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Nymphes des Arbres et Shamans aux Arbres Pendus
3. La Conscience de la Nature
John Lamb Lash
Les érudits s'accordent sur le fait que le shamanisme appartient aux strates les plus anciennes de l'expérience religieuse de l'espèce humaine mais ils ne peuvent pas imaginer à quand remontent réellement ses origines. Avant que le calvaire, très bien documenté, du shaman pendu aux arbres n'arrivât, les shamans étaient nés dans les arbres.
“Tout au fond du Grand Nord, disent les Yakut, le grand mélèze aux multiples branches est à l'origine d'une terrible maladie. Sur ces branches se trouvent des nids dans lesquels les shamans naissent. Lorsqu'un shaman doit naître, un grand aigle aux plumes de fer et aux serres en crochets vole vers le mélèze sacré et y pond un oeuf. Lorsque le shaman est de la caste supérieure, l'oiseau reste avec l'oeuf pendant trois longues années. Lorsque le shaman est d'une caste inférieure, le temps pour la couvaison n'est que d'une année. La femelle Aigle est appelée “Mère des Animaux”. Elle apparaît à trois occasions durant la vie d'un shaman. La première fois, lorsqu'elle donne naissance au shaman; la seconde fois lorsque le shaman passe par l'épreuve du démembrement et du sacrifice; la troisième fois, lorsqu'il rencontre la mort pour la première fois. Lorsque l'âme du shaman éclot de l'oeuf, la Mère des Animaux confie le bébé shaman à un esprit-shaman, Brugestez-Udagan, qui n'a qu'un oeil, qu'une main, qu'une jambe. Cette créature étonnante dépose sa charge dans un berceau de fer, le berce, en prend soin et lui amène des morceaux de sang coagulé.” (Joan Hallifax. Les Chamans. Guérisseurs blessés).
La tradition Sibérienne préserve une description détaillée d'événements qui se sont déroulés sur Terre durant le long prélude à la préhistoire. L'image d'Adonis né d'un arbre est une image/concentré de temps d'un événement qui s'étala sur une période très longue et culmina avec la formation d'un système nerveux humain, dans l'épine dorsale, semblable à un arbre, qui définit le Phyllum Chordata dont fait partie l'espèce humaine dans la taxonomie de Linné. L'image mythique est l'encodage compressé d'un événement phylogénétique.
Mythologie Dynamique
Le paragraphe ci-dessus illustre une méthode d'interprétation des traditions indigènes et archaïques qui pourrait être appelée “mythologie dynamique” parce qu'elle considère les récits et les images mythiques comme des archives d'événements qui ont puissamment modelé la réalité humaine et aussi parce qu'elle assume que les éléments mythiques eux-mêmes ont le pouvoir de rappeler et de réactiver ce qu'ils dépeignent. Tout mythe authentique est interactif et psycho-dynamique.
Dynamique, adjectif. 1. Relatif au mouvement produit par des forces ou de l'énergie. 2a. Caractérisé par un changement ou un mouvement continuel. 2b. énergique et puissant. 3. mémoire d'ordinateur: utilisation d'éléments qui requièrent un renouvellement permanent pour conserver l'information stockée. (The Penguin Concise English Dictionary. 2001).
La troisième définition a quelque rapport avec le processus du rappel mythique (ou rappel shamanique, si vous préférez). Si nous paraphrasons: la mémoire de l'espèce humaine s'appuie sur des outils qui requièrent un renouvellement périodique afin que l'information, qui fait l'objet d'un rappel phylogénétique, puisse être conservée. En termes traditionnels, ces “outils” étaient des rituels tribaux de narration, de danse, de percussions et de costumes. Selon le dicton des Na-Khi, un peuple Tibétain du sud-est de la Chine: “Il faut se connecter à la source des plantes sacrées, sinon elles ne peuvent exprimer leur magie”. Eliade affirma que la nature essentielle du mythe est paradigmatique: elle pourvoit un modèle ou un cadre de comportement mais les mythes doivent être constamment racontés afin que ce qu’ils modèlent reste actif, impliqué dynamiquement dans la vie de ceux qui les promulguent. D’une certaine façon, chaque mythe dirige sa propre promulgation. C’était, du moins, le cas dans les sociétés où l’élaboration des mythes constituait un art sacré. D’où la répétition de rites saisonniers en révérence à la Déesse, la promulgation rituelle des exploits des Ancêtres, etc.
Union Cognitive
Dans les temps anciens, probablement durant l’ère Dévonienne (il y a 360 à 408 millions d’années), les nymphes des arbres de Gaïa accouchèrent des chasseurs d’Orion dans une union cognitive permanente avec la Terre. Dans une métaphore neuro-anatomique, les femmes furent aux hommes ce que les dendrites sont aux axones. (NDT. Le terme dendrite vient du Grec dendron, signifiant arbre). La tradition shamanique Sibérienne suggère quelques aspects de cet événement: par exemple, la formation du flux sanguin, un réseau arboré chargé de magnétisme ferrique. L’union cognitive des mâles Alpha était guidée par la suprême présence sur Terre, l’Eon de vie, Gaïa. Le processus impliquait tout le champ magnétique de la planète. Les enseignements des Mystères (conservés sous forme fragmentaire dans les polémiques contre les Gnostiques) décrivent comment l’Eon Sophia fabriqua du sang à partir de l’ocre rouge de la terre et le chauffa à la bonne température grâce à des éruptions volcaniques. Dans le cadre linéaire des ères géologiques, ces vastes changements géophysiques se déroulèrent durant le Permien (250 à 286 millions d’années), en concomitance avec l’effervescence du volcanisme Sibérien.
Dans ces temps reculés, les chasseurs d’Orion qui osèrent les premiers se laisser aller à l'étreinte dendritique et à l’enlacement tendre des nymphes des arbres virent leurs corps plasmatiques infusés par la signature primitive de l’arbre à sang. Les peuples aborigènes qui révèrent l’ocre rouge préservent, sans le savoir, cet événement crucial. Les Mystères de l’Aigle shamanique sur l’Arbre du Monde - une image que l’on retrouve dans le texte Gnostique l’Apocryphe de Jean - a été recouvrée et développée par Carlos Castaneda.
La “maladie” à la racine de l’arbre est indéchiffrable par les érudits mais elle est parfaitement compréhensible si nous la corrélons à l’inimitié primordiale entre les deux genres.
Les femmes devinrent sur-identifiées avec la nature, de par leurs fonctions biologiques. Les hommes devinrent dissociés de leur sens: ils rejetèrent l’union tellurique. Ces disharmonies psycho-émotionnelles au sein de chaque genre n’auraient jamais émergé si les deux genres n’avaient pas été dissociés dès les origines. Nous ne cherchons pas une harmonie perdue depuis longtemps, la redécouverte d’un idéal androgyne, nous cherchons un équilibre que nous n’avons jamais eu, en premier lieu. L’harmonie entre les genres dans l’espèce humaine est une nécessité fondamentale pour sa survie physique. L’amour générique est l’affection mutuelle entre les hommes et les femmes dans la reconnaissance de leur handicaps sexuels. Il existe de nombreux mélanges et variantes de genres, des chasses et des rêves inter-génériques mais la santé basique de l’espèce dépend de la réconciliation de la polarité principale, les genres masculin et féminin. Ce sont quelques enseignements que nous pouvons tirer du mythe des shamans nés dans les arbres.
L’union cognitive avec la terre fut possible parce que la nature a prévu dans la forme humaine l’instrument pour que la conscience de la nature puisse s’éveiller dans le mental. Mais qu’entend-t-on par “conscience de la nature”? La phrase fonctionne dans les deux sens en même temps: premièrement pour indiquer la conscience de la nature, qui lui appartient intrinsèquement, indépendamment de la contemplation humaine, et secondement pour indiquer la conscience humaine de la nature, focalisée sur la nature. De façon paradoxale, la seconde exclut la première. A savoir que notre conscience de la nature ne nous donne pas, normalement, une connaissance directe et certaine de la conscience propre de la nature; nous sommes donc enclins à percevoir la nature comme manquant d’une conscience intrinsèque. Ceci s’applique à l’état ordinaire de conscience, ou réalité consensuelle, des êtres humains de notre époque, mais cela n’était pas ainsi durant d’autres époques. En d’autres temps, lorsque l’animisme était la norme, la réalité consensuelle impliquait une participation directe à la conscience de la nature.
Les shamans entrent en exploration dans des états paranormaux dans lesquels la conscience de la nature est la réalité primordiale de leur expérience. Dans les sociétés dans lesquelles la réalité consensuelle était participative et animiste, il y avait toujours besoin de pénétrer plus profondément dans la nature que les conditions socio-culturelles le permettaient. Le rôle des shamans était juste celui-là: d'aller plus profondément, de pénétrer dans le plan chtonien et de l'explorer. Comme je l'explique dans mon essai “l'Arbre et la Source”, les shamans étaient des intermédiaires entre la culture humaine et le royaume chtonien ou infernal de la nature non-humaine, les mondes inférieurs. Leur vocation était d'aller à des niveaux plus profonds que ceux de la participation collective dans les processus animés et animants de la nature. Les shamans étaient les premiers adeptes de l'écologie profonde dont les connaissances et les capacités se développèrent au fil de leurs rencontres toujours plus profondes avec la conscience de la nature. Les premiers shamans sur terre étaient les chasseurs d'Orion qui abandonnèrent leur avant-poste cosmique en acceptant l'étreinte des nymphes des arbres de Gaïa, des femmes qui se transformaient en arbres et vice-versa. C'est la partie charmante de la romance chtonienne.
L’Appel de Daphné
Dans l'étreinte des nymphes des arbres, les mâles Alpha empreints de rapacité furent transformés. Ou du moins, certains d'entre eux. Ils devinrent des hommes différents, transformés de manière vraie et authentique par rapport à ce qu'ils étaient auparavant. Ils acceptèrent l'abandon comme une façon supérieure de mourir. (Cet acte mythique anticipe le liebestod, la mort-amour, le thème central de la Quête Romantique de la vie spirituelle Européenne. Voir “The Cult of Amor” in The Magdalen Connection). Leur transformation fut dynamique tout comme peut l'être et doit l'être notre rappel. Le poète Rilke le savait bien car il passa par une sorte d'initiation dryadique à l'âge d'homme grâce à Lou Andreas-Salome. Dans les Sonnets à Orphée, II, 12 (1922), il évoqua Daphné, la dryade du laurier.
Chaque nuance de langage, chaque allusion, chaque proposition affirmée dans ce sonnet reflète intimement l'histoire de la romance chtonienne.
“Oh, imprègnes-toi de l'extase du feu” - qui est le feu dans votre sang, mais comment est-il arrivé là? Des volcans qui amenaient les menstrues à la Déesse, “l'esprit impulsion de la terre entière”. Son corps fut la scène de la romance chtonienne et elle ressentit tout ce que les amants originels ressentirent. Son plaisir était leur sacrement. Son ambiance magnétique était la grande étreinte, source de vie et de mort, en laquelle était lové leur amour mortel transitoire.
“Celui qui se cramponne à la simple survie est déjà arrêté” - car tout ce qui est mythique est dynamique et demande notre abandon afin qu'il puisse nous entraîner vers une autre forme de survie. “Suspendu dans les airs” - les premiers shamans grimpaient dans les arbres feuillus des dryades, les belles créatures de l'Air qui nous invitent à devenir le vent.
“Quiconque se déverse comme un ruisseau est appelé à connaître” - juste comme ces hommes nés des arbres lorsqu'ils sentaient le flux sanguin se former dans leurs corps nébuleux, commençaient à connaître la terre d'une nouvelle façon, d'une façon plus vivante et plus intime, en communion avec ce qu'ils contemplaient. “Lorsque deux peuvent croiser leurs chemins et s'en étonner” - comme les chasseurs et les nymphes étaient étonnés et tout comme nous le sommes lorsque les genres se rencontrent et fusionnent. Dans ce rite perpétuel, “la progéniture de notre départ” n'est pas une créature physique, ce n'est pas un enfant qui ressemble à ses parents, ce n'est pas le résultat d'un acte de plaisir, mais le plaisir lui-même - la progéniture d'un effort pur et suprême par lequel nous venons à ressembler aux dieux qui jouent et ne font que jouer.
“Et ainsi, Daphné la vive, transformée en laurier, veut que tu deviennes le vent”.
Odin à Un Oeil
L’exemple le plus célèbre et le plus documenté d’un shaman pendu à un arbre est certainement celui d'Odin, le visionnaire Nordique qui pendit durant 9 nuits et 9 jours dans l’arbre du monde, Ygdrassil. Son rite initiatique est décrit dans le Hamaval, “les paroles d’un inspiré”.
Le Hamaval est la forme écrite d’une récitation de 162 stances préservées par les shamans dans les traditions Nordiques et Islandaises. Cet ancien récit fut recueilli et rédigé au 13 ème siècle par Snorri Sturluson, un historien et poète Islandais. Son oeuvre, appelée l'Edda, représente l'un des recouvrements de tradition shamanique les plus essentiels jamais accomplis. C'est un trésor de connaissance initiatique et mythologique.
Odin resta pendu sur un arbre durant un supplice de neuf nuits pour explorer la mémoire ancestrale et recevoir les runes, un ensemble de neuf formules mantriques. Si les runes sont des clés orales toniques de la syntaxe génératrice de tous les langages possibles, alors l'Arbre doit être un médium d'articulation sublime. Selon Barbara Walker, Ygdrassil “montre de nombreux parallèles avec les arbres-mères, qui produisent des fruits ou du lait ou qui donnent naissance, dans le Proche-Orient, sous leur ancien nom Mjotvidr ou Mutvidr “L'Arbre-Mère”. Parfois, c'était l'Arbre à Hydromel, comme l'arbre donnant du lait des peuples Finno-Ugriques, un symbole qui doit remonter à la Mésopotamie et être très ancien. Il était dit que l'arbre était 'la source des âmes non nées, qui donnerait naissance à la nouvelle femme primordiale, la Vie (Lif) dans le nouvel univers à la fin du cycle présent.” (The Woman's Encyclopedia of Myths and Secrets).
L'arbre qui donne naissance à la femme primordiale devient l'arbre-femme qui donne naissance au langage dans l'oreille du shaman pendu à l'arbre. Le langage est magique et incantatoire, un code oral. Lorsque le shaman entend le langage, il ou elle voit la luminosité merveilleuse dont il/elle procède. Dans l'Edda Islandais, le poète illuminé dit “avec de l'eau blanche / est le grand arbre humide” (Volupsa, V. 19). Parmi les shamans Yakut de Sibérie, le jeune héros mâle, dans sa quête de vision, se retrouve seul dans une vastitude blanche comme lait. Il y rencontre la Grande Maîtresse qui envoie de la pluie de lait qui fait fondre l'arbre qu'elle incarne sous la forme d'une femme qui allaite le héros de sagesse. Ces motifs montrent que l'illumination shamanique indigène, tout comme le shamanisme sophistiqué des Mystères Païens, impliquait une rencontre directe avec la Lumière Organique sans ombres et de la couleur blanche du lait, le corps de substance fondamentale de Sophia.
Dans le vers 137 de Hamaval, Odin dit:
“Je sais que je suis resté pendu dans l'arbre soufflé par le vent
Durant neuf nuits entières, transpercé par une lance d'éclair
Consacré à Odin, à moi-même au-dessus de moi dans l'arbre
Dont nul ne sait comment sonder la racine.”
“L'épée d'éclair”, semblable au vajra ou la foudre sacrée du Bouddhisme Tibétain, est la Kundalini. Odin est consacré à lui-même parce qu'il est bilocalisé, dans une transe shamanique: il est simultanément dans son corps physique et dans un autre corps, dans les Mondes Inférieurs. La capacité d'être dans deux endroits à la fois est un exploit de shamans accomplis. Cela peut arriver, et cela arrive généralement, spontanément. Cela demande de rester conscient, lorsque vous êtes dans un endroit, que vous êtes également dans un autre endroit, et de maintenir cet état de conscience. Odin est “consacré à lui-même”, non parce qu'il accomplit un acte narcissique d'accomplissement personnel mais parce qu'il est intensément concentré sur l'expérience des deux corps. Le récit montre que son supplice est l'acte d'un shaman accompli, plutôt que celui d'un novice qui ne serait bilocalisé que temporairement. Cependant, il admet qu'il ne sait pas même comment sonder la racine de l'Arbre-Monde.
Ainsi que je l'ai écrit dans mon essai “L'Arbre et la Source”, dans lequel j'explique le logo de Metahistory.org: “Le mythe nous enseigne par là que nous devons abandonner notre mode de vision et de compréhension unilatéral, à savoir le processus mental exclusif du cerveau gauche afin de mettre en oeuvre les facultés poétiques et visionnaires de l'autre oeil, la conscience du cerveau droit.” Les images relatives à “un oeil” et à “une jambe” et ainsi de suite font référence à la bilocalisation, la “conscience du côté gauche” comme Castaneda l'appelait. Ces motifs rappellent l’expérience d’Alice (sous l’influence d’un champignon) qui passe au travers de la loupe. Ce n’est qu’en passant de l’autre côté du miroir que l’on prend conscience que le monde entier est séparé en deux faces de miroir. Il est extrêmement difficile de décrire ce paradoxe d’une façon littérale, et les shamans ont donc eu recours au trope de l'unilatéralité pour indiquer comment tout ce qui existe dans le monde physique, tel que nous le connaissons, n'est que la moitié de la réalité car toute chose possède une contre-image dans un autre royaume, un monde physique parallèle.
Dans une autre partie de son initiation, Odin boit de l'eau de la Source de Mimir (mémoire ancestrale) mais en échange de ce privilège, il doit sacrifier un oeil. C'est ce qu'il vous faut faire, patient lecteur, lorsque vous lisez les récits mythologiques que je présente sur ce site. “Les premiers hommes sur terre étaient des shamans nés de femmes qui étaient des arbres”. Lorsque vous lisez cette phrase, vous regardez avec un oeil de votre mental. L'oeil de votre cerveau gauche rationnel est momentanément aveugle parce qu'il ne peut pas analyser ou critiquer cette phrase. La narration mythique ne peut pas être analysée au moment même où on la reçoit. Une fois reçue, elle peut, bien sûr, être analysée et soumise à l'exégèse, au commentaire, etc. Dans la pratique de la mythologie dynamique, comme je propose de l'appeler, nous distinguons rigoureusement entre le temps que nous consacrons à l'absorption des histoires mythiques et le temps que nous prenons pour les commenter, les analyser, les extrapoler et ainsi de suite.
Le temps est comprimé dans un rappel mythique. Je pourrais présenter, par exemple, trois courts paragraphes du Mythe de Gaïa pour expliquer la formation de nos os. Ces paragraphes seraient purement narratifs quant à leur contenu. Ils décriraient ce qui est arrivé et comment cela fut vécu par l'espèce humaine dans des temps reculés. Une fois cette “information” présentée, je pourrais introduire des commentaires, citer des parallèles mythologiques, des suggestions et des notions psychologiques, des exemples tirés de l'art, des traditions indigènes, etc. Ainsi, le poème de Rilke et la recherche de Barbara Walker sur l'Arbre-Mère, valident et développent, tous deux, mon interprétation de la céramique Italienne qui dépeint la naissance d'Adonis.
Il n'est pas inconcevable que trois paragraphes de “mythe brut” puissent générer trente ou quarante pages de commentaires. De tels développements peuvent être considérés comme un prétexte pour des gens comme moi d'afficher leur érudition. Je préfère penser, comme don Juan, que l'exégèse volumineuse est un symptôme de la maladie du sorcier: la compulsion folle à expliquer l'inexplicable.
Erreur avec un T
Revenons maintenant au thème central de cet essai en trois parties: la conscience de la nature. Si la nature possède sa propre conscience avec laquelle notre mode de perception anthropocentrique nous empêche de nous connecter, il est néanmoins possible d'éliminer cet obstacle. Nous pouvons accéder directement à la conscience de la nature. La tradition shamanique, qui est l'expérience religieuse la plus ancienne et la plus durable de l'espèce humaine, témoigne de ce fait. Deux options se présentent à nous si nous avons le désir de surmonter cet obstacle. Tout d'abord de comprendre l'obstacle et comment il agit contre nous. Ensuite, de faire ce qu'il faut pour le surmonter.
Quant à la compréhension de l'obstacle, les Gnostiques avaient beaucoup à nous apprendre. Dans leur critique de la religion de la rédemption, ils affirmaient que les fausses croyances et les idéologies perverses bloquent notre accès direct au royaume de la Nature Sacrée. Nous contemplons à l'image de ce que nous croyons. La croyance ne crée rien mais elle place un filtre sur tout ce nous imaginons et créons. La croyance en un créateur extra-terrestre, par exemple, bloque notre accès à la présence immanente de Sophia dans le monde naturel. Les croyances font obstacle à notre capacité d'expérimenter parce que nous nous identifions à ce que nous croyons. Pour aller au-delà des croyances, il nous faut nous débarrasser de nos identités, de qui nous pensons que nous sommes. C'est pourquoi l'initiation dans les Mystères et les traditions shamaniques requéraient toujours la dissolution de l'identité du soi unique, de l'ego personnel. Cet ego est tel une grille de tréfilerie qui maintient ensemble un jeu de lentilles. Lorsque la grille fond, les lentilles se déplacent et nous percevons le monde d'une manière différente.
Les croyances relatives au sacrifice et à la rédemption constituent un écran puissant et quasi-total pour notre faculté de nous connecter avec la conscience de la nature. Pourquoi en est-il ainsi? Parce que l'imagerie mythologique et symbolique utilisée pour transmettre et imprimer de telles croyances s'appuie sur la distorsion de ces mêmes images-mémoires phylogénétiques qui affirment notre connexion primordiale avec la Terre. C'est comme si certains souvenirs de notre enfance - une barque sur le quai, des livres de montagnes, un fer à cheval - étaient incorporés dans l'histoire de quelqu'un d'autre, altérés et ensuite nous étaient représentés comme notre propre histoire. Et lorsqu'ensuite nous rappelons l'image de la barque sur le quai, nous allons la percevoir dans le contexte de l'histoire implantée plutôt que comme un souvenir authentique de notre enfance.
L'espèce humaine a perdu presque totalement l'accès à la mémoire de sa propre expérience sur le long terme parce qu'elle a été conditionnée à trouver son identité dans le contexte d'une histoire fausse et implantée. Notre capacité à faire l'expérience de la conscience de la nature a été détruite par la distorsion des images-mémoires spontanées qui nous montraient comment nous avons émergé de la nature et comment nous en sommes venus à être ce que nous sommes et où nous sommes dans le cosmos. La destruction de notre capacité pour cette expérience constitue la tragédie de l'humanité moderne.
Dans Deutéronome 12, un dieu extra-terrestre exige la destruction des arbres en son nom. Au passage 21:23 de ce même livre, le Souverain déclare que “celui qui est pendu à un arbre est maudit de dieu”. Sous l'influence des croyances illusoires, les anciens Juifs transformèrent les rites shamaniques d'initiation arborée en un moyen horrible de punition. Une fois introduite par les Juifs, la crucifixion fut reprise par les Romains qui trouvèrent plus pratique de pendre les gens sur des croix faites d'arbres plutôt que sur les arbres-mêmes. Assurément, un grand progrès à l'actif de la civilisation. Pour dire, le Christianisme présente un instrument Judéo-Romain de torture comme le symbole pour son message d'amour divin. Le message est pervers et l'arbre de torture est un substitut pour le berceau de verdure d'amour des origines dans lequel les femmes Gaïennes embrassèrent leurs contreparties mâles, les shamans d'Orion. Quiconque révère la croix, ou porte la croix (même comme apparat) ou fait le signe de la croix se rend complice de ce sinistre stratagème.
Les mythes authentiques sont le vecteur de la mémoire phylogénétique, mais des concepts pseudo-mythiques peuvent également constituer des instruments de contrôle et de manipulation. Les mythes de dieux mourant et ressuscitant qui s'accouplent avec la Grande Mère sont des reflets authentiques du rappel phylogénétique. Le mythe inventé d'un créateur extra-terrestre qui envoie son fils pour être torturé à mort sur un arbre est un instrument de contrôle et de manipulation. Les érudits et les mythologistes ont beaucoup de mal à établir ces distinctions même lorsqu'ils peuvent les concevoir - ce qui est peu probable. Ils assument qu'un mythe en vaut un autre. Carl Jung, par exemple, enseigna que tous les mythes possèdent une valeur égale en tant qu'expression de la psyché collective. Mais Jung avait tort. Tous les mythes ne sont pas des expressions authentiques du rappel phylogénétique. Tous les mythes ne convient pas la vérité et ne génèrent pas la vie. Le Christ sur la Croix ne vaut pas Odin sur l'Arbre du Monde. Le Rédempteur n'est pas simplement une variation ou une version “nouvelle et améliorée” d'Odin. Le mythe est dynamique, empreint de vie et de valeurs de vie. Mais il est peut être également utilisé dans un mode pathologique, empreint d'erreur et d'illusion. La distorsion du véhicule sublime d'un mythe en un instrument de manipulation sociale procède d'une intention délibérée.
Peur Mortelle
Dans ces trois essais, nous avons étudié comment l’image mythique de la naissance d’Adonis fut convertie en l’image de la crucifixion. La co-optation des images-mémoires phylogénétiques introduit des valeurs qui sont contraires aux valeurs inhérentes aux narrations mythiques originelles. Lorsque nous, en tant qu’espèce, déconnectons de la nature, nous devenons la proie de toutes sortes de peurs, et plus particulièrement la peur abjecte de perdre notre identité précieuse. Lorsque nous sommes connectés à la nature, nous pouvons perdre cette fixation égotique, vivre une expérience fantastique de régénération et d’extase, en apprenant une pléthore de choses magnifiques en cours de route, et revenir, totalement indemnes, à notre réalité personnelle. Nous pouvons mourir et revenir maintes et maintes fois.
Mais déconnectés de la conscience de la nature, nous vivons dans une peur mortelle du mystère sublime de cette connexion.
Le Terreur, c’est l’Erreur avec un T en plus. En termes de code mythologique, le symbole ultime de la terreur est la crucifixion sur un arbre parce qu’elle pervertit les images qui véhiculent la mémoire de la façon dont notre espèce communia pleinement avec la Terre. C’est l’instrument qui fait le plus obstacle à notre accès à la conscience de la nature.
La croix est la preuve flagrante de la manipulation morbide qui nous empêche de nous relier à la Terre, de goûter l’extase immortelle de la vie et d’être illuminé par nos propres sens. La distorsion qui a mis en place cet obstacle est-elle une simple erreur des hommes au cours de leur histoire ou bien est-elle le résultat d’une fraude délibérée? C’est une question cruciale que nous devons nous poser si nous souhaitons analyser le mode de fonctionnement de cet obstacle.
Selon mon opinion, la distorsion est délibérée. Le bon sens commun nous dit qu’il doit en être ainsi et la compréhension en profondeur de la nature de la mémoire phylogénétique confirme cette conception. Les parents mentent délibérément à leurs enfants au sujet du Père Noël, sans arrière-pensée. De même, les figures parentales de la société humaine au travers des âges ont menti au sujet du Christ, du sexe, du péché, du plaisir, et de beaucoup d’autres choses. Certains ont menti délibérément en sachant qu’ils proféraient des mensonges; d’autres en sont venus à croire que les mensonges qu’ils répétaient étaient véridiques. Nul besoin de le préciser, cela aide considérablement ceux qui génèrent les mensonges sans réellement y adhérer lorsque de nombreuses personnes acceptent de les répéter, en y croyant totalement. Le système devient presque intouchable car la foi sincère de nombreux croyants leurrés renforce les intentions occultes et sinistres de ceux qui ont délibérément mis en place la tromperie.
Pour terminer sur une note plus légère. Lorsque l’on vit dans un monde dominé par la tromperie, par le pouvoir du Mensonge, cela aide d’être conscient qu’il existe un pouvoir supérieur et compensatoire. Einstein appelait ce pouvoir “le sens du mystérieux”. La tromperie s’appuie considérablement sur la mystification, mais le sens authentique du mystérieux chasse et surmonte la mystification. Il n’y a pas de mystification dans la narration de la romance chtonienne mais il y a un mystère riche et illimité et l’attrait de choses à apprendre. Au contraire, il existe une énorme mystification autour des croyances religieuses fausses et induisant à l’erreur, dans les mythes pervertis et cooptés, et dans les conceptions aveugles de la foi.
C’est en retournant vers nos origines que nous pourrons recouvrer le sens du mystérieux. C’est un retour à la capacité de s’émerveiller. “La discipline est l’art d’être émerveillé” disait Castaneda dans un interview avec Michael Ventura. Telle est la discipline que je souhaiterais présenter et convier dans ces pages.
John Lash. Janvier 2006.
Traduction de Dominique Guillet
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