Kokopelli: Sexe, Semences et Séduction

Le Rôle du Joueur de Flûte dans la Fertilité

Dennis Slifer

Traduction par Dominique Guillet

Ce passage est extrait du chapitre "The Many Faces of the Flute Player" de l'ouvrage de Dennis Sliffer, Kokopelli, The Magic, Mirth and Mischief of an Ancient Symbol aux Editions Gibbs Smith, 2007.

Dennis Slifer est associé au Museum of Indian Arts and Culture du Nouveau Mexique. Il est également l'auteur de: "Kokopelli: Flute Player Images in Rock Art", "The Serpent and the Sacred Fire", "The Caves of Maryland" et "Rock Art Images of Northern New Mexico".

Il est clair que les rôles et les métaphores concernant le joueur de flûte convergent vers le thème suprême du maintien de la fertilité. Il n'existe pas de symbole de fertilité plus patent, ou plus puissant, parmi les personnages mythologiques ou surnaturels du monde entier. Ce fait est illustré dans toute la région du sud-ouest des USA de façons diverses et interdépendantes. L'aura de fertilité du joueur de flûte était perçue et exprimée de manière très vivante par les anciens peuples, témoin la découverte remarquable qui fut réalisée durant l'excavation d'une magnifique kiva dans le Yellow Jacket Canyon, dans le sud-ouest du Colorado. Cette kiva était dépourvue de l'élément presque universel connu sous le nom de sipapu - une cavité dans le sol qui symbolise le lieu d'émergence du peuple, le site de la création. A la place du sipapu, et entourant la moitié de la kiva, se trouvait une grande image d'un joueur de flûte avec une attitude phallique qui avait été sculptée dans le sol de terre, recouverte de sable jaunâtre et crépie par-dessus. Le joueur de flûte, caché sous le sol de cette kiva, doit avoir été consciemment choisi pour remplacer le sipapu et représente donc un substitut symbolique pour la source de la création. Dans les ruines d'un autre pueblo près de Sand Canyon, une seconde kiva, dont le sol présentait des caractéristiques inhabituelles, fut excavée. Là aussi, un joueur de flûte phallique et stylisé avait été taillé et incisé à même la surface du roc, dans une de ses portions plus meubles; tout le sol de la kiva avait été, ensuite, recouvert de terre compactée. Ces deux personnages enterrés, étant cachés à la vue, possédaient évidemment une finalité magico-religieuse, ésotérique, destinée à promouvoir la fertilité agricole et humaine du pueblo. Cela était peut-être particulièrement important durant les périodes de sécheresse prolongée qui induisaient une diminution des niveaux de fertilité.

Pour les anciens peuples, il était essentiel de garantir leur propre propagation et de nombreuses représentations du joueur de flûte en sont un témoignage évocateur. Les thèmes de puissance sexuelle, d'érotisme, de copulation, de grossesse et de naissance sont abondamment illustrés dans les pétroglyphes. Dans certaines représentations, la flûte même semble être un symbole phallique et imiter les érections du joueur. Dans d'autres scènes, le pénis du joueur de flûte est le centre d'attraction pour les femmes; parfois encore, un petit anthropomorphe y est dépeint qui saisit son pénis dans une attitude de vénération apparente.

En examinant les pétroglyphes représentant des activités sexuelles, il nous faut nous rappeler que les concepts d'obscénité et de pornographie sont des inventions Européennes et qu'ils n'existaient pas dans les cultures préhistoriques du sud-ouest. Les scènes sexuelles graphiques, dont une grande partie impliquent les joueurs de flûte, ne sont pas aussi rares que les premiers érudits voulaient nous le faire croire. Certaines furent probablement dépeintes pour célébrer joyeusement la vie, l'amour et le plaisir. D'autres remplissaient des finalités symboliques religieuses et rituelles destinées à garantir la continuité de toute vie puisque les principes complémentaires mâles et femelles sont les partenaires évidents de la création.

Les scènes de coït se retrouvent dans tout le sud-ouest (des USA). Certaines images indiquent une copulation symbolique, lorsque le phallus est positionné à côté d'un symbole de vulve ou d'une cavité naturelle dans le roc qui peut symboliser le sein de la Terre Mère. Les scènes de sexualité furent probablement créées pour diverses raisons. Il se peut que certaines ne représentent qu'un désir individuel d'attirer le sexe opposé ou de célébrer un succès d'amour. Le thème de la cour et de la séduction est suggéré par les scènes dépeintes dans l'illustration ci-dessous. De telles représentations peuvent être expliquées par ce type de récit suivant:

“Les hommes plaisantèrent ensemble et racontèrent de nombreuses histoires de relations sexuelles. Ils dessinèrent des images sur le roc représentant les organes sexuels. J'ai découvert une telle gravure près du sanctuaire du Bison. Il y avait la silhouette d'une vulve avec un symbole de coyote et huit marques au-dessus; il y avait, à côté, une image des organes mâles et au-dessus le symbole de notre bouclier du Soleil. On m'a dit que cela signifiait qu'un homme de notre Clan du Soleil avait eu une relation sexuelle avec huit femmes du Clan du Coyote. Quelqu'un se vantait. Mes compagnons dessinèrent des images similaires sur d'autres rochers, certains avec des flèches qui pointaient vers des espaces adaptés à l'acte.

Près du village, la piste passait à côté d'un coin formé de deux larges rochers. Sur l'un de ces rochers avait été sculpté le pictographe d'un roseau (bakap), d'un fusil, d'une vulve et d'une tête de coyote. Ned dit que ces pictographes indiquaient qu'à cet endroit quelqu'un avait détecté un homme du Clan du Roseau qui avait une relation sexuelle avec une femme du Clan du Coyote.”

D'autres images procèdent peut-être de rites de fertilité possédant des connotations spirituelles plus étendues. Certaines pourraient avoir été réalisées par des shamans afin d'indiquer des concepts tels que la “pénétration dans la roche” ou la “pénétration dans le monde surnaturel” - des métaphores pour l'entrée dans l'état de transe. Certaines autres images pourraient être des illustrations d'événements mythiques ou surnaturels. Certains des personnages dans ces scènes ne paraissent pas très humains et il se peut qu'ils représentent des ancêtres, ou des êtres surnaturels, ou des êtres spirituels, ou ce sont peut-être des personnes portant des masques réservés à une cérémonie ou à un rituel. Les deux motifs les plus communément associés aux scènes de relations sexuelles sont les serpents et les joueurs de flûtes.

Certaines des images de relations sexuelles semblent mettre en valeur la “puissance” ou une connexion spirituelle dans le couple, plutôt qu'un simple union génitale. Dans ces exemples, de longues “lignes de pouvoir” sinueuses semblent se substituer à un lien phallique entre des objets et des partenaires relativement distants. En représentant intentionnellement l'inter-communication de cette manière, l'abstraction ou la distorsion de l'image confère probablement une notion en sus de la copulation physique. Sans matière ethnographique à l'appui, nous ne pouvons qu'imaginer quelles en sont les finalités. Il est également possible que certains artistes aient eu des difficultés à dépeindre des sujets complexes en trois dimensions et qu'ils solutionnèrent ce problème délicat en connectant le couple grâce à un phallus considérablement exagéré quant à sa taille. Un parallèle ethnographique possible à un telle image exagérée est suggéré par un récit Hopi sur Kokopelli, dans lequel le joueur de flûte libidineux insère son très long pénis dans un morceau de roseau creux caché afin d'inséminer secrètement une jeune fille, sans méfiance, en train de se soulager. Un pétroglyphe pouvant illustrer cette histoire est montré dans l'image ci-dessous et le récit de l'histoire se trouve dans la section concernant les histoires des Pueblos dans le chapitre 1. .

Lorsque l'on prend en considération la nature des images des joueurs de flûte ainsi que leur amplitude dans le temps et l'espace, nous ne pouvons pas avoir de doute quant à l'importance que ce personnage possédait pour la promotion de la fertilité chez les peuples préhistoriques du sud-ouest