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L'Exposé Valentinien
John Lamb Lash
Traduction par Dominique Guillet
Exposé Valentinien. 5 pages. Thèmes principaux: théologie rédemptrice de la Sophia. Fragmentaire et très endommagé. Le Codex VI étant le moins bien préservé du corpus.
Nous avons ici un autre texte cosmologique dans le genre Valentinien, qui contraste, à certains égards, avec l'orthodoxie Chrétienne supposée du Traité Tripartite. L'Exposé Valentinien mentionne Sophia par son nom et fait allusion à la problématique mystérieuse de sa “correction”. Un passage unique (35) décrit Sophia qui rit. Il met l'accent sur l'importance de la syzygie, la dyade de Jésus et de Sophia, qui est réminiscente de l'appel à la réconciliation des genres dans l'Evangile de Philippe.
Notes de Classe
Heureusement, l'Exposé Valentinien est un document bref. Malheureusement, il couvre un certain nombre de positions et de conceptions diverses de la théologie Gnostique, ce qui le rend impossible à réduire en une simple paraphrase. Les érudits soulignent que l'Exposé Valentinien contient plusieurs propositions hérétiques qui sont exposées et qui sont opposées par les ouvrages des Pères de l'Eglise tels Irénée, Hippolyte et Epiphanius. Ils attribuent la tonalité générale du document à Héracleon, un étudiant de Valentin, plutôt qu'à Valentin lui-même ou à son élève principal, Ptolémée.
Le texte fragmentaire s'ouvre de façon saisissante avec le terme mysterion:
“... mon mystère
... le mien et
... de plus, ce sont eux qui
... est, le Père, qui
... de Tout, le
... demeure dans la Monade
... en silence
... tranquilité depuis, après tout
... une Monade et aucun
... avant lui. Il demeure
... et dans la Dyade et sa
Dyade est Silence. Et il posséda
le Tout demeurant en
lui. Et pour l'Intention et
la Persistance, l'Amour et la Permanence
ils sont effet non-engendrés.”
Telles sont les lignes 16-31. L'idiome métaphysique châtié est réminiscent des passages d'ouverture du Traité Tripartite. Nous pouvons le qualifier de rhétorique sacrée. Sous certains égards, il n'est pas sans rappeler l'enseignement Dzogchen de Long chen Pa et d'autres maîtres Asiatiques. Il décrit la conscience primordiale et fondamentale et la “première pensée” ou départ de l'état de fondation: “C'est de la racine du Tout que même la Pensée Divine émane, puisqu'elle est intrinsèque au Noos” (34-6). Nous rencontrons, de nouveau, la métaphore du printemps (en Grec pege) pour décrire le jaillissement de la conscience de soi à partir de la source non engendrée. Le printemps est la Racine, la Monade, et sa première expression est le Silence immaculé, Sige, un Eon. D'autres Eons procèdent spontanément de la Racine afin de révéler la noblesse (chrestos) de leur origine.
L'Exposé Valentinien utilise les termes métaphysiques Tout, Fils, Esprit, Mental quasiment de manière interchangeable mais l'essence de ce langage se focalise sur l'Ennoia, le mental intentionnel de la Racine. Dans la théorie de l'émanation, Ennoia est l'expression de l'Originateur que, paradoxalement, l'Originateur n'exprime pas mais qu'il confie aux Générateurs, les Eons, pour sa révélation. Le “Père” reste toujours caché, le “dieu inconnu” des Gnostiques. L'auteur de l'Exposé Valentinien dit, “Quant à moi, j'appelle la pensée Monogène” (24.33). Le recours à la première personne, au milieu de cet exposé élevé, montre que ce texte émane de notes prises à propos de diverses conceptions exposées par des instructeurs de la cosmologie Gnostique, des conceptions rédigées en classe par des étudiants des Mystères et ensuite traduites en Copte par des scribes qui, pour des raisons inconnues, furent chargés de transcrire ces notes de classe.
Dans la cosmologie Gnostique, monogène est le principe de la singularité par lequel l'innovation émerge dans l'ordre cosmique. C'est du moins la vision Lashienne. Et il semble que le Gnosticisme Gaïen ou Lashien soit maintenant inscrit sur la carte.
Sophia et Christos
L'Edition Anglaise (NHLE) des Codex de Nag Hammadi présente l'Exposé Valentinien sur 5 pages. Dans l'édition Gnostique Copte, nous avons les 18 pages qui correspondent aux pages de 22 à 39 dans les Codex. Sur certaines des feuilles, le texte est presque complètement détruit. La descente du Christ du Plérome est relatée à la page 26, ligne 23, où le nom de l'Eon est inscrit en pleines lettres: XRHCTOC, c'est à dire Christos. Cet Eon est dit posséder quatre puissances et constituer en lui-même la totalité du Plérome. A partir de cette ligne jusqu'à la fin de la page 31, il est impossible de faire du sens des écrits fragmentés et épars. La page 31, qui est presque totalement blanche en raison de décolorations du papyrus, attire notre attention avec les dernières lignes:
“... et il voulait
(laisser) le Trentième
étant une (syzygie) de l'Homme et
de l'Eglise (ekklesia), à savoir, Sophia, afin
de surpasser... et d'amener le Plérome.”
C'est ici que commence la cosmologie Sophianique unique au genre Valentinien. Dans la cosmologie Gnostique, l'accouplement des Eons est appelée une syzygie ou dyade. L'Homme (en Copte, RHOME, l'humanité) et l'Eglise sont accouplés de même que Christos et Sophia sont accouplés d'une manière cruciale: l'activité du Christos est accomplie “par la syzygie, puisque sa correction (diorthosis) ne pourra pas se manifester si ce n'est au travers de son Fils, qui seul est la plénitude de la divinité” (33.27-32). Il est remarquable que le Christos, l'Eon accouplé à Sophia, soit également appelé son fils (en Copte SHIRE)!
Dans une interprétation unique à la vision Valentinienne, une partie de l'Eon Sophia reste dans le Plérome et contemple son consort (syzygos) s'en aller pour les royaumes inférieurs tandis que la partie d'elle-même, qui est dans ces royaumes inférieurs, attend le Christos pour sa délivrance. J'estime que cette cosmologie de division de Sophia reflète une tentative des Valentiniens de trouver un compromis avec la théologie émergente Johannine de l'Incarnation considérée comme le “Verbe fait Chair”. Je dirais que c'est un compromis bâtard. Dans l'Exposé Valentinien, Sophia dit: “J'ai renoncé à mon consort” et “Je mérite mes souffrances” (34.24-25). Mais Sophia a une attitude. “Elle rit puisqu'elle resta seule et imita l'Un Illimité, aliénée de son consort” (34.34-36).
Ce texte contient la célèbre envolée: “C'est la volonté de l'Originateur de ne rien permettre dans le Plérome qui puisse se manifester sans la syzygie, l'accouplement des Eons” (36.28-32). Cependant, l'Originateur, la source des Eons, agit toujours seul et Sophia imite ce statut exceptionnel. Cette exception est la preuve de la liberté parmi les puissances divines. En d'autres mots, Sophia n'est pas punie pour avoir transgressé la règle de l'Originateur mais elle bénéficie d'un statut privilégié. Cependant, l'accomplissement de son potentiel authentique dans les mondes inférieurs, et sa correction, dépendent de l'assistance de l'Eon auquel elle a renoncé, Christos.
La plus grande partie de l'Exposé Valentinien décrit comment le Christos oeuvre parmi les anges et dans la nature humaine mais ces passages sont inintelligibles. 37.32 introduit le Démiurge “qui commença à créer les humains selon son image, d'une part, et d'autre part, à l'image de ceux qui existent depuis l'origine” (37.32-36). Il faut noter que le Démiurge, le chef des Archontes, ne crée pas les humains à son image seulement mais aussi à l'image des Eons. Nous n'apprenons rien, cependant, de la façon dont tout cela se réalise. Pendant ce temps, Sophia garde l'image humaine, la semence humaine (spermia) dans une “demeure” au-delà de la Terre.
38.22, et la suite, relatent le scénario Biblique d'Abel et de Caïn, le déluge, etc. L'humanité est préservée par “la syzygie de Sophia et de Jésus (IHC)” avec l'assistance d'anges qui reflètent et transmettent à l'humanité les semences ou les images potentialisées du Plérome. Mais le Démiurge tente d'obscurcir la syzygie et de bloquer l'accès au Plérome. L'Exposé Valentinien présente alors une information extrêmement rare, qui suggère comment la correction de Sophia sera réalisée:
“Et les anges des mâles et les corps pneumatiques des femelles sont tous Pléromes. De plus, lorsque Sophia reçoit son consort et lorsque Jésus reçoit le Christos et les semences des anges, alors le Plérome recevra Sophia avec joie et le Tout reviendra à l'unité et à la réconciliation (apocatastasis). Car c'est par cela que les Eons se sont accrus; car ils savaient que s'ils changeaient, ils sont au-delà du changement” (39.22-40).
Si l'on considère que monogenes signifie singularité, je soutiens que l'histoire de Sophia présente une manière de comprendre l'impermanence relativement à la permanence et l'augmentation du potentiel divin dans le royaume de l'ordre éternel. Si des singularités, telle que la chute de Sophia, n'arrivaient pas, les Eons seraient statiques, sans changements. Le changement ne perturbe pas les structures cosmiques des Eons, il les amplifie et les étend.
La ligne “car ils savaient que s'ils changeaient, ils sont au-delà du changement” termine l'Exposé Valentinien. Lui sont ensuite attachés de courts catéchismes sur le baptême, la consécration et l'eucharistie.
Sexualité Mystique
D'une manière étonnante et saisissante, l'Exposé Valentinien stipule que la correction de Sophia génère un changement chez les Eons sans changements mais l'unité et la réconciliation au niveau cosmique ont quelque chose à voir avec l'harmonie des genres humains “les anges des mâles et les corps pneumatiques des femelles”. Pourquoi en est-il ainsi? C'est parce que le plongeon de Sophia du Plérome généra une division dans l'Anthropos, la matrice numineuse du génome humain, un événement qui a été mythologiquement décrit comme “la séparation des sexes”. Il n'est pas de description, cependant, dans les écrits Gnostiques, de la manière dont cette division s'opère. C'est une partie de l'histoire qui fait défaut. Cependant, ici et ailleurs - dans l'Evangile de Philippe, par exemple - il existe d'amples références au mysticisme sexuel et aux dynamiques d'harmonie des genres. Dans le Tantra Asiatique, la Kundalini de tout le corps n'est pas seulement le jaillissement ultime de plaisir sexuel, aussi agréable que celui puisse être, c'est également la force d'enracinement qui relie l'organisme humain au corps planétaire.
On serait presque tenté de penser que la sexualité Tantrique ou mystique, sous quelque forme, est la clé de la participation humaine à la correction de Sophia.
Le mysticisme sexuel est-il l'acte extatique dans le nymphion, l'aspect rituel de l'expérience humaine qui se focalise, le plus intimement, vers la révélation de la correction de Sophia et des finalités de Gaïa? Si nous ne pouvons pas encore comprendre comment Gaïa procrée, c'est peut-être parce que la dynamique transcendante du sexe est obscurcie par nos dynamiques de genres. L'illumination sexuelle consiste en la révélation et le rite en un seul acte de plaisir qui accomplit notre biologie tout en nous permettant de la transcender.
John Lash.
Traduction de Dominique Guillet
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