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Mesotes - Matrice des Animaux de Pouvoir
John Lamb Lash
Do Kamo
La racine “man” se retrouve partout au monde, toujours en connexion avec la notion de présence spirituelle ou de pouvoir sacré vécu (non seulement conçu) de façon animiste. Dans la tradition Celtique, Manannan, le fils de la Déesse rivière Danu, est un personnage de type Manitou qui préside sur les eaux sombres du monde inférieur - ce qui rappelle de nouveau le motif Iroquois. Son homologue, en Pays de Galles, est Manawyddan, imaginé sous les traits humains d’un sorcier ou d’un poète. Dans la religion Romaine, Manes était le nom générique donné aux esprits des défunts. Le terme vient de l’Etrusque Mantus, un esprit du monde inférieur. (Les Romains empruntèrent une grande partie de leur tradition aux Etrusques qu’ils subjuguèrent).
Le terme “animisme” fut introduit par l’anthropologue E. B. Tylor dans sa théorie de l’origine de la religion (Primitive Culture 1871). Tylor découvrit le terme Mana dans les langues des cultures Océaniques de la Mélanésie, de la Polynésie, et de la Micronésie. Ce terme désigne une force ou une qualité impersonnelle et omniprésente qui demeure chez les humains, chez les animaux et les objets inanimés et qui suscite un sens de respect ou d’émerveillement chez ceux qui s’y relient. Dans le jargon des anthropologues, Mana est devenu le terme généraliste pour le Sacré appréhendé dans une perspective animiste.
La généralisation de Mana par Tylor permet une reconnaissance officielle de l’animisme mais tend à obscurcir le fait que mana est toujours perçu par les peuples indigènes d’une manière vivante et concrète, jamais de façon abstraite. Bien que l’on puisse identifier des personnages de type Manitou dans les cultures Océaniques, la tendance prévalente, dans cette partie du monde, est de caractériser mana par des animaux ou des plantes totémiques. Hainuwele, la vierge divine, dont le nom signifie “frondaison du cocotier”, offre un exemple remarquable de cette inclination. Chez les peuples de West Ceram en Nouvelle Guinée, Hainuwele est une Dema ou “esprit vierge” de la nature, dont le mythe complexe narre comment elle devint la plante totémique du peuple. La tendance à communier avec la présence sacrée du Manitou au travers de l’alimentation est très ancienne et antérieure à l’Esprit de la Nature Sauvage tel qu’il est connu dans les Amériques (CF. Joseph Campbell “Primitive Mythology”).
Chez les Kanaks de Nouvelle Calédonie, la présence du Sacré sous ses formes totémiques et animistes est étroitement corrélée avec la qualité de “do kamo”, l’authenticité. En 1947, l’anthropologue Maurice Leenhardt publia “Do Kamo - Person and Myth in Melanesian Society”, ouvrage dans lequel il expliqua que ce concept décrivait le sens indigène de la dignité propre à l’espèce humaine. Selon Leenhardt, qui était considéré comme un pionnier de la méthode “d’observation participative”, do kamo est l’expression en Kanak de ce qui est perçu comme intrinsèquement humain parce que conférant des qualités de clarté, de tendresse, de compétence et de synchronisation. Les Kanaks disent pouvoir percevoir l’authenticité selon la façon de tenir un yam ou de pagayer dans un canoë. (Au sujet de do kamo, voir mon essai “Socrates in the Last Days”).
Dans la vision indigène, l’authenticité propre à l’humain requiert d’être conscient de la présence du Sacré. L’identification totémique et l’ingestion rituelle du Manitou est une forme de “participation mystique” tandis que la rencontre avec l’Esprit de la Nature Sauvage durant la quête de vision en est une autre. Dans les deux cas, la Présence du Sacré jaillit de la nature et imprègne ses témoins humains d’un sens juste et harmonieux de la dignité humaine. La quête de vision des Amériques est une rencontre directe avec l’Esprit de la Nature Sauvage, le Manitou, qui non seulement confère au participant une sagesse visionnaire mais qui l’imprègne d’un sens de l’humanité qui est approfondi et plein de compassion.
Don génétique
Si ces comparaisons sont correctes, nous pouvons espérer que la rencontre avec le Mesotes puisse générer également un juste sens de l’humanité. Et cela semble très plausible si nous lisons en profondeur les écrits Gnostiques. Le Second Traité du Grand Seth (NHC, VII, 2), cité en début de cet essai, déclare:
“nous atteignons à la complétude de notre être ineffable par un code vivant en réalisant l’union parfaite au travers du Mesotes, la connexion de celui qui guérit (Iasus)”.
Comme tant de passages des traductions lourdes en Copte des soit-disant “originaux Grecs” des écrits Gnostiques, celui-ci contient une suite de référents non déterminés: “être ineffable”, “complétude”, “code vivant”, “union parfaite”. Qu’est ce qui est ineffable? Complétude dans quel sens? Quelle sorte de code? Ce dernier terme pourrait aussi être traduit en “unité pure”. Mais union avec quoi, union dans quel sens?
Rappelons que le néologisme Mesotes signifie littéralement “demi-joint” qui est mieux traduit par “intermédiaire”. Un intermédiaire réunit deux choses. Le Mesotes réunit l’humanité, en tant qu’espèce, à toutes les autres espèces. Ceci est “l’unité pure” qui peut être réalisée lors de la rencontre avec le Manitou, l’Esprit de la Nature Sauvage. La phrase “atteindre la complétude” utilise “teleios”, la forme adjectivale de “telos”, le but, la finalité. Les écrits de Nag Hammadi, tout autant que l’Evangile de Marie qui n’en fait pas partie, qui contiennent des enseignements attribués à Marie Madeleine, utilisent les termes “PITELEIOS RHOME”, “l’humanité parfaite”. J’ai proposé que le terme “ultime” est plus fidèle au message originel des maîtres Gnostiques que le terme “parfait”. La perfection ne peut pas être atteinte, en termes humains, mais le potentiel humain peut être finalement accompli, amené à un niveau optimal. C’est ce que veut dire “prospérer, être florissant”. L’épanouissement était le but (telos) de l’éducation et de l’apprentissage Gnostiques fondés sur les voies initiatiques des Mystères.
Le potentiel de notre espèce est inscrit, encodé, dans le génome humain, “un code vivant”. Chacun de nous porte en partage une partie du génie de l’espèce, sous forme de don génétique qui est distinct de l’héritage génétique provenant de la lignée familiale. Le don génétique, l’être ineffable, est un transfert phylogénétique de l’expérience de l’humanité dans son ensemble. Comme tel, il transcende et neutralise tout trait que nous héritons de nos liens de sang familial. Il est connecté avec le sens d’une mission, d’une vocation.
Phylogenèse: le processus d’évolution d’une espèce sur le long terme, qui se différencie du développement à court terme d’un individu membre d’une espèce (ontogenèse).
Transfert phylogénétique: le don à un membre individuel d’une espèce de capacités et d’intelligence émanant de l’expérience à long terme de l’espèce plutôt que de l’héritage familial - le génome propre à l’humanité.
Le Mesotes-Manitou possède une double fonction: d’une part, faire la médiation entre l’espèce humaine et toutes les autres espèces et d’autre part, au travers de la “connexion qui guérit”, générer en nous le sens profond de notre humanité, dont le sens de notre participation au génie propre à notre espèce. On ne peut qu’insister sur la complémentarité de ces deux fonctions.
PITELEIOS RHOME est l’expression complète ou ultime du potentiel humain qui peut être réalisée lorsque nous possédons et faisons évoluer le don génétique, le génome humain. Les Gnostiques utilisaient le terme Anthropos pour le génome humain, pour le prototype de notre espèce. C’étaient des voyants et des enseignants qui utilisaient la vision mystique et la connaissance initiatique pour faire fructifier le don génétique de leurs étudiants. Dans les cultures indigènes des Amériques, les jeunes membres de la tribu faisaient l'expérience d’une quête de vision pour les mêmes raisons: pour être initié par l’Esprit de la Nature Sauvage. Lorsque la quête était couronnée de succès, ils retournaient à la tribu avec une conscience accrue de la connexion entre les espèces ainsi qu’une perception approfondie de leur mission spécifique au sein de la société. Chez les Amérindiens, la quête de vision suscite un sens de responsabilité envers toute la tribu ou la “nation”, ainsi que l’a clairement explicité Black Elk.
L’adolescent qui retourne vers la société ordinaire à la suite des épreuves non-ordinaires de la quête de vision n’est pas supposé répondre aux attentes de ses parents mais bien plutôt de réintégrer la communauté avec le sens d’une mission plus universelle et transpersonnelle. Aucune tradition ne rapporte que le sens de la mission acquis durant la quête de vision se conforme aux obligations parentales ou familiales. L’accomplissement de ces obligations relève d’un engagement personnel qui n’a rien à voir avec ce qui émerge lors de la rencontre avec le Manitou, l’Esprit de la Nature Sauvage. Le transfert phylogénétique transcende toute sorte de continuité ou d’obligations parentales ou familiales. Dans la vision la plus large, il confère à la personne individuelle un sens de solidarité avec la tribu humaine, avec l’espèce dans son ensemble - c’est la connexion entre le soi et l’espèce décrite dans le chapitre 23 de mon ouvrage “Not in His Image”, avec une référence complète au Mesotes. Il faut comprendre que la relation soi-espèce ne prend tout son sens qu’au sein de la connexion entre toutes les espèces. Le Mesotes consolide ces deux connexions.
Laissés à nos propres inventions, sans une relation d’empathie avec les autres espèces non-humaines, nous ne pouvons pas savoir ce que cela signifie d’être humains.
Voir Page 3
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