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L'Abeille et la Vie
Maurice Chaudière
Pour obéir au destin de son espèce, chaque individu doit d'abord s'accomplir et pour cela trouver dans son environnement immédiat les nutriments indispensables à son épanouissement. Il semblerait ainsi que chaque espèce ait identifié au sein de son écosystème la diversité des ressources dont elle serait, en quelque sorte, l'expression.
L'image de la ruche, individu multiple et solidaire s'il en est, illustre assez bien cette évidence: elle est faite de ce qu'elle consomme. La nature de la cire qu'elle sécrète, la qualité du miel qu'elle mûrit, du pollen qu'elle conserve, comme celle de la propolis faite de substances si diverses, révèle à l'analyse le champ de ses investigations. Les archéologues, de la même façon, nous renseignent, en étudiant les reliefs de nos lointains ancêtres, sur leur régime alimentaire et par là sur la nature de leur environnement. Or, qui pourrait dire aujourd'hui, si aberrants s'avèrent nos modes d'alimentation, de quoi nous sommes faits! Il faudrait démêler, des éléments les plus archaïques de notre provende, tous ces ingrédients devenus indispensables à la stabilisation des denrées, voire à leur stérilisation, pendant que l'existence même de nos cellules reste affamée de vie.
Si j'évoque, si volontiers, le comportement de l'abeille à propos de vie, qu'il s'agisse de la nôtre ou de toute autre espèce, c'est que sa colonie, multiple et unitaire, se prête aisément à notre étude. Elle nous permet sans anesthésie ni dissection de voir comment fonctionne cet ensemble de cellules dont il semble que chacune soit animée d'un programme qui, lui-même, ne cesse de d'évoluer tout au long de sa vie. Ce renouvellement continu assure celui de la colonie dont seule subsiste, quand celle-ci vient à disparaître, la propolis.
Quand on sait qu'une colonie prospecte autour d'elle près de trente hectares, et que sa pâture varie tout au long de l'année, on peut alors imaginer la richesse et la diversité de ses nutriments.
Or depuis que l'homme est homme, il parasite l'abeille. Quoi d'étonnant qu'en un temps où l'on s'inquiète des altérations de notre “qualité de vie”, on en vienne à demander secours aux abeilles!
Encore faut-il pour qu'une ruche survive en son milieu qu'il ne soit pas pollué par notre Culture. J'entends par Culture tous les aménagements apportés à la Nature pour la rendre plus productive: l'Agriculture, l'Apiculture, la Sylviculture, la Pisciculture, etc, tout ce qui perturbe l'ordre établi depuis des millénaires et qui nous a permis, dans un sursaut de bon sens, de convevoir l'Ecologie!
Il va de soi qu'une ruche posée au milieu d'hectares de tournesols parfaitement désherbés pourra produire du miel, beaucoup de miel parfois. Mais, passée la saison des fleurs, elle n'aura plus aucune ressource si on la laisse en place. Elle en mourra. La solution, en ce cas, c'est la transhumance. Peut-être en sera-t-il ainsi de nous, nomades de la consommation, déplaçant nos existences au gré de l'emploi, des vacances, de la politique ou de l'économie mondiale?
Un autre enseignement issu de l'observation des abeilles et qui me convaincrait, s'il en était besoin, de l'impérieuse nécessité de protéger autour de nous la biodiversité, c'est le regain d'énergie que l'on peut provoquer auprès d'une ruche déficiente en la libérant du carcan auquel l'Apiculture moderne l'avait astreinte. Dès que le couvain d'une ruche s'avère irrégulier ou malade, si on délivre l'essaim de ses cadres armés de cire gaufrée, de ses fils métalliques et de son habitacle plus ou moins cubique et si on le remet dans sa “condition de nature”, c'est à dire sans aucun de ces artifices, en le laissant s'installer dans un abri de fortune où il aura toute liberté de se constituer en grappe, il aura retrouvé sa meilleure condition d'incubation. Or l'incubation est la fonction esentielle de la ruche puisque la colonie est tenue de couver son élevage pour assurer le renouvellement permanent de sa population, chaque abeille survivant peu de temps à sa propre tâche. Encore faut-il que son environnement soit varié et indemne de tous les produits toxiques dont on fait si souvent usage pour donner à nos campagnes cette “propreté” qui fait parfois notre fierté!
Ainsi ai-je imaginé un lieu de cure où il serait possible d'installer ceux qui parmi nous seraient en détresse pour les remettre dans une “condition de nature” propre à notre espèce. Ce serait les inviter à vivre de leur milieu comme le firent nos ancêtres paysans. Avant que les routes et les voitures automobiles ne les aient invités à partager l'aventure urbaine, ils étaient bien tenus, dans la proximité d'une Nature qu'ils n'avaient pas encore émasculée, de vivre seulement d'elle, c'est à dire dans la profusion du vivant... comme des abeilles.
Une ferme pourvue d'un rucher où les patients, sans trop d'efforts, seraient invités à cueillir ou à produire une part de leur provende, conviendrait, j'en suis sûr, au réveil de bien des énergies... à plus forte raison si la cure pouvait s'accompagner d'une consommation journalière de produits de la ruche: du pollen frais, de la gelée royale, de la propolis ou de venin selon le cas. Ce serait reconnaître aux abeilles des vertus autrefois honorées et que les grands mythes ont, à leur façon, célébrées. Les flèches d'Eros ne seraient qu'abeilles à la discrétion d'Aphrodite. On m'a dit aussi que l'Artémis d'Ephèse, dont le temple était l'une des sept merveilles du monde, avait à ses pieds un essaim.... Parmi les hiéroglyphes d'Egypte, la représentation de l'abeille est fréquente. Il est peu de civilisations qui ne lui aient rendu hommage. Il n'y a que nous pour la traiter avec la désinvolture que l'on sait! La mettant en boîte et l'abreuvant parfois de produits dont on aimerait bien se passer, fluvalinate, amitraz, antibiotiques et j'en passe.
Nous sommes, les abeilles et nous, dans le même bateau. Si on s'appliquait à respecter leur intégrité sauvage, car elles n'ont jamais été domestiquées mais seulement “exploitées”, alors notre comportement lui-même en serait changé. A vivre au rythme des abeilles, c'est à dire au rythme de la nature, on aurait quelque chance de “se refaire une santé”.
Ce qui est étonnant, dans cette relation «homme-abeille», c'est qu'il soit possible de prélever sur la ruche une part de son bien sans pour autant la ruiner!
Alors, dans une société, où tout tourne au profit, la connaissance de l'abeille et de ses ressources pourrait nous inspirer une école, une épargne, une philosophie peut-être. Puisse-t-elle nous inviter, en nous aidant à vivre à changer de cap!
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