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L'Agro-écologie, unique solution

pour régénérer les terres dévastées de l'Inde

Bernard Declercq

Traduction de Dominique Guillet

Deux visions de l'agriculture

On définit l'agriculture écologique comme un système de pratiques qui s'inspirent des processus vivants à l'oeuvre dans une nature généreuse et abondante. C'est aussi une agriculture qui coopère avec ces processus naturels. Ses fondements sont profondément philosophiques et spirituels et c'est de par cette dimension que l'agriculture écologique se situe aux antipodes de l'agriculture conventionnelle matérialiste. L'agriculture écologique respecte toute vie sur terre et perçoit la Nature comme sacrée.

Cette définition correspond très largement, sinon entièrement, à la plupart des “écoles” au sein de cette agriculture écologique: agriculture biologique, agriculture bio-dynamique, agriculture bio-intensive, agriculture naturelle, permaculture, etc...

L'agriculture conventionnelle, qui est référée également comme l'agriculture chimique, l'agriculture intensive, l'agriculture moderne, se caractérise par une exploitation et un asservissement de la nature au nom de la course à la productivité. Cette agriculture lutte perpétuellement contre les processus naturels: elle considère que l'homme doit vaincre la nature. Son principe fondamental peut être illustré par la terminaison “cide” qui signifie tuer, détruire: pesticide, insecticide, fongicide, nématocide, germicide, vermicide, bactéricide - pour en arriver finalement à ... l'homicide?

Une autre caractéristique de ce système est la “chosification” du vivant. Les plantes et les animaux d'élevage sont des “choses” avec une valeur “x” ou pas de valeur. On détermine le sexe des jeunes poulets et on grille les jeunes mâles au four pour en nourrir leurs soeurs. Les abats du bétail, qui sont impropres à la consommation humaine, sont recyclés par l'agro-industrie pour en nourrir les autres vaches. Par ce cannibalisme, c'est un nouveau type de sacrifice qui se manifeste dans le monde: des centaines de milliers de vaches et de gallinacées sont sacrifiées sur l'autel de la déesse aux nombreux bras : efficacité, utilitarisme, accroissement des marges bénéficiaires.

L'agriculture écologique suit le chemin de l'évolution, et participe à son émergence, tandis que l'agriculture chimique est facteur de dégénérescence, de dévolution.

Certaines critiques tendent à stigmatiser l'agriculture écologique comme étant primitive, non-éclairée, non-productive, juste bonne pour les riches qui ont des moyens financiers, mais inefficace pour nourrir les masses de la population humaine. Ces accusations s'illustrent par ce type de remarques: « L'agriculture écologique peut-elle nourrir le monde? » ou « Souvenons-nous que l'agriculture écologique a provoqué d'immenses famines de par le passé!»

Par contre, l'agriculture chimique conventionnelle se pare d'épithètes tels que: scientifique, supérieure, progressive, hautement productive, l'unique solution pour nourrir les masses affamées.

Analysons maintenant ces deux visions agricoles.

L'édifice de l'agriculture moderne intensive repose sur cinq piliers:
- des fertilisants de synthèse
- toute la gamme des “cides”
- des hybrides et des variétés à “haut rendement”
- une irrigation intensive
- des apports énergétiques très élevés

Tous ces aspects ont été sévèrement critiqués, de par les nuisances qu'ils génèrent, tout autant par les scientifiques que par des organisations de la société civile. Parmi les critiques les plus connus, notons les activistes du Third World Network, Vandana Shiva, Louis Kervran, Claude Bourguignon, J. Hamaker et des douzaines d'autres.

Des aliments qui ne sont plus source de nutrition

L'OMS estime que trois milliards de personnes, présentement, n'ont pas accès à une nourriture adéquate. Selon les études de la FAO, ce sont entre 800 millions et un milliard de personnes qui souffrent de déficience nutritionnelle: 616 millions sont affectés par une déficience en fer, 123 millions manquent de vitamine A et 176 millions souffrent d'un goitre.

Les chercheurs médicaux ont observé que 58 % des patients hospitalisés aux USA sont mal nourris. (Peavy and Peary. 1993:23)

Plusieurs études ont indiqué que la valeur de la nourriture issue de l'agriculture conventionnelle a décliné drastiquement depuis l'introduction et l'utilisation généralisée des agro-toxiques.

Voici, par exemple, un tableau démontrant cette tendance pour quelques légumes entre 1914 et 1992. Les relevés sont pour 100 grammes et les résultats sont en milligrammes.

1914 / 1948 / 1992

Chou
Calcium 248 / 38.75 / 47
Magnésium 66 / 29.6 / 15
Fer 1.5 / 5.7 / 0.59

Laitue
Calcium 265.5 / 38.5 / 19
Magnésium 112 / 31.2 / 9
Fer 94 / 26.25 / 10.5

Epinard
Calcium 227.3 / 71.75 / 99
Magnésium 122 / 125.4 / 79
Fer 64 / 80.15 / 2.7

Ce tableau est extrait de l'ouvrage de Don Weaver, To Love and Regenerate the Earth. (2002:172).

Lorsque les plantes sont nourries de force avec des fertilisants chimiques, surgit un phénomène de gavage. Cela signifie que « les plantes absorbent des quantités excessives de NPK au détriment d'autres micro-nutriments et oligoéléments (calcium, zinc, cuivre, magnésium, fer, etc). Cela se manifeste même quand les minéraux sont présents en abondance dans le sol. » (Peavy et Peary. 1993:15)

Cela explique la prolifération des pharmacies- qui surgissent comme des champignons après la pluie - dans tous les coins et recoins du pays. Les gens sont contraints d'acheter des compléments alimentaires, des minéraux, des vitamines, qui font défaut dans leur alimentation, ainsi que des médicaments afin qu'ils puissent encore tenir debout.

Les déficiences du système immunitaire et de nombreuses pathologies de dégénérescence, causées par le vieillissement, sont maintenant corrélées à de telles déficiences nutritionnelles.

L'importance des oligoéléments (des métaux tels que l'or, l'argent, le mercure, le cuivre, etc...) dans la transmission des informations de l'ADN est un fait connu. Des études ont démontré que les carences dans les aliments, qui sont produits par l'agriculture industrielle moderne avec seulement le recours aux fertilisants de synthèse, sont responsables de la substitution au coeur de la cellule même de certains éléments essentiels par d'autres : par exemple, le zinc prend la place de l'argent lorsque celui-ci est déficient. Même des substances toxiques tel que le cadmium peuvent devenir un terminus dans l'ADN.

Non seulement l'aliment n'est-il pas nourrissant mais il est souvent impropre à la consommation humaine. Du blé cultivé en France a été considéré comme non comestible. Le lait ne peut pas être transformé en fromage à cause de sa haute teneur en antibiotiques. Les raisins ne peuvent pas être transformés en vin. (Bourguignon. 2005: 127-128).

Les agro-toxiques sont également de puissants agents oxydants. (Higa 1996: 72-74). Ils se retrouvent dans les aliments issus de plantes cultivées avec de l'agro-chimie provoquant des allergies, des dysfonctionnements et détruisant le système immunitaire. De plus, de tels aliments sont très pauvres en substances régénératrices, tels que les anti-oxydants naturels et les vitamines.

Afin d'ajouter de la “valeur” aux produits du sol, les industriels de la transformation des aliments utilisent plus de 6000 substances chimiques différentes. Ces petites gourmandises incluent l'éther de glycol, utilisé également comme liquide anti-gel dans les automobiles, l'Amylacetate qui est également très efficace dans les solvants pour peintures, etc, etc. (Gandhi. 1994:61).

La Terreur Pesticide

Les pesticides sont nécessaires car des plantes “gavées” deviennent très susceptibles à toutes sortes de pathogènes.

Les horreurs et les effets pernicieux de la gamme des “cides” sont universellement reconnus et largement prouvés. Nonobstant, ils continuent d'être utilisés à large échelle.

En dépit de l'utilisation extravagante des pesticides de l'agro-chimie, les pestes et pathologies détruisent à peu près 20 % de toutes les récoltes mondiales, tous les ans. (Robinson. 1996). Les insectes développent progressivement des résistances aux pesticides mais ce phénomène est rarement évoqué par les promoteurs de l'agriculture toxique. Les agriculteurs ont bien remarqué, depuis le tout début, que les pesticides ne contrôlent qu'un pourcentage des pestes: pendant ce temps-là, les survivants développent des résistances. Des pesticides nouveaux et plus puissants doivent être introduits pour contrôler les super-pestes. En fait, les pesticides promeuvent l'émergence de pestes de plus en plus résistantes. En considérant le fait que les écosystèmes sauvages sont exempts de dommages liés à des parasites, des chercheurs posent la question suivante: « Pourquoi de telles pertes désastreuses, générées par des pestes et des pathologies, se manifestent-elles dans les agro-écosystèmes, en dépit des épandages de produits toxiques? » «Après tout, nous ne traitons pas les plantes sauvages et le monde est toujours vert». (Robinson. 1996).

Si on peut créer des tomates carrées par sélection, pourquoi ne pourrait-on pas sélectionner des tomates ou autres plantes qui soient résistantes aux pestes et aux pathologies? Toujours selon Raoul Robinson (1996:123), « il y de puissants intérêts cachés qui sont déterminés à maintenir le status-quo en ce qui concerne le problème des pesticides et de la sélection végétale.» Ce sont les mêmes multinationales qui produisent les poisons et qui contrôlent l'industrie semencière. La sélection de variétés réellement résistantes est un processus qui ne génère aucun bénéfice.

Motivées par de super-profits, les multinationales de l'agro-chimie restent insensibles aux souffrances, aux morts et aux enfants handicapés suite à des empoisonnements par les pesticides.

La laideur de cette terreur pesticide nous fait prendre conscience que nous avons encore à développer beaucoup d'humanité. Elle illustre bien ce que Sri Aurobindo met en valeur: l'homme, dans son état présent, ne possède pas les capacités qui lui permettraient de tenir la barre d'une potentielle évolution planétaire.

Remettons les pesticides dans leurs bouteilles avant qu'ils ne nous envoient tous dans des cercueils.

Les hybrides: un grand battage médiatique

Il existe deux forces apparemment opposées, mais en fait complémentaires, dans les semences et dans tous les êtres vivants: ce sont la capacité de se reproduire et de se multiplier tout en conservant les caractéristiques existantes et la capacité de changer, d'évoluer. La capacité que possèdent les semences de se reproduire “conformément au type” est une source de nuisance et d'insécurité pour l'industrie semencière. Après avoir investi de l'énergie et du capital dans la sélection et la création de nouvelles variétés de plantes, les sociétés semencières enregistreraient d'énormes pertes si les paysans n'achetaient que quelques unes de leurs semences afin de les reproduire dans leurs champs année après année. Pour solutionner ce petit problème, la recherche en hybridation commença dans les années 1920, à la suite de la redécouverte des lois de Mendel. Après le maïs, ce fut plus d'une douzaine de plantes qui furent soumises à cette folie de l'hybridation.

Le lancement des hybrides (hybride signifie monstre en grec) est une tentative par l'industrie semencière, et ses vassaux, de détourner et de manipuler les processus naturels ( à savoir les forces de conservation et de changement qui président à l'évolution de la vie des plantes) à des fins strictement commerciales. Comme la descendance des variétés hybrides est sans valeur en tant que semence, les paysans sont obligés d'acheter de nouvelles semences tous les ans. En une seule offensive, ils réussirent à marginaliser la participation créative, vieille comme le monde, des paysans aux dynamiques évolutives de la nature. Les hybrides constituent ainsi l'un des premiers succès d'une série de stratagèmes déployés par l'industrie semencière pour asservir le monde naturel.

Aux USA, « du début du développement des hybrides (en 1922) - lorsque le Ministère de l'Agriculture imposa cette technique aux sélectionneurs récalcitrants - à leur conquête du Midwest en 1945-1946, la productivité du maïs s'accrut de 18 % alors que la productivité du blé s'accrut de 32%. Cependant, les petits sélectionneurs de blé ne font que servir l'intérêt public alors que les “hybrideurs” créent une nouvelle source de profit et deviennent donc des héros scientifiques » (Berlan, Lewontin. 1998).

La prétendue haute productivité des variétés hybrides n'a rien à voir avec la nature intrinsèque de la semence; elle résulte plutôt de la quantité d'intrants qu'il faut injecter (fertilisants de synthèse et irrigation) qui entraînent des conséquences écologiques dévastatrices. Du point de vue du cultivateur, l'uniformité est peut-être le seul avantage des hybrides et encore faut-il ajouter que c'est, dans ce cas, pour des intérêts strictement commerciaux.

Une semence hybride va croître normalement, produire une récolte uniforme mais sa descendance n'a plus aucune valeur sur le plan de la reproduction. D'un point de vue écologique, elle est incomplète: elle ne peut pas se reproduire ni produire d'elle-même. L'absence de force de vie dans les semences hybrides semble être concomitante à la dégénérescence du sperme humain dans le monde occidental: il contient, en effet, deux fois moins de spermatozoïdes que durant la période précédant la seconde guerre mondiale.

Les variétés à haut rendement: la productivité se résume t-elle à la quantité de grain?

Après l'offensive des hybrides, l'introduction des variétés à haut rendement, principalement dans le blé et dans le riz, a constitué une autre attaque sérieuse contre le patrimoine mondial des semences et des plantes. Ces prétendues variétés à haut rendement ont été largement cultivées dans la dernière partie du siècle passé. Annoncées comme les flambeaux d'une nouvelle ère pour l'humanité, elles nous ont, en fait, propulsé au bord d'un désastre écologique.
Alors qu'elle remplissaient les coffres-forts des pays les plus riches, elles ont généré des déficiences très graves dans l'alimentation des populations des tropiques, et ont miné leur résistance et vigueur naturelles. Alors que ces variétés sont encensées pour leur capacité à produire plus de grains, elles produisent, en fait, plus d'hydrates de carbones mais moins de minéraux et autres substances vitales. (Peavy et Peary. 1993:15).

Ces variétés ne sont pas intrinsèquement à haut rendement. Leur production globale de biomasse reste identique. Le ratio paille/grain a été sélectionné pour privilégier le grain. Moins de paille pour le bétail signifie tout simplement moins de fumier. Elles ont donc provoqué un épuisement de la matière humique dans les sols agricoles de la planète entière. ( Il est facile de prétendre, ensuite, qu'il n'y pas assez de fumier et de matière organique pour mettre en place une agriculture écologique).

La pénurie de paille a résulté en un surpâturage très grave. La destruction de la couverture végétale des pâturages et des forêts a dramatiquement accru le niveau d'érosion. En retour, cette érosion a provoqué un ensablement rapide des réserves d'eau et une diminution des terres irriguées. Tous ces processus induisent un cercle vicieux inexorable de destruction des éco-systèmes.

Les “nouvelles semences”, comme elles sont souvent appelées, sont une aberration écologique: elles envahissent de vastes régions en éradiquant les semences natives et les variétés traditionnelles. Cependant, les semences natives ont permis de “produire” les nouvelles semences et qui plus est, sans elles, aucun progrès variétal n'est possible: une situation très paradoxale.

Réflexions sur la productivité

Des études ont démontré que les systèmes d'agriculture traditionnelle sont de loin plus productifs et efficaces que l'agriculture moderne chimique lorsque toutes les récoltes et tous les intrants agricoles sont convertis en unités d'énergie et lorsque le ratio est analysé. C'est une conclusion partagée par toutes les études qui ont été consacrées à la détermination des niveaux d'énergie en comparant les différents systèmes agricoles, quelle que soit la nature de leurs diverses approches.

Il a été prétendu que les rendements augmentaient de 200 à 300 % grâce aux techniques d'agriculture moderne. Par contre, que les intrants aient augmenté, de façon concomitante, de 1000 % et plus, est rarement évoqué.

Avec les pratiques modernes, pour accroître les récoltes de riz d'un niveau de 8 %, il est nécessaire d'appliquer un accroissement en intrants de 43 %. Dans le cas du blé, un accroissement de rendement de 6 % nécessite un accroissement d'intrants de 266 % (Pretty. 1995:62).

Dans la méthode bio-intensive promue par John Jeavons, « la consommation en énergie, exprimée en kilocalories d'intrant, est le centième (1 %!) de celle utilisée par l'agriculture productiviste ». (Jeavons. 1979).

Dans un système de polyculture, 5 unités d'intrants sont utilisés pour produire 100 unités de nourriture, ce qui représente un ratio de productivité de 20. Dans la monoculture industrielle, 300 unités d'intrants sont nécessaires pour produire 100 unités de nourriture, ce qui représente un ratio de productivité de 0,33. (Vandana Shiva. 1996:17). Un système de polyculture est donc 60 fois plus productif qu'une monoculture à “haut rendement”.

La facture cachée

L'échec total de l'agriculture chimique d'être à la hauteur de ses ambitions de haute productivité et de récoltes surabondantes est couronné par le problème de son effet dévastateur sur l'environnement.

L'agriculture chimique, qui dépend si lourdement des énergies fossiles, produit, comme le fait remarquer Fukuoka, des récoltes cultivées à partir de pétrole plutôt que de sol. Une agriculture réellement écologique, par contre, est fondée sur l'utilisation des hydrates de carbone (matière organique) plutôt que sur l'utilisation des hydro-carbures. (pétrole).

Ce recours massif au pétrole, durant toutes les phases, (production de fertilisants, transport, irrigation, culture et récolte mécanisées) avec tous les problèmes afférents de réserves limitées et de fluctuations des cours, a généré la croyance que ce pourrait être le talon d'Achille de l'agriculture chimique. En fait, les points faibles surabondent.

Les nappes phréatiques ont tout autant chuté que les cours du pétrole ont grimpé. A l'échelle de la planète, les nations sont en train de pomper (de sur-pomper) les eaux de nappes phréatiques: au moins 160 milliards de mètres cubes chaque année. De nos jours, 6 milliards de personnes se partagent la même quantité d'eau qu'un milliard de personnes en 1800! Les variétés hybrides et les variétés améliorées sont très gourmandes en eau.

Ces plantes ont été sélectionnées pour que toutes les énergies se focalisent vers un certain niveau de productivité, au détriment de la qualité, de la résistance aux pestes et à la sécheresse, de la vigueur, etc. Dans l'agriculture productiviste, 1000 litres d'eau sont nécessaires pour l'élaboration d'un kilo de sucre de canne. D'un autre côté, les innovations mises en place par les paysans, avec des techniques d'agro-écologie, pour la production de sucre de canne, ont réduit la quantité d'eau de trois-quarts.

En dépit de prouesses technologiques et scientifiques, et après des décades d'enfouissement de substances toxiques dans les sols de la planète, l'agriculture chimique a failli à sa tâche d'alimentation. Il est reconnu, qu'en dépit des prétentions élevées de l'agriculture moderne, son bilan est complètement négatif en ce qui concerne la sécurité alimentaire.

Les rendements, malgré une application adéquate de fertilisants de synthèse, sont au mieux en pleine stagnation. En fait, depuis 1983-1984, selon la FAO, un déclin est nettement perceptible dans les rendements de céréales sur toute la planète en raison d'une fatigue des sols générée par une perte de leur activité biologique.

La fatigue des sols est perceptible sur 10 % de la surface agricole de France avec un déclin des rendements de l'ordre de 10 à 40 %, malgré des niveaux corrects de potassium, phosphore, d'azote, etc. (Bourguignon et Gabucci. 2005:165). A la station de recherches agricoles de Barrackpur, les rendement de blés ont décru de 4,4 à 3,3 tonnes par hectare. A Patnagar, les rendements de riz ont décru de 6,4 à 5,2 tonnes par hectare. (Pretty. 1996:7).

Pharming génétique

De nombreuses critiques ont été émises, afin d'exprimer des inquiétudes et un sentiment d'urgence, en réaction aux aberrations de l'agriculture chimique. Même les défenseurs du système conventionnel reconnaissent maintenant l'aspect tragique de la “vieille” approche agricole chimique qu'ils considèrent comme “un mal nécessaire”. Un nouveau système est maintenant érigé pour rafistoler l'édifice croulant de l'agriculture chimique - le système des OGM. Le génie génétique, qualifié par euphémisme, de modification génétique, est le nouveau flambeau qui va raviver l'espoir non seulement d'éradiquer la pauvreté et la faim mais aussi de sauver le monde de la catastrophe chimique.

Le concept fondamental du génie génétique, qui frise la superstition, est la croyance que tout est dans les gènes à l'exclusion de l'environnement physique et non physique et du jeu dynamique des forces créatives de la nature. Cependant, des caractéristiques spécifiques sont rarement déterminées par un seul gène. Certains scientifiques commencent maintenant à s'exprimer en termes de séquences de gènes, de chemins epigénétiques et de réseaux cellulaires. Les concepts de champs morphogénétiques, de résonnance morphique et de cause formative amènent d'ailleurs beaucoup plus d'éclairage dans la compréhension des structures de comportements et de leur développement.

Le génie génétique est une technologie dont la finalité est de transférer des gènes horizontalement entre des espèces qui ne se croisent pas. Dans sa critique acérée du génie génétique, Mae-Wan-Ho nous avertit que « pour transférer du matériel génétique et pour surmonter la capacité de rejet de l'organisme receveur, de puissants pathogènes ( des virus virulents...) sont utilisés comme vecteurs. Bien que leurs gènes de mobilité aient été incapacités, ces pathogènes peuvent encore se recombiner à d'autres pathogènes pour former des super-souches. » (Ho: 1997). La danger potentiel est que de telles super-souches pathogènes s'échappent dans l'environnement avec des conséquences désastreuses.

Les OGM sont des agents puissants qui stimulent les processus d'oxydation dans le corps humain. Il en résulte que des aliments transgéniques ont provoqué des irritations et des “allergies” chez des consommateurs (noix du Brésil dans le soja OGM, par exemple). Des rats qui avaient été nourris exclusivement avec des aliments transgéniques ont développé des malformations, des déformations du cerveau, des tumeurs et de graves déséquilibres hépatiques!

Dans le cas du coton transgénique Bt (avec un gène du Bacillus thurigensis), personne n'a la moindre idée de ce qui peut se passer pour la peau humaine et la santé en général lorsque de tels vêtements commencent à être portés. Les paysans ont déjà rapporté des réactions allergiques lorsqu'ils touchaient du coton Bt au moment de la récolte et du stockage. D'autres paysans se sont plaint que des récoltes avaient été un échec alors qu'elles étaient cultivées après du coton Bt: cela soulève des inquiétudes sérieuses quant à l'effet des transgéniques sur la santé et la vie biologique du sol. Qu'en est-il des animaux qui sont nourris avec du tourteau de coton transgénique et des conséquences que cela peut avoir sur la santé des êtres humains qui consomment ensuite de tels produits animaux?

La capacité même - médiatisée à grand fracas - des transgéniques à résister aux pestes soulève de très grandes interrogations. « Les résistances induites génétiquement vont très facilement déclencher des micro-évolutions chez les parasites. Cela signifie que le parasite peut produire de nouvelles souches qui seront résistantes au transgène en question » (Robinson. 1996:400).

Des estimations récentes prédisent que d'ici dix ans, les insectes auront surmonté la barrière du Bt. De plus, on peut s'attendre à ce que la compétition entre ce mécanisme réductionniste de sélection et la capacité d'adaptation des parasites entraîne des désastres environnementaux sans précédent. Il est alarmant qu'un nombre croissant d'OGM soient littéralement jetés sur le marché sans souci aucun d'information des consommateurs. Des pommes de terre avec des vaccins, que vous en vouliez ou non, des grenouilles dans les tomates, des scorpions dans le maïs, des poissons dans les fraises...

« Nous n'avons pas à garantir que les aliments modifiés génétiquement soient saufs. Notre intérêt est d'en vendre autant que possible ». (représentant de Monsanto; cette multinationale a également produit “l'agent orange”). Cité par Vandana Shiva.

Le nouveau tournant dans la science agricole qui considère la manipulation génétique comme la principale solution technologique pour nourrir le monde est issu du même paradigme d'exploitation que les précédentes approches et tout leur cortège de nuisances. Les désastres qu'il va entraîner seront sans doute pires. De grands scientifiques ont également tiré la sonnette d'alarme sur les dangers du génie génétique: « vous pouvez arrêter la fission atomique, vous pouvez arrêter d'utiliser des aérosols... mais vous ne pourrez pas arrêter une nouvelle forme de vie » (Chargaff cité par Goldsmith. 1993:316). Un tel système ne peut absolument pas nous accompagner sur le chemin évolutif de notre destinée.

Hommage à l'héritage agricole de l'Inde

L'Orient peut contempler un passé empreint de traditions agricoles riches et anciennes. L'Occident ne le peut pas. Du début du Moyen-Age jusque à l'ère même de la révolution industrielle, l'Occident a souffert de disettes et de famines récurrentes. Lorsqu'il contemple son propre passé, le regard occidental perçoit une tradition agricole inséparable d'épisodes dramatiques de sous-nutrition et de disette. Cette perception, transposée à l'Orient, a généré une distorsion clairement euro-centrique, qui a influencé les attitudes post-coloniales vis à vis de l'histoire agricole de l'Inde.

L'Inde est décrite, par les promoteurs de la “modernisation” de l'agriculture Indienne comme un pays dévasté par la disette qui touche des millions d'affamés, comme un pays aux pratiques et techniques agricoles qui n'ont pas évolué depuis les temps Védiques, comme un pays non scientifique, arriéré, moribond, sans aucun espoir.

Les descriptions de l'Inde rurale, par les voyageurs étrangers, et les archives officielles des colonisateurs contrastent totalement avec cette vision. Les descriptions de scènes rurales de l'Inde antique par les voyageurs Chinois Fa Hien (5ème siècle ap. J. C.) et Huang Tsang (7ème siècle ap. J. C.), par François Bernier (1656-1688) et par M. Le Tavernier (18ème siècle) sont peut être colorées de romantisme mais il semble, néanmoins, que les inscriptions sur les temples de l'Inde du sud confirment leurs perceptions.

On peut déduire de ces inscriptions (9ème au 12ème siècles) que les rendements de riz, par exemple, étaient remarquables. Elles mentionnent des rendements de riz à Tanjavur de l'ordre de 12 à 18 tonnes par hectare, de 13 tonnes par hectare à Coimbatore et de 14,5 tonnes par hectare dans le sud Arcot!

Il en est de même avec l'Afrique et l'Amérique du sud pré-coloniales. Deux voyageurs Français, Poncet et Brevedent (18ème siècle) ont décrit la région de Gézira au Soudan comme le pays de Dieu (“Belad Allah”) en raison de son abondance. Les antiques Chinampas de Mexico et les anciens Waru-Waru du Pérou sont peut-être les systèmes de production de nourriture les plus évolués et productifs que l'homme ait jamais développés.

De nombreux rapports des officiels de l'administration Britannique, tels A. Walker (1820) et Dr. J. A. Voelcker (1893) mettent également en exergue des exemples surprenants de l'abondance en Inde. Un des rapports les plus détaillés émane de Thomas Barnard.

Au 18ème siècle (vers 1770), Thomas Barnard, ingénieur Britannique, réalisa une enquête dans le district de Chengalpattu, près de Madras, qui couvrait 800 villages. Les résultats mettent en valeur une moyenne de productivité de 3600 kg par hectare pour les riz de rizières et de 1600 kg par hectare pour les riz cultivés en sec. Dans 130 villages, la productivité moyenne de riz de rizière était de 8200 kg par hectare mais, dans de nombreux villages, cette productivité dépassait même les 10 tonnes par hectare.

De nos jours, la productivité moyenne, dans la même région, est de 3177 kg par hectare alors que la moyenne de l'Inde est de 1667 kg par hectare (ICAR 1997: 763).

En 1804, la productivité du blé en Inde était presque le triple de ce qu'elle était en Angleterre. En 1903, la production de blé dans la région d'Allahabad était aux alentours de 4000 kg par hectare (Kate 1995). La production moyenne de blé en France en 1985 était de 3760 kg par hectare.

Les commentaires des officiels colonisateurs n'arrivaient même pas à la hauteur de la sophistication des pratiques agricoles de l'Inde. Des pratiques tels que l'usage du semoir et des rotations de céréales et de légumineuses avaient déjà été perfectionnées des siècles auparavant alors qu'en Europe elles ne furent largement appliquées que vers la moitié du 18ème siècle.

En 1873, à la suite de l'ouverture du canal de Suez, les premières cargaisons de blé de l'Inde arrivèrent en Angleterre. Les Britanniques envisagèrent de faire de l'Inde une source sûre de blé pour l'Empire. « Alors qu'une grande quantité de blé et de riz était exportée, la disponibilité locale s'accrut quasiment à la même vitesse » (Vandana Shiva. 1991).

Les exportations de céréales de l'Inde vers l'Europe passèrent 858 000 livres sterling en 1849 à 19,3 millions de livres sterling en 1914. Les exportations d'oléagineux augmentèrent considérablement: de 2 à 5 millions durant une période de 19 années. (Depuis lors, l'exportation de protéines de l'Inde vers l'Occident n'a jamais cessé).

En sus des exportations de céréales, les paysans de l'Inde étaient également assommés de lourdes taxes qui étaient prélevées quelque soit la situation agricole.

En 1750, pour 1000 unités de récolte, les paysans devaient payer 300 unités d'impôts dont seulement 50 partaient pour le Gouvernement Central: le reste était dévolu à la gestion de la vie locale. Par contre, en 1830, les paysans devaient céder 650 unités d'impôts, dont 590 partaient directement vers le Gouvernement Central.

Warren Hastings, en 1772, une année après la grande famine du Bengale qui fit périr dix millions de personnes, écrivit:

« Sans parler de la perte d'au moins un tiers de la population de la province et de la diminution subséquente des cultures, la collecte globale d'impôts de l'année 1771 excéda même celle de 1768 ... On aurait pu, naturellement, s'attendre à ce que la collecte d'impôts diminue relativement aux conséquences d'un aussi grand désastre. Il n'en fut rien, la collecte d'impôts fut maintenue à son niveau antérieur et imposée de façon violente. » (Vandana Shiva. 1991:57)

Des millions que la Compagnie récupéra (1770-1771), seulement 90 000 roupies furent attribuées au titre de soulagement de la famine, et ce pour 30 millions de personnes!

La “Grande Haie”, commencée par la Compagnie d'Inde Orientale, devint une immense barrière vivante impénétrable d'arbres et de buissons épineux de 2400 km de longueur. Elle faisait partie de la Ligne Douanière qui traversait tout le continent Indien. Elle était maintenue par 12000 gardes armés pour empêcher que le sel et d'autres substances essentielles non taxées puissent être accessibles à ceux qui avaient de tout temps dépendu de ce négoce. Les taxes étaient si élevées que les gens ne pouvaient pas même s'acheter du sel...

Les événements en Europe, lors de l'époque troublée entre 1914 et 1945, eurent également des répercussions sérieuses sur l'accès à la nourriture pour les populations des pays colonisés.
Les 24 famines de l'Inde, dans la dernière partie du 19ème siècle, qui occasionnèrent 20 millions de victimes, furent la phase culminante de dizaines d'années d'exploitation plutôt que l'échec de l'agriculture traditionnelle à nourrir le peuple.

Il en est de même pour la famine en Irlande lors de la maladie de la pomme de terre. Lorsque les cultures de pomme de terre furent dévastées en Irlande, un million d'Irlandais moururent de famine alors que les propriétaires terriens Britanniques exportaient, à partir de leurs riches domaines, du blé et de la viande vers l'Angleterre.

Un retour au passé, fût-il glorieux, n'est pas possible ni même désirable. Sri Aurobindo nous enseigne que le passé appartient au passé. Ce qu'il nous faut remémorer et conserver pour notre évolution future, c'est ce respect pour la vie, cet esprit vivant et l'essence de sa connaissance: la perpétuation de la vie, la compréhension que tout est connecté, le vivant et le non-vivant et surtout la perception que la terre est sacrée, que la nature est la Mère.

Le paysan est un co-créateur dans le processus de l'évolution de la Mère. Etre en harmonie avec la nature est source de prospérité; aller contre la nature amène à la ruine.

Genèse de l'agriculture biologique moderne

L'histoire du mouvement actuel d'agriculture biologique1 commence avec Albert Howard en Inde et Rudolf Steiner en Allemagne.

Howard déclara que « dès 1910, j'avais appris à cultiver des plantes en bonne santé, quasiment exempte de maladie, sans avoir le moindre recours aux mycologistes, entomologistes, bactériologistes, statisticiens de l'agro-chimie, banques de données, engrais de synthèse, pulvérisateurs, insecticides, fongicides, germicides et toute la panoplie onéreuse d'une station expérimentale ».

Sa méthode, appelée le processus Indore, était fondamentalement le système traditionnel d'agriculture Indienne qu'il apprit des paysans locaux mais optimisa avec une technique de compostage spécifique. L'oeuvre d'Howard fut amplement promue par J. I. Rodale aux USA et devint connue et influente sur toute la planète.

Inspirée par ses travaux, Lady Eve Balfour2, une agronome, se lança dans une phase d'expérimentations en Angleterre. Au travers de ses investigations méticuleusement programmées sur une période de près de 10 ans, elle prouva que l'agriculture biologique peut surpasser, sous tous aspects, l'agriculture chimique.

En Occident, après la première guerre mondiale, les produits chimiques furent introduits dans l'agriculture à une vaste échelle. Les usines qui produisaient de l'azote pour élaborer des munitions et des bombes se mirent à produire de l'urée à déverser sur les terres agricoles. Les fermiers commencèrent très tôt à percevoir la dégénérescence de la force vitale de leurs semences. Ils demandèrent à Rudolf Steiner de les éclairer sur cette situation et, en 1924, ce dernier donna les conférences connues sous le nom de Cours aux Agriculteurs. Ehrenfried Pfeiffer étudia et développa les enseignements agricoles de Steiner et raffina le système connu maintenant sous le nom d'agriculture bio-dynamique. Pfeiffer introduisit ce type d'agriculture en Hollande et puis aux USA.

Ce fut à l'aube de la seconde guerre mondiale que l'agriculture moderne chimique se répandit dans tous les recoins de la planète. L'industrie, qui produisait des tanks et autres matériels et véhicules militaires sur les chaînes de montage, se mit à monter des tracteurs, des moissonneuses... Il n'est pas étonnant que les champs, après la récolte de betteraves et de pommes de terre, ressemblaient aux champs de bataille de Verdun après la Grande Guerre!

A la suite de l'indépendance de l'Inde, K. M. Munshi3, le premier ministre de l'agriculture de ce pays élabora un plan pour régénérer l'agriculture Indienne. Il était pleinement conscient du fait que l'Inde dut développer une agriculture fondée sur ses savoirs et savoir-faires traditionnels et non point imiter l'agriculture Occidentale “d'exploitation”. Le Plan Munshi était enraciné dans une philosophie d'autonomie et de renforcement de la base écologique de l'agriculture, telle qu'elle avait été explicitée par le Mahatma Gandhi, J. C. Kumarappa, Meera Behn et Payarelal. Le plan de reconstruction et de régénération de la base écologique des systèmes de productivité agricole avait été travaillé dans le détail. Ce plan était fondé sur une dynamique de participation et de décentralisation. La régénération des cycles de la nature et la coopération avec les processus de la nature étaient perçues comme le coeur de la politique agricole indigène.

L'Inde indépendante, cependant, abandonna tragiquement cette direction écologique sensée et céda, plutôt, aux pressions des institutions états-uniennes qui promouvaient le modèle industriel, intensif et capitaliste pour créer une agriculture Indienne “moderne”.

Un souffle de changement en Inde et en Asie

En 1984, le première rencontre rassemblant les paysans bios de toute l'Inde fut organisée à Sevagram, Wardha4. Pour la première fois, les impasses sérieuses de l'agriculture moderne furent exposées en débat public. Ce fut un déluge de faits alarmants sur la baisses des rendements, le déclin de la fertilité des sols, les pertes considérables de ressources génétiques indigènes. Il fut accordé une grande importance à la régénération de la couverture forestière afin de créer une zone tampon pour l'agriculture biologique. Cette rencontre fut marquée par un renouveau de la fierté et de la confiance dans le potentiel caché de l'Inde dont les hérauts furent des individus remarquables tels que le distingué historien Dharampal, Banwaridal Choudury, un Gandhien infatigable oeuvrant dans les villages, Dhabolkar, l'agri-mathématicien excentrique et la jeune avant-garde: Vandana Shiva, Korah Mathen, Claude Alvares et beaucoup d'autres.

Depuis lors, le mouvement d'agriculture écologique s'est progressivement étoffé et il prospère dans de nombreux états tout autant qu'à l'échelon national. OFAI, (Organic Farmers Association of India) a repris le flambeau d'ARISE5 pour continuer le travail et présentement, cette organisation coordonne les efforts des paysans Indiens pour refondre l'agriculture Indienne.

Dans le Tamil Nadu, l'agriculture écologique s'est façonnée de façon remarquable durant les dernières années. Avec plus de 20 000 paysans se réorientant vers ce type d'agriculture durant les trois dernières années, ce mouvement doit essentiellement son succès à l'oeuvre de paysans pionniers et d'individus qui ont consacré leur vie à ce combat plutôt qu'à des institutions. Il existe des réseaux prospères au sein des réseaux. Un dynamisme interne plein d'énergies est patent et de nombreux paysans novateurs se sont transformés en d'enthousiastes paysans-formateurs. Leurs classes/étables sont pleines à craquer de paysans en quête de changements. De nombreuses fermes méritent d'être reconnues comme d'excellents centres de recherche. Les publications, les magazines, les ouvrages sur l'agriculture écologique abondent. Les leaders de ce mouvement sont constamment en déplacements dans le Tamil Nadu et animent des rencontres auxquelles assistent des fermiers par centaines. Bien que le mouvement soit focalisé avant tout sur le développement et la promotion des techniques d'agro-écologie, les changements qui sont encouragés vont bien au-delà dans leurs perspectives. Le mouvement se consacre également au renouveau des traditions médicales du Siddha, à la nécessité d'inspirer les jeunes à retourner à la terre, au besoin de conserver les ressources naturelles et par dessous tout au besoin d'aimer la nature et de la respecter6.

Partout ailleurs, en Inde, le mouvement d'agriculture écologique se fortifie avec de plus en plus de paysans qui s'orientent vers des pratiques d'agro-écologie. Le livre de ressources (Organic Farming Source Book7) va bientôt essaimer en de nombreux ouvrages.

Le renouveau ne se limite pas à l'Inde. Sur toute la planète, des mouvements paysans inspirés par l'esprit de leurs traditions indigènes oeuvrent à l'émergence d'innovations agricoles uniques et étonnantes. Ces innovations permettent d'augmenter les rendements sans les conséquences désastreuses caractéristiques de l'agriculture chimique. Dans de nombreux cas, les rendements des récoltes sont en train de s'accroître et d'atteindre le double et même le triple des plafonds de l'agriculture moderne.

Le mouvement “Masipag” aux Philippines a créé des pratiques sophistiquées d'agro-écologie dans la culture du riz qui se fondent sur les ressources génétiques indigènes et qui font basculer dans l'ombre le système conventionnel complètement dépendant d'un haut niveau d'intrants.

Voly Vary Maroanaka, ou SRI, une méthode de culture du riz, développée par un prêtre à Madagascar, a révolutionné la culture du riz à un point tel que les programmes modernes de recherche et de sélection du riz semblent de simples gamineries en comparaison. En Amérique du sud, les systèmes des Waru Waru sont régénérés et les communautés Andines sont en train de se réconcilier avec leur grandeur passée. Partout, dans le monde occidental, en Amérique Latine et en Afrique, l'agro-écologie est en plein développement et devient une force qui possède le potentiel de générer les transformations tant nécessaires dans l'agriculture et, nous l'espérons, dans l'ensemble du tissu social.

Le ver dans la pomme bio

Alors que l'agriculture biologique se développe très rapidement et propose des alternatives technologiques innovatrices, un danger familier attend au tournant: sa récupération par de gros intérêts financiers. De par la popularité croissante des produits bios, les Tropiques deviennent de plus en plus l'objet de convoitises pour la production bon marché de denrées bios à destination du marché Occidental.

Les Tropiques sont en train de se laisser envahir par la fièvre des certifications. Comme le processus est onéreux, les petits paysans en sont exclus d'office. De grandes sociétés se sont engouffrées dans le secteur, à l'affût de gros bénéfices. Des entrepreneurs rusés sont en train d'acheter des terres agricoles à de pauvres paysans et en plus de construire des motocyclettes ou de faire des savonnettes, ils prennent le train biologique en marche, et ne faisant pas dans la demi-mesure, ils engrangent des marges juteuses.

La relation de réciprocité entre la forêt et la ferme a été reléguée à l'arrière plan, lorsqu'elle n'a pas été totalement éclipsée. Les relations de commerce entre les nations et même les continents sont aussi vieilles que les civilisations elles-mêmes, mais leur nature et leur rayonnement étaient alors très différents. Même s'il est vrai que les gens des cités aient aussi le droit d'accéder à des nourritures saines, et même si les surplus de nourriture peuvent générer, pour les paysans, de meilleurs revenus, il reste, cependant, quelques questions à soulever.

Est-il socialement juste de nourrir les riches de l'Occident avec de la nourriture bio provenant de pays pauvres? Est-il écologiquement juste de transporter de la nourriture sur de si longues distances?

L'administration coloniale Britannique considérait que 200 kg de grains par année et par personne constituaient le strict minimum vital. Un seuil inférieur était considéré comme une famine. En 1990, la quantité de grains disponibles pour chaque personne en Inde était de 180 kg. En 2000, elle fut de 201 kg. Bien évidemment, la situation n'a pas évolué depuis trois siècles, et la quantité de nourriture disponible par personne en Inde est aujourd'hui la plus basse au monde! Dans ce contexte, peut-on considérer l'exportation de nourriture comme un commerce équitable?

Que va-t-il se passer? Nous ne pouvons pas, dans le futur, faire confiance à l'agriculture chimique moderne pour nourrir le pays ou nourrir le monde. Ce serait un suicide, la fin de l'évolution. La route vers les pratiques agricoles du passé est fermée. Ses ressources, ses savoirs et ses savoirs-faires sont perdus. Maintenant, la commercialisation de produits bios pose, sinon une menace, au moins un grave problème. L'agriculture biologique, qui avait été considérée comme une alternative viable à une agriculture chimique destructrice sur le plan social et écologique, est en train d'aggraver le problème de la sécurité alimentaire en Inde.

En cette période de transition, il semble qu'il y ait un manque de vision quant à la route qu'il faille suivre pour le développement immédiat de l'agriculture. N'importe quel ouvrage d'agriculture, pris au hasard, se répand en lamentations sur le passé, en louanges vis à vis des pratiques agricoles modernes et vis à vis des OGM qui vont apporter la solution finale. Dans le même souffle, sont mises en exergue l'importance de l'agriculture indigène, la sagesse des paysans et des pratiques écologiquement fondées. C'est un méli-mélo d'éléments incongrus.

Les solutions idéales ne sont pas de ce monde, du moins tant que la conscience humaine n'a pas plus évolué. Cependant, il est essentiel de nous remémorer sans cesse des principes qui nous orientent dans la direction juste.

- Gérer la production de la nourriture aussi proche du foyer que possible.

- Développer et utiliser des pratiques agricoles simples en s'inspirant de la Nature.

- Maintenir et accroître la fertilité des sols en toute autonomie.
- Conserver et optimiser le recours à l'eau de pluie.

- Réduire la dépendance aux énergies fossiles autant que faire se peut.

- Protéger et conserver la biodiversité locale - les espèces de forêts, les plantes cultivées, la macro et la micro faunes.

Notre expérience à Auroville

Au milieu des années 1990, je quittai la communauté d'Annapurna et Deepika vint m'aider à gérer la partie nord d'Aurobrindavam. Nous y travaillions à mi-temps, pour protéger l'endroit, pour reforester, pour créer de bonnes clôtures. Après avoir cessé notre tâche de formation et notre travail au sein d'ARISE en 1998, nous avons adopté une autre terre adjacente d'Auroville et décidé de nous concentrer sur un travail de régénération des sols.

C'est un petit recoin au milieu d'une large bande de 8000 hectares de canyons qui s'étendent au travers d'Aurobrindavam et au-delà vers Usteri. Surexploitée par les mines (pour le sol et les graviers), par le surpaturage et par la coupe de la végétation, cette terre est devenue une étendue ingrate de cailloux et de latérite entourés d'argiles de pauvre qualité.

Voici les raisons et les convictions essentielles qui nous ont impulsé à nous lancer dans cette expérience:

- Les terres marginales et les terres abandonnées (50 millions d'hectares en Inde) possèdent un potentiel de productivité qui peut certainement être restauré.

- Cette régénération peut être effectuée avec des méthodes douces pour l'environnement et pour l'homme: de simples techniques fondées sur des principes naturels, des investissements financiers minimum et des ressources émanant du foyer ou du voisinage immédiat.

- la sécurité/souveraineté alimentaire au niveau du foyer et de la communauté, à savoir la forme la plus traditionnelle d'agriculture, est l'unique réponse aux insécurités générées par le marché global.

Nous nous efforçons de traduire nos convictions en activités de petite échelle sur les terres que nous soignons:

- Plantation de haies vives

- Conservation d'espèces de la forêt indigène

- Création de petites réserves d'eau

- Plantation de bambous, d'arbres pour la construction, et autres plantes utiles.

- Création d'un jardin familial

- Lancement d'un petit verger

Création d'humus et Alimentation des plantes

Le défi essentiel dans tous les aspects de notre travail a été de restaurer la fertilité des sols et plus particulièrement pour les plantes alimentaires dans le jardin. Alors que nombreux sont ceux qui ne se seraient jamais aventurés dans un tel projet, nous avons souhaité que notre expérience puisse amener des éléments de réponse aux questions suivantes:

Est-il possible de produire de la nourriture et d'autres plantes de jardin sur une terre à ce point dévastée? Peut-on réaliser cela avec le minimum absolu d'intrants? A savoir sans apporter du sol sain et du fumier de quelque part en épuisant un endroit pour en régénérer un autre? Lorsque l'on achète du compost aux villageois, ne les pousse-t-on pas à acheter des fertilisants pour leurs propres champs?

Le fondement théorique de notre travail d'inspire du principe de “captation” maxima de lumière solaire qui préside à la croissance harmonieuse des plantes dans tout écosystème naturel. Des chercheurs tels que Claude Bourguignon et S. S. Dabholkar (avec son Prayog Parivar) ont développé des systèmes agricoles productifs avec ce principe naturel. Nous avons recours à ces 2 systèmes pour élaborer une méthode adaptée à nos besoins et conditions spécifiques.

Les plantes se nourrissent à 95 % à partir de l'atmosphère et de la lumière du soleil tandis que le sol ne contribue qu'à hauteur de 5 % à leur nutrition. On pourrait en déduire que le sol n'a donc que peu d'importance. Cependant, le fait que la biomasse totale des racines soit supérieure à celle des feuilles est une indication de l'importance cruciale du sol en tant qu'élément.

Les plantes ne peuvent capter la lumière solaire de façon optimale et exprimer leur potentiel maximum que lorsque la santé du sol est idéale. La facilité avec laquelle les racines vont pouvoir pénétrer dans le sol et accéder à une gamme complète de minéraux va déterminer le taux d'absorption optimale des éléments atmosphériques. Le challenge est de générer une surface idéale de feuilles et de canopée en fournissant les meilleures conditions à l'alimentation des racines le long des lignes d'écoulement de la canopée.

Le Prayog Parivar prescrit une méthode de création d'humus qui imite la manière par laquelle le sol est formé et régénéré dans une forêt. Lorsque nous observons le sol de la forêt, nous voyons des couches de feuilles et de rameaux, des bouses, des crottes d'oiseaux, de la pluie, des termites, des fourmis, des vers de terre, des animaux qui s'enfouissent et des couches de feuilles de nouveau ... année après année.

Nous essayons de faire quelque chose de similaire dans le jardin, en disposant de fines couches de feuilles/biomasse et de sol pour élaborer des buttes et des planches surélevées. Le processus est d'autant plus raffiné et enrichi que nous développons des manières créatives d'utiliser les ressources de la maison et du voisinage et de recycler les déchets de cuisine, les restes de plantes, etc. Grâce à cette méthode, il est possible d'obtenir la surface optimale de canopée et de feuilles nécessaires à une captation optima de lumière solaire et à une croissance optima.

Afin de nous adapter à nos conditions spécifiques, nous cultivons et utilisons Acacia coleii (Acacia holosericea) et Dodonea viscosa comme plantes pionnières et nous en recyclons la moindre feuille et brindille afin d'élaborer le sol de notre jardin. Grâce à ces pionniers rustiques, nous avons réussi à faire pousser toute la biomasse dont nous avons besoin sur le lieu.

En collectant également manuellement des feuilles du voisinage et en prélevant de la terre au fond des petites réserves d'eau, nous avons pu créer l'humus de notre jardin en très peu de temps. Nous avons maintenant 400 mètres carrés de sol forestier que nous avons créés dans lesquels nous faisons pousser, chaque saison, des légumes, des fleurs, des herbes aromatiques et nous conservons 80 variétés de plantes rustiques pour le jardin familial.

Pour les arbres fruitiers, nous suivons les mêmes techniques de développement de la canopée. Toute une rangée de bambous, qui font maintenant 7/8 mètres de hauteur, fut plantée en buttes, selon la méthode Prayog Parivar, au-dessus du sol... Cette méthode d'élaboration du sol a été aussi expérimentée dans d'autres jardins d'Auroville. Dans le Maharashtra, d'où est originaire le Prayog Parivar, il existe des fermes pratiquant l'agro-écologie qui récoltent des abondances de canne à sucre, de raisins, de légumes et autres cultures. Derrière le jardin, nous avons une aire de forêt qui requiert moins de soins. A cet endroit, le travail est laissé principalement à la nature, à part quelques protections et quelques plantations entre les arbres.

Car la Terre n'est pas pour l'homme seul. Dans l'agriculture moderne, les plantes alimentaires ont été développées avec des objectifs tels que la taille réduite de la plante pour une récolte aisée, un cycle court pour des récoltes groupées et rapides, une résistance au transport. Elles ont été rarement développées pour améliorer la qualité nutritionnelle, la saveur, des qualités que le consommateur apprécient. Les variétés de plantes adaptées au jardin familial sont en train de disparaître totalement avec les savoir et les savoir faires nécessaires à leur culture.

La fondation du foyer a souffert considérablement avec l'industrialisation de l'agriculture. Il nous faut désespérément ramener l'agriculture à la maison.

La Mère visualisait “ une petite maison et un jardin pour chacun”.8

Références Bibliographiques

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Notes

Note 1. Le mot “organic” est dérivé d'organisme. Il fut introduit par Lord Northbourne en 1940. Dans sa vision, une ferme est un organisme vivant dont toutes les parties en relation forment un ensemble vivant.

Il est intéressant de noter que Sri Aurobindo dans son ouvrage “Back to Land” rédigé en 1908 insistait sur la nécessité pour la classe moyenne de retourner vers les villages pour faire renaître l'agriculture.

Note 2. Lady Eve Balfour était la nièce de Lord Balfour, premier ministre conservateur du Royaume Uni. A l'âge de 12 ans, elle décida de devenir une fermière. Elle fut la première femme agronome en Angleterre. A l'âge de 21 ans, elle utilisa son héritage pour acheter un domaine agricole. Elle devint une experte du labour avec les chevaux et soignait les animaux elle-même.

Note 3. K. M. Munshi fut un étudiant de Sri Aurobindo (1872-1950) à Baroda et il fut profondément influencé par ce grand initié. Sri Aurobindo le reçut personnellement en 1950 alors qu'à cette époque Sri Aurobindo, vivant en totale réclusion volontaire, ne recevait plus de visiteurs.

Note 4. Jaap et moi-même, nous fûmes délégués de Auroville Food Coop. Nous rencontrâmes des personnes beaucoup plus expertes que nous l'étions. Dans des rencontre subséquentes, nous eûmes l'honneur de rencontrer le Professeur Richarria qui évoqua un panorama complet de la culture du riz en Inde. Nous rencontrâmes également Marjorie Sykes qui remettait en cause fondamentalement le modernisme.

Note 5. ARISE. Agricultural Renewal in India for Sustainable Environment. Ce mouvement naquit à Auroville durant une convention nationale des agriculteurs bios en 1995.

Note 6. Les responsables de ce mouvement reconnaissent le rôle de leadership qui fut assuré par Auroville dans les phases initiales.

Note 7. Publié par Other India Press. Mapusa. Goa.

Note 8. Extrait de “The Aims of Auroville - following Mother's Guidelines”. House of Mother's Agenda. 1999.