 000 hectares de forêts qui sont détruites pour la culture du soja.

En moins de 10 années, ce sont 5,6 millions d’hectares de terre non agricoles qui ont été semés en soja transgénique.

- L’insécurité alimentaire. L’impérialisme du soja a été catastrophique pour la sécurité alimentaire de l’Argentine qui était auparavant un pays riche en nourriture. Voici l’évolution des cultures de 1995 à 2004:

- Soja : + 137%.
- Tournesol: - 46%.
- Blé dur: + 19%.
- Blé tendre: - 15%.
- Sorgho: - 19%.
- Maïs: - 16%.
- Riz: - 19%.
- Avoine:- 27%.
- Coton: -74%.
- Haricot: -52% 12.

Cela signifie qu’en 10 années, les surfaces alimentaires (autres que le soja) ont diminué de 21 %.

- La résistance des adventices. Les espèces suivantes sont devenues résistantes au glyphosate: Commelia erecta / Convulvulus arvensis / Ipomoea purpurea / Iresine difusa / Hybanthus parviflorus / Parietaria debilis / Viola arvensis / Violeta Silvestre / Petunia axillaris / Verbena litoralis.

- L’augmentation de l’utilisation des pesticides.

* Pour le soja Roundup Ready en non-labour, la moyenne de traitement au glyphosate en Argentine est de 2,3 par culture, à savoir un traitement avant le semis et un ou deux durant la période de croissance. De la campagne 1996/1997 à la campagne 2003/2004, l’utilisation du glyphosate a augmenté de 56 fois! De 2000 à 2004, l’épandage du glyphosate est passé de 28 à 150 millions de litres!

Cela signifie que le glyphosate est utilisé à raison de 10 litres par hectare.

* Pour le soja Roundup Ready en non-labour, on assiste à une augmentation sans cesse croissante des insecticides (les pertes de récoltes suite aux attaques d’insectes se font de plus en plus graves), des fongicides ( de plus en plus de problèmes de champignons et autres maladies se manifestent) et autres herbicides tels que le 2,4 D et le 2,4 DB. Durant la campagne 2003/2004, ce sont 4200 tonnes d’herbicides autres que le glyphosate qui ont été utilisés. De 2001 à 2004, l’utilisation de 2,4 D a augmenté de 10 %, d’Imazethapyr de 50 % et de Dicamba de 157 %!

- L’augmentation de l’utilisation des fertilisants. Le soja Roundup Ready en non-labour est moins productif que le soja non transgénique et semble perdre sa capacité de fixer l’azote. Les agriculteurs utilisent ainsi de plus en plus de fertilisants de synthèse.

- L’affaiblissement des cultures. Certains chercheurs pensent également que ce soja transgénique, dans certains conditions climatiques, perd ses résistances vis à vis des maladies. Il semble, de plus, que l’utilisation sans cesse croissante du glyphosate augmente les chances que la culture soit attaquée par le fusarium alors que les agriculteurs sont déjà confrontés au problème de la rouille du soja.

- La baisse de la qualité nutritionnelle. Des études réalisées en octobre 2004 mettent en valeur que le soja argentin contient de 5 à 10 % de protéines en moins que le soja produit aux USA, au Brésil ou en Chine. Il est également beaucoup plus faible quant à sa teneur en acides aminés.

Le non-labour au Brésil

Le Brésil est sans doute le pays le plus important quant aux surfaces cultivées en non-labour puisque la Fédération Brésilienne du Semis Direct annonce 26 millions d’hectares pour l’année 2007.

Sur le site internet de cette toute puissante fédération, les liens pointent vers les entreprises bien connues:
- pour les pesticides, chimères génétiques et fertilisants: Monsanto, Monsanto do Brasil, Syngenta, Dow AgroSciences, BASF.
- pour les fertilisants: Bunge, Manah.
- pour le gros matériel agricole: John Deere, Massey Fergusson, Jacto, Semeato et Marchesan.

Pas de surprise: le non-labour au Brésil est tout aussi inféodé à l’agro-chimie et à la grosse machinerie agricole qu’ailleurs sur la planète et comment pourrait-il en être autrement?

Au Brésil, le soja prit un essor considérable car il fut présenté comme une plante capable de fixer l’azote atmosphérique, grâce aux bactéries du genre “rhyzobium” qui forment des nodosités sur les racines des plantes et donc comme une plante ne requérant pas de fertilisants. Ce que les multinationales oublièrent de dire aux paysans, c’est que le glyphosate détruit la bactérie et donc le soja ne peut pas pousser sans azote de synthèse.

Au Brésil, le soja couvre 21 % de la surface agricole. Depuis 1961, sa surface a augmenté de 57 fois et la production de 138 fois. 55 % du soja est génétiquement modifié, à savoir 11,4 millions d’hectares.

Dans ce pays, pour chaque emploi créé par le secteur soja, ce sont 11 petits paysans qui sont déplacés. En 1970, le soja chassa 2,5 millions de paysans dans l’état de Parana et 300 000 paysans dans l’état de Rio Grande do Sul.

En 2002, ce sont 200 000 tonnes de pesticides qui ont été utilisées au Brésil, dont un quart pour le seul soja. L’utilisation des pesticides est considérée en augmentation de 20 % chaque année.

Les “mauvaises” herbes récidivent

L’agriculture toxique sombre dans l’insécurité la plus totale: les mauvaises herbes prennent le maquis, font de la résistance et ont recours à une stratégie aussi vieille que la planète: la guérilla génétique!

Les adventices modifient leur génome en fonction de l’environnement mais à ce jeu-là, elles sont beaucoup plus fortes que Monsanto, Syngenta, Dow AgroSciences et toute la mafia de l’agro-chimie.

Les plantes adventices s’adaptent pour résister aux herbicides les plus toxiques. En toute simplicité.

Quelques exemples:

- Une Amaranthe “Amaranthus palmeri” résiste dans les champs de soja transgénique (“Roundup Ready”) ou de coton transgénique (“Roundup Ready”) à des doses de glyphosate quatre fois supérieures à la dose létale.

- La Vergerette du Canada “Conysa canadensis” est devenue résistante dans une douzaine d’états des USA mais elle est reportée devenir résistante à de nombreux herbicides sur toute la planète: aux triazines, au paraquat, au glyphosate, aux inhibiteurs de l’acétolactate synthase.

- Une autre Amaranthe “Amaranthus rudis” survit, dans les champs de soja transgénique du Missouri, à des doses de 12 litres de glyphosate à l’hectare, à savoir des doses quatre à six fois supérieures à la dose létale reconnue.

Nous pouvions lire récemment dans un article du Monde qu’en 1996, une seule adventice résistait au Roundup alors qu’en 2005, il y en avait une douzaine d’espèces différentes.

Mais la réalité est tout autre et bien pire pour les agriculteurs (mais pas pour les marchands de poisons qui engrangent d’autant plus de dividendes). L’agriculture occidentale peine à occire la couverture végétale, verte et naturelle des sols. Le Front de Résistance des Adventices fait un gigantesque pied de nez aux biocidaires en tous genres.

En effet, selon le très officiel Ministère de l’Agriculture de l’Etat de l’Ontario:“On a recensé dans 47 pays du monde plus de 249 biotypes de mauvaises herbes résistantes à des herbicides. Ce chiffre gonfle d’année en année, à mesure que de nouveaux cas de résistance sont signalés.”

Qui plus est, selon les officiels Comités d’Action de Résistance aux Herbicides aux USA, ce sont en fait 183 espèces et 314 biotopes qui sont devenus résistants aux herbicides de par le monde.

C’est une course “à la vie à la mort” entre, d’une part, les plantes qui sont sur la planète Terre depuis des centaines de millions d’années et, d’autre part, les Monsanto et Syngenta qui ne sont là que depuis quelques dizaines d’années!


Petit précis de résistance herbologique

Le même Ministère de l’Ontario nous offre une définition toute simple de la résistance des adventices:

“La résistance à un herbicide traduit la capacité qu’a un peuplement de mauvaises herbes de survivre à un traitement herbicide qui, sous des conditions d’utilisation normales, réussirait à le maîtriser efficacement. La résistance aux herbicides est un exemple d’évolution à un rythme accéléré et illustre le principe de la « loi du plus fort ». Un herbicide peut détruire toutes les mauvaises herbes d’un peuplement d’une espèce en particulier, à l’exception de quelques spécimens ayant le potentiel génétique de survivre à l’herbicide.”

On voit difficilement comment le potentiel génétique différent des adventices puisse illustrer le principe de la loi du plus fort. Certains agronomes, semble-t-il, n’ont pas encore compris que ce qui caractérise la vie, c’est la diversité, c’est la complexité, c’est la résistance horizontale ou polygénique. Le message est cependant clair: les herbes s’adaptent et ce, “à un rythme accéléré”. Doit-on en déduire que cette accélération puisse être exponentielle? Sans doute, si l’on en juge la description suivante des résistances, des double-résistances, des multi-résistances, des résistances croisées...:

“Les mauvaises herbes résistantes peuvent l’être à seulement un groupe d’herbicides, mais aussi à deux groupes et même davantage. Elles peuvent aussi être résistantes à une catégorie d’herbicides au sein d’un groupe ou à toutes les catégories d’herbicides au sein du même groupe. L’exemple qui suit illustre cette situation.

Un peuplement d’une certaine espèce de mauvaises herbes résistant aux herbicides du groupe 2 (inhibiteurs de l’acétolactate synthase [ALS]) peut être résistant à un, à plusieurs ou à la totalité des herbicides qui inhibent l’ALS; on parle dans ce cas de résistance croisée. On parle de multirésistance lorsque le peuplement de mauvaises herbes est résistant non seulement aux herbicides du groupe 2, mais aussi aux herbicides du groupe 5 (triazines). Pour maîtriser ce peuplement, il faudrait choisir des herbicides qui n’appartiennent ni au groupe 2, ni au groupe 5.

Un peuplement d’amarantes résistant à l’atrazine peut également être résistant à la métribuzine (Sencor ou Lexone) ainsi qu’à la simazine (Princep ou Simadex) (résistance croisée). Si le même peuplement d’amarantes est résistant à l’imazéthapyr (Pursuit du groupe 2), il affiche une multirésistance. (Ce peuplement de mauvaises herbes peut aussi être résistant au thifensulfuron-méthyl [Pinnacle], au nicosulfuron ou au rimsulfuron [Accent, Ultim, Elim] ou à d’autres herbicides du groupe 2 [résistance croisée]). Toutefois, les herbicides d’autres groupes que les groupes 5 et 2, tel le dicamba (Banvel, du groupe 4) ou le bromoxynil (Pardner du groupe 6) permettront de maîtriser ce peuplement de mauvaise herbe tout aussi efficacement que s’il s’agissait d’un peuplement sensible de la même espèce de mauvaise herbe. Certains produits herbicides combinent plus d’un ingrédient actif (de différents groupes) et offrent la possibilité de retarder l’apparition d’une souche résistante et d’assurer la maîtrise des mauvaises herbes résistantes (Broadstrike, Dual Magnum, Fieldstar, Peakplus et Summit en sont des exemples).

En Ontario, on a identifié des amarantes qui sont résistantes à la fois aux triazines (herbicides du groupe 5, comme l’atrazine et la métribuzine) et aux inhibiteurs de l’ALS (herbicides du groupe 2, comme Pursuit, Classic et Pinnacle). En Australie, on compte jusqu’à 10 le nombre de groupes chimiques auxquels certains peuplements de ray-grass sont résistants. La multirésistance réduit considérablement les choix qui s’offrent aux agriculteurs pour combattre ces mauvaises herbes”.

Bien, un grand merci au ministère pour toutes ces précisions. L’agriculture devient un véritable casse-tête et ce d’autant plus qu’une seule adventice non maîtrisée peut entraîner jusqu’à 70 % de pertes de la récolte.


Le non-labour: une nouvelle révolution verte par la couleur du dollar

Le non-labour est qualifié par certains de nouvelle révolution verte. Ils ont sûrement raison s’ils le comparent à la première révolution verte qui a généré beaucoup de dollars pour les multinationales, une perte effroyable de la biodiversité alimentaire, la destruction du tissu social, la pollution du sol, de l’air et des eaux, une insécurité alimentaire totale, etc, etc.

Certaines organisations promeuvent le non-labour comme une technique de “l’agriculture durable”. Par exemple, aux USA, l’Association de Pennsylvanie pour l’Agriculture Durable.

En Amérique Latine, la CAAPAS, Confederación de Asociaciones Americanas para la Producción de la Agricultura Sustentable, à savoir une association pour la promotion de l’agriculture durable, fut créée par les diverses fédérations promouvant le non-labour:
- Au Brésil, la Fédération Brésilienne du Semis Direct est associée, Federação Brasileira de Plantio Direto na Palha.
- En Argentine, la Asociación Argentina de Productores en Siembra Directa, Aapresid.
- Au Paraguay, ASIDINAR, la Asociación Siembra Directa Del Naranjal - ainsi que la Federación Paraguaya De Siembra Directa Para Una Agricultura Sustentable, FEPASIDIAS.
- etc.
- La branche Mexicaine des Amis de la Terre est également présentée comme membre de cette association, ce qui semble étonnant.

Nous sommes quelque peu stupéfaits de découvrir dans la page “agro-écologie” du CIRAD la présentation du non-labour qui omet tout simplement de préciser l’importance extrême de l’utilisation des pesticides chez la grande majorité des agriculteurs qui pratiquent cette méthode.

Dans la page intitulée “Le semis direct sur couverture végétale”, fort bien présentée et illustrée au demeurant, nous pouvons lire que “la gestion agrobiologique (à ne pas confondre avec l’agriculture biologique, nous parlons maintenant d’agroécologie pour éviter cette confusion courante) concerne l’ensemble des techniques protectrices du sol et améliorantes de sa fertilité, mais en même temps productives et économes en intrants chimiques.”

C’est tout simplement le première fois que nous voyons une mention de l’agro-écologie en lien avec l’utilisation d’intrants chimiques.

La page internet évoque par ailleurs la “pellétisation des semences” avec de la gomme arabique, des oligo-éléments, du phosphate tricalcique et puis un insecticide systémique, l’imidaclopride, et une combinaison de deux fongicides, le thiabendazole et le thiram.

Rappelons que l’imidaclopride est l’un des principaux coupables de la destruction de l’apiculture. Nous renvoyons, à ce sujet, les lecteurs à l’article que nous avons publié récemment “Requiem pour nos Abeilles”.

Il nous paraît inacceptable de parler d’agro-écologie dans ces conditions. C’est une supercherie.

Le non-labour, les petites fleurs, les petits paysans, les chevaux et les boeufs...

et pourquoi pas le petit Jésus dans la crêche!

Quant à l’article récent rédigé par Bernardo Esteves, publié par Science and Development Network et traduit en Français, voici quelques commentaires et questions:

- le non-labour est présenté comme plus vert et même plus “écologique”, dans la traduction espagnole du texte. Plus écologique que quoi?

- cette pratique permettrait “de fixer le carbone dans le sol” et donc de limiter le réchauffement climatique. Il faut préciser tout d’abord que si l’on détruit des millions d’hectares de forêts amazonienne pour semer du soja en non-labour et fixer le carbone, on ferait mieux déjà de laisser les forêts tropicales intactes car leur destruction accélère grandement le réchauffement climatique. Secondement, selon l’agro-écologiste (et professeur d’Université en Californie) Miguel Altieri, si la biologie des sols est à ce point détraquée et que les résidus végétaux ne peuvent plus se décomposer, le carbone n’est plus fixé.

- “les petits agriculteurs prêchent la bonne parole” depuis que le prix des semoirs a baissé. Cela fait trente ans que des millions de petits paysans ont été chassés de leur terre en Amérique Latine suite à l’emprise de la République du soja. De qui parle-t-on réellement?

- “La méthode permet aussi de réduire l’érosion des sols jusqu’à 90%”. Notons, cependant, toujours selon Miguel Altieri, que “grâce à l’introduction de variétés de soja résistant à l’herbicide Roundup de Monsanto, les paysans en Amérique Latine pratiquent la technique du non-labour sur des sols hautement érosifs. L’expérience a amplement démontré que, dans ce cas, l’érosion reste substantielle ainsi que la perte de structure du sol en raison du fait que la couverture végétale naturelle a disparu.”

- “cette méthode permet de garder la surface des eaux plus propre”. La situation de l’eau doit être pire qu’en France vu que le non-labour requiert encore plus d’herbicides et de pesticides. Et en France, rappelons-le, selon les enquêtes publiées par l’IFEN, 96 % de nos cours d’eaux et 61 % de nos nappes phréatiques sont pollués par 230 pesticides différents: la molécule la plus présente étant l’atrazine qui génère cancers (du sein et des ovaires), maladies cardio-vasculaires, dégénérescences musculaires, lésions des poumons et des reins, etc.

- “Selon Landers, les herbicides employés dans le cadre du semi-direct (principalement le glyphosate) figurent parmi les herbicides les moins nocifs pour l’environnement.” Le glyphosate est, en fait, un des herbicides les plus dangereux et comme il devient inefficace, les agriculteurs en non-labour ont recours à des cocktails d’insecticides dont personne ne connaît les effets synergiques. Au vu de telles assertions, nous serions enclins à penser que cet article sur le non-labour est de l’intoxication pure et que Mr Landers n’est peut-être pas totalement indépendant des “entreprises du secteur”.

- “machines à plantation et pulvérisateurs permettant d’appliquer les fertilisants sur les cultures de protection”. Les pulvérisateurs pulvérisent des fertilisants de synthèse comme dans l’agriculture chimique. Mr Landers omet de préciser que ces mêmes pulvérisateurs pulvérisent une quantité incroyable de pesticides.

- “Les agriculteurs acceptent cette technologie conduite par l’animal car ils possèdent tous des chevaux ou des boeufs,...”. On se demande bien quels bénéfices de tout petits paysans, avec cheval ou boeuf de trait, peuvent tirer de la culture en non-labour chimique. Même la FAO concède actuellement que la seule solution pour sauver les petits paysans des pays pauvres, c’est l’agriculture biologique. Alors, du non-labour pourquoi pas, mais en bio!

Quelles solutions?

En effet, le non-labour bio est très efficace. Il suffit de consulter les ouvrages du grand maître de l’agriculture, Masanobu Fukuoka: “La révolution d’un seul brin de paille”, “L’agriculture naturelle” et “La voie du retour à la nature”.

L’agriculture naturelle de Fukuoka repose sur quatre principes très clairs et très simples:
- pas de labour
- pas de pesticides
- pas de désherbage
- pas de fertilisant

Annadana 25, l’antenne de Kokopelli en Inde, a pu expérimenter depuis 7 années une synergie de pratiques agro-écologiques qui porte ses fruits: le compost, le vermi-compost, les techniques de Fukuoka, les Effective Micro-Organisms, la biodynamie, les engrais verts, le jardinage bio-intensif de John Jeavons, les “terra preta” de l’Amazonie, etc.

Nous cultivons en planches surélevées de 30 cm de hauteur et d’1m20 de largeur. La bio-masse cultivée durant la mousson de l’automne (sorghum, crotalaria, etc.) est hachée à la machette en fin de mousson et laissée à décomposer en surface recouverte d’une fine couche de terre et aspergée d’EM (Effective Micro-organisms du Professeur Teruo Higa).

Les semences sont directement semées à la main (ou les plants repiqués) dans le mulch. En 60 jours, à partir du semis, nous produisons des semences de concombres. En 60 jours, à partir du semis, nous produisons des courges musquées (de type Pleine de Naples ou Longue de Nice) qui partent sur le marché local.

En 60 jours à partir du semis et avec très peu d’eau.

L’Inde possède (encore, mais cela ne va pas durer) 150 millions d’hectares de terres arables. Tous les grands maîtres de l’agro-écologie en Inde s’entendent sur le fait que l’on puisse nourrir de 20 à 25 personnes par hectare en agriculture “bio-intensive”, à condition d’avoir de l’eau bien sûr, et en régime végétarien.

Ce qui veut dire que l’on pourrait nourrir 3 milliards de personnes en Inde en agro-écologie et, répétons-le, en régime végétarien.

En effet, le problème du non-labour chimique doit être resitué en ne perdant pas de vue ses objectifs qui sont avant tout de produire du végétal pour nourrir les animaux à viande pour les nantis de cette planète.

Et le problème se complique d’autant que les objectifs sont également de produire des agro-carburants pour faire rouler les voitures des nantis de cette planète. Ou les avions car l’Argentine vient juste de faire voler son premier avion au diesel végétal de soja.

Quant à la lutte contre l’érosion supposée être le fondement premier de la pratique du non-labour chimique, la question semble simple.

Quelle différence entre, d’une part, un sol érodé par l’eau et le vent et, d’autre part, un sol non labouré et non érodé mais biologiquement défunt parce que matraqué par la chimie lourde? Aucune différence et le second est appelé à s’éroder à court terme.

Et au rythme de désertification actuel, il ne restera plus un gramme de terre arable sur la planète en 2050.

La seule solution: la libération de l’humus de l’emprise de la chimie.

Dominique Guillet. Le 27 mai 2007.