Les Abeilles sont au Parfum
Maurice Chaudière
Les abeilles qui, comme nous, vivent de l’air du temps, ont sur nous l’avantage, si ç’en est un, d’être particulièrement sensibles à la qualité de leur environnement. Quand celui-ci se dégrade, elles en meurent. L’un des signes de la dégradation de notre environnement, comme chacun le sait, c’est l’altération de son odeur. Or les abeilles y sont particulièrement sensibles. Elles ne s’expriment, quant à elles, que par l’émission simultanée de vibrations de sons et d’odeurs. Ne pouvant survivre qu’en colonie, elles ont besoin pour communiquer, et assurer la cohésion de leur grappe, d’émettre un certain nombre de parfums. Elles sont d’autre part appâtées par les effluves de leur environnement. Celui-ci, particulièrement complexe, émane des fleurs, des feuilles, des fruits et plus globalement de tous les éléments indispensables à l’épanouissement de la vie sur terre. Ainsi savent-elle détecter la présence de l’eau, les vibrations de la lumière, la menace d’un orage ou l’imminence de la pluie. Les mauvaises odeurs les contrarient beaucoup: échappements de gaz des moteurs, émanations diverses de prédateurs qui pourraient les approcher, parmi lesquels l’homme n’est pas le moins suspect !
Bref, elles sont particulièrement sensibles aux pollutions qu’engendre l’évolution de notre techno-culture. Ainsi nous tiennent-elles lieu de “fusibles”! Il est donc important de savoir qu’actuellement, en certains pays fortement industrialisés, les colonies d’abeilles s’effondrent : 80 pour 100 du cheptel apicole, paraît-il, en Californie…
Ces considérations alarmantes, ne nous empêchent pas de poursuivre... « Notre salut est dans la hâte et la résiliation » disait le poète ! Mais peut-être, tenant compte de la sensibilité sinon de l’intelligence d’une nature demeurée vierge parfois de toute exploitation humaine, peut-être devrions-nous, en respectant l’Abeille, honorer le parfum de vie qui lui tient lieu d’empire.
Ainsi faut-il savoir que l’Abeille, parmi les innombrables attributs qui lui permettent d’exister et de se perpétuer, possède un organe particulier, dit : glande de Nassanov. Elle se trouve au bout de l’abdomen. L’abeille en use à tout propos. Elle émet grâce à cet organe un parfum suave qu’elle accompagne de vibrations sonores en bruissant des ailes. Ainsi indique-t-elle l’entrée de sa ruche dès qu’elle l’a retrouvée, invitant ses sœurs à suivre le même chemin. Un essaim se déplaçant en l’air n’est qu’un volume d’odeurs et de sons.
Un autre parfum qui ne manque pas d’appâter nombre de prédateurs, c’est en saison de récolte, l’exhalaison des effluves émanant de la ruche, en pleine miellée. Les cétoines, le sphinx atropos, la fouine, l’ours, et beaucoup d’autres amateurs de miel y sont très sensibles.
Plus prestigieux encore, parmi les parfums de la ruche, celui de la gelée royale !Le pollen, multiple et variable au grès des saisons, a des saveurs et des odeurs qui révèlent sa provenance. Mais il y a aussi et surtout le venin. Il laisse trace sur l’intrus qui, de quelque façon, a profané l’environnement de la ruche. Si la victime ne s'éloigne pas de la ruche, l'odeur du venin désigne au reste de la troupe le point où il faut frapper. J’ai su ainsi qu’au Mexique, dans le Michuacan, un taureau à l’entrave chez l’un de mes amis avait succombé sous l’assaut de milliers d’abeilles “africanisées”; dans le Chiapas, pendant mon séjour, ce furent un vieil homme et son cheval qui subirent le même sort…
Il y a l’odeur de la cire, variable selon qu’elle est blonde et vierge de toute ponte, ou bien brune et chargée des résidus de l’élevage multiple et continu du couvain.Or la cire qui est une graisse animale, a aussi, comme l'axonge, le pouvoir de fixer les parfums.
Il faut enfin savoir que la cohésion de la grappe d’abeilles autour de la reine tient à l’émission de phéromones qu’elle seule est en mesure de produire. Ce parfum singulier varie de colonie en colonie si bien qu’une abeille étrangère essayant d’entrer dans une ruche autre que la sienne, sera vite identifiée et mise à mal.
Il y a sans doute, dans la complexité vivante d’une colonie d’abeilles, d’autres parfums … la mauvaise odeur, entre autres, d’un couvain malade. Mais, pour en finir avec l’évocation des charmes odorants de cette espèce, je dirais qu’il émane, à l’approche du rucher au printemps, un parfum qui pourrait être son expression la plus heureuse !… Euphorisant en tout cas, ce parfum ! si bien que l’apiculteur qui le hume n’en éprouve que gratitude : il baigne dans une volupté qui semble stimuler son énergie… si bien que, convenant de cet effet bénéfique, certains médecins se sont appliqués, en Allemagne tout particulièrement « à mettre au parfum » (au sens stricte cette fois) leurs patients pour les rasséréner. Ils ont permis cette immersion au moyen de tuba plongeant dans les entrailles de la grappe.
Je faillirais à cet exposé si je n’évoquais le puissant arôme de la propolis, récoltée par les butineuses parmi la gomme des bourgeons, la coulée des résines et autres exsudats végétaux auxquels s’ajoutent des sécrétions organiques qui leur sont propres, comme la cire. Le parfum de la propolis, substance pratiquement inaltérable, garde pour l’abeille un pouvoir attractif qui fait que, des ruches mortes depuis longtemps, attirent encore des abeilles en mal d’essaimage.
Le monde des abeilles est en soi un univers de parfums. Pas étonnant que l’homme, initié depuis la préhistoire à ses charmes souverains, et habile comme il l’est à prêter forme à ses désirs, ait confié la garde des parfums les plus subtiles ou les plus érotiques, à la cire tout particulièrement. On parle en ce cas, si je ne m’abuse « d’enfleurage. »
Février 2008
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