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Ladakh, de la réalité au rêve,

chroniques d'une modernisation annoncée.

Samuel Constancy

Il y a tout juste un an nous arrivions au Ladakh extrémité nord de la péninsule indienne. C'est au cœur des contrées mythiques de l'Himalaya que la toute jeune association ARTERRE a choisi de réaliser son premier projet. Au programme: rencontre avec les peuples nomades, échange culturel en milieu scolaire et dons de semences à la communauté paysanne.  

Histoire de changement... climatique

Des temps qui changent, il en est un qui ne facilite pas la vie des paysans. Le climat s'est avéré pour le moins anormal sur l'année écoulée. L'été dernier, la mousson a franchi l'Himalaya pour donner d'abondantes pluies sur le désert Ladakhi entraînant de nombreuses inondations et des dégâts importants sur les maisons traditionnelles faites de terre et de bois. L'hiver quant à lui fût particulièrement doux et les chutes de neige quasiment nulles or c'est uniquement d'elles dont dépend l'approvisionnement en eau d'une ville comme Leh. Pour couronner le tout après un printemps plutôt clément, chutes de neige sur les sommets  et baisses des températures fin mai/début juin ont empêché la neige de fondre et donc l'eau de régénérer les nappes et les torrents créent une situation critique pour l'alimentation en eau des foyers et de grosses difficultés pour l'irrigation des cultures.

Nous sommes confrontés en ce moment à une explosion des populations d'un "cutworm" qui cause de gros degâts dans les champs de céréales et dans les jardins et qui a contraint le "Agriculture Department", sous la pression des paysans, à distribuer des pesticides!!! Le début de la fin? Présents depuis bien des annees, ces vers sont toujours restés dans des proportions sans grandes incidences mais cette année il en est autrement: serait-ce dû à un hiver anormalement doux?

Situé au nord de la chaîne de montagnes la plus haute au monde, ce pays d'altitude est un ancien royaume indépendant dominé par la culture et la religion bouddhiste du Tibet voisin. Au cours du siècle dernier, des évènements majeurs ont grandement influencé le mode de vie de ce pays et de ses habitants. Petit rappel historique.

1947, année de la partition de l'Inde, le Ladakh est rattaché à l'état du Jammu and Kashmir. En 1962, en réponse à l'invasion du Tibet occidental (partie nord-est du Ladakh) par la Chine, l'Inde envoie ses troupes pour combattre le long de la frontière sino-indienne. Ce sont alors 40 000 militaires et de nombreux camps qui s'établissent au Ladakh en plusieurs lieux stratégiques. En 1963, la route reliant Srinagar capitale du J&K à Leh capitale du Ladakh est achevée : le Ladakh perd son statut "d'île au-delà des montagnes". A partir de cette date, le pays devient la proie aux influences en provenance de Mother India, d'ordre culturel avec un brassage des communautés désormais facilité ou mercantile avec toutes sortes de produits manufacturés qui ont dès lors un nouveau peuple à conquérir. Ces importations engendrent de grands changements sur le mode de vie traditionnel qui était jusqu'alors caractérisé par une autosuffisance très marquée. Enfin en 1974, l'ouverture de la région au tourisme expose le peuple au mode de vie occidental faisant émerger une soif de développement économique seul capable de satisfaire les désirs matériels désormais installés.

Un villageois moud l'orge grillé à l'aide d'un Moulin à eau. Combien d'années encore ces moulins à farine tourneront-ils? Chez les jeunes, la tsampa est de plus en plus délaissée au profit du riz blanc en provenance des plaines du Punjab.

Dans tous ces bouleversements, l'agriculture n'est pas en reste. Elle qui constituait l'essence même de la société ladakhie est désormais reléguée au second plan. En effet, la nouvelle génération se désintéresse complètement de cette activité qui ne rapporte pas grand chose au niveau économique. Pour réussir dans la vie aujourd'hui mieux vaut se destiner à une carrière administrative, s'engager dans l'armée, ouvrir un commerce ou une agence de tourisme. Par ailleurs aux alentours de Leh et des lieux touristiques, la construction de Guest Houses prend une ampleur impressionnante et empiète de plus en plus sur les terres agricoles.    

Traditionnellement, l'agriculture était au centre de la vie; la population qui en dépendait totalement pour sa survie était pleinement dévouée à cette activité qui régissait tous les liens sociaux et occupait durant la saison la totalité des journées. Le courage, la force physique, la patience et la générosité sont parmi les fruits que les ladakhis ont cultivé en perpétuant cette tradition agricole.

Vivant dans un milieu aride et hostile, ce peuple a construit des villages le long des rivières qui descendent des glaciers créant ainsi de véritables oasis; ils ont apprivoisé l'eau par un réseau de canaux ingénieux aussi bien d'un point de vue technique que d'un point de vue social lorsqu'il s'agit de partager l'irrigation entre les différents champs et les différentes familles. Afin de limiter l'érosion des sols sablonneux, les champs sont disposés en terrasses.

La culture principale est l'orge, céréale particulièrement adaptée à l'altitude. Semée entre mai et juin en suivant des rites religieux particuliers, elle constitue la base de l'alimentation – sous forme de Tsampa, farine d'orge grillé ou de Chang, la bière locale. Le blé est également cultivé à moindre échelle pour la confection du Tagi pain levé, du Kambir galette ou de pâtes maison dans les soupes; puis viennent les pois qui constituent une source importante de protéines, la moutarde dont on extrait une huile utilisée pour l'allumage des lampes rituelles et la luzerne fourrage indispensable pour les vaches, yaks, dzos (hybride de la vache et du yak), chèvres et moutons gardés dans les étables pendant les longs mois d'hiver. Chaque famille possède également son potager situé à proximité de la maison et entouré par des murets de pierres sèches. On y cultive durant l'été oignons, carottes, radis, navets, pomme de terre. Dans les villages au climat plus favorable (bon ensoleillement et altitude inférieure) on trouve choux, choux fleurs, tomates, salades et épinards. La culture des arbres fruitiers y est également bien développée notamment dans la région de Sham où l'abricot, la pomme et les noix sont très présents.

Quand la révolution verte atteint le Ladakh

Voilà une révolution dont le Ladakh se serait bien passée…mais non, dès le début des années 1970, les engrais minéraux arrivent et sont distribués jusque dans les villages où ils sont acheminés à dos d'âne ou de cheval. C'est à cette même époque qu'un manque cruel de main d'œuvre se fait ressentir dans les familles: l'exode rurale bat son plein en particulier parmi les jeunes qui s'en vont tenter leur chance à Leh. Par ailleurs l'éducation des enfants se généralise (ce qui n'est pas un mal en soi) et ceux à qui incombait la tâche d'aller faire paître les troupeaux sur les hauts pâturages se retrouvent sur les bancs de l'école. Bon nombre de familles privées de leurs jeunes bergers sont alors contraintes de se défaire de leurs troupeaux de chèvres et de moutons qui en plus du lait et de la laine leur fournissaient une précieuse fumure nécessaire pour maintenir la fertilité des champs… alors on peut dire que les engrais sont arrivés au bon moment! Et les aînés restés seuls à cultiver les champs ont vu dans cette poudre magique à l'époque fortement subventionnée par le gouvernement une opportunité à ne pas manquer!

Au Printemps, sur les trottoirs de Leh, les graines hybrides F1 se vendent comme des petits pains.

Satisfaits au premier abord, il aura suffi de quelques épisodes de non approvisionnement de la dite substance pour que les paysans se rendent compte que tout cela ne tournait pas bien rond: sans l'épandage des engrais minéraux, ils n'arrivaient désormais plus en utilisant uniquement le fumier et le compost des latrines  à obtenir de belles récoltes comme ils l'avaient fait auparavant pendant des décennies. Quoiqu'il en soit le réseau routier a vite fait de se développer et les problèmes d'approvisionnement ne furent plus que du passé (eux aussi!). Aujourd'hui mis à part le département de l'agriculture conscient  des problèmes qui découlent de l'utilisation d'intrants chimiques et qui tend à en limiter l'importation, l'usage d'engrais au Ladakh est monnaie courante et les Ama-le sont devenues adeptes de l'urée qui dope la croissance de leurs légumes qui ont désormais une valeur marchande.

Pour ce qui est des pesticides, ils ont vite fait d'ébranler les principes fondamentaux de la religion bouddhiste qui prône le respect de la vie sous toutes ses formes et selon lesquels le plus petit insecte qui soit, fait partie intégrante de la Création que l'homme se doit de protéger. Le Karma est vite oublié quand il s'agit de gagner son retour sur l'investissement d'une culture de choux attaquées par les pucerons…mais à quel prix!

Enfin, la mécanisation se développe également et on peut voir ici et là (notamment dans le district de Kargil) quelques motoculteurs ou tracteurs labourer les terres. Mais d'une manière générale, la traction animale réalisée à l'aide des dzos domine toujours la scène.

 

Semences sans frontières au Ladakh

Riche de multiples expériences dans diverses fermes écologiques de par le monde, il était important pour moi dans le cadre de ce projet d'échange culturel initié par Arterre, de coopérer avec la communautés paysanne.

J'ai tout de suite pensé à l'association Kokopelli qui à travers son programme Semences sans Frontières supporte les paysans du monde entier vers une autosuffisance alimentaire. Dominique GUILLET a répondu avec enthousiasme à notre requête, l'aventure pouvait commencer.

Après une saison passée à s'imprégner de l'agriculture locale au sein de plusieurs familles de différentes régions, nous sommes revenus au début de cette année afin d'être présents au rendez-vous printanier des semailles. Ainsi à la fin du mois de mars, les premiers don de semences ont été fait dans la région de Da Hanu qui, en raison de son altitude moindre et de sa situation dans les gorges encaissées de l'Indus bénéficie d'un microclimat particulièrement doux. Appartenant au peuple Brogpa, les habitants de cette région ont une identité culturelle propre qui les démarque du reste de la population ladakhie. Cette clémence du climat leur permet de commencer la saison agricole plus tôt et d'avoir 2 cycles de cultures de céréales orge ou blé puis millet ou sarrazin. La région est également célèbre pour ses tomates, son raisin, ses noix, ses pêches, ses poires et surtout pour ses abricots qui une fois séchés sont consommés à travers tout le Ladakh et constituent pendant l'hiver une source importante de nutriments.

Par la suite la distribution de graines a continué auprès d'agriculteurs, de particuliers, d'ONG locales, d'un monastère, d'une nonnerie et d'écoles. Enfin plusieurs ateliers de production de semences ont pu être organisés afin de transmettre et de renforcer un savoir- faire en proie au fléau des hybrides F1. Au total ce sont près de 1000 sachets de graines de laitues, chicorées, épinards, betteraves, poireaux, radis, carottes, tomates et bien d'autres qui ont été distribués. L'initiative a été très bien reçue par la communauté paysanne et certains jardiniers ce sont montrés très motivés à l'idée de cultiver de nouvelles variétés et de nouvelles espèces dans leur potager.

Don de semences Kokopelli aux Nonnes de la Ladakhi Nuns Association, village de Sabu.

Un défi à relever…

On aurait pu penser que la situation extrême du Ladakh aurait su garder le pays à l'écart de la mondialisation et de toutes les complications qu'elle engendre. Mais les temps changent ici comme ailleurs et même ici plus vite qu'ailleurs. C'est bien cela qui frappe tant les esprits : voir un peu plus chaque jour des traditions séculaires s'effacer au profit de l'avènement de la culture économique mondiale.

L'agriculture Ladakhie a donc bien encore des révolutions à accomplir afin de trouver un équilibre. Puisse la jeunesse de ce  pays revitaliser cette activité qui a permis à ses ancêtres de s'établir dans ces contrées si rudes mais ô combien magnifiques.

Leh, le 7 juin 2007

Samuel CONSTANCY. Association Arterre. 125 A Chemin Finette. 97490. Sainte Clotilde. Ile de la Réunion.

Blog: http://unaneninde.uniterre.com/

 

Bibliographie. Pascal DOLLFUS 1989, lieu de neige et de genévriers, Paris, CNRS Editions.