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Le non-labour dans les sillons de l’agro-chimie
Dominique Guillet
Suite à des articles louant le non-labour comme la nouvelle révolution verte et suite à la découverte de la page “agro-écologie” du CIRAD en France, il nous a semblé essentiel de faire le point sur cette pratique agricole appelée également “semis direct” et autrefois appelée “agriculture chimique” ou “chemical farming”. En effet, il y a non-labour et non-labour. Et celui de Fukuoka n’a strictement rien à voir avec celui de Monsanto!
Cette pratique, introduite par l’agriculture moderne il y a une quarantaine d’années, recouvre officiellement 96 millions d’hectares sur la planète (à savoir 4 fois la surface agricole de la France). Elle fut introduite avec le souhait louable de lutter contre l’érosion des sols. Cependant, elle est devenue l’agriculture la plus toxique du monde (chimères génétiques + pesticides à outrance) et on pourrait se demander si la lutte contre l’érosion n’était pas une gentille excuse pour accroître, de façon considérable, les profits de la mafia en contrôle de l’agro-chimie et des chimères génétiques.
La majorité des surfaces agricoles en non-labour sont dédiées à la production de viande (soja et maïs) et récemment d’agro-carburants (soja et maïs ). Alors que le cancer des pesticides accroît son emprise sur toute la planète, il n’est que temps de démystifier le non-labour chimique qui est une catastrophe (une de plus) pour l’environnement et la santé de l’humanité.
Origines du non-labour chimique
En Amérique du nord, les premiers essais de non-labour chimique virent le jour grâce à l’invention de l’herbicide 2,4 D dans les années 40.
En Europe et Amérique du nord, c’est l’invention du Paraquat en 1955 et sa commercialisation en 1961 qui permit l’expansion des pratiques de non-labour. Rappelons que le Paraquat est un des herbicides les plus dangereux et que début octobre 2006, la Déclaration de Berne lançait, sous la forme d’un site web, un «tribunal public» sur l’affaire paraquat. Cet herbicide est actuellement produit par Syngenta.
Les techniques de non-labour furent grandement facilitées également par l’introduction de l’atrazine. Cet herbicide peu onéreux fut introduit en France en 1962 et interdit en Europe en 2002: à savoir 40 années d’utilisation d’un herbicide qui fut jugé inoffensif par l’établissement scientifique à la solde de l’agro-chimie et qui est le principal polluant des eaux en France.
En Amérique Latine, c’est le Brésil qui fut pionnier dans l’introduction des techniques de non-labour. Les débuts sont reportés avoir été très lents pour la raison toute simple, c’est que seuls deux herbicides étaient disponibles à cette époque: le 2,4-D et le Paraquat.
Et certains osent parler d’agro-écologie et d’agriculture durable quand ils promeuvent le non-labour chimique! Quelle grande farce.
Le non-labour aux USA, inféodé à la chimie
En Janvier 2007, se tenait, dans l’état de l’Iowa aux USA, le 15 ème symposium national du “non-labour” sous le haut-patronage, depuis 1993, de la multinationale Syngenta, un des leaders de la chimie lourde (et le troisième consortium mondial de la semence). L’une des conférences principales portait sur un sujet essentiel et très d’actualité, à savoir la résistance sans cesse croissante des “adventices” aux herbicides, sur toute la planète.
Car, bien sûr, la grande majorité des agriculteurs pratiquant le “non-labour” ne fonctionnent qu’avec l’épandage des herbicides les plus puissants. C’est un non-dit et ce n’est pas le seul.
Sur le site internet du “no-till farmer” qui se considère comme la référence en non-labour aux USA depuis 1972, on peut trouver des actualités qui portent par exemple sur le tout nouvel herbicide homologué de Dow AgroSciences, le “SureStart” qui est spécialement conçu pour la maïs transgénique “Roundup Ready” et qui constitue le parfait complément au glyphosate de Monsanto ou bien encore sur le tout nouvel herbicide de Syngenta “Prefix” qui est spécialement conçu pour le soja transgénique et qui constitue, lui-aussi, le parfait complément au glyphosate de Monsanto.
On peut également trouver des liens qui pointent directement vers les grand ténors de l’agro-chimie, Dow AgroSciences, BASF, DuPont, etc, ou qui pointent vers les sponsors du non-labour, Syngenta, Bayer, etc....
On trouve également, en date du 9 janvier 2007, un article commentant la nouvelle vogue des agro-carburants qui précise que les “non-laboureurs” vont pouvoir augmenter leurs revenus en vendant leurs résidus végétaux aux centrales d’éthanol.
Le boom de l’éthanol est une bénédiction pour les agriculteurs en non-labour qui se plaignent que leurs résidus végétaux ne se compostent plus au champ. En effet, les sols succombent, suffoquent sous l’assaut des herbicides et autres pesticides appliqués en doses sans cesse croissantes. Il n’y a plus de vie microbienne et les sols deviennent biologiquement morts.
Témoin la contribution de John en date du 13 mai 2007 sur le forum du site de “no-till farmer”: John précise qu’il pratique le non-labour depuis 15 ans, qu’il cultive du soja et du maïs, qu’il utilise le glyphosate, le 2,4-D, l’atrazine et le Prowl. John s’étonne de ce que la population de vers de terre ne soit plus ce qu’elle était de par le passé et de ce que ses résidus végétaux ne se décomposent plus.
On trouve également sur le forum des commentaires sur les avantages respectifs des fertilisants 12-30-0-3, 10-34-0, 6-24-6, etc.
Sur les centaines d’articles publiés par la revue “No-Till Farmer” depuis près de 30 années, nous avons trouvé deux références à l’agriculture biologique.
Les surfaces officiellement en non-labour aux USA étaient en croissance constante. Elles sont passées de 7 millions d’hectares en 1990 à 21 millions d’hectares en 2000. En 2006, les surfaces ne sont pas connues; cependant, il est indiqué que 60 % du soja (36 % du soja à croissance indéterminée), 18 % du coton et 20% du maïs furent cultivés en non-labour.
La tendance à l’accroissement semble s’inverser du fait du découragement des agriculteurs en raison de la résistance des adventices au Roundup. Dans le sud des USA, ce découragement touche particulièrement les cotonniers de l’Arkansas, du Tennessee et du Missouri.
Le Soja non-labouré en Argentine
En Argentine, en 2006, 30 millions d’hectares constituaient la surface cultivée dont 70% en non-labour (appelé “siembra directa”). En 2005, le non-labour concernait 80% du soja cultivé, 70% du maïs cultivé, 60% du blé cultivé et 30% du tournesol cultivé. L’Argentine, à elle seule, possède 20 % des surfaces cultivées en non-labour sur la planète.
Selon le ministère de l’agriculture, en 2005, 98 % du soja cultivé est résistant au Roundup de Monsanto. Selon certaines ONGs, c’est en fait 99 %, pour ne pas dire la totalité. Le soja couvre, en 2007, 16 millions d’hectares pour une récolte attendue de 44 millions de tonnes dont 95% sont exportées.
L’Argentine souhaite atteindre une production de 100 millions de tonnes de soja.
L’implantation du soja en Argentine a été une catastrophe nationale, sous tous aspects. Elle a entraîné:
- L’expulsion des petits paysans. En Argentine, la situation est dramatique: alors que la surface en soja triplait, 60 000 fermes disparaissaient. En 1998, il y avait dans ce pays 422 000 fermes et en 2002, il n’en restait que 318 000, à savoir une réduction de 25% en l’espace de quatre années seulement. Ce qui veut dire concrètement que 104 000 familles paysannes ont été chassées de leurs terres et de leurs fermes en l’espace seulement de quatre ans.
De 1992 à 2005, on estime que 150 000 familles paysannes ont été chassées de leurs terres.
Dans la région de la Pampa, en 7 années le nombre de fermes passa de 170 000 à 116 000 alors que la surface moyenne d’une ferme passait de 243 à 538 hectares (en 2003).
Selon le ministère de l’agriculture, 500 hectares de soja génèrent un emploi agricole et un seul.
Il existe des exploitations agricoles de plus de 60 000 hectares.
- La déforestation. De 1998 à 2004, ce sont plus de deux millions d’hectares qui ont été déforestés pour le soja, à savoir très exactement 2 207 529 hectares. Ce sont 207 153 hectares de forêts qui ont été détruits dans la province de Chaco, 360 505 hectares dans la province de Salta, 629 059 hectares dans la province de Santiago del Estero, 700 000 hectares dans la province de Entre Rios, etc .
On estime que chaque année, ce sont 250 000 hectares de forêts qui sont détruites pour la culture du soja.
En moins de 10 années, ce sont 5,6 millions d’hectares de terre non agricoles qui ont été semés en soja transgénique.
- L’insécurité alimentaire. L’impérialisme du soja a été catastrophique pour la sécurité alimentaire de l’Argentine qui était auparavant un pays riche en nourriture. Voici l’évolution des cultures de 1995 à 2004:
- Soja : + 137%.
- Tournesol: - 46%.
- Blé dur: + 19%.
- Blé tendre: - 15%.
- Sorgho: - 19%.
- Maïs: - 16%.
- Riz: - 19%.
- Avoine:- 27%.
- Coton: -74%.
- Haricot: -52% 12.
Cela signifie qu’en 10 années, les surfaces alimentaires (autres que le soja) ont diminué de 21 %.
- La résistance des adventices. Les espèces suivantes sont devenues résistantes au glyphosate: Commelia erecta / Convulvulus arvensis / Ipomoea purpurea / Iresine difusa / Hybanthus parviflorus / Parietaria debilis / Viola arvensis / Violeta Silvestre / Petunia axillaris / Verbena litoralis.
- L’augmentation de l’utilisation des pesticides.
* Pour le soja Roundup Ready en non-labour, la moyenne de traitement au glyphosate en Argentine est de 2,3 par culture, à savoir un traitement avant le semis et un ou deux durant la période de croissance. De la campagne 1996/1997 à la campagne 2003/2004, l’utilisation du glyphosate a augmenté de 56 fois! De 2000 à 2004, l’épandage du glyphosate est passé de 28 à 150 millions de litres!
Cela signifie que le glyphosate est utilisé à raison de 10 litres par hectare.
* Pour le soja Roundup Ready en non-labour, on assiste à une augmentation sans cesse croissante des insecticides (les pertes de récoltes suite aux attaques d’insectes se font de plus en plus graves), des fongicides ( de plus en plus de problèmes de champignons et autres maladies se manifestent) et autres herbicides tels que le 2,4 D et le 2,4 DB. Durant la campagne 2003/2004, ce sont 4200 tonnes d’herbicides autres que le glyphosate qui ont été utilisés. De 2001 à 2004, l’utilisation de 2,4 D a augmenté de 10 %, d’Imazethapyr de 50 % et de Dicamba de 157 %!
- L’augmentation de l’utilisation des fertilisants. Le soja Roundup Ready en non-labour est moins productif que le soja non transgénique et semble perdre sa capacité de fixer l’azote. Les agriculteurs utilisent ainsi de plus en plus de fertilisants de synthèse.
- L’affaiblissement des cultures. Certains chercheurs pensent également que ce soja transgénique, dans certains conditions climatiques, perd ses résistances vis à vis des maladies. Il semble, de plus, que l’utilisation sans cesse croissante du glyphosate augmente les chances que la culture soit attaquée par le fusarium alors que les agriculteurs sont déjà confrontés au problème de la rouille du soja.
- La baisse de la qualité nutritionnelle. Des études réalisées en octobre 2004 mettent en valeur que le soja argentin contient de 5 à 10 % de protéines en moins que le soja produit aux USA, au Brésil ou en Chine. Il est également beaucoup plus faible quant à sa teneur en acides aminés.
Le non-labour au Brésil
Le Brésil est sans doute le pays le plus important quant aux surfaces cultivées en non-labour puisque la Fédération Brésilienne du Semis Direct annonce 26 millions d’hectares pour l’année 2007.
Sur le site internet de cette toute puissante fédération, les liens pointent vers les entreprises bien connues:
- pour les pesticides, chimères génétiques et fertilisants: Monsanto, Monsanto do Brasil, Syngenta, Dow AgroSciences, BASF.
- pour les fertilisants: Bunge, Manah.
- pour le gros matériel agricole: John Deere, Massey Fergusson, Jacto, Semeato et Marchesan.
Pas de surprise: le non-labour au Brésil est tout aussi inféodé à l’agro-chimie et à la grosse machinerie agricole qu’ailleurs sur la planète et comment pourrait-il en être autrement?
Au Brésil, le soja prit un essor considérable car il fut présenté comme une plante capable de fixer l’azote atmosphérique, grâce aux bactéries du genre “rhyzobium” qui forment des nodosités sur les racines des plantes et donc comme une plante ne requérant pas de fertilisants. Ce que les multinationales oublièrent de dire aux paysans, c’est que le glyphosate détruit la bactérie et donc le soja ne peut pas pousser sans azote de synthèse.
Au Brésil, le soja couvre 21 % de la surface agricole. Depuis 1961, sa surface a augmenté de 57 fois et la production de 138 fois. 55 % du soja est génétiquement modifié, à savoir 11,4 millions d’hectares.
Dans ce pays, pour chaque emploi créé par le secteur soja, ce sont 11 petits paysans qui sont déplacés. En 1970, le soja chassa 2,5 millions de paysans dans l’état de Parana et 300 000 paysans dans l’état de Rio Grande do Sul.
En 2002, ce sont 200 000 tonnes de pesticides qui ont été utilisées au Brésil, dont un quart pour le seul soja. L’utilisation des pesticides est considérée en augmentation de 20 % chaque année.
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