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à l'origine du phénomène religieux

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Petites Fleurs des Dieux

Schultes et Hofmann

Ce passage est extrait de "Plantes des Dieux", ouvrage épuisé et qui fut publié en France par les Editions l'Esprit Frappeur.

Nous conseillons cette maison d'édition pour sa très belle ligne d'ouvrages et plus particulièrement ses ouvrages sur les plantes hallucinogènes.

Nous avons découvert ce texte sur le site d'Erowid, dont nous vous conseillons la consultation.

"Il y a un monde au-delà du nôtre, un monde lointain, proche, et invisible. Et c'est là que se trouve Dieu, là que se trouvent les morts, les esprits et les saints, un monde où tout est déjà arrivé et où tout est déjà connu. Ce monde parle. Il possède son langage propre. Je rend compte de ce qu'il dit. Le champignon sacré me prend par la main et m'amène dans le monde où tout est connu. Ce sont eux, les champignons sacrés, qui parlent d'une manière que je peux comprendre. Je leur demande et ils me répondent. Quand je reviens du voyage que j'ai fait avec eux, je raconte ce qu'ils m'ont dit et ce qu'ils m'ont montré."

Ainsi décrit respectueusement la célèbre chamane Mazatèque Maria Sabina, les pouvoirs divins des champignons intoxiquants qu'elle utilise dans sa cérémonie venue du fond des âges.

Peu de plantes des dieux ont jamais été autant vénérées que les champignons sacrés du Mexique. Ces champignons étaient tellement sanctifiés par les Aztèques qu'ils les appelaient Teonancatl ("Chair des dieux") et les utilisaient uniquement lors de leurs cérémonies les plus sacrées. Même si, en tant que champignons ils ne fleurissaient pas, les Aztèques s'y référaient comme à des "fleurs", et les indiens qui les utilisent toujours pour leurs cérémonies religieuses emploient des termes affectifs à leur égard tels que "petites fleurs".

Quand les espagnols conquirent le Mexique, ils furent consternés de voir les indigènes vénérer leur déités avec l'aide de substances intoxiquantes : Peyote, Ololuiqui, Teonanacatl. Les champignons étaient particulièrement choquants pour pour les autorités éclésiastiques européennes, qui décidèrent d'en éliminer l'utilisation lors des pratiques religieuses.

"Ils possédaient une autre méthode d'intoxication, qui renforcait leur cruauté; s'ils utilisaient certaines petites choses afreuses.... ils avaient des milliers de visions, et particulièrement des serpents.... Ils appelaient ces champignons dans leur langue teunamacatlth, ce qui signifie "chair divine", du nom du Démon qu'ils vénéraient peut-être [...]."

En 1656, un guide destinés aux missionaires rejetait les idolâtries indiennes, dont les champignons, et recommandait leur extirpation. Non seulement des rapports condamnaient Teonanacatl, mais des illustration le dénoncaient aussi. Une d'elles montre le diable encourageant un indien à manger les champignons; sur une autre le diable danse sur un champignon.

Mais avant d'expliquer cette idolâtrie, un des prêtres racontait alors : "Je voudrais expliquer la nature des dits-champignons qui étaient petits et jaunâtres, et ramassés par les prêtres et les hommes âgés, nommés ministres pour cette imposture. Ils allaient dans les collines et y restaient presque toute la nuit à sermoner et à faire des prières superstitieuses. A l'aurore, quand une certaine petite brise connue commencait à souffler, ils se mettaient à les ramasser en leur donnant un statut divin. Lorsqu'ils sont bus ou mangés, ils intoxiquent, privant ceux qui les ingèrent de leurs sens et leur faisant croire mille absurdités."

Le Dr Fransisco Hernandez, médecin personnel du roi d'Espagne, écrivit que 3 sortes de champignons stupéfiants étaient vénérés. Après avoir décrit une espèce mortelle, il nous dit "les autres lorsqu'ils sont ingérés ne causent pas la mort mais une folie qui parfois dure un temps, dont le symptôme est un genre de rire incontrôllable. Enfin ils y en a d'autres qui sans induire le rire, mettent sous les yeux toutes sortes de choses, telles que des guerres et des types de démons. D'autres encore sont très précieux et recherchés par les princes pour leurs fêtes et banquets. Ils sont ramassés pendant des veillées noctures, magnifiques et terrifiantes. Ce type est de couleur fauve et plutôt d'un goût mauvais."

Pendant 4 siècles, rien n'a filtré du culte des champignons et on en est même arrivé à douter que ceux-ci étaient réellement utilisés comme hallucinogènes pendant des cérémonies. Les pères religieux avaient tellement bien réussi à pousser le culte dans la clandestinité par leurs persécutions, que pas un botaniste ni un anthropologue n'a jamais découvert l'usage religieux de ces champignons. En 1916, un botaniste Américain proposa finallement une "solution" à l'identification de Teonanacatl, en concluant que ce dernier et le Peyote étaient la même chose. Motivé par un certain mépris ou une certaine incompréhension des chroniqueurs de l'époque et des indiens, il estimait que les indigènes, pour protéger le Peyote, donnaient en échange des champignons aux autorités. Il soutenait que les boutons de Peyote séchés ressemblaient si bien à des champignons séchés que cela pouvait même tromper un mycologue. Ce n'est qu'en 1930 que l'on a commencé à comprendre le rôle des champignons hallucinogènes au Mexique et que la connaissance de leur identification botanique et de leur composition chimique s'est répandue. Vers la fin des années 1930, les deux premières des nombreuses espèces de champignons sacrés furent collectées, et furent associées à une cérémonie moderne. Les travaux de terrain qui ont suivi ont résulté dans la découverte de quelques 2 douzaines d'espèces. La plus importante appartient au genre Psilocybe, dont on a trouvé 12 variétés, sans compter le Stropharia cubensis, considéré parfois comme un Psilocybe. Les variétés les plus importantes semblent être le Psilocybe Mexicana et le Psilocybe Hoogshagenii.

Tous ces champignons sont reconnus pour être utilisés dans des rites religieux et divinatoires chez les Mazatèques, les Chinantèques, les Chatinos, les Mije, les Zapotèques, et les Mixtèques de Oaxaca, les Nahua et peut-être les Otomis de Puebla, et les Tarascana de Michoacan. Actuellement l'utilisation la plus intensive se fait chez les Mazatèques.

L'abondance des champignons varie d'une année sur l'autre et suivant les saisons. Il peut y avoir des années où une espèce ou une autre est rare ou même absente --leur distribution varie et on ne les trouve pas dans plusieurs endroits à la fois. De plus, chaque chamane a ses champignons préférés et peut ne pas s'occuper du tout des autres; Maria Sabina par exemple, n'utilisait pas Stropharia cubensis, Et certains champignons sont utilisés pour des tâches particulières. Cela signifie que toute expédition ethnobotanique ne devrait pas s'attendre à retrouver le même assortiment d'espèces utilisées à un certain moment, même dans une même localité et par les mêmes personnes.

La probabilité que l'on trouve d'autres espèces en activité est loin d'être nulle. Des études chimiques ont montré que la Psilocybine, et dans une moindre mesure, la psilocyne, sont présentes dans de nombreuses espèces de plusieurs genres associés avec les cérémonies mexicaines. En fait ces composés ont été isolés dans beaucoup d'espèces de Psilocybe et dans d'autres genres présents un peu partout dans le monde, bien que pour le moment, on n'aie d'indication d'un usage par les indigènes qu'en ce qui concerne le Mexique.

La cérémonie moderne des champignons est une séance d'une nuit entière, qui peut comprendre un rituel de soins. Des chants accompagnent la plus grande partie de la cérémonie. L'intoxication est caractérisée par des visions fantastiquement colorées dans un mouvement de kaléïdoscope, et parfois par des hallucinations auditives, et le participant se perd lui-même dans des envolées aériennes d'agréable étonnement.

Les champignons sont ramassés dans les forêts lors de la pleine lune par une jeune fille vierge, et sont ensuite amenés dans une église et déposés brièvement sur l'autel. Ils ne sont jamais vendus sur le marché. Les Mazatèques appelent les champignons Nti-si-tho, dont le "Nti" est une particule de respect et d'affection; le reste du nom signifie "ce qui jaillit". Un Mazatèque l'explique poétiquement : "Le petit champignon vient de lui-même, personne ne si ni où ni quand, comme le vent qui vient, dont on ne sait ni d'où ni pourquoi."

Le chamane chante pendant des heures, en tappant souvent dans ses mains ou sur ses cuisses, en rythme avec le chant. Le chant de Maria Sabina, qui a été enregistré, étudié, et traduit, proclame en longueur et humblement ses qualifications pour soigner et pour interpréter les pouvoirs divins à travers les champignons. Des extraits de son chant, tous dans la langue tonique et magnifique des Mazatèques, donne une idée de ses nombreuses "qualifications".

Femme qui tonne je suis, son de femme je suis
Femme-araignée je suis, femme-colibri je suis
Femme-aigle je suis, femme-aigle importante je suis
Femme-tourbillon dans le tourbillon je suis,
Femme d'un endroit sacré et enchanté je suis
Femme des étoiles filantes je suis.

Le premier non-indien témoin d'une cérémonie Mazatèque écrivit les commentaires suivants sur l'usage des champignons :

"Laissez-moi ici dire un mot sur la nature des perturbations psychiques que cause l'ingestion des champignons. Cette perturbation est entièrement différente de celle des effets de l'alcool, aussi différente que la nuit et le jour. Nous entrons dans un domaine où le vocabulaire de la langue Anglaise, parmi toutes les langues européennes, est sérieusement déficient.

Il n'existe aucun mot adapté pour caractériser son état lorsque l'on est, devrait-on dire "champignonné". Pendant des centaines, ou même des miliers d'années, nous avons pensé à ces choses en termes d'alcool, et il nous faut maintenant briser ces limites que notre obscession de l'alcool nous a imposé. Nous sommes tous, que nous le voulions ou non, confinés entre les murs de la prison de notre vocabulaire quotidien. En faisant attention en choisissant nos mots, nous pouvons étendre, déformer des concepts connus pour couvrir des pensées ou des émotions légèrement différentes, mais lorsqu'un état d'esprit est tout à fait distinct, entièrement nouveau, alors tous nos mots anciens sont inutiles. Comment pouvez-vous expliquer à un aveugle de naissance comment cela fait de voir ? Dans le cas qui nous occupe, c'est une analogie particulièrement adaptée, parce que vu de l'extérieur, l'homme champignonné présente certains des symptômes objectifs d'une personne saoûle. Mais pour autant, tous les mots pouvant décrire l'état d´hébriété depuis l'intoxication (littérallement empoisonnement) jusqu'à tous les lieux communs usuels, tous ces mots sont vains, limités, péjoratifs. Quelle curiosité que l'homme moderne trouve un certains réconfort dans une drogue pour laquelle il n'a aucun respect. Si nous devons utiliser notre vocabulaire "alcoolique", nous dégradons les champignons et puisque nous sommes peu à les avoir rencontrés, il y a un risque que l'expérience ne soit pas jugée correctement. Ce qu'il nous faut, c'est un vocabulaire apte à décrire toutes les modalités d'une hébriété divine..."

Après avoir recu 6 paires de champignons pendant la cérémonie, ce participant-novice les mangea. Il eût la sensation que son âme était enlevée à son corps et flottait dans l'espace. Il vit "des motifs géométriques, réguliers, dans des couleurs riches, qui se sont transformés en structures architecturales, dont la texture était de couleurs brillantes, d'or, d'onyx et d'ébène, et s'étendait au delà de l'horizon, dans des mesures plus qu'humaines. Les visions architecturales semblaient orientées, semblaient appartenir à... l'architecture décrite par les visionnaires bibliques." Sous une lune blâfarde , "le bouquet sur la table prenait des dimensions et une forme d'un transport impérial, d'une voiture de triomphe, tirées par... des créatures présentes uniquement dans la mythologie."

Les champignons ont eu un usage cérémonial en Mésoamérique depuis de nombreux siècles. Plusieurs sources anciennes suggèrent que les langages Mayas du Guatemala donnaient des noms de champignons au monde souterrain. Des pierres miniatures en forme de champignons, vieilles de 2.200 ans, ont été retrouvées sur des sites archéologiques près de la ville de Guatemala, et il a été supposé que des pierres-effigies de champignons, enterrées avec un dignitaire Maya, étaient liées aux Neufs Seigneurs du Xibalba, décrits dans le livre sacré Popol Vuh. Plus de 200 statues-champignons ont en fait été découvertes, les plus vieilles datant du premier millénaire AJC. Bien que la majorité soient Guatémaltèques, certaines ont été déterrées au Salvador et au Honduras, et d'autres aussi au nord que Vera Cruz et Guerrerro au Mexique. Il est maintenant clair que quelque fût l'utilisation de ces "pierres-champignons", elles indiquent l'antiquité de l'usage sacré des champignons hallucinogènes.

Une magnifique statue de Xochipilli, Prince Aztèque des Fleurs, du début du 16e siècle, a récemment été découverte sur les pentes du volcan Popocatepetl. Sa figure est en extase, comme en train d'avoir des visions; sa tête est légèrement avancée, comme s'il entendait des voix. Son corps est gravé de fleurs stylisées qui ont été identifiées comme des plantes sacrées, la plupart psychotropes. Le piédestal sur lequel il est assis est décoré de motifs représentant des coupes du chapeau du Psilocybe Aztecorum, un champignon hallucinogène qui pousse uniquement sur les pentes de ce volcan. Xochipilli représente donc assurément non seulement le Prince des Fleurs Psychotropes, mais également celui des champignons qui, dans la poésie Nahuatl, étaient appelés "fleurs" ou "fleurs qui intoxiquent".

Les champignons psilocybins ont-ils été employés comme hallucinogènes magico-religieux dans le Nouveau Monde ? La réponse est probablement affirmative. Une espèce de Psilocybe et peut-être aussi de Stropharia sont utilisées aujourd'hui dans les alentours de l'ancien centre cérémoniel Maya de Palenque, et on a remarqué l'usage de champignons hallucinogènes le long de la frontière entre le Chiapas au Mexique et le Guatemala.

Il est encore impossible de dire si ces pratiques modernes dans les régions Mayas représentent des vestiges de leur utilisation passée ou si elles ont récemment été introduites depuis Oaxaca. Néanmoins, les preuves s'accumulent pour dire que le culte des champignons était florissant dans les temps préhistoriques, entre 100 AJC et 300-400 de notre ère, dans le nord-ouest du Mexique : à Colima, Jalisco et Nayarit. Des effigies funéraires, avec deux "cornes" sortant de la tête, représentaient très certainement des "déités" mâle et femelle, ou des prêtres associés avec les champignons. Certaines traditions actuelles chez les indiens Huichol de Jalisco en suggèrent également une ancienne utilisation religieuse.

En ce qui concerne l'Amérique du Sud, où ces champignons psychoactifs sont légion, il n'y pas pas de preuve d'une utilisation moderne, mais les indications de leur emploi passé sont nombreuses. Les indiens Yurimagua de l'Amazone péruvienne ont été observés aux 17e et 18e siècle, buvant une boisson fortement intoxiquante faite de "champignons des arbres". Le rapport jésuite indiquait que les indiens "mélangent les champignons qui poussent sur des arbres abattus avec une sorte de gelée rougeâtre que l'on trouve en général sur les arbres en putréfaction. La gelée est d'un goût très fort. Toute personne qui boit de ce breuvage succombe à ces effets après 3 gorgées au plus, parce qu'il est tellement fort, ou plutôt tellement toxique." Il a été suggéré que ces champignons des arbres soient des Psilocybe Yungensis que l'on trouve dans la région.

En Colombie on a retrouvé de nombreux pectoraux anthropomorphiques en or avec deux ornements en forme de dôme sur la tête. Il appartiennent à ce qu'on appele le style Darien, et la majorité d'entre eux a été déterrée dans la région Sinu du nord-ouest de la Colombie, et dans la région Calima sur la côte pacifique. Par manque d'un meilleur terme, ils ont été appelé "dieux cloches de téléphone", en référence aux anciens appareils dont les sonettes étaient en forme de cloche. Il a été suggéré qu'il représentent des effigies de champignons. La découverte d'artéfacts similaires au Panama et au Costa-Rica, et d'un au Yucatan peut être interprétée pour suggérer un continuum du culte des champignons sacrés depuis le Mexique jusqu'en Amérique du Sud.

Plus au sud de l'Amérique du Sud, on trouve des preuves archéologiques qui peuvent suggérer l'importance religieuse des champignons. Alors que les preuves archéologiques sont convaincantes, le manque quasi-total de références à l'utilisation de tels champignons dans la littérature coloniale, et l'absence de tout usage moderne chez les tribus aborigènes appelent toutefois à la prudence dans l'interprétation de ces preuves. Si toutefois il devient évident que les artéfacts archéologiques divers présents en Amérique du Sud représentent réellement des champignons hallucinogènes, alors leur importance géographique en Amérique en sera grandement amplifiée.