Les Plantes:
une Médecine pour toute Vie sur Terre
Stephen Harrod Buhner
Ce texte est le chapitre 8 extrait de l'ouvrage de Stephen Harrod Buhner "The Lost Language of Plants" publié chez Chelsea Green. Traduction de Dominique Guillet.
Imaginez une pelote de ficelle, ou encore mieux une pelote de ligne téléphonique, de la taille et de la forme exactes de la Terre. Prenez en l'extrémité et le début et fusionnez-les de sorte qu'il n'y ait plus ni commencement ni fin. A chaque endroit de la pelote où la ligne s'entrecroise (vous pouvez le visualiser comme une jonction synaptique), des messages fusent; la communication voyage également rapidement tout au long de la ligne. Les disciplines académiques sont des zones où un segment de ligne est coupé, extrait de la pelote et étudié. Ces disciplines explorent son élasticité, sa structure moléculaire, sa composition chimique, les couleurs et les types de fils qui la composent, etc. Toutes les communications qui y circulaient, ou pouvaient y circuler, ne peuvent plus être étudiées une fois que le segment est isolé de la totalité - on ne peut alors percevoir qu'une toute petite partie du tableau. C'est alors que les incompréhensions surgissent aisément et plus particulièrement lorsque les communications, qui circulent au travers de la ligne, en constituent l'élément le plus important.
Imaginons que cette pelote de ligne téléphonique soit la Terre. Chaque plante, chaque compagnonnage de plantes, chaque communauté végétale, chaque écosystème, chaque biome, se caractérise par des messages qui y circulent en permanence - des trillions et des trillions de messages simultanés. Il n'existe ni commencement, ni fin; ni cause, ni effet. Les boucles rétroactives de la Terre, vieilles de 3,5 milliards d'années, sont à ce point intimement entrelacées qu'il existe toujours une autre cause sous-jacente à la cause avec laquelle vous commencez. Des impacts, à tout point du système, influencent tous les autres points du système. La vie est en couplage tellement intime avec l'environnement physique et chimique, dont elle fait partie intégrante, qu'il est impensable de les considérer isolément. Ainsi que James Lovelock l'a écrit: “Ils constituent ensemble un unique processus évolutif qui s'autorégule”.
La reconnaissance de la nature autorégulatrice, ou autopoétique, de la Terre conduisit Lovelock à l'appréhender comme un être vivant et non pas comme une boule de ressources, habitée par des êtres humains, fonçant au travers de l'espace. Le romancier William Golding, l'un de ses voisins, lui suggéra un nom: Gaïa, un antique nom Grec pour la Terre sacrée, vivante et intelligente. Et Gaïa, avec ses quatre milliards d'années d'âge, est très vieille en comparaison de nous. Même les plantes remontent à une très lointaine période, en comparaison de nos durées de vie minuscules, car elles ont commencé à émerger il y a 700 millions d'années.
Il existe un Houx en Tasmanie qui a 43 000 ans d'âge, un Créosote dans le sud-ouest des USA qui en a 18 000, un Gaylussacia brachycera dans le nord des USA qui en a 13 000 et une colonie de graminées qui en a 1000. Le plus vieux pin Bristlecone a presque 5000 années d'âge, le plus ancien séquoia avait 3200 années d'âge lorsqu'il fut coupé. Il existe un Cyprès dans l'Oaxaca au Mexique qui a plus de 2000 années d'âge et certains lichens croissent si lentement qu'ils ne prennent que quelques millimètres tous les siècles. L'arbre Banyan en Inde (un ficus) emmagasine 100 000 litres d'eau et il peut vivre plus d'un millier d'années. Des milliers de racines verticales, en forme de piliers, émergent afin de soutenir des branches massives; un seul arbre peut couvrir plus d'un hectare. Les Banyans sont si gigantesques qu'Alexandre le Grand put camper, sous l'un d'entre eux, avec 7000 de ses hommes. Il existe un réseau mycélial dans l'Etat de Washington qui couvre 700 hectares et qui a plus de 1000 ans d'âge. Il en existe un autre, dans l'Etat du Michigan, qui couvre 18 hectares et qui a plus de 1500 années d'âge. Il existe un bosquet de Tremble dont le système racinaire s'est étendu sur une cinquantaine d'hectares, a vécu plus de 15 000 années et pèse 6500 tonnes. L'herbe anodine qui est enfouie lors d'un terrassement peut avoir 200 années d'âge, la racine d'Osha (Ligusticum porterii), cueillie pour la médecine, 300 années d'âge, le buisson détruit pour faire place à un parking 800 années d'âge... Evaluer les dynamiques de ces plantes, leurs fonctions dans les écosystèmes, et leur chimie, en fonction de la durée d'une vie humaine ne permet pas de percevoir ce qui, pour se manifester durant leur vie, requiert des décennies, des siècles, voire même des millénaires.
Ce sont nos limitations temporelles qui empêchent la plupart d'entre nous d'appréhender le devenir des plantes sur de telles amplitudes de temps. Par exemple, de reconnaître que les plantes, et les communautés de plantes, possèdent des potentialités gigantesques de mouvement, que leur mouvement témoigne d'une intention, qu'elles peuvent traverser des milliers de kilomètres lorsqu'elles sont motivées et que leurs dynamiques de mouvements ne sont pas aléatoires mais qu'elles sont déterminées par des boucles de rétroactions, de très large amplitude, qui couvrent des millions d'années d'âge. Sur des échelles de temps brèves, des plantes grimpantes qui ont besoin d'un support vont pousser vers un treillis et, si le treillis est déplacé, elles changeront de direction. Sur des échelles de temps longues, cela peut s'avérer encore plus prononcé même s'il est plus difficile de le percevoir. Ainsi que l'écologiste K. D. Bennet le remarque: “Sur de longues échelles de temps, les plantes peuvent s'avérer beaucoup plus mobiles qu'elles n'apparaîtraient en se fondant sur l'observation de processus se déroulant sur la durée d'une subvention de recherche (ou sur la durée d'une carrière) et il en est ainsi parce que d'autres processus entrent en jeu qui sont, en fait, les processus qui déterminent leur distribution globale”.
Les plantes circulent au sein des écosystèmes, entre les écosystèmes, au travers des continents et entre les continents; la plus longue distance connue de dispersion de graines (sans l'entremise humaine) est de 24000 km. Les plantes, en fait, se meuvent au travers des territoires et sur de telles distances que les simples mathématiques et dynamiques de dispersion de semences ne peuvent en donner aucune explication. Les espaces vers lesquels elles se déplacent, et les voies qu'elles utilisent pour s'intégrer à des écosystèmes, ne relèvent pas du hasard ou de l'imprévu. Les plantes s'intègrent à des écosystèmes, et au travers des continents, afin d'accomplir des missions spécifiques: leur arrangement dans l'espace se manifeste à dessein.
Les épistémologies Occidentales conventionnelles limitent notre conception de ce que les plantes peuvent accomplir et la courte durée d'attention humaine interfère avec la faculté de percevoir les fonctions des plantes qui persistent sur des cycles extrêmement longs et au sein de très vastes systèmes. La plupart des études écologiques sur le terrain contribuent à ce problème: elles durent généralement moins de trois années et 95 % d'entre elles sont réalisées sur des parcelles de moins d'un hectare - la moitié d'entre elles sont réalisées sur des micro-parcelles d'un mètre carré ou moins. Peu de chercheurs possèdent une relation personnelle, et sur le long terme, avec la région qu'ils étudient. De telles difficultés, liées à l'espace et au temps, sont aggravées par un certain nombre de paramètres. L'un d'entre eux est le langage que nous utilisons pour nommer les plantes, les binômes Latins par lesquels elles sont classifiées.
Le système de dénomination des plantes, créé par Linné, donnent aux plantes un nom de genre et d'espèce. Par exemple, l'osha est nommé Ligusticum porterii - le groupe élargi, ou genre, est Ligusticum et la sorte de Ligusticum, ou espèce, est porterii. Ligusticum signifie “ayant pour origine la Ligurie”, une région de l'Italie; porterii signifie “de Porter”, faisant référence à un botaniste de Philadelphie, Thomas Conrad Porter (1822-1901) qui parcourut tout le pays en nommant les plantes d'après lui-même. Cette plante, donc, strictement Nord Américaine, intégrée à des écosystèmes locaux depuis des centaines de milliers d'années s'appelle maintenant “Ligurie de Porter”. Et à l'exception d'un certain nombre de plantes Européennes (telles qu'Achillea millefolium) dont les noms incarnent des fonctions fondées sur des relations et des usages d'antan (et que Linné décida de conserver), toutes les plantes de la Terre possèdent maintenant ces sortes d'étiquettes, créées de toutes pièces, dont l'emploi n'éclaire en rien la nature. La dénomination scientifique conventionnelle des plantes crée, et maintient, l'illusion que des plantes telles que l'osha existent dans l'isolement le plus complet des animaux, des autres plantes, des insectes, des humains et des paysages parmi lesquels, et au sein desquels, elles croissent; l'illusion qu'il n'existe aucune connexion entre ces plantes et le reste de la biosphère. Comme tous les langages, le langage botanique modèle la façon dont le monde est perçu et plus on y a recours, plus les suppositions non évaluées dont il est empreint en sont renforcées. Gregory Bateson exprima ses inquiétudes quant à la manière dont les perspectives cachées dans une telle nomenclature affectent les enfants (et les adultes qu'ils deviennent) auxquels elle est enseignée.
“Il existe une confusion parallèle dans l'enseignement du langage à laquelle il n'a jamais été pallié. Les linguistes professionnels, de nos jours, savent sans doute à quoi s'en tenir mais l'on enseigne, encore, des non-sens aux enfants des écoles. On leur dit que le “nom” est la dénomination d'une personne, d'un emplacement ou d'une chose, qu'un “verbe” est un “terme d'action” et ainsi de suite. C'est à dire qu'on leur enseigne, à un très jeune âge, que la manière de définir quelque chose est par ce qu'elle est supposément en soi, et non pas dans sa relation aux autres choses”.
Il en fut de même pour Buckminster Fuller qui remit en cause des expressions telles que “lever de soleil” et “coucher de soleil” en soulignant que le soleil ni ne se couche ni ne se lève et qu'un tel usage crée une sorte de démence chez les êtres humains en les aliénant du monde dans lequel ils vivent et en leur “inculquant” une image de l'Univers qui est trompeuse.
Les écologistes ont commencé à remettre en question le système de dénomination de Linné, pour les mêmes raisons, en mettant en valeur que pour que l'écologie soit reconnue, “la taxonomie classique devrait faire place à des classifications fonctionnelles” qui regrouperaient essentiellement “ensemble, ces plantes possédant des propriétés écologiques similaires plutôt que ces plantes qui semblent nécessairement similaires ou qui partagent des origines évolutives similaires”. Pour que l'on comprenne les plantes et les écosystèmes de la Terre, il faut qu'on les perçoive comme des systèmes vivants et non pas comme des collections isolées de pièces mécaniques non corrélées - une illusion enracinée dans le langage de la taxonomie Occidentale. Le fait de nommer plutôt les plantes suivant leurs fonctions et suivant leurs relations avec leur habitat, permet aux êtres humains de se connecter à cet habitat, d'établir un lien avec les communications et les finalités dont sont empreints les écosystèmes. Une telle dynamique de dénomination véhicule en elle-même la connaissance implicite de ce qui va se passer si une plante est menacée d’extinction ou voit sa population décliner. La plupart des taxonomies traditionnelles émanant de nos anciens - souvent plus complexes que le système Occidental - ont reconnu depuis fort longtemps que les plantes accomplissent des fonctions uniques et essentielles au sein des écosystèmes. Les noms qui leur furent conférés (par exemple pour des plantes telles que les Sureaux, Elder in English, et les Ambroisies) reflètent souvent des interdépendances et des connexions plantes/écosystèmes et décrivent plus précisément leurs fonctions et leur nature authentiques.
Les plantes n’existent pas en isolement; elles sont une forme de vie enracinée dans, et identifiée par, leur communauté, leurs relations et leurs interactions avec les autres formes de vie sur Terre. Les plantes individuelles forment des compagnonnages locaux et ces compagnonnages s’associent ensemble pour former des communautés et ces dernières se regroupent pour former des écosystèmes qui s’interconnectent pour former des biomes qui, ensemble, constituent le système plus vaste appelé Gaïa. La fonction d’un écosystème détermine les plantes qui y croissent et la nature de leurs associations végétales.
Mimulus et Lupins. Crater Lake. Oregon
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Au fil des décennies, des siècles et des millénaires, les forêts se sont déplacées d’un endroit à un autre, les marais ont changé d’espace, les prairies se sont étendues, de nouvelles espèces ont accru leur prédominance tandis que de plus anciennes ont périclité: la vie végétale n'est que fluidité. Les plantes oeuvrent sur des échelles de temps beaucoup plus longues que les nôtres et les raisons favorisant l’émergence d’une espèce de plante spécifique peuvent ne se manifester qu’une fois au cours de plusieurs décennies ou même de plusieurs siècles.
Sureaux, Nourrices et Plantes de Communautés
Les espèces-clés, espèces clés de voûte ou espèces dominantes, telles que le Bois de Fer (Ironwood) sont généralement de grande taille et ce sont souvent des arbres; elles contiennent toujours plus de biomasse que les autres plantes de l’écosystème. Un plus petit nombre (en termes d’espèces) vivent dans l’écosystème local et ce sont souvent des douzaines de plantes secondaires ou de plantes de communautés qui leur sont associées. Dans de nombreux écosystèmes, la densité des espèces de plantes croissant entre les archipels est beaucoup plus grande que dans le désert de Sonora et elles se mélangent les unes avec les autres imperceptiblement. Une cinquante d’hectares de prairies peut se caractériser par trois espèces buissonnantes dominantes, qui y sont dispersées, et de cinquante à une centaine d’espèces secondaires, de diverses densités, qui sont associées à chacune d’entre elles. Même dans une forêt, chaque arbre possède des douzaines de plantes qui lui sont associées. Chacun d’ente eux forme un archipel; par contre, dans les forêts, les archipels d’arbres sont très rapprochés les uns des autres. Des boucles de rétroactions en couplage serré existent entre tous les archipels d’un écosystème. L’intercommunication, entre ces archipels, modèle et maintient leurs écosystèmes et les réactions de ces derniers vis à vis des facteurs de stress. La manière dont les écosystèmes réagissent aux facteurs de stress environnementaux varie intégralement en fonction des espèces-clés qui existent au coeur des archipels.
La formation des archipels - les dynamiques des espèces-clés dans des écosystèmes tels que le désert de Sonora - s'élabore souvent sur des périodes de 400 à 500 années et est initiée par des événements épisodiques au sein de l’écosystème qui sont inconnus et qui ne sont pas prévisibles. Ces événements sont initiés par des indicateurs de rétroaction environnementale dont la nature est inconnue et insoupçonnée de la majorité des chercheurs. Très souvent, avant qu’elle ne puisse s’établir dans une nouvelle aire, une espèce clé de voûte doit bénéficier d'une plante précurseur qui prépare le terrain. Ces espèces pionnières, généralement sélectionnées au sein de la communauté de plantes qui croissent avec les espèces-clés, sont les éclaireuses, les plantes dont l'émergence indique le mouvement d'espèces de plantes en masse, et l'évolution lente des écosystèmes en réponse aux boucles de rétroaction Gaïennes. Ces plantes s'installent en premier et déterminent éventuellement où, quand et quelles plantes dominantes vont croître. D'une certaine manière, elles agissent tels des “filtres” au travers desquels les espèces clé de voûte sont tamisées. Cela est souvent réalisé par des plantes telles que les Armoises et les Ambroisies qui, lorsque le sol est prêt, envoient des indicateurs chimiques afin d'informer les espèces clé de voûte quand et où disperser leurs semences. Bien que le vent, les fourmis et les animaux enfouisseurs puissent parfois disperser des semences d'espèces-clés vers de nouvelles aires, les chercheurs ont découvert que les schémas de dispersion animale ou anémophile ne peuvent pas rendre compte, à eux-seuls, du mouvement des semences. Les distances sont trop grandes, les dynamiques de dispersion trop aléatoires. Mais, par quelques voies que ce soit, les graines répondent à l'appel chimique adressé par les plantes-nourrices.
Dans le Grand Bassin de l'Utah et du Nevada, Sagebrush, une Artemisia, met en place la communauté requise par les pins à pignons. Elle pouponne le pin jusqu'à ce qu'il soit assez développé pour croître tout seul: elle modifie la chimie du sol, elle pourvoit des substances chimiques spécifiques pour l'émergence de la jeune pousse, elle la protège des caprices de la vie. Dans le Désert de Mojave, environ trois quarts des jeunes créosotiers croissent sous des buissons d'Ambroisies.
Les arbres Paloverde (Cercidium) germent généralement dans des aires occupées d'abord par des espèces d'Ambroisies. L'Ambroisie joue le rôle de plante-nourrice, en élevant la jeune pousse du Paloverde jusqu'à ce qu'elle soit assez développée pour vivre sa vie. Et bien que le cactus Saguaro, en danger d'extinction, puisse s'établir en dessous d'arbres à fer (Ironwood), il préfère le plus souvent le Paloverde. Le Saguaro dépend, ainsi, de l'Ambroisie dont l'émergence se manifesta, des siècles auparavant, à l'insu des yeux modernes.
Les espèces d'Ambroisie reçurent leur nom des anciens Grecs et Linné trouva pratique de le conserver. Ce nom symbolise encore des relations fonctionnelles et des compréhensions antiques. Le nom signifie littéralement “immortelle” et provient de la nourriture des dieux qui, lorsqu'elle est consommée, confère l'immortalité. Les espèces d'Ambroisie sont celles qui donnent la vie (les Américains les appellent communément “Ragweeds”, herbes-chiffons).
Une fois qu'elles sont établies, les espèces clé de voûte appellent à elles non seulement les mycéliums et les bactéries des sols mais les plantes avec lesquelles elles ont formé une interdépendance intime au cours des millénaires. Au fil de l'arrivée des plantes, les chimies des plantes clés de voûte informent et modèlent, littéralement, leurs structures et leurs comportements de communauté. Cette faculté des espèces-clés “d'enseigner” à leurs communautés de plantes comment vivre fut amplement mise en valeur dans les taxonomies traditionnelles et indigènes.
Les Sureaux (Sambucus), par exemple, sont des espèces clés de voûte dans de nombreux écosystèmes. Chez de nombreux peuples Indigènes, il est dit que le Sureau “enseigne aux plantes que faire et comment croître” et que sans sa présence, la communauté locale de plantes deviendra confuse. Cette fonction est contenue dans son nom commun en Anglais, Elder, qui vient de l'Ancien Anglais “eldo”, signifiant vieil âge. Ce terme possède des connotations de sagesse et de faculté d'enseigner et d'aider les jeunes de la communauté, de structurer leurs connaissances, leurs comportements et leurs relations avec d'autres membres de la communauté. (“Ancienne” ou “Aînée” est peut-être un meilleur terme pour cette fonction dans l'écosystème de plantes plutôt que “dominantes” ou “clés de voûte”). D'autres peuples Indigènes, reconnaissant la nature et la fonction d'espèces-clés, ont affirmé que “les arbres sont les instructeurs de la loi”. Les espèces-clés régulent les dynamiques communautaires globales d'une communauté de plantes (son caractère) tandis que les espèces de plus petites communautés y régulent le flux de vie: pollinisateurs, pathogènes, agresseurs, herbivores ou mutualistes, etc.
Biodiversité et Santé des Ecosystèmes
Cette dynamique de succession de plantes, de soins de plantes et d’établissement de plantes clés de voûte et secondaires que l’on trouve dans le Désert de Sonora se retrouve dans tous les écosystèmes terrestres: les déserts, les prairies, les zones subalpines, les forêts boréales, les zones alpines arctiques et les régions tropicales. Cette sorte d’accroissement en abondance et en richesse d’espèces se manifeste également dans tous ces écosystèmes. Et les voies selon lesquelles ces communautés de plantes s’assemblent produisent, toujours, l’optimum de vitalité, d’abondance, de diversité et de croissance luxuriante dans chaque écosystème.
Bien que les plantes communautaires (les chercheurs généralement les appellent secondaires ou plantes filtrantes) développent, lorsqu’elles sont en relation avec leurs espèces-clés, une plus petite amplitude que lorsqu’elles croissent toutes seules et que les plantes clés de voûte développent une plus grande amplitude, elles créent ensemble plus de biomasse que si elles croissaient isolément, et ce même lorsqu’elles reçoivent toute l’eau et les nutriments qu’elles requièrent. Lorsqu’elles ne croissent pas séparément, elles fixent plus de dioxyde de carbone, elles créent des systèmes racinaires plus extensifs, elles développent des feuillages beaucoup plus denses (et sont donc plus efficaces en tant que groupe sur le plan de la photosynthèse), elles retiennent plus facilement l'eau en elles-mêmes et dans le sol et elles créent des chimies plus complexes. Les communautés de sols en dessous d'elles sont toujours plus diverses et plus saines. Basiquement, plus un archipel est diversifié et plus il croît en diversité et en harmonie. Les produits d'une telle diversité ne font pas que s'ajouter, ils sont exponentiels: une communauté de plantes constitue plus que la somme de ses parties. Toute nouvelle espèce, qui se joint à une communauté de Bois de fer, apporte une contribution aux dynamiques communautaires selon des modalités qui ne peuvent pas être déduites de la seule connaissance de cette une espèce individuelle. Toute nouvelle espèce crée des synergies avec toutes les autres espèces déjà présentes dans le voisinage.
L'oeil industrialisé, habitué qu'il est aux pelouses et aux jardins sous contrôle, perçoit généralement comme chaotiques de telles communautés de plantes aussi diversifiées et visuellement complexes. Il lui semble qu'il n'y siège aucun ordre, aucune organisation mais seulement une croissance sauvage et aléatoire. Nonobstant, les communautés de plantes ont consacré quelque 500 millions d'années à affiner leur maîtrise: leur mode de structuration n'est pas sans raison. Plus une communauté de plantes est visuellement complexe, mieux elle peut répondre aux indicateurs et aux requêtes de l'écosystème. Tous les écosystèmes deviennent dynamiques, au fil du temps, dans leur impulsion de préserver cette sorte de “sauvageté”. Un paysage suburbain, lorsqu'il n'est pas continuellement maintenu de force dans un moule, va “relaxer”. Il va commencer à se réarranger, à se réassembler lui-même, immédiatement; il va commencer à apparaître relativement négligé.
Les éruptions pathologiques, et les infestations très destructives par les insectes, sont extrêmement rares dans ces sortes d'écosystèmes hétéroclites, négligés et visuellement complexes. Les chimies complexes qui prévalent dans les systèmes naturels de non-monoculture limitent automatiquement l'émergence de maladies, d'agressions d'insectes et de résistance. Dans des communautés de plantes saines, les plantes susceptibles sont toujours placées près de chimies différentes - près de substances médicinales différentes. Les infestations intempestives résultent toujours d'une réduction de ce qui apparaît être un chaos sauvage dans les écosystèmes naturels, de l'adoption de monocultures, de l'uniformité génétique dans les communautés de plantes, de l'utilisation intensive de pesticides ou de produits pharmaceutiques ou de stress environnemental émanant d'activités telles que la construction en zones suburbaines et de bûcheronage. Au sein de systèmes sains, l'implantation des plantes varie, la communauté se réassemble selon de nouvelles voies autour de ses espèces clé de voûte sur une base régulière et les plantes n'agissent jamais de telle sorte à éradiquer la totalité d'une espèce de “peste” mais elles ne font qu'en modérer le niveau de population.
De nombreuses cultures Amérindiennes ont compris que les plantes sont des êtres communautaires, qu'elles croissent mieux en groupe que toutes seules et que des paysages agricoles “négligés” produisent de meilleurs résultats sur le long terme. Le maïs, les haricots et les courges - appelés souvent les trois soeurs - ont été cultivés ensemble dans les communautés Indigènes des Amériques pendant des millénaires. La production de nourriture, au fil du temps, est toujours plus élevée lorsque les cultures ne sont pas isolées et que par conséquent les infestations et pathologies sont moins fréquentes. Les peuples Indigènes savent depuis fort longtemps que les plantes se soutiennent mutuellement, se conservent mutuellement en bonne santé et que les plantes sauvages autour des champs cultivés en augmentent la vitalité. Parmi les trois soeurs, le maïs est la plante clé de voûte et il se dit dans de nombreuses cultures Indigènes que “la Loi repose dans le Maïs”. Les cultures qui ont développé une relation de longue date avec le maïs ont affirmé également que le maïs est la source des Instructions Originelles quant à la nature et à l'harmonie de la communauté - tout aussi bien des plantes que des humains. Les écosystèmes, pour être vibrants, doivent être composés de nombreuses plantes qui oeuvrent ensemble dans des relations mutualistes profondes. Il existe toujours, dans de tels systèmes, une diversité d'espèces de plantes et une diversité de types fonctionnels.
Plus grand est le nombre de plantes avec des chimies diverses qui occupent le plus grand nombre de catégories fonctionnelles écosystémiques, et plus cet écosystème est vibrant et harmonieux. Il en est ainsi parce que les années ne se ressemblent pas et que les conditions environnementales sont toujours différentes. Les habitats locaux sont toujours en train de se métamorphoser en réponse aux conditions changeantes. Une plante contribuant généreusement à satisfaire le besoin d'un habitat peut ne pas jouer le même rôle lorsque les facteurs environnementaux varient. C'est pourquoi il est essentiel que toutes les communautés locales accueillent un très large spectre de plantes: afin de conférer au système une faculté réactive optimale. Les archipels d'Arbre de fer confèrent une telle amplitude de stabilité écosystémique parce que, dans leur maturité, ils accueillent une communauté de plantes hautement intégrée qui se caractérise par une faculté réactive maximale. A l'image des bactéries, ils possèdent la capacité de réagir vis à vis de facteurs de stress environnemental qu'eux-mêmes, ou la Terre, n'ont pas la possibilité de prévoir. La diversité, le fouillis et la complexité communautaire constituent des aspects de cette capacité réactionnelle. Toutes les communautés de plantes matures, y compris, les Arbres à fer, contiennent des plantes exceptionnellement rares.
Ces types de plantes rares existent en petit nombre dans les écosystèmes et possèdent souvent des chimies uniques ou hautement puissantes. De telles plantes peu communes constituent des pools génétiques de chimies nécessaires seulement en très petites quantités ou à de rares intervalles. Ce sont des végétaux pharmaceutiques rares destinés à des conditions qui peuvent ne se présenter qu'une fois par siècle ou à des conditions requérant des chimies inhabituelles. Des plantes similaires, même lorsqu'elles en sont étroitement proches, peuvent ne pas constituer des équivalents fonctionnels. Ce ne sont pas, comme de nombreux chercheurs le répètent, des éléments “en extra” ou redondants. La Terre anticipe certains besoins des décennies ou des siècles en avance. Gaïa voit très loin.
Les espèces proches de Mesquite, Bouteloua gracilis et Bouteloua eriopoda, illustrent ce point. Bouteloua gracilis peut vivre une longue vie, au moins 400 ans, bien que personne n’en sache réellement la durée. Il croît dans les grandes plaines du Mexique au Canada et vers l’ouest jusqu’au Texas occidental. Bouteloua eriopoda vit rarement 40 années et bien que son aire couvre également celle de son cousin, il s'étend plus à l'ouest vers les déserts du sud-ouest du Mexique, du Texas occidental, du Nouveau-Mexique et sur les franges du Désert de Sonora. Bien que ces deux graminées croissent de la même manière, en touffes séparées par des espaces, elles affectent le contenu en azote du sol, entre autres choses, de façons assez différentes. Bouteloua gracilis, la graminée des plaines, en raison de sa longue durée d'âge, concentre de vastes quantités d'azote à partir des zones entre les plantes dans le sous-sol. Elle ne couvre que 35 % de la surface de la steppe mais elle utilise la plus grande partie des 65 % restant dans le sol. Les déserts, cependant, n'ont que peu d'azote disponible dans leurs sols. En fait, la steppe herbeuse semi-aride que Bouteloua gracilis occupe possède trois plus d'azote que le biotope désertique herbeux occupé par Bouteloua eriopoda. Ces deux espèces de graminées concentrent l'azote mais à une vitesse tellement lente que cela prend 50 années pour vraiment accumuler et épuiser les zones entre les plantes, une période qui excède la durée de vie de Bouteloua eriopoda. Si l'espèce de Bouteloua de longue vie croissait en abondance dans les écorégions désertiques, l'azote s'épuiserait du sol et la présence de ce Mesquite ferait gravement obstacle à la croissance des autres plantes dans l'écosystème. Les gens qui prétendent que de nombreuses espèces de plantes sont redondantes (et donc qu'il n'est pas nécessaire de les protéger) parce qu'il existe d'autres espèces qui leur sont très proches qui pourraient remplir les mêmes fonctions ont loupé le coche. Des espèces étroitement apparentées diffèrent toujours selon certains axes de variations et ce n'est pas sans raison: les besoins environnementaux sont différents. Sinon, la Terre aurait simplement développé une espèce de plante et non pas deux.
L'impulsion de maintenir des types de plantes complexes afin de répondre aux requêtes des écosystèmes se manifeste, comme pour les bactéries, jusqu'au niveau de la structure génétique. Sous pression, les génotypes des plantes peuvent devenir fluides et se réassembler afin de favoriser la flexibilité.
Emergence de fleurs blanches de Mimulus lewisii, Pink Monkeyflower.
Crater Lake. Oregon
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Fluidité Génétique
Les plantes, à l’instar des bactéries, sous la pression de l’environnement, réarrangent leur structure génétique (le génotype) et génèrent de nouvelles expressions physiques en elles-mêmes ou chez les générations successives (le phénotype). Le prix Nobel, et chercheuse dans le maïs, Barbara McClintock fut la première à démontrer (bien que Goethe l’avait compris bien longtemps avant) que les plantes pouvaient réordonner leur structure génétique sous l’influence du stress. Elle découvrit que des organismes stressés déclenchent des transformations génétiques que l’on ne peut pas prédire à partir de leur configuration génétique. Les plantes réarrangent leur configuration génétique par l’entremise, en partie, des transposons ou “gènes sauteurs”. La biographe de McClintock, Evelyn Fox Keller, commente: “D’où les instructions (pour le réarrangement des gènes) émanent-elles? La réponse de McClintock - selon laquelle elles émanent de la cellule entière, de l’organisme et peut-être même de l’environnement - remet profondément en question la génétique orthodoxe”.
L’assemblage complexe de plantes dans les écosystèmes représente un spectre énorme de génotypes, tous préservés dans une banque de diversité. Non seulement les espèces de plantes peuvent-elles créer et libérer une large panoplie de chimies, ou se réarranger en une multitude de combinaisons (ou compagnonnages) afin de produire des combinaisons chimiques synergétiques différentes, mais elles peuvent également laisser leur structure génétique devenir fluide, afin de répondre aux indicateurs de stress environnemental, en engendrant des progénitures hautement variables dans de très courtes périodes de temps. (Afin de créer encore plus de variabilité, les virus peuvent insérer des séquences d’ADN étranger dans la structure génétique végétale, conférant à la plante un spectre plus étendu de réponses; ou bien deux organismes, ou plus, peuvent s'assembler, s'impliquant dans une symbiogenèse, afin de créer des formes de vie différentes; ou les deux à la fois).
Les environnements peuvent être imprévisibles; la Terre n'a pas la capacité de connaître par avance les événements qu'elle va rencontrer durant sa longue vie. En programmant une fluidité génétique, tous les organismes (et le système qui est composé de leurs boucles de rétroactions complexes) possèdent une réactivité maxima. L'information que les plantes recueillent de leur environnement est utilisée en boucle de rétroaction en couplage serré afin d'ajuster le phénotype et la structure génétique (et les chimies résultantes) au fil de chaque génération. Les plantes qui sont transplantées dans des environnements stressants (ou leur progéniture qui y germe) peuvent faire varier leur structure afin de générer de nouvelles caractéristiques végétales qui puissent répondre à la nature exacte des exigences environnementales. A l'image de l'immunité humaine vis à vis de certaines maladies, ces caractéristiques peuvent être transmises à leur descendance qui hérite ainsi de caractéristiques acquises (un phénomène que les Néo-Darwiniens ont toujours considéré impossible). Les plantes peuvent moduler leur structure d'embranchement, leurs processus d'assimilation des nutriments, leurs capacités de photosynthèse et leur chimie. Elles peuvent également s'adapter aux capacités des animaux et insectes qui vivent au sein de leur communauté. Elles se métamorphosent littéralement, sur de très courtes périodes de temps, afin de maintenir des relations harmonieuses avec des espèces spécifiques. Elles peuvent également former des liens coévolutifs, dans de brefs délais, en réponse à des boucles informationnelles afin de s'adapter au fonctionnement de l'écosystème. Les plantes peuvent aussi limiter un grand nombre de leurs réactions comportementales, incluant la fluidité génétique, afin de s'assurer que n'émerge pas une résistance des pathologies ou des insectes à des chimies protectrices.
Par exemple, durant les infestations de vers dans les bourgeons d'épicéas, (par la tordeuse des bourgeons de l’épinette) les forêts d'épicéas contiennent toujours des arbres qui ne produisent pas d'altérations dans les chimies de terpènes. Les chercheurs examinant ces arbres ont découvert qu'ils peuvent accroître leur production de terpènes mais qu'ils ne le font tout simplement pas. En d'autres mots, ce ne sont pas des arbres plus faibles qui sont en train de succomber à un échec Darwinien de survie des plus forts mais, au contraire, ce sont des arbres parmi les plus robustes qui, intentionnellement, n'accroissent pas leur production chimique. Les bénéfices à long terme d'une telle dynamique sont évidents: en n'élevant pas le niveau de réaction anti-nourrissante dans tous les arbres, les forêts s'assurent qu'une résistance ne se développe pas dans la tordeuse des bourgeons de l’épinette comme elle le fait chez les insectes des cultures exposés à des insecticides. Les communautés de plantes sacrifient littéralement des plantes pour la consommation des insectes afin de ne pas forcer le réarrangement génétique et le développement de résistances.
Des insectes tels que la tordeuse des bourgeons de l’épinette sont des éléments essentiels des communautés de plantes, ce ne sont pas seulement des pestes insignifiantes qui émergent dans un vide et qui tentent d'éradiquer tous les épicéas dans un désir vorace de se nourrir et de se reproduire. Les plantes maintiennent un équilibre de santé dans le compagnonnage, dans la communauté et dans l'écosystème, incluant un équilibre de santé et de densité de population chez les animaux et les insectes, par l'entremise de leurs mécanismes de rétro-actions. Entre autres choses, elles pourvoient aux membres individuels de leur communauté des substances chimiques en infimes doses. Les animaux et les insectes ne sont pas redondants, ils sont intégrés dans les communautés de plantes aussi profondément que les plantes le sont dans les archipels. Les plantes communiquent avec les bactéries et les attirent à elles, elles appellent les mycelia, elles appellent d’autres plantes, elles appellent les insectes et les animaux, en les adjoignant à la communauté qu'elles sont en train de former.
Les cactus Saguaro et Senita, par exemple, croissent souvent au sein de l'archipel de l'Arbre de fer. Ces deux cactus possèdent une relation unique et spécifique avec leur propre espèce de mouche Drosophila. Ils élaborent et libèrent d'infimes quantités d'une substance volatile stéroïde appelée le schotténol qui attire les drosophiles. Ces mouches utilisent le stéroïde afin d'élaborer leur hormone de mue sans laquelle elles sont incapables de se développer et de se reproduire; les cactus qui les appellent constituent la seule source de cette substance. Afin de s'assurer qu'une seule espèce de mouche s'envole vers eux, chaque cactus libère également une autre substance simultanément. Les Senita exsudent des quantités minuscules d'un alcaloïde, la lophocereine, qui repousse toutes les espèces de Drosophile, à l'exception de sa partenaire coévolutive, Drosophila pachea. Quant au Saguaro, il exsude l'alcaloïde carnegeine qui repousse toutes les espèces de Drosophile, à l'exception de Drosophila nigrospiracula. La carnegeine et la lophocereine ne se caractérisent que par de minuscules différences quant à leur structure chimique mais, néanmoins, elles sont tellement spécifiques que de 6803 larves sur un Saguaro, seule une n’est pas une larve de Drosophila nigrospiracula. En échange de cette substance chimique de mue, les mouches et les larves de mouches consomment les parties en décomposition des cactus, ce qui les conserve en bonne santé. Comme ces deux cactus émettent également de fortes substances chimiques secondaires afin de repousser les autres insectes, cette fonction de nettoiement ne peut être réalisée que par les mouches qu’ils appellent. Les mouches, tout comme les communautés de plantes, de bactéries et de mycelia, s’intègrent à une communauté écosystémique qui peut perdurer des milliers d’années; leurs relations coévolutives avec les cactus datent de plusieurs millions d’années.
De telles interdépendances régulatrices constituent la norme dans tous les écosystèmes de la planète. Sans ces substances chimiques - dont l’élaboration date de millions d’années - libérées à des moments spécifiques, en quantités et en combinaisons spécifiques, aucun écosystème ne pourrait fonctionner ou rester en bonne santé. Et cela ne peut pas être plus évident que dans les dynamiques de pollinisation.
Pollinisation
Sans pollinisateurs, la plupart des angiospermes, les plantes à fleurs qui émergèrent il y a 140 millions d’années, ne peuvent pas aller à graines. Elles ont besoin d’un vecteur pour véhiculer le pollen d’une plante, ou d’une fleur, à une autre. La plupart des angiospermes ont développé des relations mutualistes et coévolutives avec divers pollinisateurs afin d'accomplir cette mission. Ces pollinisateurs, au nombre de centaines de milliers d’espèces, constituent des éléments intimement intégrés aux communautés de plantes. Toutes les plantes à fleurs, incluant le saguaro et le senita, créent un mélange sophistiqué de substances chimiques qui communiquent avec leurs communautés de pollinisateurs et qui en maintiennent l’équilibre.
Bien que la plupart des gens sachent que les abeilles à miel pollinisent les plantes, peu sont conscients qu’il existe des centaines de milliers d’espèces de pollinisateurs de plantes, dont une majorité a co-évolué au fil des millions d’années avec des plantes spécifiques. Les chercheurs n’en connaissent que moins de 6%. Ces pollinisateurs incluent les chauve-souris, les moustiques, les coléoptères, les lézards, les souris, les fourmis, les oiseaux, les papillons, les abeilles, les opossums, les singes, les renards volants et les papillons de nuit. Il existe, au moins, 1500 espèces d’oiseaux, 15 000 espèces de guêpes, 40 000 espèces d’abeilles, 20 000 espèces de papillons et de papillons de nuit, 14 000 espèces de mouches, 200 000 espèces de coléoptères, 165 espèces de chauve-souris et 300 autres espèces de mammifères qui pollinisent les plantes. Ce sont sans doute 80 % de toutes les plantes à fleurs qui sont pollinisées par les coléoptères (scarabées, coccinelles, lucanes, chrysomèles, hannetons, charançons, carabes...). Ce sont 40 % des angiospermes qui possèdent un pollinisateur primaire, ou dominant, accompagné d’un certain nombre de pollinisateurs secondaires moins réguliers. Certaines plantes n’en possèdent qu’un. Les espèces de figuiers de par le monde (de 700 à 900), dont le figuier banyan, ont chacune été pollinisées, durant les 40 derniers millions d’années, par leur propre espèce de guêpe à figue. Leur existence est souvent mutuellement interdépendante: l’un ne peut survivre sans l’autre.
La vaste majorité des pollinisateurs sont appelés vers leurs plantes par des substances chimiques spécifiques qui sont élaborées exclusivement pour eux et qui sont actives en doses extrêmement minuscules. La mouche du fruit, Dacus dorsalis, par exemple, va répondre à une quantité aussi infime que 0,01 microgramme (un cent millionième de gramme) du composé phéromonal méthyle eugényle produit par des plantes de Cassia. Le composé est si spécifique que des variations même minuscules de sa configuration chimique ne produiront que peu de réaction, ou pas du tout, de la part de la mouche. En raison de ce type de spécificité, les plantes créent une vaste panoplie de composés volatiles qui attirent les pollinisateurs. L’odeur de la viande en putréfaction, les excréments frais, les fruits en décomposition ou les parfums floraux aromatiques contiennent tous des indicateurs chimiques auxquels les pollinisateurs réagissent.
Cependant, la plupart des indicateurs chimiques, des millions d’entre eux, ne possèdent absolument aucune “odeur”. Ils sont interceptés par des récepteurs qui, dans les vertébrés, sont appelés des organes voméronasals. Chez les mammifères, ces organes sont localisés dans le nez et leur fonction unique est de détecter et de transporter les substances aromatiques complexes libérées par les plantes et les animaux en quantités minuscules. (La plupart des Néo-Darwiniens considéraient que ces organes n’étaient présents que chez les nourrissons et les qualifiaient d’organes vestigiaux - des vestiges sans fonction particulière d’un stage antérieur d’évolution. En dépit de siècles de recherche sur le corps humain, il fallut attendre la dernière décennie du siècle passé pour que l’on reconnaisse que tous les êtres humains possèdent ces organes). Chez les êtres humains, ils sont si sensibles qu’une dose aussi infime qu’un PPM de la transpiration d’une femme diluée dans de l’eau distillée déposé, avec un coton tige, sur la lèvre supérieure d’une autre femme va stimuler cette dernière à initier son cycle de menstruation en harmonie avec la première. Tous les pollinisateurs, toutes les formes de vie sur terre, possèdent des organes voméronasals ou leur équivalent; ce sont les récepteurs des communications chimiques complexes émanant des plantes.
De nombreuses plantes facilitent ce processus. Elles élèvent la température dans leurs fleurs (souvent considérablement) afin d’accroître la volatisation de leurs composés aromatiques dans l’air. Elles accroissent la production aromatique lorsque le pollen est mûr et elles modifient la quantité et le type de substances volatiles qui sont produites à des moments différents pour attirer des pollinisateurs différents. De par le fait que les pollinisateurs nocturnes ne peuvent pas utiliser d’indices visuels, de nombreuses plantes accroissent leurs substances volatiles durant la soirée. Les différentes substances se diffusent dans l’atmosphère à des vitesses différentes, en permettant aux pollinisateurs de savoir à quelle distance de la source ils se trouvent. En ayant recours à ces indices chimiques, les abeilles sont capables de butiner sur une amplitude de 90 kms et de se souvenir de chaque plante en fleur et de sa localisation. Les fleurs des plantes vont continuer de libérer, et même d’intensifier, les substances aromatiques jusqu’à ce que toutes leurs graines soient fertilisées ou jusqu’à ce que toutes les fleurs d'étiolent. Ce processus requiert souvent un très grand nombre de visites de pollinisateurs. Chaque capsule de Tabac contient 2500 semences, qui requièrent 2500 fertilisations (et qui, dans le cas du Tabac, doivent être réalisées en l’espace de 24 heures) dans une aire de moins de 4 mm de largeur. Dès que la fertilisation est achevée, la production et la diffusion de substances aromatiques s’achève.
Comme le nectar est un composant essentiel de l’alimentation de la plupart des pollinisateurs (pour certains, il se peut que cela en soit le seul élément), ses constituants sont toujours fonction du moment auquel les pollinisateurs primaires sont susceptibles de se nourrir et de la nature de ces pollinisateurs. Par exemple, les bourdons requièrent (et l'obtiennent des fleurs) un contenu en acides aminés plus élevé que celui des abeilles mellifères en raison de leur incapacité à consommer de larges quantités de pollen.
Bien que les diététiciens et les médecins prétendent que les nectars “ne sont juste que du sucre”, ils contiennent, en vérité, une diversité de différents types de composés sucrés. Ces derniers ne constituent que 30 % du nectar. Le reste est constitué d’un mélange complexe de plus d’une quarantaine de composés incluant des lipides, des acides aminés, des protéines et des douzaines d’autres composés chimiques secondaires spécifiques. Les pollinisateurs utilisent le sucre pour l’énergie: la quantité qu’ils absorbent dépend de leur taille. Le nectar émanant d’une seule fleur, par exemple, peut donner assez d’énergie à un moustique pour voler 25 kms. Mais le nectar est également hautement nutritif; les plantes créent et ajoutent des substances afin de satisfaire aux besoins nutritionnels de leurs pollinisateurs. Dans les fleurs pollinisées par les papillons, le nectar contient les 10 acides-aminés primaires dont les papillons ont besoin pour rester en bonne santé. Afin de renforcer, encore plus, le contenu en acides aminés du nectar, les papillons font souvent une “teinture” en y laissant tremper des grains de pollen (libérant plus d’acides aminés) avant de le boire. Certains plantes séquestrent des huiles, dans des compartiments spéciaux de leurs fleurs, pour leurs pollinisateurs. Lors d’une visite, les abeilles solitaires brisent les vacuoles, butinent les huiles - qui sont constituées d’un mélange complexe de lipides, d’acides aminés et d’autres composés secondaires - les mélangent avec du pollen provenant d’une diversité de plantes et en nourrissent leurs larves. Ces composés possèdent une influence exceptionnellement puissante sur la croissance et le système immunitaire des jeunes abeilles. La plupart des composés secondaires végétaux que les pollinisateurs obtiennent de leurs plantes compagnes sont des chimies uniques sans lesquelles ils ne peuvent pas survivre ou se reproduire.
Certaines orchidées créent des substances chimiques volatiles qui sont identiques à celles exsudées par des pucerons. Des fourmis et des mouches, qui se délectent de pucerons, répondent à cette odeur et pollinisent les plantes. Une approche plus commune, cependant, consiste à élaborer des phéromones sexuelles femelles qui attirent leurs pollinisateurs: abeilles, guêpes, coléoptères... Une seule orchidée, par exemple, produit souvent plus d’une centaine de substances aromatiques volatiles, en combinaisons spécifiques, afin d’appeler ses pollinisateurs. Les composés aliphatiques et les terpénoïdes, tels que les hydro-carbones saturés, l’aldéhyde d’octyl et l’aldéhyde nonanal, les esters, le géraniole, le citronellol, le farnesol, les cétones, les acétates, les esters de farnesol, le géranial, le citronellal, et le linalol sont combinés afin de produire des composés dont les abeilles (et autres pollinisateurs) ont besoin pour leur reproduction sexuelle.
Les abeilles pollinisatrices d’orchidées (ou abeilles euglossines) collectent les substances volatiles sur les orchidées et les transfèrent sur leurs pattes de derrière, où elles conservent ces composés indispensables à leur accouplement. Durant l'accouplement, les abeilles utilisent ces phéromones pour attirer d'autres mâles qui ensemble forment de petits essaims qui attirent les femelles (qui ne vont répondre qu'à des essaims). Chaque espèce différente d'abeille euglossine requiert un type différent de phéromone que les orchidées pourvoient. Comme les pollinisateurs ne peuvent pas élaborer eux-mêmes ces composés destinés à leur reproduction, ils ne peuvent pas survivre sans les orchidées. La production par les plantes à fleurs de substances chimiques spécifiques, dont ont besoin leurs pollinisateurs pour leur reproduction, n'est pas inhabituelle.
De nombreuses espèces de papillons et de papillons de nuit sont attirées vers des plantes telle que l'ambroisie qui produit des alcaloïdes pyrrolizidine qu'ils collectent, stockent dans leurs corps, et qu'ils utilisent comme phéromones sexuelles ou pour synthétiser leurs phéromones sexuelles. Certains papillons mâles stockent les composés dans les poils de leurs ailes et les utilisent pour attirer les femelles. Durant l'accouplement, ils planent au-dessus des femelles et les saupoudrent des alcaloïdes. Comme les alcaloïdes pyrrolizidine sont toxiques en concentration, ces papillons de nuit, qui sont en synergie avec des plantes, les concentrent également dans leur corps afin de se prévenir de la prédation par les oiseaux et autres animaux. De façon similaire, les papillons Monarques séquestrent des glycosides cardiotoniques, qu’ils collectent généralement d’espèces d’Asclepias, à de tels niveaux de concentration que les oiseaux ne peuvent pas les manger. Plus de quarante espèces de papillons et de papillons de nuit utilisent ces chimies végétales spécifiques de cette manière. Sans les composés chimiques produits par leurs plantes, les papillons et les papillons de nuit ne pourraient pas survivre. Et sans ces insectes, les plantes ne pourraient pas non plus survivre - il n’y aurait personne qui puisse les polliniser. Ces interactions peuvent s’avérer exceptionnellement complexes et impliquer de multiples plantes et insectes.
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