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Nymphes des Arbres et Shamans aux Arbres Pendus
1. Le Mythe d’Adonis
John Lamb Lash
Le chapitre 17 de mon ouvrage Not in His Image est intitulé “La fin du Patriarcat”. Il commence ainsi:
Le monothéisme émerge avec un dieu qui hait les arbres.
“Vous détruirez tous les lieux où, dans les nations que vous posséderez, servent leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs dieux, et vous ferez disparaître leurs noms de ces lieux-là.” Deutéronome 12:2-3.
Le Démiurge de l'Ancien Testament est jaloux et il exige qu'aucun autre dieu ne soit honoré devant lui. Cette requête implique, bien sûr, qu'il existe d'autres dieux, des divinités concurrentes. Ce sont les divinités Païennes qui emplissent la nature, qui se manifestent dans toutes sortes de créatures, dans les nuages et dans les rivières et dans les arbres et même dans les rochers. Le monothéisme ne peut tolérer aucun de ces pouvoirs sensuels immanents. Il rend la Terre exsangue de divinités et assujettit ses habitants à une autorité extra-terrestre.
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Tout au long de cet ouvrage, je fais référence à l'assertion Gnostique selon laquelle la religion de la rédemption est une aberration mentale inculquée dans le mental humain par des entités non-humaines appelées les Archontes. Que l'on accepte ou non cette explication étrange, il est clair, pour le bon sens commun, qu'une divinité paternelle qui prétend avoir créé le monde naturel et qui exige, néanmoins, d'être adoré par la destruction de la nature doit souffrir de problèmes psychologiques sérieux. C'est un dieu aberrant qui inspire une foi tordue. Nous vivons dans un monde naturel que nous devons renier et détruire afin de témoigner notre dévotion au dieu qui l'a créé. C'est assurément une des conceptions les plus perverses que l'esprit humain ait jamais imaginée.
Une Expérience Eradiquée
Comment une telle notion a-t-elle pu être élaborée sous l'apparence d'un système religieux? La haine monothéiste des arbres doit procéder de la nature humaine puisque ce sont les hommes qui créent la religion et qui inventent leurs propres dieux. Une telle haine doit provenir d'une expérience réelle. Même la démence, la distorsion de la réalité, dépend d'une réalité qu'elle puisse déformer. Quelle réalité a pu être à l'origine de la distorsion abominable de Deutéronome 12?
Il a souvent été remarqué que le Christianisme emprunta certains de ses rites et de ses symboles à la religion Païenne. La Messe Chrétienne, par exemple, fut directement empruntée à la religion Mythraïque. Le Vatican, lui-même, est érigé au-dessus d'une crypte dans laquelle les rites de Mithras étaient célébrés. Noël était originellement un jour de fête dédié à la renaissance du dieu solaire, Mithras, pour ne pas mentionner une pléthore d'autres divinités Païennes.
Bon d'accord, tout cela n'est pas nouveau. La “cooptation” de rituels et de symboles religieux Païens par le Christianisme est bien connue mais ce crime de piratage spirituel révèle un aspect beaucoup plus grave encore. C'est une chose de piller les rites et les symboles qui émanent d'une expérience religieuse authentique, cela en est une autre d'annihiler la possibilité même de vivre une telle expérience. L. D. Laing, dans son ouvrage “La politique de l’expérience” mit en valeur ce danger: “Lorsque notre expérience est détruite, notre comportement sera destructeur”. Le comportement destructeur exigé par la divinité paternelle dans Deutéronome 12 peut-il provenir d'une expérience détruite? Et dans ce cas, quel type d'expérience?
Un jour, un ami me demanda pourquoi l'enfant Jésus est-il dépeint dans une mangeoire. Cette question éveilla mon attention parce qu'après tant d'années d'immersion dans la mythologie, je ne me l'étais pas posée moi-même! “L'Enfant Christ” dans la mangeoire est un des détails frappants du Nouveau T0estament. Cette image attachante est si profondément associée à la vie de Jésus que nous n'imaginerions jamais qu'elle puisse appartenir à un autre cadre ou à une autre histoire. Cela semble ainsi, comme avec tant d'autres aspects du Christianisme, parce que la cooptation a été réalisée de telle sorte qu'elle exclut toute autre alternative. La propagation du Christianisme a été comme une violente campagne publicitaire de lavage total de cerveau dont la finalité est de s'assurer que le consommateur visé non seulement rejette la concurrence mais en vient à oublier totalement l'existence d'une telle concurrence.
Naissance dans un Arbre de Myrrhe
Après mûre réflexion, je découvris que le mignon symbole du bébé Jésus dans la mangeoire était une cooptation de Tammuz (“fils véritable”), le berger Sumérien. Lorsqu’il gardait les chèvres et les brebis, Tammuz dormait parfois dans la mangeoire où le troupeau venait manger. Cette humble tableau contraste avec son rôle privilégié d’amant de la déesse Ishtar.
L’équivalent Grec du Tammuz Assyrio-Babylonien était Adonis. Selon la légende, sa mère Myrrha était un arbre, c’est à dire une nymphe d’arbre, une dryade. Selon une autre légende, Perséphone, la fille de Demeter (la déesse gardienne des Mystères d’Eleusis) se prit d’amour pour Adonis et l’emmena avec elle lors de ses voyages au travers des saisons de l’année. En d’autres mots, l’humain Adonis devint totalement absorbé dans les processus de recyclage et de régénération de la nature, tel un arbre qui change avec les saisons.
Dumuzi (identique bien sûr à Tammuz), la contrepartie Sumérienne d’Adonis, était traditionnellement né d’un arbre (voir l’illustration). Même des observateurs occasionnels de la nature ont pu remarquer que les troncs de nombreux arbres ont des jointures béantes qui ressemblent à un orifice utérin distendu. Adonis est extrait de l’arbre tandis que sa mère, dans l’intensité de la délivrance, regarde vers le bas comme si c’était un miracle.
Au travers de tout l’ancien Proche Orient, la naissance d’Adonis d’un arbre de myrrhe après une période de gestation de 10 mois, était célébrée le 25 décembre. C’est l’origine préhistorique de l’arbre de Noël.
Trois détails de l’image d’Urbino sont frappants. Tout d’abord, Myrrha, la nymphe de l'arbre, a les bras étendus dans une position qui suggère immédiatement la posture de quelqu'un crucifié sur une croix. Ensuite, l'écharpe dont elle est enroulée rappelle le serpent enroulé autour de l'arbre dans le Jardin d'Eden. Enfin, Myrrha porte une coiffe pointue qui ressemble presque à une corne et qui rappelle la couronne d'épines portée par Jésus sur le Golgotha. C'est comme si ces détails étaient des indications subliminales insérées dans l'imagerie mythologique manifeste. Le bol de céramique illustre (symbolise, si vous préférez) une expérience qui n'est pas la contrepartie littérale de ce qu'elle montre. Cette image complexe est, pour nous aujourd'hui, le reflet d'un événement que l'humanité a vécu dans le passé parce qu'elle possédait une faculté spécifique de vivre une expérience (qui reste à déterminer), une faculté qui a été depuis lors éradiquée. Si cette image mythique nous semble obscure aujourd'hui, ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas concevoir ou imaginer ce qu'elle pourrait signifier mais parce que nous ne pouvons plus faire l'expérience, d'une façon directe et vivante, de ce qu'elle représente.
En bref, la céramique ne dépeint pas simplement un événement mythologique, la conception d'un homme par un arbre-femme; elle révèle également la contrepartie vécue humainement de cet événement: l'expérience encodée dans l'image mythique d'un arbre-femme donnant naissance à un homme.
Caricature de Crucifixion
Maintenant, si nous assumons que l’artiste Italien qui a réalisé cet objet d’art a préservé soigneusement certains détails de la mythologie Païenne concernant Adonis et si nous admettons que la légende d’Adonis date de millénaires avant le Christianisme, nous pouvons affirmer que l’image sur la céramique représente un événement mythique qui vint à être caricaturé dans la crucifixion. Par caricaturé, j’entends détourné délibérément et de façon perverse. Les détails spécifiques qui ont été empruntés sont flagrants, comme nous l’avons souligné ci-dessus: la femme avec les bras étendus de joie, l’écharpe tournoyante, le chapeau pointu. Le premier et le dernier de ces détails sont transposés dans les scènes conventionnelles de la crucifixion. Le second détail a été coopté pour les représentations conventionnelles du scénario Chrétien de la Chute: le serpent tentateur enroulé autour de l'Arbre de Vie.
Considérez attentivement comment la caricature pervertit la valeur des images mythiques originelles. Le geste de Myrrha est une expression de joie: elle ouvre les bras comme pour embrasser l'enfant nouveau-né mais pour témoigner également de son exubérance. L'écharpe-serpent flotte librement autour d'elle. Dans l'art et le mythe Païens, le serpent représente la force vitale avec ses courants sinueux générateurs d'extase. Dans le mythe Gnostique, le serpent dans le Jardin d'Eden est l'instructeur et le bienfaiteur divin qui confère la connaissance extatique de la Gnose aux parents originels, Adam et Eve. Toute cette imagerie est redéployée, de façon grotesque, dans l'imagerie religieuse où le Christ sur la croix remplace le serpent sur l'arbre. La différence, quant à l'impact psychologique, entre la naissance d'Adonis et la crucifixion est évidente: la première, l'image Païenne, représente l'extase et la naissance à partir des pouvoirs de la terre; la seconde, l'image Chrétienne, représente l'agonie de la mort humaine comme un sacrifice d'un autre monde.
L'image de la crucifixion emprunte et détourne une image mythique pré-existante, qui procéda d'une certaine expérience, mais la cooptation invalide et inverse les valeurs attachées à cette expérience. Dans mon ouvrage, j'appelle cette stratégie une contre-imitation, en m'inspirant du Grec antimimon, utilisé par les textes Gnostiques pour décrire la mentalité Archontique. En d'autres mots, la contre-imitation copie une image mais la convertit en un ensemble de valeurs contraires à sa signification originelle. La contre-imitation de la crucifixion a éradiqué la religion Païenne de l'extase et de la régénération dans la nature pour lui substituer un culte de la mort et de la souffrance. Cela a fait paraître le pouvoir rédempteur, attribué à la souffrance du Christ, plus puissant que la force régénératrice de la nature elle-même.
Les Gnostiques insistaient sur le fait que c'est une conception dangereuse et perverse. Qu'en pensez-vous?
Mémoire phylogénétique
Pour l’instant, tout va bien. Mais venons-en au vif du sujet. Quelle est la nature de “l’expérience vécue humainement” représentée par la conception d’Adonis par un arbre-femme? Il y a deux réponses à cette question. Premièrement, l’image mythique, montrée ci-dessus, reflète l’expérience religieuse Païenne de régénération extatique au travers de la communion avec les forces de la nature, comme nous l’avons suggéré plus avant. Ceux qui s’identifiaient avec Adonis renaissaient spirituellement et somatiquement. Ils participaient moralement, émotionnellement et psychologiquement à la régénération de la nature comme s'ils faisaient partie intégrante du monde naturel et non point des êtres séparés de ce monde, confinés uniquement dans le monde humain, piégés dans une identité tournée vers elle-même. Toute personne initiée dans les rites d'Adonis pouvait vivre cette expérience. L'image d'Urbino représente l'expérience directe de ceux qui passaient par ces rites.
Mais cette image mythique dévoile également une autre expérience, quelque chose qui transcende la sphère de l'individualité. C'est parce que les mythes font référence à l'évolution sur le long terme de l'espèce humaine, et pas seulement à l'expérience spécifique d'un membre individuel de l'espèce, que chaque image mythique représente un concentré de temps. Cela signifie qu'elle met en valeur, sous une forme picturale statique, un processus qui a évolué sur une longue période de temps, remontant à la préhistoire. Prenons l'exemple d'Orion le Chasseur. C'est l'image mythologique la plus connue que nous trouvions dans le ciel, où elle est inscrite comme une constellation. L'image mythique d'Orion ne représente pas simplement un individu humain qui un jour partit chasser, elle représente l'expérience de la chasse telle qu'elle fut vécue par toute l'espèce humaine pendant des centaines de milliers d'années. Orion est l'image de concentré de temps d'un processus évolutif vécu par toute l'espèce humaine. L'image est un moyen mnémonique pour se remémorer mentalement ce processus évolutif sur le long terme. On pourrait dire qu'une image mythique est un icone de mémoire phylogénétique. Cliquez sur l'icone du mythe, contemplez l'image et elle va convier la mémoire de l'espèce sous la forme d'une narration mythique.
Phylogénétique est l'adjectif de phylogénie, à savoir le développement de l'entièreté d'une espèce, par contraste avec l'ontogénie qui signifie le développement d'un individu de l'espèce. Phylogénétique fait référence à l'expérience partagée par un phyllum. (La taxonomie de Linné décrit chaque être vivant en Royaume, Phyllum, Classe, Ordre, Famille, Genre et Espèce. L'humanité appartient au Phyllum des Chordata qui comprend tous les vertébrés avec un système nerveux le long du dos. En termes évolutifs, l'espèce humaine est définie comme une créature avec une colonne mais en termes moraux, de nombreux membres de l'espèce sont totalement dépourvus de colonne.)
Le fait que le mythe conserve les archives de la mémoire phylogénétique, ou mémoire sur le long terme de l'espèce, n'a pas été pris en considération de façon conséquente, pour autant que je sache. Cela fait des années que j'essaye de faire circuler cette conception. Peut-être pouvez-vous comprendre maintenant, patient lecteur, pourquoi j'ai estimé que ce sujet était d'une importance capitale. La valeur heuristique de cette idée est considérable et elle peut être vitale pour la survie de l'humanité. (heuristique: 1. Qui consiste à faire découvrir par l’élève ce qu’on veut lui enseigner./ 2. Qui procède par approches successives en éliminant progressivement les alternatives). Si vous acceptez le concept de l'image mythique tel que je viens de l'exposer ici, vous pouvez formuler des questions qui vont conduire au coeur même du matériau mythologique. Vous pouvez vous demander: quelle mémoire phylogénétique spécifique cette histoire ou cette image mythique présente-t-elle? La réponse est déjà à moitié contenue dans la question. En sachant ce que vous recherchez, vous serez capable de développer une réponse empreinte de richesse et de pertinence. Vous pouvez demander ce qu'une narration ou une image mythique révèle quant aux expériences spécifiques dans l'évolution de notre espèce sur le long terme.
Ce qui nous amène à la seconde réponse au sujet de l'image mythique d'Adonis né d'un arbre. Cette image ne représente pas un événement littéral unique, un garçon né d'un arbre-femme à une époque éloignée de la préhistoire, mais un événement réel et vécu qui s'est répété sur de très longues périodes de temps.
Techniques de Cerveaux Droit et Gauche
La mémoire phylogénétique englobe tout ce qui est arrivé à l’espèce humaine, y compris ce qui l’a amené à sa phase courante d’existence biologique en tant qu’animal à deux jambes conscient de lui-même. Quiconque peut accéder à la mémoire sur le long terme de l’espèce humaine peut arriver à découvrir comment le corps humain fut formé à partir d’événements générateurs au niveau moléculaire, comment nous avons évolué à partir d’une sorte de plasma primaire en une créature complexe multi-cellulaire, comment nous avons acquis nos organes sensoriels, comment le cerveau s’est développé, comment le sexe a émergé, comment nous avons acquis des ongles de doigts, comment nous avons pu pleurer lorsque nous étions tristes et ainsi de suite. Ce sont des développements évolutifs et biologiques, des choses qui nous sont arrivées, plutôt que des actions que nous avons réalisées, comme la chasse. Ce sont des événements dévelopementaux dans la vie de notre espèce. Mais la mémoire phylogénétique englobe également d’autres événements: comment le feu fut découvert, comment la scie fut inventée, comment nous avons appris à faire du pain. Je souhaite mettre en exergue que la mémoire phylogénétique véhicule les archives des découvertes que les êtres humains ont faites tout autant que les développements biologiques par lesquels l’espèce humaine est passée. Ces deux catégories d’événements sont inscrites dans le génome humain et on peut y accéder par des techniques shamaniques d’extase, comparables à la Gnose des Mystères.
C’est maintenant que les choses se corsent comme cela arrive parfois sur le site de Métahistory. Nous sommes en train d’évaluer un concept étonnant -le mythe est une archive de mémoire phylogénétique- et, en même temps, nous sommes en train de contempler un matériau mythologique avec ce concept à l’esprit, afin d’observer comment le concept peut être appliqué, comment il fonctionne dans la pratique. Cet exercice requiert l’utilisation du cerveau gauche (concept) et du cerveau droit (mythe) simultanément mais il n’est pas toujours sage d’impliquer les deux côtés du cerveau en même temps. Par exemple, nous ne pouvons pas investiguer “la naissance de shamans mâles à partir de femmes qui étaient des arbres” et rester impliqués dans le concept de mémoire phylogénétique avec notre cerveau gauche. Cette investigation doit être poursuivie via un processus narratif, via une histoire racontée.
L’histoire ne peut pas être développée de façon conceptuelle même si nous utilisons un concept pour l’initier, c’est à dire pour cadre le processus de narration.
Même si le matériau mythologique, qui doit être mis en valeur au travers de la narration, peut montrer comment le concept fonctionne, le concept doit être mis de côté pour éviter le risque qu'il puisse gêner ou même corrompre la narration. Ainsi, la manière de procéder à partir de ce moment est d'élaborer la narration strictement en fonction de ses propres critères. Lorsque le mythe se sera développé en un ensemble de mémoires palpables et imagées de l'expérience de l'espèce, nous pourrons revenir vers le concept englobant de la mémoire phylogénétique. Durant le processus de développement du mythe, il est conseillé de reléguer la pensée critique et conceptuelle dans un état de dormance.
Tout comme nous le faisons lorsque nous allons au cinéma.
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