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Les Quatre Questionnements Ultimes
Une Vision Métahistorique de la Trinité
John Lash
Traduction de Dominique Guillet
Toutes les religions du monde possèdent des trinités - Brahma, Vishnu et Shiva ou bien Père, Fils et Saint Esprit - et il en est de même pour la Métahistoire. Mais il existe une différence, parce que les trinités établies expriment les croyances primordiales, ou propositions mythiques et théologiques, de leurs religions respectives alors que la trinité Métahistorique est un instrument d'analyse des systèmes de croyances plutôt qu'une assertion de croyances. Elle utilise un modèle ternaire afin de présenter un cadre de travail heuristique pour appréhender toutes les variations possibles de la croyance que nous trouvons dans la religion, la science et la culture, généralement parlant.
Heuristique. Du grec heuriskêin, “trouver”. Adjectif. En philosophie, qui promeut la découverte. Dans l'enseignement, qui consiste à faire découvrir par l’élève ce qu’on veut lui enseigner. En logique, qui procède par approches successives en éliminant progressivement les alternatives.
Questionnements. Problématiques. Ce sont des considérations ultimes fondées sur les quatre types de relations pouvant exister entre le Dieu, l'Homme et la Nature.
Quoi que l'on puisse dire de nos croyances, elles sont l'expression d'une problématique, d'un questionnement. Si je soutiens des croyances au sujet d'un créateur divin, c'est parce que la question d'un créateur divin m'interpelle. Sans le questionnement, la croyance ne se manifesterait pas et nous n'aurions pas l'utilité de termes métaphysiques. Cela étant, il s'avère possible d'examiner toutes les croyances en termes de problématiques. Toutes les doctrines et les notions religieuses, tous les concepts théologiques et métaphysiques, toutes les croyances dans la catégorie de la spiritualité et de l'éthique, ne sont que des variations de quatre problématiques. Pourquoi quatre? Parce que quatre problématiques émergent de trois facteurs: Dieu, Humanité et Nature. Pourquoi ultimes? Parce que tout questionnement que vous puissiez imaginer n'est qu'un sous-niveau des quatre problématiques universelles émanant de ces trois facteurs. Ces quatre problématiques engendrent et informent les autres:
1. Problématique de la relation de l'Humanité à la Nature.
2. Problématique de la relation de Dieu à la Nature.
3. Problématique de la relation de l'Humanité à Dieu.
4. Problématique de la relation de l'Humanité à elle-même.
En cohérence avec le logo de la Métahistoire, voici un arbre pour illustrer le modèle ternaire. La couronne de l'arbre est Dieu et le tronc est la Nature. Tout ce que nous connaissons de la nature, en tant qu'êtres humains, n'est pas la totalité de la nature et donc la nature doit être montrée de deux façons, incluse dans l'arbre-trinité et en en fournissant la base ou la racine. Les relations se situent entre les trois points au sein du triangle de l'arbre. Les problématiques sont définies en termes des relations 1, 2, 3 et 4 comme déclinées ci-dessus.
Il est un point à clarifier: la relation de l'humanité à elle-même (n°4) est une problématique spéciale, formellement distincte des trois autres. Les trois relations Dieu-Humanité, Dieu-Nature et Humanité-Nature peuvent se définir en dessinant les lignes des trois points de l'arbre mais la relation de l'humanité à elle-même est un cas spécial. On ne peut pas connaître les relations de Dieu à lui-même et de la Nature à elle-même alors que la relation de l'Humanité à elle-même est cruciale et au coeur de notre vision du monde.
Mauvaises Réponses
Ces quatre relations induisent des questionnements ultimes parce qu'elles resituent et déterminent toutes les problématiques subsidiaires qui sous-tendent les problématiques existentielles, les problématiques essentielles à l'existence humaine. A chaque fois que nous disons “je me sens concerné”, cela signifie généralement qu'il y a quelque chose d'important en jeu. Avec les questionnements ultimes, suprêmes, ce sont des sujets ultimes, suprêmes, qui sont en jeu. Nous devons prendre en considération ces quatre problématiques comme si la vie en dépendait. C'est bien le cas avec la relation 1, entre la Nature et l'Humanité. Si nous n'accordons pas une attention soutenue à la définition et à la gestion de ces problématiques, l'expérience humaine va s'effondrer. Par contre, si cette définition est erronée ou prise à la légère, elle peut nous emmener sur une voie d'égarement dangereux ou même de destruction.
La survie dans le monde naturel dépend, de façon incontournable, de la problématique 1 mais la signification de la vie pour l'espèce humaine semble dépendre largement des problématiques 2, 3 et 4. Sans réponses à ces questionnements, l'espèce humaine ne semble pas capable de fonctionner. Inévitablement, les réactions qui se développent se figent en “réponses” permettant de s'en sortir avec les multiples questions qui sont induites par ces problématiques. Que les réponses soient véridiques, ou ne le soient pas, est sans importance tant qu'elles fournissent un moyen de faire face aux problématiques. Il existe une tendance, de longue date, dans la nature humaine à assumer qu'il est préférable d'avoir de fausses réponses plutôt que pas de réponse du tout.
La plupart des réponses relatives à ces quatre questionnements ne sont que de simples expédients. Elles ne procèdent pas d'une évaluation attentive des problématiques mais de réactions abruptes et inadéquates. Par exemple, en ce qui concerne la relation Dieu-Humanité (problématique 3), les gens, de tous temps, se sont demandés si Dieu (conçu comme le créateur omniscient du monde) s'intéresse à ce que nous faisons. Une des réponses est “Oui, il est satisfait par certaines actions et il va nous punir pour d'autres. Voici la règle qu'il a instituée”. De nombreux êtres humains acceptent cette réponse sans même prendre un moment pour s'enquérir de la relation Dieu-Humanité ou d'élaborer leurs questions, à ce sujet, d'une façon claire, rationnelle et vérifiable.
Tout au long de l'histoire, les quatre questionnement ont été déterminés et des réponses ont été formulées au travers de diverses sortes de mythes, de narrations ou d'histoires. Jusqu'a environ trois cent ans en arrière, la religion a fourni les histoires qui déterminaient ces questionnements et en pourvoyaient les réponses. Depuis les Lumières, la science a pénétré dans le domaine antérieurement dominé par la religion. Mais la science, de par son insistance à exclure le facteur de la subjectivité humaine de sa vision du monde, se disqualifie largement quant à sa responsabilité d'amener des réponses à ces problématiques. Par exemple, la science formule la relation Nature-Humanité en termes d'évolution Darwinienne d'une manière telle que le rôle humain dans la nature n'est plus un rôle de co-évolution avec l'environnement et les autres espèces mais de compétition dans l'environnement que la nature pourvoie. La co-évolution implique une relation à la nature qui soit subjective et enracinée dans la subjectivité, ce que la science dénie de par son affirmation selon laquelle la conscience ne joue aucun rôle dans l'évolution.
Les deux religions conventionnelles qui ont modelé, de la façon la plus décisive, les événements historiques des deux derniers millénaires sont le Judaïsme et le Christianisme tandis que l'Islam assuma un rôle comparable à partir de 600 EC. De nos jours, la population mondiale des croyants est divisée en quelques milliards de Chrétiens et quelques milliards de Musulmans, les Juifs religieux constituant une sorte de groupe-charnière entre eux. Le Christianisme et l'Islam sont violemment en opposition pour diverses raisons, c'est pour cela qu'il est évoqué un “conflit de civilisations” - mais il est plus correct de l'appeler un conflit d'idéologies. Ces idéologies participent de la même origine, d'où la désignation “Abrahamique” pour ces trois systèmes conventionnels et principaux de croyances, mais ils ne procèdent pas des mêmes questionnements. La trinité métahistorique peut grandement nous aider à élucider les problèmes auxquels le monde doit faire face en raison de l'affrontement des idéologies religieuses.
Entre autres différences, qui divisent les Chrétiens et les Musulmans, la plus controversée est celle qui concerne Israël. Soit dit en passant, c'est étrange (c'est de l'ironie) parce que le Judaïsme constitue la racine commune du Christianisme et de l'Islam. Ces trois religions participent de la même idéologie mais chacune d'elles est infléchie, sur le plan doctrinal, de diverses manières. Bien que le nombre des croyants dans le Judaïsme ne soit pas élevé, la religion Hébraïque demeure la problématique centrale dans le drame mondial que nous appelons l'histoire. Depuis septembre 2001, les Musulmans et les Chrétiens sont nettement divisés quant à la manière de considérer les revendications politiques et idéologiques de la religion Juive telle qu'elles se reflètent dans le statut de l'Etat d'Israël.
Humanité - Dieu versus Dieu - Nature
Le Christianisme se focalise sur la problématique de la relation de l'Humanité à Dieu. Le personnage au coeur de la religion Chrétienne est Jésus Christ, qui est considéré comme l'intermédiaire unique et suprême entre Dieu et l'Humanité. Etant à la fois humain et divin, le Sauveur incarne et préserve la relation de l'espèce humaine au Créateur. Toute la substance de la croyance Chrétienne est centrée sur cette problématique ultime, le cas N° 3. La question “Comment Dieu nous contacte-t-il?” amène la réponse suivante “En envoyant son Fils. Le Christ est la réponse”. Cette croyance satisfait des millions de personnes quant au questionnement portant sur la relation de l'Humanité à Dieu.
Le Judaïsme considéra également cette problématique mais d'une manière différente. Il attend la venue d'un messie mais le messie n'est pas encore venu. On pourrait dire que la religion Juive faillit à accomplir la relation Dieu-Humanité ou s'en remet à une solution différée. Pendant ce temps, elle focalise son intérêt sur la relation entre Dieu et la Nature: dans le Judaïsme, la transcendance du monde naturel par la Divinité est ce qui définit Dieu. En d'autres mots, sa réponse au questionnement portant sur la relation Dieu-Nature est la suivante, “Dieu transcende la Nature”. Cette réponse ne contribue en rien de direct au sujet de la relation Dieu-Humanité. Les Juifs se sentent bien sûr concernés par cette problématique mais ce n'est qu'un sous-niveau du questionnement portant sur la relation Dieu-Nature.
La définition de Dieu comme le créateur transcendant le monde, ou pour dire la même chose à l'envers, de la Nature comme l'oeuvre d'une Divinité surnaturelle, trouve son origine dans le Judaïsme et en demeure le caractère distinctif. Le cas n°2 est une expression, fondamentalement, de l'intérêt ancien des Hébreux pour la relation Dieu-Nature et, subsidiairement, de la relation Dieu-Humanité ainsi définie. Dans les croyances Judaïques, le cas n°3 est subséquent et conséquent au cas n°2.
Le grand paradoxe de la religion Hébraïque est qu'il confère une importance suprême à la problématique portant sur la relation Dieu-Nature tout en opérant, simultanément, une rupture de cette relation. Si vous préférez une autre définition. Le concept d'un Dieu Créateur cohérent avec le Judaïsme n'est possible que pour un peuple qui a renié l'immanence de Dieu dans la Nature. Cela fait donc du sens que l'histoire sacrée des Juifs les dépeint en conflit permanent avec la religion Païenne car le Paganisme met en exergue le cas n°1, le questionnement portant sur la relation Humanité-Nature. Les croyances Païennes émanent de l'expérience de la Divinité immanente, les Dieux animant la nature et l'expérience procède au travers de l'empathie avec la nature, de la communion intime avec la nature. Au travers de sa relation avec la Nature, l'espèce humaine trouve sa voie vers la Divinité, vers la Déité. Dans la Paganisme, le cas n°3 est subséquent et conséquent au cas n°1. (Il pourrait être argumenté que le cas n°2 portant sur la relation Dieu-Nature, n'existait pas dans le Paganisme car Dieu et la Nature étaient considérés comme ne faisant qu'un.)
L'Islam est peu compris, et peut-être également très mal perçu, à l'extérieur du monde Musulman, et cela pourrait peut-être améliorer cette situation de reconnaître que l'Islam donne la prééminence à la relation de l'Humanité à elle-même, le cas n°4. Le Judaïsme et le Christianisme sont des religions révélées qui dépeignent la condition humaine en termes surnaturels alors que l'Islam est un humanisme révélé aussi étrange que cela puisse paraître. L'anxiété primordiale de l'Islam est exprimée, de façon répétée, dans le Coran, non pas tant dans des passages particuliers que dans la tonalité globale: l'humanité est devenue si corrompue que les êtres humains ne savent plus comment être humains. Le Coran exprime le problème en termes de la problématique n°4 et propose ensuite la solution: l'obéissance aux diktats d'Allah qui restaure dans l'espèce humaine, plongée dans les ténèbres, des comportements cohérents avec sa dignité essentielle.
L'Islam signifie la soumission, pure et simple. Depuis septembre 2001, de nombreux Occidentaux ont compris ce point mais quelque chose fait défaut à cette définition basique et littérale. A quoi se soumettent les Musulmans? A la volonté et à la sagesse d'Allah, qui leur sont conviées au travers du Coran. C'est sûrement le cas mais cela n'explique pas encore POURQUOI ils doivent se soumettre comme ils le font. En cohérence avec la problématique portant sur la relation de l'Humanité à elle-même, les croyants de l'Islam doivent se soumettre à la sagesse surhumaine parce qu'ils perçoivent une corruption de l'humanité et une impossibilité qu'ont les êtres humains de se traiter humainement les uns les autres. Ils se soumettent à Allah parce que leur obsession avec l'inhumanité les pousse à le faire. Les Musulmans ressentent un énorme élan de supériorité dans la soumission parce qu'ils comprennent que leurs croyances répondent au questionnement du cas n°4, ce que ne font pas les autres religions. Cela explique pourquoi les Musulmans croient que l'Islam est la force gigantesque et insurmontable qui va impulser la transformation sociale sur terre. L'intensité de leur croyance est proportionnelle à l'acuité de leur perception de la problématique pour laquelle l'Islam apporte l'unique réponse. C'est de l'humanisme révélé. Ironiquement, c'est de l'humanisme fondé sur la perception d'une humanité corrompue.
Finalement, on pourrait argumenter que dans la doctrine de la Chute, le Christianisme s'adresse également à la problématique d'une humanité corrompue. Cela est vrai mais il met l'accent sur le cas n°3 et non pas sur le cas n°4. Dans la religion Chrétienne, l'humanité est corrompue parce que sa relation à Dieu a été fracturée ou trahie (en raison du péché des parents primordiaux, selon l'histoire qu'elle raconte). Dans l'Islam, l'humanité est considérée comme corrompue en raison de nos relations les uns aux autres. Pour les Musulmans, les interactions qui déterminent le rapport social de l'espèce humaine sont pourris, dégénérés et dysfonctionnels. Au vu de la condition de la “communauté globale” à l'aube du troisième millénaire, il est difficile de nier la vérité de cette observation.
John Lash
Traduction de Dominique Guillet.
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