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Requiem pour nos Abeilles
Dominique Guillet
Le Gaucho et le Régent dédouanés
par les experts européens “indépendants”
En janvier 2006, l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf, 22 000 adhérents, et 48 % des ruches françaises) exprimait ses craintes de voir de nouveau autorisés le Gaucho et le Régent TS.
Les craintes de l’Unaf étaient très justifiées.
Fin janvier 2007, le site du figaro.fr informe que : “Les résultats de l’enquête multifactorielle de l’Afssa sur les troubles des abeilles constatés en France au milieu des années 1990 ne sont toujours pas sortis. Ils ne devraient pas être visibles avant longtemps. Le laboratoire de Sophia-Antipolis attend, en effet, la venue d’un statisticien pour traiter le monceau de données accumulées entre 2002 et 2005. Le retard est dû à des problèmes budgétaires.”
Des problèmes budgétaires dans l’Afssa! Peut-être les apiculteurs devraient-ils se cotiser? Peut-être l’Afssa pourrait-elle lancer une tombola ou demander une subvention à Bayer Crop Science?
Le 2 février 2007, une proposition de résolution est présentée à l’Assemblée Nationale, par le député Jacques Remillet, “tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de la surmortalité dans les ruchers français”.
Dans l’exposé des motifs:
- “Depuis dix ans, l’apiculture en Europe et en France vit la plus grave crise de son histoire. En France, 1 500 apiculteurs cessent leur activité, chaque année, depuis vingt ans. Alors que la moyenne d’âge s’élève pour atteindre aujourd’hui 65 ans, 5 000 emplois liés à l’apiculture sont directement menacés. Avec 33 000 tonnes produites (environ 30 kg par ruche), la production a chuté de 10 000 tonnes depuis dix ans, soit une baisse de 1 000 tonnes par an. (NB: en fait, la production de miel en France est passée de 33 000 tonnes à 16 500 tonnes, de 1995 à 2003).
- Lors du 16e congrès national de l’apiculture française qui s’est tenu à Bourg-en-Bresse du 13 au 15 octobre 2006, l’unité abeille de l’AFSSA a a indiqué que les mortalités d’abeilles pendant l’hiver 2005 ont été très importantes (sur les 18 ruchers enquêtés, on constate 74 % de mortalités en moyenne soit 74 % des ruches n’ont pas passé l’hiver).
- janvier 2007 : l’étude multifactorielle prospective 2002/2005 de l’AFSSA, dont les conclusions viennent d’être connues, montre que les causes de la surmortalité des abeilles sont d’origine multifactorielle. On ne peut invoquer une cause unique. Parmi les causes majeures : des parasites (Varroa et Nosema Ceranae) et le manque de biodiversité (avec notamment des manques de nourriture de qualité pour les abeilles : pollen). L’AFSSA indique que 125 colonies d’abeilles ont été observées dans cinq départements avec quatre visites par rucher par an pendant trois ans (de 2003 à 2005).” (NB: en fait le député précise dans une note que les résultats sont connus mais non publiés).
“- Deux conclusions méritent d’être soulignées.
1. Les experts européens confirment de manière très nette les conclusions du rapport de l’AFSSA sur l’absence de risque du Fipronil pour la santé humaine : « Aucun potentiel génotoxique ou cancérogène n’a été mis en évidence. Le mécanisme d’induction des tumeurs thyroïdiennes a été discuté par les experts et considéré comme étant une réaction spécifique aux rats et non significative pour les humains. Aucune toxicité au niveau de la reproduction ou du développement n’a été observée. Les études neurotoxiques spécifiques ne révèlent aucun élément histopathologique dans le système nerveux ». Le Fipronil étant néanmoins toxique en cas d’inhalation, d’ingestion ou d’exposition cutanée intensive, le rapport propose la classification T (toxique), rejoignant en cela de nombreux produits de la pharmacopée actuelle.
2. Selon les experts européens, l’usage du Fipronil lié au traitement des semences de maïs et de tournesol ne représente pas de risque pour les abeilles butineuses : «Aucun effet néfaste concernant les mortalités d’abeilles et leur survie n’a été observé dans l’ensemble des études effectuées sous tunnel.» En outre, les experts ont noté qu’«il n’y avait aucune évidence probante permettant d’attribuer les incidents [de mortalité d’abeilles] à l’usage du Fipronil, hormis un seul cas, qui est attribué à une mauvaise qualité d’enrobage de tournesol ».
Conclusion : en 2004, le ministère prend une décision dans le flou scientifique en souhaitant appliquer le principe de précaution en attendant les conclusions des scientifiques (AFSSA, EFFSA). Et aujourd’hui, les conclusions dédouanent les produits incriminés deux ans après leur suspension (Gaucho et Régent).
À ce sujet, l’interview donnée par Hervé Gaymard à VSD, le 18 novembre 2004, est éclairante sur la pression médiatique d’alors : « Dans l’affaire du Régent et du Gaucho, il y a eu un emballement médiatique qui n’était sans doute pas étranger aux élections régionales de 2004. Mais le problème, c’est que des études scientifiques disent aujourd’hui que cette mortalité des abeilles ne serait pas due qu’aux pesticides incriminés, et là, pas un mot dans aucun journal de vingt heures. Il y a bien deux poids, deux mesures… Pourquoi ces nouvelles études seraient-elles moins fiables que les autres qui m’ont conduit à interdire les deux pesticides ? Et je peux vous révéler qu’elles montrent que la surmortalité des abeilles est aussi constatée dans des départements où ces produits n’ont pas été utilisés ».”
Précisons, cependant, toujours selon le site du figaro.fr, que: “L’enquête de l’Afssa révèle notamment que dans les cinq dépar-tements, les différentes « matrices » (miel, cire, pollen) sont contaminées à faible dose par les produits phytosanitaires agricoles (imidaclopride, fipronil, endosulfan, deltaméthrine, parathion-méthyl et d’autres). Elles sont contaminées aussi par des résidus de substances (coumaphos et fluvalinate) utilisées par les apiculteurs pour lutter contre les maladies causées par le varroa, un acarien parasite qui a envahi les ruches du monde entier à partir des années 1990. Un seul cas de mortalité due à une toxicité aiguë a été constaté, les analyses ayant révélé après coup la présence d’endosulfan et de fluvalinate dans les abeilles mortes.”
De plus, selon les chercheurs de l’Affsa: « Nous avons constaté plusieurs pratiques apicoles inadaptées. Parmi celles-ci, l’utilisation de produits non homologués pour le traitement de la varroase » et « Les anomalies concernant l’alimentation des abeilles, qui ont été suspectées en raison de la situation de certains ruchers, ont pu avoir des conséquences sur la santé des colonies ».
Du Principe de Précaution... pour la santé financière
des multinationales de l’agro-chimie!
La première question qui se pose est de savoir si on peut faire confiance aux scientifiques de l’Afssa et aux experts Européens. Selon la formule consacrée, sont-ce des experts “indépendants” à la solde de l’agro-chimie?
En effet, tout porte à croire que ce dossier est à la hauteur du dossier relatif au scandale des pesticides en France depuis 1941. Le dossier de l’apiculture pue le mensonge, pue la corruption, pue la magouille, pue la désinformation.
Il n’est que de lire le chapitre “L’affaire du gaucho, la vérité est ailleurs” de l’ouvrage de Nicolino et de Veillerette “Pesticides. Révélations sur un scandale français”.
A la lecture de cet ouvrage, il est clair que la mafia des pesticides, la mafia de l’agro-chimie a pris l’agriculture et le peuple en otages en France (et sur tout le reste de la planète).
Pouvons-nous faire confiance à la direction de l’INRA, à la direction de l’Afssa, à la direction de la DGAL, au vu de ce qui se trame dans ce pays depuis 60 années? Non, mille fois non.
Pouvons-nous faire confiance aux experts Européens qui viennent de dédouaner le Gaucho et le Régent lorsqu’on sait qu’ils sont en fait des experts de l’EFSA à Bruxelles, qui est dirigée depuis février 2006 par Mme Geslain-Lanélle?
Au risque de fâcher, nous serions enclins à dire non, mille fois non. Mme Geslain-Lanélle était à la tête de la DGAL de 2000 à 2003 et sa gestion du dossier Gaucho et du Régent, à l’époque, n’est pas des plus brillantes.
Pour citer Nicolino et Veillerette “Sous Guillou et Geslain-Lanéelle, la gestion du dossier a amplement démontré que l’administration française soutenait les intérêts industriels contre ceux de la santé publique”.
Nous n’en doutons aucunement. Et cela fait des dizaines d’années que cela dure. Témoins la mortalité des abeilles, la pollution de la quasi totalité de nos cours d’eaux et nappes phréatiques (voir les études de l’IFEN), et la France qui se meurt de cancer et autres maladies mutagènes, tératogènes, etc (voir les travaux du Professeur Belpomme.)
Un point important reste à souligner. Selon les députés: “Si les butineuses sont aussi importantes pour la biodiversité comme le montrent les chercheurs et les apiculteurs, la question de la surmortalité des abeilles doit être abordée par une commission d’enquête.”
Messieurs les Députés, la surmortalité inexpliquée des abeilles (et inexplicable si l’on dédouane avec expertise le Gaucho et le Régent) existe depuis 1992. Pourquoi donc avoir attendu 15 années avant de proposer la constitution d’une commission d’enquête???
Parce que la catastrophe n’était pas encore à ce point catastrophique qu’elle mettât en danger la pollinisation des espèces agricoles? Parce qu’il y a des choses à cacher?
Autre question essentielle: comment les expert européens peuvent ils maintenant dédouaner le Gaucho alors que l’imidaclopride, son principe actif, est actuellement considérablement incriminé outre-atlantique?
Se peut-il que les experts apicoles des universités US soient trop nombreux pour être menacés par les multinationales de l’agro-chimie?
Cet extrait (page 59) de l’ouvrage de Nicolino et Veillerette est éclairant à cet égard:
“L’hécatombe est devenue si monstrueuse qu’en janvier 1999, le ministre de l’agriculture en titre, le socialiste Jean Glavany, suspend l’usage du Gaucho sur le seul tournesol. Cris d’orfraie de Bayer et requête devant le Conseil d’Etat. Et la valse continue, conduite de main de maître. Gérard Eyries, directeur marketing de Bayer-Agro France, déclare avec un sens de l’humour singulier: « Plus vite nous convaincrons le ministère de l’innocuité de notre produit sur les abeilles, plus vite nous pourrons remettre notre produit sur le marché ».
Un peu plus tard Bayer publie une brochure extraordinaire qui s’intitule “A propos de la santé des abeilles”. On peut voir sur la couverture deux abeilles en ombres chinoises, sur fond de coucher de soleil. Le propos est un rien énorme, qui tente de démontrer, avec force larmes de crocodile, que les abeilles sont très malheureuses, victimes d’une infinité de maladies et de virus. Heureusement qu’on a le Gaucho, heureusement! Extrait du dernier paragraphe: « Il est évident que si la société Bayer n’était pas convaincue de l’innocuité du Gaucho, elle aurait déjà pris les mesures qui s’imposent. ».
On n’en doute pas. Des nouvelles études vont d’ailleurs permettre à Bayer de prouver sa bonne foi. Par la première, Jean Marc Bonmatin, un chimiste du CNRS, démontre la présence d’imidaclopride - matière active du Gaucho - dans le capitule et le pollen d’un tournesol traité, ce que Bayer jugeait pourtant impossible. Le coup est rude, car les apiculteurs tiennent enfin un argument scientifique indiscutable. Si l’insecticide est dans le pollen et que l’abeille butine ce dernier, elle peut donc être la victime du Gaucho. CQFD. Que va faire Bayer? Montrer les dents et de très vilaine manière. Dans une lettre terrible, la multinationale menace Bonmatin d’une demande de dommages et intérêts et d’une plainte en diffamation s’il continue à s’expliquer publiquement. Bonmatin, qui n’a jamais vu cela de sa vie, s’inquiète, à juste titre. Ses travaux seront contrôlés à sept reprises et ses crédits rognés jusqu’à empêcher certaines de ses investigations.
L’autre étude gênante est signée Marc Edouard Colin. C’est un excellent spécialiste des abeilles à l’INRA, grand institut public, s’il en est. Pour son malheur, entre 1998 et 2000, Colin découvre que des doses infinitésimales d’imidaclopride peuvent intoxiquer une abeille. Entre 3 et 9 ppb (parties par milliards), les anomalies apparaissent. Bayer, à l’époque où tout n’était que joie et volupté, prétendait que des effets néfastes ne sauraient apparaître au-dessous de...5000 pbb. Une paille, n’est-il pas? Colin ne l’emportera pas au paradis. L’INRA qui l’emploie depuis 10 ans, lui ordonne de changer de sujet d’étude. L’écotoxicologie de l’abeille, c’est fini pour lui. Il quittera l’INRA avant de rejoindre l’université à Montpellier. Ah mais! Qui commande?”
Monsieur le député Jacques Remillet et Messieurs les autres députés, sont-ce ces mêmes études que vous qualifiez de “flou scientifique” dans votre proposition de résolution à l’Assemblée Nationale?
Ou bien sont-ce toutes les autres études qui ont été publiées depuis 20 années quant à l’impact des pesticides sur la vie des insectes? Car ces études ne manquent pas.
Des chercheurs de l’INRA (Institut national de la Recherche Agronomique) ont étudié depuis fort longtemps les impacts des pesticides sur les abeilles et les autres insectes pollinisateurs. Dès 1985, Jean-Noël Tasei étudiait l’impact des pesticides sur les abeilles solitaires, tel que l’impact de la deltamethrine sur l’abeille solitaire, Megachile rotundata.
Selon Jean-Noël Tasei, qui est chercheur au laboratoire de Zoologie de l’INRA de Lusignan, “leur action peut être directe, mais elle est assez souvent indirecte par les résidus déposés sur les plantes, contaminant la nourriture des insectes mellifères : pollen et nectar. Divers symptômes affectent les adultes, la survie des insectes cachant parfois des conséquences sublétales des traitements, affaiblissant leur potentiel de reproduction”
Signalons toutes les études effectuées en France par les chercheurs Bonmatin, Moineau, Charvet.
Signalons toutes les études effectuées en France par les chercheurs Colin, Belzunce, Suchail , De Sousa , Rahmani, etc. et dont certaines ont pour sujet l’impact de différents pesticides en synergie.
En Roumanie, en 2002, des chercheurs ont étudié l’impact de l’insecticide chlorpyrifos lors d’une utilisation qui décima 80 % des abeilles de la région.
En Roumanie, en 2002, des chercheurs ont étudié l’impact de la deltamethrine sur les abeilles.
Une étude a été réalisée en Italie sur l’impact sur les abeilles de l’organochlorine, de l’organophosphore, du carbammate et des neonicotinoïdes.
En fait, il existe des centaines d’études qui existent de par le monde pour prouver que les pesticides tuent nos abeilles. Mais ils enrichissent les multinationales.
Rappelons que l’imidaclopride est distribué par la firme Bayer sous des noms divers et variés: Gaucho , Merit, Admire, Confidor, Hachikusan, Premise, Advantage, etc.
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