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La Connexion Madeleine

John Lash

Télécharger l'essai avec les illustrations.

Traduction par Dominique Guillet

Considérant l'importance exceptionnelle de Marie Madeleine dans notre aventure, nous, à Metahistory.org, avons suivi de très près le débat soulevé par le roman best-seller de Dan Brown, le Da Vinci Code. Il semble que quelque chose de presque primordial ait été déclenché par cet ouvrage. Une sorte de révélation est en train de prendre forme au travers d'une faille dans la psyché collective. Mais une révélation de quoi et au bénéfice de qui? Dans nos réflexions quant à cette controverse fascinante, nous discernons trois niveaux d'impact sur lesquels s'est inscrite une reconnaissance nouvelle et étonnante de Madeleine, avec des répercussions qui sont encore en plein développement. Ces niveaux sont les suivants:

- Niveau 1. C'est à ce niveau qu'émerge l'Histoire Alternative de Jésus

- Niveau 2. C'est à ce niveau que le Prélude, le contexte jusqu'ici inconnu de la vie de Jésus, incluant des éléments Païens et non-Chrétiens, commence à devenir manifeste.

- Niveau 3. C'est le niveau par lequel l'histoire d'amour de Jésus et de Madeleine se développe pour révéler le mythe accompli des Amants, un archétype puissant qui est porteur d'une alternative vis à vis des conceptions religieuses conventionnelles sur le sexe, la souffrance, la mort, la rédemption et la résurrection.

En nous connectant à Marie Madeleine, nous découvrons le mythe du choix, un mythe pour l'amour exalté dans l'imagination humaine par sa mystique, le joyau de sagesse émanant de ses yeux d'ambre. Cet essai explore trois niveaux de découverte qui convient à ce choix.

En tant que personnage féminin clé de la quête religieuse de l'humanité, Marie Madeleine exerce une influence sur l'histoire habituelle de Jésus Christ sur trois niveaux. La compréhension de la “Passion du Christ” comme un drame partagé dans la mythologie de l'amour romantique pourrait transformer à jamais nos croyances quant au sexe et à l'amour, à la souffrance et la rédemption. En illustration, un plâtre de Rodin, le Christ et Madeleine.

01. L’Histoire Alternative

Au premier niveau d'impact, les épisodes impliquant Marie Madeleine, préfigurée originellement dans les textes Gnostiques et développée de façon fictionnelle dans le Da Vinci Code, introduisent une histoire alternative au sujet de la vie de Jésus. L'épisode-clé, dans ce script modifié, est la rencontre dans le jardin au matin de Pâques, lorsque Marie Madeleine est confrontée à Jésus sous sa forme “ressuscitée”. Les érudits ne s'accordent pas sur plusieurs passages dans les Evangiles qui peuvent se référer ou non à Marie Madeleine mais ils sont unanimes quant à cet épisode. Cette rencontre décisive établit une connexion spéciale et intime, qui laisse entendre une complicité profonde entre Jésus (ou le “Christ” dans son aspect divin surhumain) et Madeleine. Cet incident suggère qu'elle, une femme mortelle, est nonobstant l'égale et la contrepartie de ce qui est vu comme divin dans Jésus.

Il existe au moins deux façons de procéder à partir de cette scène fondamentale, deux directions principales au travers desquelles la complicité de Jésus et de Madeleine peut être développée et ces directions divergent presque diamétralement. Dans notre exploration de l'histoire alternative, il est crucial de comprendre quelle direction narrative nous suivons.

Pour la commodité des références, j'appellerai l'ensemble des éléments de l'histoire, les allusions mythiques et légendaires, et les passages textuels se rapportant à Marie Madeleine, la matière MM. Le Da Vinci Code est controversé parce qu'il injecte la matière MM dans la vie de Jésus, générant une version altérée de l'histoire familière racontée dans le Nouveau Testament. Ceux qui objectent à l'histoire alternative prétendent que c'est une distorsion, ou un mensonge patent, que cela ne s'accorde pas avec les faits historiques de l'époque, que cela contredit l'autorité des Evangiles, que cela blasphème la divinité de Jésus et ainsi de suite. Ceux qui soutiennent l'histoire affirment qu'elle présente une vision plus humaine de Jésus, qu'elle intègre les femmes dans les événements fondateurs du Christianisme, qu'elle présente un modèle plus équilibré de spiritualité. Et le débat continue et ne fait que s'amplifier, semble-t-il, de jour en jour.
Quels que soient les arguments pour ou contre cette histoire alternative, le simple fait que cela soit une histoire alternative renforce l'impact primaire. L'histoire au sujet de Jésus est altérée de par le fait que l'on fait entrer Madeleine dans le tableau et que, par conséquent, nos croyances au sujet du personnage principal de l'histoire, qui peut vraisemblablement être considéré comme le personnage central dans l'histoire humaine, sont également sujettes à altération.


L'Histoire Alternative: la rencontre dans le Jardin peinte par Fra Angelico au 14 ème siècle. Le Jésus ressuscité est dépeint comme un blond avec des traits Aryens tandis que Madeleine est dépeinte comme une blonde aux cheveux roux, une convention adoptée par d'autres artistes. Depuis les tout débuts, la révision de l'histoire de Jésus implique une purge des éléments Juifs mais dans le “Scénario de Sion”, le facteur racial est réinstitué. Le facteur mystique tient bon, quelle que soit la coloration raciale qui est donnée à l'histoire.

La Sexualité du Christ

Comme nous l'avons expliqué sur la page d'accueil de ce site, les croyances fondamentales qui impulsent le comportement humain sont rarement transmises de manière directe, dans un langage clair et net. Au contraire, elles sont encodées dans des histoires, des scripts, des narrations. Les Métahistoriens se plongent dans ces narrations pour examiner les croyances qu'elles véhiculent afin de regarder au-delà, et d'aller au-delà, les effets de conditionnement inconscient de ces croyances. La Métahistoire n'est pas un jeu d'échecs académique avec un style et des catégories de genres (cf. l'oeuvre de Hayden White). Ce n'est pas non plus un débat “interconfessionnel” sur les valeurs relatives des différentes croyances ou un appel à accepter l'unité de toutes les religions. C'est une quête, dans les tripes, pour se libérer des comportements impulsés par les croyances. L'influence que les croyances exercent sur nous peut être élucidée si nous prenons conscience de la manière dont elles sont encodées sous forme narrative car c'est au travers de l'identification avec une histoire que nous assimilons des croyances et que nous en faisons les fondations de notre identité propre. Une fois que ces croyances encodées sont dévoilées et décryptées, nous sommes libres de les adopter ou de les rejeter en nous fondant sur un choix éclairé. (Il est étonnant de voir que le choix éclairé, ou informé, soit si urgemment requis pour de nombreux problèmes, que ce soit pour investir dans la bourse ou pour acheter le dentifrice adéquat, alors qu'il est complètement ignoré pour ce qui concerne les croyances qui façonnent et dirigent nos vies!).

Il est toujours instructif de prendre en considération une version différente d'une histoire familière, telle que la vie de Jésus racontée - épisodiquement avec des tissus de contradictions et de vides - selon le Nouveau Testament. La version habituelle montre un Jésus qui n'est pas marié et qui pratique le célibat. Même si nous ne tenons pas compte de l'affirmation de Saint Paul selon laquelle Jésus était un être surhumain (une affirmation que Paul fait dans l'établissement narratif de sa rencontre avec le Christ Elevé, indépendamment de l'histoire racontée dans les Evangiles), les narrations du Nouveau Testament valident vaguement la croyance selon laquelle Jésus était en quelque sorte plus qu'humain. En tant que l'incarnation d'un être divin, et le modèle de l'humanité parfaite, il ne pouvait pas tremper dans les affaires basses et sales de la sexualité humaine. La croyance encodée ici est que le sexe est source de péché et de honte. La sexualité à la fois cause et caractérise notre séparation de Dieu, du Divin. Cette croyance est initialement encryptée dans l'histoire de la Chute dans l'Ancien Testament: lorsqu'ils découvrent leur sexualité, Adam et Eve sont chassés du Paradis (c'est à dire de l'état extatique induit par la présence directe de Dieu). Ces deux narrations familières, l'Ancien et le Nouveau Testament encodent la croyance selon laquelle Jésus, être divin, ne pouvait pas se livrer à des actes sexuels et qu'il ne le fit pas.

Au premier niveau d'impact, l'histoire alternative met en exergue la sexualité de l'homme Jésus. Et ce sujet ne concerne pas seulement un homme, du moins pas un homme ordinaire. Si nous croyons que Jésus est “le Christ”, un être divin, il existe donc un autre impact; l'histoire alternative fait d'une pierre deux coups. La notion d'un dieu qui assume une forme humaine, et qui s'engage dans des relations sexuelles avec une femme mortelle, est scandaleuse et totalement inacceptable pour les vues religieuses conventionnelles, et pas seulement les vues Chrétiennes. Cependant, cette notion est répandue dans la mythologie ancienne et dans les traditions indigènes de toute la planète. Le mysticisme Asiatique, tout comme la religion Païenne, présentent le thème de la théogamie, à savoir les relations sexuelles entre les humains et les divinités, comme un élément de base de nombreuses narrations. La théogamie est un mythème universel (un thème mythique), un motif récurrent qui génère une pléthore d'histoires. Le simple fait de suggérer que Jésus, s'il était réellement divin, pût avoir aimé sexuellement une femme mortelle est un élément mythique explosif qui émerge de la matière MM, dès le début, au premier niveau d'impact.

L'histoire alternative présente un homme qui est intimement impliqué avec une femme qu'il considère comme supérieure à ses disciples et qu'il privilégie. D'où le passage très cité dans l'Evangile de Philippe (CNH, II, 63.32- 64.5):

“Et la compagne du sauveur est Marie-Madeleine. Il l'aima plus que tout autre disciple et avait l'habitude de l'embrasser sur la bouche. Le reste des disciples s'en offusquèrent. Ils lui dirent: pourquoi l'aimes-tu plus que nous? Le sauveur répliqua ainsi: vous feriez mieux de me demander pourquoi je ne vous aime pas de la manière dont je le l'aime.”

L'incident du baiser règle son sort à la croyance ancienne selon laquelle Jésus était chaste de tout amour charnel et ouvre la porte à d'autres options, à d'autres choses que l'on puisse croire au sujet du sauveur.

Sous l'impact de ces nouvelles données, la tête nous tourne et les spéculations les plus extravagantes se profilent: soit Jésus était divin et actif dans la “chair”, soit il n'était pas divin après tout, ou bien s'il était sexuellement engagé avec Madeleine et s'il était vraiment divin, leur relation sexuelle pourrait avoir été en quelque sorte sacrée ou bien elle aurait pu, elle-même, être une incarnation divine; ou, d'autre part, s'ils étaient tous les deux mortels, ils étaient peut-être époux, un couple marié partageant une mission spirituelle; ou bien, en tant que femme mortelle, elle pourrait avoir offert sa sexualité à Jésus en un acte sacramental avec un dieu incarné, si Jésus était réellement divin; ou bien, s'il n'était qu'un simple humain, mais un homme béni d'une mission spéciale confiée par Dieu, alors son intimité avec Madeleine pourrait avoir été instrumentale dans l'accomplissement de sa mission...

L'esprit vacille en passant d'une histoire (Jésus embrasse Madeleine) à une croyance (l'amour charnel est source ou non de péché) et puis à une autre histoire (Jésus préfère Madeleine à ses disciples mâles) et puis à une autre croyance (les femmes peuvent ou ne peuvent pas être supérieures aux hommes sur le plan spirituel) et puis de nouveau à une autre histoire (Dieu a envoyé du ciel son fils unique) et puis à une croyance (l'Incarnation implique ou n'implique pas la sexualité humaine) et ainsi de suite. Il existe littéralement des dizaines de virages en épingle à cheveux à négocier à tous les moments du Da Vinci Code où Dan Brown introduit un nouvel élément de la matière MM.

Des Scripts Divergents

La sexualité de Jésus est le déni de sa divinité, selon certains arguments, mais cela peut être la preuve de son humanité, selon d'autres. (Les lecteurs assidus peuvent se reporter à l'ouvrage du critique de l'art, Leo Steinberg, La Sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement moderne, pour y trouver des preuves étonnantes, issues de l'art, étayant la croyance selon laquelle la sexualité de Jésus était essentielle à sa divinité). Au premier niveau d'impact, l'imagination collective de Jésus, la manière de visualiser sa vie et sa mission en termes conventionnels, est divisée par une ligne de fracture qui part dans deux directions distinctes.

Dans l'une des directions, Marie Madeleine émerge comme la femme que Jésus aimait, à la fois charnellement et spirituellement. Elle est sa partenaire bien-aimée et son égale, sa compagne et son allié spirituel. Dans l'autre direction, elle est la femme qu'il aime personnellement, certes, mais leur relation personnelle est subsidiaire à une autre connexion: Madeleine est considérée comme la disciple principale de Jésus, le personnage principal qui transmet son message et prêche à sa place. Dans ce rôle, elle est considérée comme le premier apôtre, la porte parole éminente des enseignements de Jésus. Ces narrations distinctes peuvent toutes deux être développées à partir de cette version de la vie de Jésus qui émerge de la matière MM inclus dans l'histoire. Ces deux scénarios se déploient de façon assez différente et offrent des perspectives très divergentes sur la personnalité de Madeleine et sur l'impact qu'elle suscite dans la psyché collective.

Dans ma recension de l'ouvrage de Karen King, l'Evangile de Marie Madeleine, je compare et contraste ces deux versions de Madeleine: l'amante qui est l'égale de Jésus versus l'apôtre bien-aimée qui prêche le message de Jésus. Ce faisant, je souhaite faire une observation qui, pour autant que je puisse dire, a été complètement occultée par la littérature érudite, qui prend de l'ampleur, traitant de Madeleine, tout autant qu'amplement négligée dans les débats publics. Plus précisément, si l'on fait de Madeleine une porte-parole de type apostolique pour le message de Jésus, l'histoire alternative s'écroule. Par conséquent, la matière MM est co-opté par les dévots orthodoxes, Madeleine devient partie intégrante du système conventionnel de croyances attachées à Jésus et l'impact potentiellement radical de l'histoire alternative est étouffé dans l'oeuf.

Le long de cette ligne de fracture, l'imagination collective n'a pas l'opportunité de développer une histoire fraîche qui pourrait offrir des perspectives nouvelles - des notions nouvelles et non orthodoxes sur la valeur religieuse de la sexualité, par exemple. Dépeinte comme l'épouse du rabbi Jésus, Madeleine devient un modèle idéal du mariage, la femme obéissante qui n'a rien d'original à dire mais qui expose fidèlement le message de son époux. Comme nous n'avons aucune notion vraiment claire de ce que le message de Jésus était, nous sommes contraints de nous en remettre à la ligne conventionnelle du parti de la morale et de l'idéologie Chrétiennes. Par conséquent, le personnage de Madeleine réintègre la vieille histoire familière même si on lui prête un rôle de suppléante. Penchons-nous sur les répercussions de cette ligne de développement narratif.

Le Message de Jésus

La plupart des gens, même si ce ne sont pas des Chrétiens qui vont à l'Eglise, ont une vague idée de la nature des enseignements de Jésus. Ces enseignements sont inférés des passages du Nouveau Testament dans lesquels Jésus énonce de brefs dictons, des paraboles et des platitudes, et donne des conseils: aimez vos ennemis, faites le bien à ceux qui vous blessent, laissez celui qui n'a jamais péché jeter la première pierre, ne jugez pas les autres si vous ne voulez pas être jugé, et ainsi de suite. Les énoncés lapidaires de Jésus ne peuvent pas être considérés, stricto sensu, comme des enseignements (Il n'est que de comparer, par exemple, les enseignements Bouddhistes sur la compassion ou les enseignements d'Abraham Maslow sur la psychologie transpersonnelle) car ce sont simplement des assertions prononcées sans explications - mais qui exercent une autorité et une puissance énormes. Pourquoi? Parce qu'elles sont renforcées par des facteurs idéologiques associés de façon routinière avec le personnage de Jésus: il est l'Incarnation, le Fils de Dieu, il est ressuscité d'entre les morts, son corps et son sang confèrent une puissance magique au travers de la Messe, c'est lui qui sauve et qui va juger le monde à la fin des temps.

Cette prétendue “Christologie”, largement dérivée de Saint Paul et de Saint Jean et indexée sur les paroles de Jésus, promeut la croyance selon laquelle Jésus était quelqu'un de très spécial, qu'il était en fait LE parfait être humain, l'Incarnation du Logos, le représentant de ce qu'il y a de meilleur dans l'humanité, et l'unique manifestation de la divinité qui ait marché sur terre. Si nous croyons tout cela, nous allons considérer l'éthique proposée par Jésus d'une manière spéciale, parce qu'elle procède d'une source exceptionnelle, d'une autorité supérieure à toutes les normes humaines. Dans ce cas, même si les paraboles sont éculées et banales, pour ne pas dire impraticables, elles seront cependant nimbées d'une aura de sagesse divine. C'est une conséquence, mais ce n'est pas la seule, du mélange aveugle de la morale humaine et d'une idéologie extra-terrestre.

Cet hybride d'éthique et d'idéologie est un paquet à double usage dont l'emballage narratif est l'histoire de la vie de Jésus. Conventionnellement, Madeleine fait partie de l'emballage, une simple figurante dans les scénarios du Nouveau Testament. Avec la controverse suscitée par le Da Vinci Code, de nombreuses personnes commencent à se demander si Madeleine ne ferait pas en fait partie du paquet. C'est une avancée énorme, certes, parce qu'elle implique que des individus de notre époque pourraient commencer à ré-imaginer le scénario le plus influent de l'histoire.


Il est impossible de conserver le terrain imaginatif gagné, en incorporantla matière MM dans la vie de Jésus, si nous revenons vers les notions éthiques-idéologiques qui lui sont attachées. Si Madeleine est véritablement la première apôtre, comme Karen King l'affirme, le potentiel transformateur de la matière MM est considérablement amoindri, son impact est dissipé et nous replongeons dans l'histoire conventionnelle. Si nous naviguons le long de cette ligne de fracture, les femmes de foi Chrétienne trouvent chez Madeleine l'image d'une femelle puissante qui inspire autorité en matières d'éthiques et de doctrines théologiques - en bref, une propagatrice de la tradition Chrétienne et une porte-parole de visions orthodoxes. Cette approche peut engendrer une version du Christianisme plus éclairée, plus féminisée, plus équilibrée sur le plan des genres mais, néanmoins, cela n'est rien de plus qu'une autre version du Christianisme. Co-optée au service de l'Eglise, Madeleine est enfermée dans la camisole du dogme. L'impact de ce premier niveau de l'histoire alternative est non seulement émoussé, il est restreint à l'effet désiré dans le contexte sécurisé de la foi conventionnelle.

La Prostituée Sacrée

Mais que se développe-t-il le long de l'autre ligne de fracture? Qu'en est-il d'un profil radicalement Gnostique de Madeleine, distinct des présupposés du Nouveau testament? Qu'advient-il de ce personnage dangereux et source de scandale qui se tient sur le bord de la scène de la Passion? Elle est très largement considérée comme un personnage Gnostique parce que les principaux textes qui valident la matière MM sont attribués à des sources Gnostiques, à savoir les Codex de Nag Hammadi découverts en 1945 ainsi que d'autres documents. Il est vrai, mais il reste que la signification des textes Gnostiques est toujours faussée par les intentions de ceux qui les citent. Le Gnosticisme est avant tout étudié en fonction de ce qu'il peut dire quant aux origines du Christianisme. Pour aussi bizarre que cela puisse paraître, les érudits ne considèrent pas les textes Gnostiques comme étant signifiants quant à ce qu'ils peuvent nous dire au sujet d'enseignements Gnostiques non Chrétiens!

L'exploration des textes Gnostiques, pour en extraire des informations au sujet du Christianisme, est le but avoué d'érudits éminents tels que Karen King et Elaine Pagels. King souhaite abolir purement et simplement le concept de Gnosticisme et Pagels promeut l'absorption intégrale des éléments Gnostiques dans le courant principal du Christianisme. Le caractère unique de la Gnose disparaît ou bien il n'est préservé que pour promouvoir la foi Chrétienne. Les enseignements Gnostiques de Jésus ne sont que les enseignements de Jésus. Quant aux enseignements Gnostiques qui ne peuvent pas être attribués à Jésus, ou bien qui pourraient entrer en conflit avec l'hybride éthique-idéologique communément accepté, qui les connaît et qui s'en soucie? Des érudits tels que Karen King et Elaine Pagels les connaissent certainement, car cela fait partie de leur travail, mais il est évident qu'il leur importe peu d'en décliner les distinctions. Et cependant, ces érudits sont les “spécialistes” qui établissent les normes académiques pour le futur des études sur le Gnosticisme. Et c'est à partir de leur travail que la connaissance des conceptions et des pratiques Gnostiques est distillée vers le grand public.

La reconnaissance sans cesse croissante de Madeleine par les Chrétiens et l'intégration dans l'Eglise des femmes inspirées par son image est peut-être une grande étape pour l'institution du Christianisme mais c'est un désastre pour les Gnostiques et pour ceux qui soutiennent une vision Gnostique de Madeleine. Au premier niveau d'impact, la fracture divise clairement l'argumentation en deux camps. Ceux qui réintégreraient Madeleine dans le Christianisme orthodoxe, en lui faisant jouer le rôle de l'apôtre principale et ainsi de suite, constituent la majorité écrasante mais il se peut qu'ils n'aient pas le dernier mot. La réhabilitation de Marie Madeleine au service du Christianisme peut sembler de bon augure au premier niveau d'impact mais à un niveau plus profond, cela ne va pas tenir le coup.

Ceux qui souhaitent recouvrer et restaurer les aspects non-Chrétiens de la matière MM sont en ce moment dépassés en nombre mais ils possèdent la force des éléments imaginals et archétypiques de leur côté. Plus profond se fait ressentir l'impact et moins il favorise la réhabilitation Chrétienne de Madeleine. Et il est indubitable que les récits Gnostiques aillent au plus profond. Ils valident la tradition Païenne de la prostituée sacrée, la prêtresse qui consacrait les anciens rois dans les rites originels de la théocratie avant qu'elle ne se transformât en club strictement mâle de tyrans pathétiques et de petits chefs politiques. En accord avec le mysticisme sexuel Asiatique, Madeleine représente le consort Tantrique ou la dakini qui initie sa contrepartie mâle dans les actes magiques et qui l'imprègne, corps et âme, de sa délicatesse morale. Si l'on imagine que les relations intimes entre Jésus et Madeleine soient de nature Tantrique, alors un scénario totalement nouveau s'ouvre à l'imagination collective. (Il est à noter que les permutations, dans le Da Vinci Code, de la matière MM ne permettent pas d'envisager cette perspective Tantrique parce que Dan Brown a choisi de jouer avec le Scénario de Sion qui dépeint Jésus et Madeleine comme des parents mariés, et qui ont porté des enfants, de lignée royale. Le sexe Tantrique est, en effet, non-conjugal et non-procréateur).

Pour les Gnostiques, Marie Madeleine était le reflet humain de la Sophia Divine, une entité cosmique qu'ils appelaient la Prostituée de Sagesse. Dans Venus in Sackcloth - une dissertation publiée en 1975, peut-être la première étude sur Madeleine et sûrement la meilleure sous bien des aspects - Marjoria M. Malvern montre que Madeleine-Sophia est la figure du Divin Féminin la plus pérenne et la plus séduisante de l'histoire. Intimement reliée à la Divinité de son plein droit, Marie Madeleine devient plus que la co-star de Jésus. Elle est en même-temps charismatique et transcendantale, une femme dont l'authenticité en tant que figure numineuse dans l'imagination humaine dépasse de loin son autorité en tant que disciple, réinstituée, de Jésus.

Alors que le débat continue, les facteurs qui associent Madeleine avec la spiritualité Païenne , l'initiation Gnostique et la sexualité sacrée (le mysticisme sexuel) peuvent s'avérer plus puissants que ceux qui la réconcilient avec la religion conventionnelle. L'avenir nous dira si la puissance de l'imagination collective est plus forte que l'opinion des érudits mais mon intuition me souffle que c'est sûrement le cas. La destinée de Madeleine a été plus profondément influencée par le best-seller de Dan Brown que par l'ouvrage de Pagel Les Evangiles Gnostiques, qui fut aussi un best-seller en son temps. On pourrait dire que le premier, un ouvrage d'érudit destiné au grand public, prépara le terrain pour le second. Ce qui est extraordinaire dans le débat courant au sujet du Da Vinci Code, c'est que l'interprétation fictionnelle de la matière MM, dans le best-seller de Dan Brown, propulse la discussion concernant Madeleine vers des espaces que la meilleure érudition, tout aussi attractive que celle de Pagel puisse être, n'a pas réussi, ou n'a pas osé, explorer. Grâce à l'ouvrage de Brown, il pourrait s'avérer possible de sauvegarder les éléments authentiquement Gnostiques de la vie et de la mission de Marie Madeleine. Ce serait la répercussion la plus passionnante qui pourrait résulter sur le premier niveau d'impact, le niveau de l'histoire alternative.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet