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Arche de la Métahistoire
John Lash
Traduction de Dominique Guillet
On peut imaginer les cinq thèmes majeurs de Métahistoire comme formant une arche, comme cellle d'un élégant pont Chinois qui se réflète parfaitement dans l'eau qu'il surplombe. Le pont que nous traversons est l'histoire, définie par les marches du temps linéaire et des événements connus. Le reflet de l'arche est le reflet de l'histoire dans les profondeurs de la psyché humaine, dans la mémoire collective et la phylogénie.
Cinq thèmes constituent cette arche, mais ils ne sont pas dans un ordre chronologique. Leur relation repose dans une gestalt en dehors du temps plutôt que dans une durée liée au temps. Bien que ces thèmes soient récurrents durant toutes les époques, l'histoire est une structuration chronologique de l'expérience et nous pouvons ainsi les approcher comme s'ils étaient séquentiels. De gauche à droite, l'arche se déploie d'un lointain passé dans la préhistoire jusqu'à notre civilisation globale présente, le monde d'aujourd'hui. Ces cinq thèmes majeurs sont toujours à l'oeuvre dans l'expérience humaine, mais leurs dynamiques évoluent au fil des temps. La technologie est le thème dominant dans le monde d'aujourd'hui mais ce thème a été tout aussi bien été actif lors de toutes les époques précédentes.
En raffinant notre compréhension de l'arche, nous apprendrons à voir comment les cinq thèmes interagisent et permutent ente les octaves majeures et les octaves mineures. Des thèmes subsumés résonnent à différents niveaux de questionnements psycho-spirituels, reflétés dans des modulations de dynamiques culturelles et spirituelles. (Ces sous-thèmes, ou variations multi-thématiques, sont décrites dans des paragraphes en liens).
Nature Sacrée
La Nature Sacrée est la source mystérieuse de l'humanité. Dans un lointain passé, bien avant que les événements fussent consignés dans des écrits historiques, l'espèce humaine vivait son hsitoire en interaction directe avec son environnement. Toutes les anciennes traditions percevaient la relation entre la nature et l'humanité à l'image d'une relation parents-enfants, la nature étant l'élément sacré porteur de vie. Les motifs et les mythèmes inhérents à cette catégorie sont universselement orientés vers une divinité suprême et féminine, la Déesse, qui incarne à la fois le monde naturel et la dimension surnaturelle de ce monde. Avant que les théologies et les religions de toutes sortes ne promulgent des croyances en un dieu créateur mâle, la Grande Mère était le point de focalisation de la spiritualité humaine. Notre relation à la nature était vécue à l'aune de notre révérence pour la Déesse et il advint que nos attitudes vis à vis de l'aspect sacré de la nature changèrent au gré des modifications des attitudes humaines envers la déesse.
Opposition
L'opposition est la structure expérientielle qui émerge lorsque l'humanité altère sa connection vitale avec la nature. Dans les lointains de la préhistoire, déjà, l'espèce humaine commença à se définir selon ses propres termes, à former des sociétés et à développer de la culture, principalement grâce à l'usage du langage et de systèmes symboliques. L'élaboration de la culture implique une différentiation qui peut prendre la forme d'oppositions, la première étant l'opposition entre la culture et la nature. L'identité sociale se développe au travers du conflit (“la prise de position”) et le pouvoir social s'acquiert par la maîtrise du conflit. Ce qui semble être un conflit dans la nature, tel que le jeu de la lumière et des ténèbres, devient symbolique de ce qui se développe alors dans les termes auto-définis de la “condition humaine”. L'espèce humaine s'engage dans une longue expérimentation en laquelle chaque conflit la met au défi de restaurer l'équilibre, en-dedans et en-dehors. L'opposition requiert toujours des rites et des actes de compensation, ainsi que C. G. Jung l'a bien mis en valeur.
La croyance selon laquelle l'espèce humaine est en conflit avec la nature, perçue comme un environnement hostile qu'il faut dominer afin de survivre, s'oppose à la croyance selon laquelle les sociétés civilisées puissent exister en harmonie avec le monde naturel et les autres espèces. De nombreux mythes, de par le monde, témoignent de souvenirs et de visions paradisiaques, d'un mode de vie Edénique, et la question de savoir pourquoi notre espèce a quitté cette condition (si tant est qu'elle ait existé) est un sujet très débattu. Dans tout le monde naturel, le conflit et la compétition existent sans ruiner l'équilibre symbiotique qui sustente toute espèce mais la présence de l'humanité déséquilibre cette équation. Dans la perspective de la dualité de source divisée, l'opposition est considérée comme une situation suprahumaine du Bien versus le Mal. Cette perspective engendre des scénarios de fin des temps tels que l'apocalypse et le Jour du Jugement. Mais si l'origine de l'opposition C'est plutôt d'un dilemme permanent dont l'humanité fait l'expérience alors qu'elle émerge d'une participation empathique avec la Nature Sacrée.
Origines
Les Origines constituent pour l'humanité l'ultime secret. La vérité est que nous ne savons pas comment nous avons évolué, c'est à dire, comment nous en sommes venus à être humains. L'évolution de l'espèce humaine remonte à la préhistoire, à son émergence de la Nature Sacrée et nous sommes loin de résoudre la question de savoir comment tout cela est advenu. La quête des Origines se détourne de la question ultime, à savoir l'origine de l'humanité en tant qu'espèce unique, poour s'orienter vers l'origine de la société et de la culture. L'histoire de l'aventure humaine commence dans la Nature Sacrée mais il n'existe aucune trace textuelle de cette expérience et donc le commencement reconnu advient beaucoup plus tard, au moment où les êtres humains commencent à se souvenir et à consigner leurs expériences dans des écrits qui perdurent et, dans un sens, incorporent l'autobiographie de l'espèce humaine. C'est pourquoi les Origines, dans le sens historique, constituent le thème central de l'arche. Dans la Métahistoire, la narration de d'histoires différentes est le problème central que nous souhaitons explorer.
Dans cette perspective, l'histoire de la “civilisation” est au centre de la scène. Nous ignorons l'enfance formative de l'espèce, plus ou moins à l'image de l'individu qui ne se souvient pas des trois ou quatre premières années de sa vie. L'analogie est étrange parce que les durées de temps sont immensément divergentes: une personne de quatre vingt ans est inconsciente des quatre premières années de sa vie, à savoir 1/20 ème de sa vie totale alors que pour l'humanité, la préhistoire de son enfance est évaluée à 2 200 000 années tandis que sa vie historique “adulte” (depuis la naissance de la civilisation) n'est que de six mille ans, à savoir 1/360 ème de la durée totale de l'espèce. Imaginez un individu de quatre-vingt ans d'âge qui fonde son identité et ses actions sur les quatre vingt derniers jours de sa vie. Telle est la perspective historique de l'humanité quant à ses propres origines et, cependant, cette version étrangement comprimée de notre expérience détermine la manière dont nous pensons l'histoire et qui plus est, notre manière de penser l'histoire détermine à sont tour notre identité en tant qu'espèce.
La Métahistoire propose que la problèmatique de l'histoire est l'impact disproportionné du bref scénario historique quant à l'évolution à long terme de l'humanité.
Ce qui nous rend humain originellement devient ainsi secondaire par rapport à ce que les humains font du monde et par rapport à la manière dont ils créent leurs propres modes de vie, leurs cultures et leurs sociétés. Les Origines occupent la place au sommet de l'arche parce que les scénarios qui décrivent l'émergence de la civilisation présentent les principes directeurs qui nous disent comment nous devons vivre. Curieusement, la plupart des traces, dans de nombreuses cultures, quant aux origines de la civilisation indiquent qu'elles émergèrent à une apogée, l'Age d'Or, et qu'elles déclinèrent ensuite. C'est précisément ce que les anciens mythes affirment au sujet de la civilisation. De nombreuses traditions sont en désaccord avec la croyance récente selon laquelle l'humanité a progressé, s'est élevée depuis l'aube de la civilisation. Quelle que soit la situation, nous portons nos regards vers la clé de voûte de l'arche en quête d'une orientation vers la représentation holistique, la vision à long terme. “L'émergence de la civilisation” présente une structure scénique grâce à laquelle nous donnons un sens à notre devenir et nous nous remémorons de la direction vers laquelle nous allons.
Dessein Moral
Le dessein moral est l'impératif nous permettant d'agir en vérité dans les situations posées par des développement historiques complexes. Il détermine la manière dont nous définissons la finalité de l'aventure humaine. Des tentatives initiales de définir la finalité se font jour dans le contexte d'un autre thème majeur, l'Opposition, parce que le conflit requiert des jugements moraux et pousse à des choix noirs ou blancs. Cependant, le sens de l'éthique ne peut se développer pleinement que lorsque l'humanité est capable de concevoir un dessein, une structure d'intention à l'oeuvre dans l'entièreté du cosmos. Dans une grande mesure, le récit de l'histoire montre comment l'humanité a interprété le cours des événements humains dans la finalité de comprendre comment toute chose qui advient puisse s'insérer dans un maître plan.
Ce que la moralité pourrait avoir été lorsque nous vivions dans la nature, avant l'histoire, reste une question sans réponse mais, dans le flux de l'histoire, la moralité est constamment mise à l'épreuve. La civilisation n'est possible, pensons-nous, que parce que nous avons codifié les principes moraux au travers des grandes religions. Les trois religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, peuvent être définies comme des sytèmes de croyance à l'échelle du monde parce qu'elles ont influencé l'histoire du monde beaucoup plus puissament que tout autre système religieux ou philosophique. Toutes les trois affirment que la forme ultime de dessein moral est un contrat entre l'humanité et un dieu créateur. Cette croyance est en opposition avec des philosophies spirituelles telles que le Boudhisme et le Taoisme, qui ne présupposent pas l'existence d'un dieu créateur, tout autant qu'avec les traditions sacrées des peuples indigènes qui découvrent le dessein moral dans le contact avec la nature et dans la communion avec les espèces non-humaines. Le cours de l'histoire a largement été façonné par la domination des trois religions mondiales qui toutes affirment la supériorité de l'espèce humaine aux yeux d'un dieu créateur mâle et célibataire. La quête d'un Dessein Moral en dehors du paradigme monthéiste représente un des défis les plus fondamentaux de la Métahistoire.
Technologie
La technologie comprend toutes les expertises et tous les outils développés par l'humanité pour contrôler la nature et organiser la société. En Occident (Europe et Amérique), l'époque de la haute technologie est considérée comme l'apogée de la civilisation, l'expression la plus accomplie de l'effort commun. A notre grand désarroi, cependant, la civilisation s'avère être une aventure prérilleuse qui oppose le monde créé par l'homme, l'ordre social soutenu par la technologie, à royaume de la Nature Sacrée. Cette tension définit la base de l'arche de la métahistoire.
Les croyances encodées dans les anciens mythes provenant du Moyen-Orient et d'ailleurs suggèrent que l'évolution humaine fut activée par l'intervention d'êtres plus avancés, conçus, de façons diverses, ent ant que dieux, divinités, “anciens astronautes”. Comme les sciences génétiques nous incitent à jouer à Dieu en manipulant le code ultime de la vie, l'ADN, l'humanité est confrontée par des doutes quant à ses qualifications pour un tel statut divin. Selon le diktat scientifique et technologique, ce qui peut être fait doit être fait mais cette attitude s'oppose à la prise de conscience grandissante que la science, plus particulièrement quand elle est inféodée à des intérêts commerciaux, agit souvent précipitamment et à l'encontre du bien-être de la société. Loin d'ouvrir les portes vers un monde d'utopie, la technologie s'avère être au quotidien une boite de Pandore de bienfaits mitigés. Ultimement, les croyances que nous soutenons vis à vis de la technologie peuvent être tout aussi puissantes quant à la détermination du futur de la société globale que les innovations technologiques en elles-mêmes. L'opposition entre le monde naturel et la société technologique engendre une tension considérable et détermine une grande partie des dilemmes éthiques cruciaux et des problématiques de survie de notre époque. Les trois thèmes qui formetn l'arche - Oppositions, Origines et Dessein Moral - sont en résonnance avec la tension structurale de la base de l'arche et c'est pourquoi ces thèmes sont récurrents dans toute situation de la vie contemporaine.
Chaque composant de l'arche représente une phase récurrente et intégrante de l'expérience vécue au travers de mythèmes spécifiques par lesquels les êtres humains identifient leurs systèmes de croyances personnels et collectifs. Par exemple, l'Eden, le Paradis et l'Age d'Or sont subsumés sous la Nature Sacrée. La Chute, le déluge et la Guerre dans les Cieux sont subsumés sous l'Opposition. Le mythème du sacrifice, étudié par ailleurs sur ce site, apparaît dans la catégorie des Origines parce que le sacrifice du roi sacré (le messie, l'oint) est une croyance ritualisée sur laquelle toutes les civilisations étaient reconnues comme étant originellement fondées. Mais le sacrifice n'est pas exclusivement restreint à cette catégorie. La signification du sacrifice fait également partie du Dessein Moral et même de la Technologie. La croyance selon laquelle nous devons sacrifier toutes les ressources naturelles de la Terre pour acquérir un standard correct de vie pour la société globale est aussi un exemple de ce mythème.
Résumé
“Une de nos finalités, sans nul doute, est d'apprendre ce que cela signifie de vivre sans paradigme mais je perçois également une possibilité beaucoup plus complexe, à savoir, le développement d'un nouveau code radical qui concerne l'encodage même et qui n'est pas simplement une permutation du code”. Morris Berman. Coming to Our Senses.
En bref, les mythèmes sont fluides, capables d'assumer différents profils relativement aux cinq composants de l'arche. Dans le langage de la mythologie comparée et de la psychologie des profondeurs, les mythèmes opérationnels sont dits “consteller” les activités humaines à la fgois dans le monde extérieur et au sein de la psyché personnelle. Cela signifie qu'un mythème tel que le sacrifice rassemble autour de lui une structure spécifique de dispositions (une constellation) à l'image d'un aimant qui attire la limaille de fer en une structure de rosette ou de huit. Les thèmes bâtissant l'arche de la métahistoire sont des outils pour détecter et déchiffrer ces schémas. Les cinq composants - la Nature Sacrée, l'Opposition, les Origines, la Technologie et le Dessein Moral - sont déclinés de façon extensive dans des essais individuels par ailleurs sur ce site.
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