|
|
Le Désamorçage des Croyances
John Lash
Traduction de Dominique Guillet
Toute croyance qui véhicule une charge d'énergie destructive est telle une bombe prête à exploser. Mais une bombe a besoin d'un fusible, d'un détonateur. Le potentiel destructeur des croyances inhumaines, et démentes, peut rester dormant à l'image des nombreuses bombes qui furent lancées durant la dernière guerre mondiale et que l'on continue de retrouver dans les champs de la Belgique (où je rédige cet essai) et partout ailleurs en Europe. Il existe quelque risque que ces vestiges puissent exploser au moindre impact mais cela est peu vraisemblable lorsque le détonateur est manquant. Les démineurs savent comment faire exploser une bombe avec précaution; cependant, lorsque le détonateur est encore intact et opérationnel, il est beaucoup plus délicat et même dangereux de désamorcer cette bombe. Ce travail de déminage et de désamorçage est une bonne analogie pour la critique appliquée des croyances par la Métahistoire.
Un Risque de Détonation
La bombe qui se transforme en coeur qui se transforme de nouveau en bombe est symbolique de l'extrême ambivalence que nous ressentons lorsque nous sommes mis au défi d'examiner nos croyances chéries avec un mental clair et un coeur ouvert. La charge de la bombe sous surveillance peut varier. Si je crois qu'Elvis n'est pas mort et que je sois contredit, je vais sans doute juste hausser les épaules sans y prêter plus attention. Ce n'est pas un sujet essentiel. Si je crois que cela relève de la haute trahison de s'opposer aux politiques et aux actions de mon gouvernement et si je crois que mon gouvernement me fournit tout ce qu'il faut pour faire perdurer mon mode de vie, il se peut que j'éprouve une anxiété intolérable si l'on me demande de remettre ces croyances en question.
La simple suggestion de remettre en question une croyance fondamentale menace notre sens de l'identité et de l'appartenance. La critique des croyances n'est pas un exercice de canapé, un jeu mental qui se réduise à une spéculation strictement intellectuelle. Tout ce qui vous fait battre le coeur en chamade, avec un sentiment de panique, est une indication quasi certaine que vous avez une “Grosse Bertha” en ligne de mire. Une réaction commune à cette panique est de lancer la bombe-croyance, sous investigation, à quelqu'un d'autre, de préférence la personne qui a osé, en premier lieu, la remettre en question. Si je crois que c'est de la haute trahison que de s'opposer au gouvernement de mon pays, et qu'il s'avère que le dit gouvernement agisse de manière tellement controversée qu'il pourrait être considéré comme inhumain et dément, il se peut que je me sente stressé et ambivalent, assis sur une “Grosse Bertha”. Il ne serait pas incongru que je tente d'exorciser ma panique exceptionnelle en déchiquetant tous les macarons qui me tombent sous la main avec l'inscription “LA DISSIDENCE EST PATRIOTIQUE”.
Dans la défense des croyances religieuses, une tactique courante est de relancer la bombe-croyance vers la source de la critique. Tu remets en question ma croyance selon laquelle “Dieu punit les pécheurs” (une formule typique en quatre mots inscrite dans une pléthore de fables de réprimandes et de récits moralisateurs) et je te réplique que Dieu va sûrement te punir d'oser remettre en question ma croyance selon laquelle Dieu punit les pécheurs.
Dans la majorité des cas, ceux dont les croyances sont remises en question sont incapables de distinguer entre l'évaluation d'une croyance et sa réfutation. Cette distinction est primordiale pour le Métahistorien. Une critique est une approche, en discernement, d'un phénomène dans l'intention de le percevoir véritablement et de l'évaluer intégralement. C'est un exercice de jugement et non pas une prouesse de condamnation. Malheureusement, le dialogue se rapportant aux croyances et aux systèmes de croyances a tendance à imploser dès que la critique est perçue comme une réfutation. On pourrait dire que la réaction initiale procède d'un instinct naturel d'auto-préservation: le croyant ne veut pas faire exploser sa bombe chérie. En tout cas, pas tant qu'il est assis dessus.
Le risque d'explosion psychologique est un risque réel et ressenti au niveau viscéral. Mais une bombe a besoin d'un détonateur. Les réactions de panique à la critique ne se manifestent pas simplement parce que quelqu'un pointe du doigt vers la Grosse Bertha en demandant “Qu'est ce que c'est que ce fichu truc?” Tous ceux qui se raidissent à la simple allusion d'une question concernant leurs croyances le font parce que le questionneur est en train de montrer du doigt leur fusible. Ce fusible peut être rustique, un simple bout de mèche allumé à une extrémité, mais il peut aussi être un détonateur extrêmement complexe, comparable à un central de fils multicolores tout emmêlés.
Si la croyance est comparable à une bombe, ce qui est comparable à son détonateur, c'est l'erreur. Les experts disent souvent que ce qui est le plus dangereux dans une bombe, ce n'est pas sa charge mais son système de détonation. La meilleure façon de désamorcer les croyances, c'est d'en extirper l'erreur qui les amorce.
Une Croyance Inébranlable
Il n'est pas opportun d'abuser de cette analogie explosive mais il est essentiel de comprendre l'importance de bien distinguer entre la bombe et le détonateur, entre la croyance et l'erreur. Par exemple, la plupart des Chrétiens croient que Jésus-Christ, le seul être humain parfait qui ait jamais vécu (du moins, le croient-ils) n'eut jamais de relation sexuelle. C'est une croyance, pure et simple, que l'on ne peut ni prouver ni invalider.
Dans la Métahistoire appliquée, une croyance qui ne peut pas être réfutée par les preuves est qualifiée “d'inébranlable”. Une croyance inébranlable est au-delà de la validation ou de l'invalidation par le biais de l'évidence ou de la logique: elle est totalement immunisée contre les critiques. C'est là que réside sa puissance: comme elle ne peut pas être prouvée, elle n'a donc pas besoin d'être prouvée. (Concernant le dogme de la Résurrection, le père de l'église primitive Tertullien a dit: “J'y crois parce que c'est absurde”). Les croyances inébranlables forment la structure au coeur de toutes les religions et de la plupart des philosophies du monde tout autant que des présomptions théoriques qui sous-tendent la science moderne.
Revenons à la croyance qui affirme: “Jésus, le Fils de Dieu qui s'incarna en un homme, était chaste”. Cette bombe est très lourdement chargée parce que la croyance dans la pureté sexuelle de Jésus-Christ est une composante dans un ensemble complexe de croyances concernant la création, le péché, la “chute” de l'humanité, la désobéissance à Dieu, la rédemption, le pardon des péchés, et la minute de vérité le Jour du Jugement Dernier. Dans un tel système complexe de croyances, tous les éléments sont imbriqués les uns sur les autres et ils sont tous hautement chargés. Une Grosse Bertha à multiples ogives!
Quel est donc le détonateur de cette bombe? En isolant délicatement un des filaments du détonateur, nous pourrions demander: les Chrétiens ont-ils toujours cru que Jésus Christ était dépourvu de désir sexuel et non enclin aux relations sexuelles? En nous enquérant de la sorte, nous tentons de relativiser la croyance, de la resituer dans son contexte historique. Nous la permutons afin qu'elle puisse être considérée d'un nouvel oeil, en fonction de son contexte propre. Certaines recherches révèlent que des Chrétiens primitifs, appelés “Gnostiques”, qui étaient intégralement et authentiquement Chrétiens à leur époque et dans leur environnement, mais qui furent qualifiés ultérieurement d'hérétiques, insistèrent sur le fait que Jésus-Christ était sexuellement actif avec Marie Madeleine. Bien que la plupart des enseignements Gnostiques furent détruits, les quelques textes qui aient survécu stipulent que Jésus et Madeleine s'embrassaient ouvertement lorsqu'ils étaient en présence des autres disciples. Un certain fragment relate comment Jésus discutait avec Madeleine d'aspects précis concernant le sexe oral.
Ayant isolé ce filament du détonateur attaché à la croyance selon laquelle “Jésus était chaste”, nous ne sommes pas obligés pour autant de décréter que la croyance est erronée. L'objectif est de démontrer que cette croyance ne fut pas toujours, et universellement, soutenue. Plutôt que de réfuter la croyance, nous procédons en détectant les raisonnements qui lui sont attachés et les prémisses (tels que les facteurs historiques) qui fondent ces raisonnements. Le fusible consiste de filaments de raisonnements qui expliquent pourquoi la croyance est vraie et devrait donc être adoptée. Tout au long de l'histoire, les êtres humains ont raisonné de manières diverses au sujet de leurs croyances mais les justifications des croyances sont souvent criblées d'erreurs factuelles et logiques, d'absurdités et de contradictions. Dans la Métacritique, nous recherchons des notions fallacieuses dans le cadre rationnel enveloppant les croyances. Tout un chacun peut choisir de croire que Jésus était chaste et puisque ce choix ne requiert aucun acte de raison, on pourrait penser que la raison n'entre pas du tout en jeu dans cette croyance. Mais le mental humain étant ce qu'il est, ceux qui adoptent des croyances sans raisonnements tentent toujours de les justifier par quelque processus de raisonnement.
Les évidences mises en valeur par le Gnosticisme prouvent que c'est une erreur de prétendre que tous les Chrétiens ont toujours soutenu la croyance selon laquelle Jésus était chaste. Le problème n'est donc pas ce que vous croyez quant à la sexualité de Jésus, mais comment vous êtes arrivés à cette croyance et comment vous la justifiez ou comment elle fut justifiée par ceux qui vous l'ont inculquée.
Sexe Incarné
Des preuves subséquentes présentent d'autres indices mettant en exergue les erreurs dont est parsemée la logique de la croyance selon laquelle le Fils de Dieu n'était pas un homme sexuellement expérimenté. Le critique d'art, Léo Steinberg, publia, en 1983, un livre avec le titre incroyable “The Sexuality of Christ in Renaissance Art and Modern Oblivion”. Steinberg relate sa découverte de quelque quarante tableaux peints qui montrent le crucifié avec une érection ou recouvrant de ses mains ses parties génitales en un geste qui n'est pas sans rappeler les singeries de Michael Jackson. D'autres peintures montrent des gens autour de la Madone en train d'examiner attentivement, et même de tournicoter, le petit pénis de l'Enfant Christ. Steinberg suggère que “de nombreux artistes en vinrent à considérer le Sexe Incarné comme un attribut indispensable” et il demande rhétoriquement “Comment celui qui restaure l'état sans péché de l'humanité pourrait avoir honte du facteur sexuel dans cette humanité?” Steinberg affirme que durant l'époque de production de ces oeuvres d'art Chrétiennes, les parties génitales de Jésus Christ devaient être considérées comme un objet de révérence tout autant que les stigmates de ses mains.
Il faut souligner que l'interprétation de Steinberg ne réfute pas l'idéologie Chrétienne conventionnelle - Jésus le Christ restaure l'humanité à la condition d'Adam et d'Eve avant la Chute - mais elle n'exclut pas la sexualité humaine du champ de pouvoir rédempteur du sauveur. Sa recherche scandaleuse montre que pour beaucoup de vrais croyants, la sexualité et la rédemption ne pouvaient pas être dissociées.
En pleine transpiration, mais nous concentrant néanmoins sur la tâche, nous isolons un autre filament du fusible. La critique se développe avec une citation extraite de l'ouvrage de Reich “Le Meurtre du Christ”: “Le Christ connaissait l'amour dans le corps et les femmes de même qu'il connaissait tant d'autres choses naturelles”. Pour Reich, le Christ représente non pas l'être humain parfait (c'est à dire de naissance vierge et de père divin) mais la personne la plus vivante que nous puissions imaginer, l'incarnation intégrale de la force de vie imprégnée d'amour, de courage et d'intuition morale. Plutôt qu'un être qui intervient miraculeusement de l'extérieur de ce monde, il est le participant le plus sensible et le plus totalement engagé dans le monde. Le meurtre du Christ est le déni de cette potentialité suprême en nous-mêmes. Telle est la ré-imagination, par Reich, de la signification de la vie et de la passion du Christ.
Ces notions titillent des circuits délicats du fusible mais nous réalisons, avec un profond soupir de soulagement, que la bombe n'a pas encore explosé. Nous ne nous sommes pas fait sauter la tête et nous n'avons blessé aucun Chrétien qui pourrait être impliqué dans notre démarche. La bombe a été rendue moins dangereuse parce qu'une partie de son système de détonation (l'ensemble de conceptions erronées qui lui est attaché) a été désamorcée.
Les bombes-croyances ne peuvent pas être désamorcées en attaquant, tête baissée, la structure de la croyance. Dans le travail délicat de désamorçage des croyances, la Métahistoire appliquée a recours à des techniques spéciales, des outils sémantiques personnalisés, tels que croyance inébranlable, dont une boîte pleine d'outils syntaxiques. Le désamorçage de la croyance (la détection des erreurs dans la structure rationnelle qui l'encadre) et l'évaluation de la croyance (en l'évaluant par les comportements qu'elle impulse) sont les routines principales de la Métacritique. La finalité de la Métacritique est de révéler les croyances qui sont démentes et inhumaines mais elle n'est pas de les réfuter comme “fausses” ou “non véridiques”. Bien heureusement, les techniques requises, pour la Métacritique, ne sont ni complexes ni prolixes. Le désamorçage d'une bombe atomique ne requiert qu'un cure-dent et qu'un coupe-ongles.
Des Animaux Rationnels
L'essence de la Métahistoire appliquée est comme suit: un examen minutieux de l'époque et de la localisation d'origine des croyances, leur mode d'opération maintenant et dans le passé, et le type de comportements qu'ils produisent maintenant et qu'ils ont produits de par le passé.
Nous, les êtres humains, sommes des animaux rationnels même si nous n'avons pas recours à nos facultés de raisonnement autant que nous le devrions ou même si nous ne développons pas la pleine potentialité de ces facultés. Quelque soit le niveau de non-rationalité d'une croyance - par exemple la croyance stipulant que la Terre est plate - en raison de nos facultés rationnelles innées, elle sera toujours accompagnée d'une quelconque argumentation rationnelle, une logique qui sous-tend la croyance. Toutes les croyances inscrites dans l'Ancien et le Nouveau Testaments peuvent être résumées en une douzaine de pages mais des millions et des millions de pages ont été rédigées afin de tenter d'étayer et de légitimer ces propositions irrationnelles.
Cela peut sembler étrange d'intégrer une croyance irrationnelle à un cadre rationnel, mais cela ne l'est pas tant. L'impulsion se répète maintes et maintes fois mais non pas parce que nous avons besoin de transformer quelque chose d'irrationnel en quelque chose de rationnel. Non point, l'irrationnel reste ce qu'il est et sa puissance consiste dans le fait qu'il est irrationnel. “Je le crois parce que c'est absurde”. Cependant, l'envoûtement de la croyance irrationnelle, pour forte qu'elle soit, ne prend jamais complètement possession du mental humain. Comme le potentiel de sagesse innée de l'humanité est à l'oeuvre au travers de nos facultés de raisonnement, nous insérons nos croyances dans des structures rationnelles. La faculté de raisonnement n'est pas supprimée par les croyances mais enrôlée pour les conforter, pour justifier leurs contradictions, pour expliciter leurs inconséquences, et pour s'excuser de ce qui arrive lorsque les croyances s'avèrent non véridiques à l'épreuve de l'expérience.
La charge destructive de n'importe quelle croyance réside dans son contenu irrationnel, mais grand merci, le fusible est atteint par des éléments rationnels. Il est épuisant et inutile d'insister sur le fait que toute croyance peut être vraie ou fausse. Dans la Métahistoire appliquée, les erreurs qui sont intrinsèques à la logique accompagnant la croyance sont sujettes à un examen minutieux. C'est en discernant les notions fallacieuses qui fondent la croyance que nous devenons capables de nous y opposer. Pour le moins, le processus de désamorçage nous donne quelque respiration vis à vis de l'envoûtement puissant de la croyance.
La Métacritique ne réfute pas les croyances tête baissée mais elle fait usage de la raison afin de déterminer ce qui ultimement pourrait valoir la peine d'être cru. Ainsi, la raison peut nous montrer ce qu'il faut croire et non pas simplement justifier, par de fausses notions, ce que nous croyons déjà.
John Lash.
Traduction de Dominique Guillet.
|
|
|