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Bilan de santé de la PAC:
Pas encore un paquet de mesures de sauvetage
Hannes Lorenzen
L’année 2008 aura été celle des parachutes à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros offerts aux banquiers ruinés. Il n’y aura pas eu de protection comparable destinée au milliard d’êtres humains souffrant de la famine. Ce n’est que depuis que les bourses traversent la tourmente à l’échelle planétaire que l’engagement de l’État est redevenu acceptable aux yeux de tous. Même la Commission Européenne, hier encore à la pointe de la libéralisation commerciale internationale, a rétabli en fin d'année, à titre de protection, des droits de douane pour les importations de blé afin de pouvoir maintenir un prix minimal au sein du marché intérieur.
Les pays en développement, qui insistent pour bénéficier de ces mêmes droits de douane à l’importation afin de protéger leur approvisionnement local en denrées alimentaires, étaient naguère encore traités de “protectionnistes” par le commissaire européen au commerce. La durée de validité des dogmes politiques est bien brève.
Les fonds de matières premières agricoles étaient encore, au printemps dernier, l’astuce pour les spéculateurs ébranlés qui venaient de perdre beaucoup d’argent aux États-Unis dans le secteur immobilier. L’hiver est maintenant arrivé et le moral est au plus bas. En l’espace de quelques semaines, la crise financière a non seulement diminué de moitié le prix du pétrole brut mais, avec lui, ce sont également les cours des produits agricoles qui s’effondrent. Croire que du coup la fin des prix élevés des denrées alimentaires aurait sonné et que les pauvres et les affamés s’en trouveraient soulagés est une erreur. Comparativement à la chute vertigineuse des prix du pétrole et des matières premières agricoles, les prix des denrées alimentaires pour le consommateur final sont en effet restés presque constants, jusqu’à présent, ou bien seulement en légère baisse.
En effet, selon le Wall Street Journal, comme «les consommateurs n’ont aucun lien avec l’agriculture et ne savent pas que les prix des matières premières baissent», les géants du commerce s’autorisent des milliards de bénéfices supplémentaires. Ils profitent ainsi triplement de la crise: ils paient immédiatement aux paysans les prix les plus bas, qui ont littéralement chuté en bourse; ils maintiennent, dans les supermarchés, les prix pour le consommateur final au niveau le plus élevé possible; enfin, ils investissent ces profits supplémentaires en rachetant des concurrents affaiblis. Leur puissance de marché grimpe par conséquent à un rythme fulgurant.
La crise financière entraîne une extrême fluctuation des prix agricoles et des risques régionaux relatifs à l’approvisionnement. Dans les pays en développement, des marchés de denrées alimentaires qui fonctionnaient ont été détruits.
Parallèlement, l’aide au développement y a été investie principalement dans les routes et les ports destinés à l’exportation vers les pays industrialisés. Les émeutes de la faim qui se sont produites dans une grande partie du monde étaient par conséquent prévisibles. Depuis de nombreuses années, la FAO, organisation mondiale de l’alimentation, nous met en garde contre le recul des investissements dans le développement rural et les structures locales d’approvisionnement. Le rapport mondial des Nations Unies sur l’agriculture publié récemment recommande donc de garantir avant tout la sécurité alimentaire par le renforcement d’une production diversifiée, durable, basée sur de petites exploitations, ainsi que des structures d’approvisionnement locales et régionales.
Un changement de politique agricole aussi radical est véritablement nécessaire. L’agriculture industrialisée dépend du pétrole. Elle livre des matières premières qui peuvent être transformées soit en denrées alimentaires, soit en sources d’énergie. Les produits agricoles deviennent ainsi un objet de spéculation. En revanche, les produits alimentaires qui sont vendus sur des marchés locaux et régionaux fonctionnant correctement ne sont d’aucune utilité aux yeux des boursicoteurs.
La résistance à l’établissement de règles du jeu qui empêcheraient la spéculation sur les produits alimentaires est toutefois immense. Comme les banques, le lobby agricole exige lui aussi avant tout une compensation de ses pertes. Il s’oppose à toute nouvelle répartition des aides agricoles au profit d’un approvisionnement plus durable (à titre préventif) et socialement plus juste en produits alimentaires.
A l’occasion du “bilan de santé” de la politique agricole commune, la Commission Européenne a aussi cédé à cette pression en acceptant le compromis du Conseil Agricole qui continue dans la logique de compensation pour des pertes de revenus du secteur agricole. Elle identifie certes correctement tous les problèmes pressants auxquels l’agriculture se voit confrontée: changement climatique, perte de la diversité des espèces, pénurie d’eau et besoins croissants en énergie. Mais elle n’établit toutefois pas de feuille de route contraignante pour l’adoption de mesures visant à les résoudre.
Comme dans le cas des paquets de mesures de sauvetage destinés aux banques à court de liquidités, on continue, bien au contraire, d’injecter de l’argent dans le soutien - conforme à l’esprit du système - apporté à la compétitivité internationale de l’agriculture, car c’est le commerce agricole, et non l’agriculture, qui rapporte le plus. Le président Barroso plaide en faveur d’une “révolution verte” qui s’opérerait à l’aide du génie génétique; la commissaire à l’agriculture, Mme Fischer Boel, veut abolir les quotas laitiers afin de conquérir des marchés en Inde et en Chine. (La Commission Européenne, après avoir promis au sein de l'OMC de terminer toute sortes de primes à l'exportation a relancé des aides à l'exportation de lait en Janvier 2009).
Or, ce sont bien ces “œillères” conservatrices qui bloquent le nécessaire changement de système dans le domaine de la politique agricole.
La chance de la crise réside toutefois précisément dans le fait que les failles des secteurs financier et agricole font apparaître des solutions alternatives. Nous assistons, dans le monde entier, à un nombre croissant d’initiatives locales en matière d’approvisionnement et de commercialisation directe, qui permettent aux paysans et aux consommateurs locaux de bénéficier d’un approvisionnement fiable en produits alimentaires, et ce à des prix stables. Des réseaux de semenciers travaillent pour une exploitation durable de la biodiversité, qui apporte à la fois l’indépendance vis-à-vis des multinationales de semences et une meilleure sécurité des rendements. Des villes comme Amsterdam et Copenhague promeuvent la production biologique dans la campagne environnante afin d’économiser les transports et de préserver les nappes phréatiques. La grève des livraisons menée par les producteurs de lait, ainsi que les régions exemptes de cultures transgéniques, sont également des mouvements importants dirigés contre la puissance de marché des grandes surfaces.
L’Union Européenne serait tout à fait en mesure de promouvoir, par l’innovation socio-écologique, une nouvelle compétitivité dans l’économie rurale et de mettre ainsi en œuvre sa stratégie de développement durable. Une promotion des technologies économes en énergie et préservant le climat, ainsi que des concepts locaux et régionaux de sécurité alimentaire et de commercialisation et des partenariats entre entreprises moyennes, établissements de formation et réseaux de la société civile ont été instaurés dans le cadre de programmes communautaires tels que LEADER, INTERREG, URBAN et EQUAL, mais ne reçoivent qu’une part minime des aides agricoles et structurelles. La méthode LEADER se trouve hors d’atteinte des spéculateurs et du lobby agricole. Elle soutient les populations locales en les aidants à gérer de manière plus durable et à s’aider elles-mêmes.
Comme c’est le cas pour les règles financières internationales qui, à présent, peuvent manifestement faire l’objet d’un consensus au vu du risque d’effondrement des marchés financiers, la Commission Européenne devrait également soutenir l’adoption de nouvelles règles au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Des contrôles de la sécurité alimentaire et un accès qualifié au marché, comme l’exige le Parlement Européen contre le dumping social et écologique, constitueraient des instruments efficaces pour ne plus favoriser à l’avenir que des pratiques agricoles, et ne commercialiser à l’échelle internationale que des produits, qui participent de manière avérée à une gestion durable des sols, des eaux, de la biodiversité et des sources d’énergie et qui ne nuisent pas au climat.
Janvier 2009. Hannes Lorenzen, allemand de la région de Friesland du Nord est conseiller politique à la Commission de l'Agriculture et de Développement Rural du Parlement Européen. Il est également modérateur de divers réseaux Européens engagés dans la durabilité.
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