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Le Traité Tripartite
John Lash
Traduction par Dominique Guillet.
Le Traité Tripartite est un texte de 44 pages. CNG I, 5. C'est une longue compilation attribuée à l'école Valentinienne établie à Rome aux alentours de 150 CE. Thèmes majeurs: description des émanations Eoniques mais sans référence à Sophia; royaume des Archontes; division tripartite de l'humanité; conditions de la rédemption. Il est bien conservé à part les deux dernières pages mais il contient de nombreuses anomalies et erreurs d'écritures.
C'est le plus long texte des Codex de Nag Hammadi et l'un des plus exaspérants en raison de son style sec et didactique et de l'incidence énorme des erreurs d'écriture. Divisé en 16 parties, le Traité Tripartite couvre un spectre large de sujets, en partant de l'Etre Suprême, PIOT, “le Père”. Il présente une description élaborée de la vie des Eons, l'engendrement et la conversion du Logos, et l'émanation du Sauveur, SOTER - tout cela stipulé dans la terminologie Christologique typique de l'école Valentinienne. Il couvre aussi la création de l'humanité matérielle et la division des êtres humains en trois groupes, matérialiste (non évolué), psychique (susceptible d'évolution supérieure) et pneumatique (évoluée, illuminée). Il conclut avec une homélie sur la suprématie du Christ Gnostique en tant que maître de tous ceux qui embrassent la vision mystique la plus élevée.
Un Piètre Compromis
Oeuvrant à partir de Rome, le théologien Valentin (environ 100 à 160 CE) et ses disciples tentèrent de fusionner la Gnose Païenne avec la théologie de la rédemption. Ce faisant, Valentin endossa apparemment la notion d'un sauveur incarné qui “prit sur lui-même la mort de ceux qu'il chercha à sauver” (115:1-5). En fait, nous ne savons pas ce que Valentin pensa ou écrivit. Le Traité Tripartite ne fut pas élaboré par les scribes Coptes qui ne firent que le copier sur des feuilles de papyrus en le traduisant supposément à partir “d'originaux Grecs” (voir ci-dessous). Nous en déduisons ce que Valentin pourrait avoir pensé à partir de ces notes de scribes fondées sur des matériaux pauvrement transcris dont les auteurs sont inconnus. Telles sont les embûches de la recherche concernant les Gnostiques.
La section 13 identifie le sauveur incarné par l'appellation Copte pour Jésus H(COY)C et pour Jésus Christ H(COY)C PEXR(ICTO)C. J'utilise ici l'alphabet Anglais pour donner une approximation des lettres Coptes: par exemple, le S Copte est écrit comme un C majuscule. Toutes les lettres de l'alphabet Copte sont des majuscules. Les érudits modernes remplissent, de façon routinière, les lettres dans les parenthèses. Sans ces additions, “Jésus le Christ” est formé de lettres qui apparaissent comme cela: HC PEXRC. En Copte, c'est IS PE XRS, où PE est l'article défini, “le”. IS et XRS sont des abréviations fréquentes, généralement écrites avec une barre au-dessus. Les érudits appellent ces codes nomina sacra et ils identifient le personnage indiqué comme le Jésus historique dans son aspect déifié en accord avec la théologie Paulienne. J'ai posé la question de savoir si cette identification est valide. Elle ne doit certainement pas être considérée comme exclusive, la seule interprétation sous le soleil.
Le Traité Tripartite fait la preuve définitive de l'existence d'un Christianisme Gnostique mais il ne prouve aucunement que tous les Gnostiques étaient Chrétiens. Avec Marcion, Valentin est vraisemblablement l'exemple prééminent d'un Chrétien Gnostique, ou pour être plus précis, d'un Gnostique Christianisé. Il vint d'Alexandrie, une plaque tournante de croyances diverses. La théologie Valentinienne est syncrétique mais elle ne représente pas une sotériologie Gnostique pleinement accomplie, mais seulement une tentative. Mais ceux qui veulent s'appeler des Gnostiques et continuer à s'accrocher à une doctrine de rédemption trouveront dans ce document tout ce dont ils ont besoin pour défendre leur thèse.
Il n'est pas aisé de comprendre pourquoi quiconque chercherait à embrasser la théologie de la rédemption en se fondant sur la croyance en une agence suprahumaine de salut, qui est née dans une forme humaine et qui meurt pour l'humanité, tout en suivant, ou prétendant de suivre, le chemin de l'auto-illumination au travers de la Gnose. L'Illumination et la Rédemption sont des visions de la spiritualité diamétralement opposées. Je pense que, fondamentalement, Valentin avait une conception élitiste de la rédemption qui lui permettait d'accepter la Christologie de Paul et de Jean, qui en était à ses tout débuts durant l'époque où il vivait, tout en insistant, en même temps, sur le fait que seuls les mystiques (les pneumatiques, la troisième classe de l'humanité) pouvaient percevoir la nature authentique de l'appel divin. Le système Valentinien est un piètre compromis.
Le Traité Tripartite, bien sûr, ne fut pas rédigé par Valentin. Aucun des textes des Codex de Nag Hammadi n'a pour auteurs ceux qui les rédigèrent. Ce sont des copies en Copte rédigées par des scribes à partir d'originaux en Grec mais ces originaux Grecs (c'est ce que je maintiens) peuvent n'avoir été que de simples notes de scribes ou d'étudiants. Les érudits des Codex de Nag Hammadi ont l'habitude des erreurs et des irrégularités dans ces textes mais le Traité Tripartite en possède la palme. Un érudit au moins, H. M. Schenke, pense que ce long document touffu est une compilation et non pas véritablement un traité cohérent. L'utilisation de XE comme marqueur de paragraphe est unique à ce document. Etait-ce une convention de scribes pour garder les traces de passages extraits de sources variées? Probablement. Quoi qu'il en soit, avec le Traité Tripartite, les experts en viennent à concéder ce que je clame depuis le début: les scribes qui convertirent les “originaux” du Grec en Copte n'avaient que peu de compréhension, ou pas du tout, de ce qu'ils étaient en train de traduire.
Imaginez un physicien évoquant la théorie des quanta avec le greffier d'un tribunal, qui n'a que peu de notions élémentaires de physiques, prenant des notes en sténographie. Le résultat serait largement inintelligible: il en est ainsi pour de nombreux passages dans les Codex de Nag Hammadi.
Style Mystique
Néanmoins, il y a des envolées sublimes de discours métaphysiques dans le Traité Tripartite et des salves étonnantes. Considérez le passage 71:
“Toute la constitution des Eons possède un amour et un désir pour la découverte parfaite et entière du Père et c'est en cela que les Eons sont unis de façon irréprochable. Quoique le Père se révèle lui-même en toute éternité, il n'a pas voulu qu'ils le connussent car il s'est présenté comme objet de réflexion et de recherche tout en préservant pour lui-même ce par quoi il est préexistant”.
Voila la théologie Gnostique des Eons exprimée en idiome paternel et voici la paraphrase que je propose:
“Les Générateurs aiment et désirent découvrir les propriétés de l'Originateur, en cela il s'accordent tous; mais l'Originateur est l'Eternel Non-Né qui se met dans la situation d'être conçu comme l'objet de recherche, bien que demeurant au-delà de toute quête, enraciné de manière primordiale en lui-même”.
Présenté dans un idiome neutre, ce passage est très proche d'enseignements Bouddhistes sur le mental cosmique ou la connaissance fondamentale. Un tel langage, typique de la théologie émanationniste Gnostique, peut être considéré selon ses termes propres, indépendamment de l'idéologie rédemptionniste qui lui a été greffée dessus. Selon cette proposition, l'Originateur est l'Urgrund, la conscience cosmique fondamentale ou peut-être même l'Ungrund, le fondement sans fondement du mystique Allemand Jacob Boehme. En tout cas, il n'est assurément pas un dieu créateur paternel auquel on s'adresserait en tant que “Père”. Les moines Egyptiens parlant le Copte qui traduisirent ces propositions élevées étaient obligés de les transcrire dans un langage compatible avec les présupposés doctrinaux de la religion paternelle et de garder leur piété intacte. Il est étonnant que l'on puisse extraire quelque chose d'authentiquement Gnostique à partir de telles distorsions.
Cela vaut la peine de noter que la théologie émanationniste attribue une certaine attitude à l'Originateur: il est essentiellement inconcevable mais il se veut concevoir comme un objet de quête. Il se voile donc derrière des conditions qu'il permet aux Générateurs de produire et de manifester. Cette caractérisation rappelle l'action auto-occultante de la conscience fondamentale de la Parasamvita dans le Tantra Hindou. Elle se rapproche également du concept de “théopathie”, le “ressenti pour le Divin” dans le Soufisme.
Le Vrai Sauveur Pourrait-il se Lever, svp?
Malgré son exposé sec et didactique, le Traité Tripartite contient des lignes remarquables sur la nature et l'activité de l'Originateur et des Eons, ou Générateurs, comme je me propose de les appeler. Ce langage qui ressemble aux propositions Bouddhistes et Tantriques concernant la source ineffable, peut également se retrouver dans la Sophia de Jésus Christ et son texte parallèle Eugnostos. A mon oreille, l'idiome utilisé ici fait écho à l'exposé métaphysique émanant des écoles Asiatiques. La conception de Valentin par rapport au sauveur incarné doit-elle quelque chose au mythe Hindou de l'avatar? Cela pourrait être une variante du principe avatarique sous sa forme Asiatique mais syncrétisée avec la doctrine rédemptionniste émergente du sacrifice. Le Sauveur du Traité Tripartite n'est définitivement pas docétique, à savoir une simple apparence ou un corps spectral comme le Nirmanakaya des Bouddhistes; mais dans son analyse finale, il se peut que le sauveur Valentinien doive plus au modèle des avatars Asiatiques qu'aux doctrines de l'Incarnation selon la théologie de Paul et de Jean.
L'action salvatrice de l'avatar Asiatique (les avatars de Vishnu, par exemple) ne démontre pas la valeur rédemptrice de la souffrance mais illustre simplement un acte d'intervention surnaturelle. Après une lecture attentive du Traité Tripartite, cependant, je ne trouve aucun passage spécifique affirmant la valeur rédemptrice de la souffrance - cela étant la signature primordiale de la croyance rédemptionniste enracinée dans le syndrome de la collusion victime/perpétrateur - quand bien même “Jésus le Christ” est identifié comme l'agent suprême du salut. En tant que Païen peut-être pas converti totalement à la nouvelle foi, Valentin pourrait avoir manifesté quelque réticence pour attribuer une valeur rédemptrice à la souffrance.
Le concept Valentinien de rédemption implique d'acquérir la connaissance de la source divine, une quête conçue en termes Gnostiques, plutôt que d'accepter la rémission par procuration des péchés. Même si Valentin identifia carrément le Fils de Dieu/Sauveur avec le Jésus historique, il n'attribua pas à ce personnage toute la quincaillerie de pouvoirs rédempteurs qu'il vint à assumer dans les siècles suivants. Les visions Gnostiques Chrétiennes n'étaient pas consistantes avec l'école dans laquelle elles apparurent. “Les hérésiologues attestent que les instructeurs Valentiniens étaient en désaccord sur l'interprétation de plusieurs problématiques fondamentales, incluant la nature du Père, l'origine et la structure du Plérome, les motifs et les conséquences de la chute de Sophia et la nature de la rédemption offerte par le Christ” (commentaires de l'édition anglaise des Codex de Nag Hammadi, page 177). Voilà qui est bien dit!
Logos Pneumaticos
Le Traité Tripartite décrit la chute de la déesse Sophia en termes du drame du Logos spirituel, logos pneumatikos. Sophia, en tant que telle, n'est pas nommée dans ce texte. Les Archontes sont nommés sans détour et leur chef, le Démiurge, est spécifié dans les sections 6 et 8. La section 5 “Vie Eonique” s'exprime dans le même idiome métaphysique élevé que pour les passages d'introduction. Elle affirme que les Archontes ne ressemblent pas aux êtres éternels, les Eons (71.5), et explique plus avant comment l'Originateur confère généreusement un pouvoir générateur aux Eons, avec plaisir, douceur et amour. “Chacun des Eons est un nom, un code” (73.5): c'est à dire que les Eons sont des puissances génératrices qui encodent la potentialité infinie de l'Originateur. “Leur acte d'engendrement est tel un processus d'extension”, c'est à dire d'émanation, comparé à une source vive de nombreux courants. Au contraire de la création littérale et laborieuse attribuée au dieu paternel, l'émanation Eonique procède “selon des voies imaginales” (78:5). J'ai expliqué de façon détaillée ce que cela signifie dans le chapitre “Physiques du Temps de Rêve” dans mon ouvrage Pas en Son Image.
La section 6 “L'engendrement imparfait du Logos” décrit comment un Eon voulut articuler la présence indicible de l'Originateur. “Cet Eon était parmi ceux auxquels fut conférée la sagesse” (75.25) - ainsi le Traité Tripartite identifie la Divine Sophia mais sous les traits du Logos. Dans l'action de cet Eon aberrant, l'Originateur réalise la possibilité pour quelque chose de nouveau d'émerger dans le cosmos, un développement extra-Pléromique: “La volonté de l'Originateur... pourrait devenir une organisation (economia)... (mais) s'il arrivait (de cette façon), elle ne procéderait pas en tant que manifestation du Plérome” (77:1-10). Ce texte explique en détail comment cette activité extra-Pléromique émerge, décrite en termes d'ombres et de copies et de simulacres, c'est à dire les formes spectrales du royaume Archontique en dehors du Plérome.
L'Eon qui agit avec témérité en voulant exprimer la présence indicible de l'Originateur se trouve impliqué dans le défaut (SHOTA) et abandonné à une destinée bizarre. Tout cela concerne Sophia, étant donné la vision Valentinienne de son action impétueuse mais tout en évitant toute référence à l'Eon féminin en tant que tel, si ce n'est de manière dépréciative: “il devint faible comme une nature femelle qui a abandonné sa contrepartie mâle” (78:10). En d'autres mots, Sophia l'Eon femelle agit en toute indépendance de sa contrepartie mâle. Le Traité Tripartite n'utilise pas la métaphore remarquable de “l'avortement” que l'on trouve dans d'autres textes cosmologiques pour décrire la génération imprévue des Archontes et du Démiurge.
La section 7 décrit la confusion du Logos/Sophia en termes de perte, d'étonnement, d'instabilité, de faiblesse, etc, mais introduit immédiatement le thème Valentinien de conversion ou de metanoia (81:20): “Le Logos se retourna vers une autre opinion et une autre pensée”. A la suite de cette conversion grâce “à une prière d'accord”, le Logos se réaligne avec le Plérome. La vision Valentinienne exclut la notion d'une correction à accomplir par Sophia dans un futur indéterminé, et dépendant, d'une certaine manière, de la participation humaine. Il met en valeur, cependant, qu'il existe encore beaucoup de problèmes avec les puissances Archontiques qui ont été engendrées par l'action inhabituelle du Logos. Ces êtres ne sont pas émanés du Plérome et ils imaginent à tort qu'ils sont la source de leur propre existence. Ils se manifestent sous deux formes qui luttent l'une contre l'autre (84:5). Ils sont responsables de l'infestation du cosmos par l'amour de la gloire et le désir du pouvoir. Leur caractéristique principale est KREIG, la tromperie.
Le Monde Inférieur
La situation du Logos spirituel ou de l'Eon déchu est exceptionnelle et requiert une réponse exceptionnelle de la part des Eons Pléromiques. Ils émanent, à partir de leur totalité, un intercesseur “afin d'aider celui qui est déficient” (86:15). L'intercesseur est une émanation de tous les Eons Pléromiques qui “ont rendu manifeste la révélation de l'accord de son union avec eux - qui est son Fils bien-aimé” (en Copte SHERE) (86:35). Le Traité Tripartite décrit le “Fils” du Plérome en termes Gnostiques, à savoir selon la théorie de l'émanation. Ce n'est pas le “Logos devenu chair” de Jean, c'est l'intercesseur qui vient à la rescousse du Logos. Il faut le lire de nouveau: le Fils dans la théologie Valentinienne n'est pas le Logos. Cela me conduit à conclure que la sotériologie “Chrétienne” du Traité Tripartite fut conçue bien avant que les doctrines de l'Incarnation fussent mises en place. Et historiquement parlant, cela fait du sens, car Valentin fut influent avant 160 EC. Il fallut attendre encore deux autres siècles avant que la doctrine de la divinité du Christ en tant que Verbe ne fût établie.
La section 9 commence avec une assertion importante: “Lorsque le Logos qui était déficient fut illuminé, son Plérome commença” (90:10). En d'autres mots, Sophia, après s'être reconnectée au Plérome et à sa Lumière primordiale, commence à oeuvrer créativement sur les éléments du royaume extérieur dans lesquels elle s'est échouée. La section semble décrire la fabrication du système solaire, incluant les “chariots” dans lesquels les habitants de Plérome inférieur “pouvaient passer au travers de toutes places de choses qui sont en-dessous” (91:25). C'est la seule ligne que je trouve dans les Codex de Nag Hammadi dont on pourrait déduire qu'elle fasse référence au “hardware” des ET mais il est évident qu'il en existe de très nombreuses références au “software”.
En commençant ce travail, le Logos/Sophia reste en contact avec le royaume supérieur: “le Logos reçut la vision de toutes choses, celles qui pré-existent et celles qui sont maintenant et celles qui seront” (95:15-20). C'est clairement Sophia le Logos qui organise le système solaire, même si elle attribue cette sphère aux Archontes, les drones cyborgs ou les orques extra-terrestres du Démiurge. L'Eon permet aussi au Démiurge de croire qu'il crée le système planétaire à partir de ses propres pouvoirs.
La section 10 décrit comment le Logos organise les mondes inférieurs, incluant les deux groupes en guerre d'êtres des ombres, ou êtres simulacres (HAL, “simulation” en Copte) ainsi que les Archontes sont appelés dans ce texte et dans d'autres textes des Codex de Nag Hammadi. Elle affirme que le Logos/Sophia nomme un Archonte, le Démiurge, en tant que chef de tous les autres et qu'elle utilise les Archontes comme “une bouche et une main” (101:30). C'est le Logos qui fabrique le système solaire en utilisant les Archontes comme agents ou outils matériels, en oeuvrant au travers d'eux. Voilà le germe de la vision ultérieure, et post-Gnostique, que l'on trouve dans la littérature Hermétique selon laquelle le Démiurge est un instrument bienveillant de l'être suprême. Il existe, cependant, un énorme problème avec le maquillage des enseignements Gnostiques dans la littérature Hermétique. Cela est du au fait que les textes Hermétiques identifient le Logos avec le Démiurge et lui confèrent un aspect bienveillant - une profonde erreur en termes Gnostiques. Selon le Traité Tripartite, Sophia = Logos et le Démiurge est ni l'un ni l'autre.
La section 11 décrit la création de l'humanité physique mais en termes ambigus. Le logos pneumaticos perfectionne l'humanité “au travers du Démiurge et de ses serviteurs angéliques” (104:35). “Le premier être humain est une création mixte et un reliquat de ceux de la droite et de ceux de la gauche et un mot spirituel dont l'attention est divisée entre chacune des deux substances dont il tire son être” (106:15-20). Faites en ce que vous pouvez! A la fois, la mort et la vie éternelle sont possibles parce que la première n'est qu'une séparation de la source Pléromique et que la dernière est un retour vers cette source. En d'autres mots, le Traité Tripartite considère la mort et l'immortalité comme des états de conscience, reflétés dans des conditions matérielles mais non point déterminées par elles. Cela s'accorde aussi étroitement avec la vison Bouddhiste du noumenisme: le noumen, la cause et l'origine des phénomènes sont DANS les phénomènes.
Rédemption, mais comment?
La section 12 est une digression sur divers types de théologies et diverses théories, incluant des spéculations sur le facteur Archontique: font-ils partie de l'ordre gouvernant le cosmos ou en sont-ils totalement étrangers? De façon intéressante, cette section débat de la religion Hébraïque et des “justes”. Je me demande si “dikaios” en Grec traduit le concept Qumranique des Zaddikites? S'il en est ainsi, cela suggérerait une référence des Codex de Nag Hammadi aux Manuscrits de la Mer Morte. Dans Pas en Son Image, j'ai cité des références spécifiques aux Codex dans les Manuscrits de la Mer Morte mais pas le contraire. Le Traité Tripartite dit que “de nombreuses hérésies existent parmi les Juifs”. Un érudit des Codex affirme que le Gnosticisme lui-même était une hérésie Juive. En se référant à la “Loi” des Juifs, le Traité Tripartite utilise la forme Copte du terme Egyptien MAT “la loi cosmique” (13:5). Il dit explicitement des Juifs que le Christ “qui s'incarna dans la chair, ne vint pas en leur pensée” (113:35). Cela est une affirmation correcte selon laquelle les Juifs ne reconnurent pas Jésus Christ comme le Messie qu'ils attendaient.
La section 13 explique la nature du “Sauveur Incarné” qui “se laissa concevoir sans péché, sans imperfection et sans profanation” (115:15). Le péché est de nouveau mentionné dans ce texte mais pas développé comme un facteur-clef doctrinal. L'unité de tous les Eons, et non pas la puissance de racheter l'humanité du péché, est l'attribut proéminent du sauveur Valentinien. La “promesse de Jésus Christ” implique l'instruction et “le retour vers ce qu'ils sont depuis les origines, dont ils possèdent la goutte” (117:15-2). Cela semble comme une affirmation pure et simple du scénario de la “capture de l'étincelle divine” que j'ai continuellement et vigoureusement réfuté. Cependant “libération de la captivité” signifie clairement libération de l'ignorance, car ceux qui sont captifs sont appelés “les esclaves de l'ignorance”. Il est possible que la “goutte” soit le noos, l'intelligence divine, plutôt qu'une essence-âme immortelle piégée dans des conditions matérielles. Il n'existe pas de passage dans le Traité Tripartite qui décrive une telle essence-âme et elle ne figure pas non plus dans la division tripartite de l'humanité (décrite dans la section 14).
A la suite de la section 14 sur les trois types d'êtres humains, le traité conclut avec des spéculations éminentes sur la rédemption et la restauration. Il n'y a aucune allusion à la correction de Sophia. Tout semble dépendre de l'intercession divine du Christ le Sauveur, qui vient au bénéfice des choisis. La restauration du Plérome est “une entrée dans ce qui est silencieux” où il n'existe “aucun besoin de former un concept ni besoin d'illumination parce que lorsque toutes choses sont lumière, elles ne requièrent pas d'être illuminées” (124:25). Ce passage décrit, clairement, un état mystique accompli par la Gnose plutôt que par un acte suprahumain d'intercession ou de rachat par procuration. Dans le système Valentinien, l'intercession par le Christos est destinée au Logos, ou Sophia, et pas à l'humanité, à l'exception peut-être des élus qui participent intimement au drame cosmique... C'est du rédemptionnisme Gnostique, pour ainsi dire. Le Traité Tripartite ne clarifie, en nul endroit, comment “Jésus le Christ” accomplit la rédemption pour l'humanité. Il n'est même pas représenté comme un instructeur qui amène une connaissance libératrice, bien qu'il soit dépeint comme une figure de Lumière Divine.
Une inférence serait que la présence lumineuse du Christos, non pas le sacrifice du Jésus historique, inspire les élus à accomplir leur propre rédemption. C'est ma vision du syncrétisme Valentinien. C'est également l'opinion de John D. Turner, le seul érudit du Gnosticisme à mettre, comme je le fais, en exergue les conceptions Séthiennes. Dans Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition, Turner dit:
“Le mythe Valentinien est une narration des vicissitudes de la connaissance même... Tout comme Sophia est séparée du produit de sa pensée déficiente et restaurée au Plérome, de même l'auto-connaissance déchue et aliénée du Gnostique individuel fait un retour vers ses origines par son acte de connaissance du mythe” (le soulignement en gras est de mon fait).
Cela étant dit, nous ne pouvons pas occulter le fait que le Traité Tripartite contienne des déclarations affirmées qui semblent suggérer l'identification du Sauveur Gnostique de Valentin avec le Jésus historique du Nouveau Testament. Néanmoins, à l'époque où vivait Valentin, le personnage de Jésus Christ était encore en formation et l'identification était probablement beaucoup plus lâche qu'elle ne le paraît maintenant. Le sauveur divin de ce traité possède une stature surnaturelle et la retient même si on l'identifie précisément au Jésus historique. Ce que nous apprenons du Traité Tripartite, c'est que le programme rédemptionniste ne peut pas incorporer la Gnose sans se contredire, ou même sans se renier, dans une certaine mesure.
Lumière Sacrée
En dépit de ses caractéristiques rédemptionnistes, le Traité Tripartite reste un document exemplaire de l'illumination Gnostique. Tout bien considéré, il contient, plus particulièrement dans les sections d'ouverture, plus d'indications d'instruction métaphysique et mystique que d'exhortations à une foi aveugle. En fait, ce texte présente, en une ligne unique, une des références les plus claires, et les plus explicites, au secret de l'illumination Païenne, de tout le corpus des Codex de Nag Hammadi. J'ai signalé ce passage dans Pas en Son Image:
“Les écrits Gnostiques sous la forme d'un discours de révélation, tel que la Paraphrase de Sem donne des descriptions de première main de l'expérience des Mystères. L'initié rencontre un rayonnement sublime et communique avec lui. L'instruction par la lumière constituait l'événement initiatique suprême. Le Traité Tripartite, le document le plus long des Codex de Nag Hammadi, dit que cette expérience est un privilège offert par la divinité suprême “L'Originateur instruisit ceux qui étaient en quête de la vision supérieure au moyen de la luminosité de cette Lumière Immaculée” (88:10).”
La luminosité divine est la Lumière de l'instruction, source d'enseignement supérieur dans les Mystères. Je me suis aventuré à dire que la Lumière Organique est la substance primordiale de l'Eon Sophia, le vecteur au travers duquel elle instruit ses adeptes. La ligne 88:10 du Traité Tripartite produit une assertion que l'on ne trouve nulle part ailleurs dans les Codex de Nag Hammadi: à savoir que l'Originateur instruit les élus par le biais de cette même Lumière. Cette assertion semble être en accord avec le langage de la section 6 sur “l'engendrement imparfait du Logos”, c'est à dire la chute de Sophia. Elle y est décrite comme le 13 ème Eon “le dernier à avoir été engendré par assistance mutuelle” et “ce ne fut pas en dehors de la volonté de L'Originateur que le Logos (de Sophia) fut généré” (76:15-20). Le texte suggère qu'en Sophia, la dimension super-Eonique de l'Originateur se manifeste. C'est une interprétation unique à la matière Valentinienne.
John Lash
Traduction de Dominique Guillet
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