|
|
Sur L'Origine du Monde
John Lamb Lash
Traduction par Dominique Guillet d'un commentaire de John Lash sur "On the Origin of the World", un texte des Codex de Nag Hammadi. NHC II, 5. 17,5 pages. Un long texte relativement bien préservé sur la cosmologie, les Archontes, l'Anthropos”.
“Sur l’Origine du Monde” présente un grand défi à la lecture en raison de sa description très vivante du Mythe de Sophia, dont certains éléments que l’on ne retrouve pas dans d’autres écrits cosmologiques. Notre plan de lecture inclut six textes cosmologiques: “L’Hypostase des Archontes” (13), “Sur l’Origine du Monde” (14), “Le Traité Tripartite” (16) qui est le plus long document des Codex de Nag Hammadi, “L’Apocryphe de Jean” (20) qui est également long avec des passages saisissants, “La Paraphrase de Shem” (29) et la “Protennoïa Trimorphe” (31). Ces deux derniers documents sont classés dans notre niveau 3 de lecture. Ils sont obscurs à un tel point que cela en est exaspérant. Les caractéristiques essentielles du Mythe de Sophia peuvent, cependant, être élaborées à partir des textes 13, 14, 16 et 20.
Débordement cosmique
“Sur l’Origine du Monde” débute par un ton relativement professionnel et emprunté. Un(e) enseignant(e) Gnostique déclare son intention de corriger certaines idées concernant la cosmologie qui ont été émises par ceux qui “ne sont pas bien informés sur les origines et les fondements du chaos”. Les passages de 98 à 100 mettent en exergue le contraste entre la lumière originelle (Lumière Organique) du Plérome et la lumière extérieure à la matrice divine qui produit de l'ombre. L'Eon Sophia entre en jeu immédiatement et nous avons donc là, pour la première fois dans notre plan de lecture, un premier aperçu d'un écrit spécifique relatif au Mythe de Sophia, l'histoire sacrée racontée par les Mystères.
“Après que la structure naturelle des êtres immortels se fût complètement développée à partir de l'infini, une similarité émana alors de Pistis (Foi) appelée “Sophia" (Sagesse)." (98.10-15)
Paraphrase. Lorsque la conscience vivante infinie du coeur galactique (Plérome) atteint un point tel de maturité que sa structure interne ne pouvait plus évoluer sans déborder, il en émergea une émanation de l'intelligence divine appelée Sophia.
Dans cette narration, la descente de Sophia est considérée comme un épanchement naturel et spontané de la matrice divine. L'interprétation des conditions qui ont présidé à son émanation est unique au texte “Sur l’Origine du Monde”. Il est certain que selon les initiés Gostiques, les conceptions de la cosmologie devaient différer, ou plus précisément devaient différer quant à certaines nuances de leurs expériences visionnaires. Les telestai, cependant, ne se chamaillaient pas à propos de telles divergences. Ils n’avaient aucun canon doctrinal rigide à imposer, aucune orthodoxie qui puisse se définir en opposition à une non-orthodoxie. Les membres des cellules des Mystères ni ne réprimaient ni ne persécutaient d’autres membres dont les descriptions d’événements cosmiques différaient des leurs. Tous les gardiens de l’histoire sacrée se reposaient sur un consensus souple émanant d’une observation précise et permanente de la nature et de sessions disciplinées et coordonnées d’initiation par la Lumière.
Pistis, “foi, confiance”, ce nom alternatif pour Sophia reflète la vision Gnostique selon laquelle dans la psyché humaine et dans la matrice divine du Plérome, il existe une certitude innée vis à vis des matières suprêmes, une sorte de confiance cosmique. Nous pouvons connaître avec certitude l’origine du monde parce que la source de notre faculté de connaissance était présente dans l’émanation originelle de notre monde.
Mais la conscience se voile afin de se manifester au travers d’une myriade de voies. Ce précepte issu du Tantra Hindou correspond étroitement à l'enseignement Gnostique: “Et ainsi Sophia fonctionna comme un voile séparant le royaume de l’homme de son origine Pléromique” (98.20). Dans la cosmologie tantrique, le pouvoir d’auto-voilage est appelé Mayashakti. “Maintenant, le royaume éternel de la vérité ne possède pas d’ombre à l’extérieur et il n’en projette pas” mais la première émanation de l’Eon, alors qu’il progresse au-delà de la ceinture Pléromique, produit un effet d’ombre en se déversant dans la mer noire de matière élémentaire, le “chaos en-dessous”.
Le Gnosticisme s’accorde avec les métaphysiques Asiatiques pour postuler que la matière est co-éternelle avec la conscience. Le coeur du Plérome, “le royaume éternel de la vérité”, est Lumière Organique et pure conscience mais la matrice divine flotte dans un tourbillon d’écume quantique constituée de champs élémentaires de matière dense, le dema. Lors de son contact avec le dema, la radiance vivante, consciente de soi et sans ombres de Sophia engendre un jeu d’ombres. Ces formes d’ombre sont elles-mêmes, tant bien que mal, vivantes et capables de perceptions:
“Alors la forme d’ombre perçut qu’il existait quelque chose de plus vaste qu’elle et réagit d’une façon proche de l’envie ou de la jalousie... Elle se transforma en quelque chose sans cohérence interne, tel un foetus avorté, qui n’est pas complètement formé” (99.5-10).
Tel est le langage étrange que les Gnostiques utilisaient pour décrire les actions et réactions physiques sur le plan quantique. Cela peut paraître ridicule mais est-il moins bizarre, de nos jours, d’entendre dire que les quarks ont du charme? Tel un foetus né prématurément, le dema, percuté par le flux de Sophia se forma en une région d'activité et assuma de lui-même une substantialité. “Il se précipita vers elle dans le chaos” - suggérant que la perturbation que Sophia produisit dans la matière atomique jaillit et l'entoura en menaçant de l'engouffrer de telle sorte “qu'elle souffla dans son visage” pour le chasser.
Yaldabaoth
Le passage 100 décrit comment la première entité reconnaissable émerge dans le champ de la matière élémentaire qui a été anormalement excitée par l’impact de Sophia. Cette entité est “similaire à un lion, androgyne, dégageant une grande autorité et ignorant de ses origines” (100.5). Son autorité (en Grec exousiai) émane des pouvoirs inhérents à la matière aveugle (ousia) qui a été expulsée suite à l’impact de Sophia. C’est un des rares passages dans lesquels le nom du chef des Archontes soit nommé: Yaldabaoth “Enfant, traverses l’espace”, que l’on explique par un jeu de mots en Araméen. “L’enfant” est la progéniture anormale de Sophia et l’espace qu’il occupe est voué à devenir la région occupée par un système planétaire distinct de la planète que Sophia elle-même deviendra lorsqu’elle se métamorphose en la Terre. Nous apprenons, ainsi, que les Archontes acquièrent un espace ou une demeure cosmique avant la formation de la Terre. Ils sont appelés Archontes (du Grec archai qui signifie premier, originel) parce qu’ils émergèrent en premier, avant que la planète ne se forme.
Le “Souverain des Archontes” est tellement obtus qu’il est incapable de se nommer:
“ Il ignore la force de Pistis (certitude originelle de la connaissance). Il ne perçut pas le visage de Sophia mais il vit, plutôt, dans les eaux du chaos, un reflet qui lui parla et à cause de cette voix, il se nomma lui-même Yaldabaoth” (100.20-25).
Le passage de 100 à 103 décrit la formation du royaume Archontique et ce passage inclue une affirmation saisissante: “De la matière, il construisit pour lui-même une demeure, appelé le ciel, et de la matière, l’Archonte se fit un tabouret appelé la terre” (101.5-10). Ici, du moins à ce qu’il semble, nous avons une franche déclaration stipulant que la Terre fut créée par le chef des Archontes, le démiurge. Les Pères de l’Eglise, qui condamnaient les Gnostiques comme hérétiques, prétendirent qu’ils enseignaient que le monde matériel avait été créé par une entité démoniaque plutôt que par le vrai Créateur. Ils attribuèrent aux Gnostiques un esprit de “dualisme anti-cosmique”: ils prétendaient que les Gnostiques condamnaient le monde matériel comme la création diabolique d’une entité démoniaque en raison de leur insistance perverse quant à l’existence de deux créateurs, un mauvais ou Archontique et un bon ou divin. Le texte ci-dessus semblerait donner complètement raison aux Pères de l’Eglise dans leur condamnation de l’hérésie Gnostique - une condamnation validée sans discrimination par tous les érudits spécialisés dans le domaine du Gnosticisme.
Cependant, tout n’est pas aussi clairement défini dans la cosmologie Gnostique. Il est indéniable que “Sur l’Origine du Monde” affirme que Yaldabaoth (opérant vraisemblablement avec le corps collectif des Archontes) a créé la terre mais le texte précise aussi que “ce ciel et cette terre furent détruits”! (102.25).
Si nous voulons interpréter la cosmologie Gnostique à la manière des Pères de l’Eglise, il nous faut lire les textes n’importe comment et en déduire des interprétations complètement erronées si ce n’est délibérément falsifiées. Certains points ne peuvent tout simplement pas être clarifiés sur la base des écrits qui ont survécu; ils ne le seront que par des déductions prudentes. D'autres points ne peuvent pas du tout être élucidés. Cependant, des caractéristiques claires et logiques du Mythe de Sophia peuvent être inférées à partir des écrits retrouvés. Il est sûr que l'histoire est complexe. Cela aide de lire et de relire l'épopée en synopsis - c'est pour cela que j'ai présenté sur ce site un résumé et un synopsis en 9 Episodes (extraits de mon ouvrage publié en 2006 “Not in His Image”.
Yaldabaoth engendre ses “fils” par une sorte d'incantation mantrique, par le pouvoir du son. Dans le royaume du chaos apparaissent sept entités, ou types d'entités, avec des aspects et des noms mâles et femelles. “Le nom féminin est Pronoïa (Prévoyance) Sambathas qui est semaine” (100.25). Ce que cela signifie est ouvert à toutes les spéculations. Pronoïa est la conscience fondamentale du cosmos, similaire au rigpa Tibétain: la conscience qui précède et produit la pensée, sans jamais devenir pensée. Sambathas est un nom des Mystères qui rappelle Samathabadra dans le Bouddhisme. Le système des sept forces ou Hebdomade est la marque des Archontes. Les noms et attributs conférés sont pour la plupart inintelligibles. Ici, l'élément important à appréhender est le fait que Yaldabaoth construise son système “en accord avec la structure qui existait avant eux, selon le souhait de Sophia” (102.5). Cet extrait souligne un thème récurrent: les Archontes ne peuvent qu'imiter, ils ne peuvent pas créer.
Ainsi le “parent originel” (archigéniteur) élabore une sorte de ciel virtuel qui imite les structures vivantes des Eons dans le Plérome; cependant, cette construction n'est pas vivante, c'est une mécanique céleste inorganique. Ce royaume est peuplé par “son armée d'anges”. Ensuite, pour une raison inexplicable, le système s'écroule et le chef des Archontes et sa légion se dissolvent de nouveau dans le chaos. Il semble que certains reliquats du royaume Archontique originel subsistent mais ils sont reconstitués par l'entremise d'un aspect de Sophia (appelé “Astaphios”, 101.30) qui appartient à l'Hebdomade. “Depuis ce moment, le ciel, avec la terre, s'est incorporé au travers de Sophia, la fille de Yaldaboath, celle qui est en-dessous d'eux tous” (103). Il n'est pas complètement aisé de comprendre comment des aspects inférieurs du pouvoir Pléromique de Sophia peuvent être incorporés dans le système planétaire mais c'est ce que le texte évoque.
La Conversion du Soleil
Dans le passage 102.5, nous rencontrons un événement qui est plusieurs fois répété dans les textes cosmologiques des Codex de Nag Hammadi: le Seigneur des Archontes déclare, dans son ignorance aveugle, qu’il est le seul dieu de l’univers. Cet événement, dans le mythe de Sophia, reflète le rejet ferme par les Gnostiques du monothéisme Judéo-Chrétien. Bien qu’aucun texte ne dise carrément que Yaldabaoth soit Jéhovah, il faudrait être vraiment obtus pour ne pas établir cette corrélation. Il n’est nul besoin de préciser que les premiers Chrétiens convertis et les idéologues du parti étaient exaspérés par le blasphème des Gnostiques qui déclaraient que le Père Divin est un extra-terrestre dément. Mais le blasphème va encore plus loin lorsque Sophia humilie “l’Etre Suprême” auto-déclaré:
“Lorsque Pistis vit l’impiété du chef des Archontes, elle en fut emplie de colère. Elle était invisible. Elle dit “Tu te trompes Samaël”, ce qui signifie “dieu aveugle”. Il existe un enfant immortel de lumière qui vint à l’existence avant toi et qui se manifestera parmi tes formes modelées, qui te réduira en poussière tout comme l’argile du potier est pilée. Et tu retomberas dans l’abîme, ta mère, avec tous ceux qui t’appartiennent. Car lorsque ton travail sera consumé, l’anomalie que la vérité a mise en lumière sera abolie” (102.15-25).
Pour humilier les Archontes, Sophia invoque l’archétype cosmique de l’humanité divine, l’Anthropos, qui a déjà été projeté dans le cosmos extérieur par les Eons mais qui reste en germe, pour ainsi dire, qui n’a pas encore été manifesté en des formes modelées et perceptibles par les sens (plasmata). Le Copte OUROME NATHANATOS RRMOUOEIN ressemble à un de ces puzzles dont les lettres ont besoin d’être restructurées pour former une phrase. Il signifie littéralement “une humanité immortelle et rayonnante”. C’est ainsi que les initiés des Mystères décrivaient ce qu’ils percevaient dans des états altérés de conscience - imaginés, si vous préférez - lorsqu’ils contemplaient, dans le ciel nocturne, la Nébuleuse d’Orion, M 42. La silhouette quasi humaine que nous voyons, étendue au travers du ciel avec ses bras levés, son buste massif marqué par la ceinture distinctive des trois étoiles, est une sorte de version schématique, point à point, de ce que les initiés pouvaient voir lorsqu’ils contemplaient les profondeurs de l’amas nébulaire sur la cuisse droite de la silhouette.
(En fait, si vous analysez les étoiles vues à l’oeil nu dans la constellation d’Orion, vous pouvez découvrir des variations fractales de l’alignement des trois étoiles au sein de la composition globale. C’est comme si la structure stellaire visible était un miroir fractal de quelque chose de caché, l’archétype cosmique déposé dans la nébuleuse. Avec un atlas stellaire détaillé, vous pouvez déceler les structures fractales auto-similaires qui sont déjà observables à l’oeil nu.)
Au cours du même épisode dramatique, une des entités Archontiques réagit à l’humiliation par Sophia du Souverain des Archontes. Sabaoth, “la Divinité”, est un des sept descendants de Yaldabaoth nommés dans le passage 101.30. En réponse, cette entité reçoit un jet de lumière de Sophia de telle sorte qu’il “fut illuminé, recevant un pouvoir contre toutes les forces du chaos” (104.5). Qui donc, ou quoi donc, est Sabaoth? Il semble que cela soit le nom donné par certains centres de Mystères au Soleil, l'étoile-mère de notre système planétaire. Il semble que le Soleil faisait originellement partie de l'Hebdomade, le système des sept puissance archontiques, mais, en quelque sorte, il prend ses distances et s'allie avec Sophia, générant ainsi une grande perturbation parmi les sept puissances (“une grande guerre dans les sept cieux”). C'est ce qu'on appelle la conversion de Sabaoth.
La Théorie de Gaïa
Cet événement décisif est suivi de plusieurs autres dénouements capitaux. Sophia confère à Sabaoth, le Soleil, sept pouvoirs qui lui sont propres afin qu’il puisse lutter contre l’Hebdomade. Fait très révélateur: Sophia confère au Soleil le pouvoir de Zoé, la vie, l’animation, l’existence organique. Lorsqu’il émergea en premier lieu avec l’Hebdomade, le Soleil était un corps cosmique de composition inorganique, incapable de soutenir la vie. Grâce à l'intégration de Zoé, la force de vie divine, il s'aligne avec les propres facultés de don de vie de Sophia. Cette alliance unique entre le Soleil et la Terre, qui a permis à la Terre de maintenir un spectre de température constant et favorable à la vie malgré que l'intensité thermale du Soleil ait augmenté de 30 % depuis la formation de la Terre, est une caractéristique essentielle de la théorie de Gaïa.
Dans le mythe Gnostique, Sabaoth se convertit en un allié de Sophia qui devient la Terre physique. Dans les physiques du système solaire, l'énergie affluant du Soleil est convertie par l'atmosphère de la Terre.
Eros et le Sang
Les passages 105 à 109 sont une répétition de la cosmologie décrite jusqu'à maintenant comme si l’enseignant, pour une quelconque raison, avait décidé de reprendre depuis le début le sujet de la causerie. L’humiliation de l’Archonte et la conversion de Sabaoth sont de nouveau narrées avec l’ajout de quelques détails. Par exemple, “Lorsque le géniteur originel découvrit la beauté de la lumière rayonnante, il en fut étonné... Et une image humaine émergea de cette lumière” (108.5-10). Il est ainsi donné au chef des Archontes d'entre-apercevoir l'Anthropos, l'archétype humain originel. Un autre détail décrit l'entité appelée “l'émissaire” et “l'Adam de Lumière”, ADAM OUOEIN, ou “l'Adam Sacré” et “l'homme lumineux de sang”. Ce sont des appellations de l'Anthropos ou, plus précisément, des aspects de l'Anthropos par lesquels il est lié à la Terre. La phrase surprenante “la Terre Sacrée de Diamant”, contient le Copte KAZ dérivé du Grec Ge, la “terre”, ce même mot étant utilisé dans le récit de Yaldabaoth créant la Terre pour un “tabouret”. PE KAZ NADAMANTINE: la terre de diamant. Cet étrange langage rappelle l'utilisation de “adamantin” dans le Bouddhisme Tibétain - par exemple, Vajravarahi est appelée “la Laie Adamantine”. Je présume que dans le langage des Mystères, le terme Adamantin faisait référence à la Lumière Organique, visible, sans ombres et blanche comme neige.
“Sur l’Origine du Monde” est unique quant à sa description de deux créations de la Terre, la construction archontique qui est détruite et la seconde qui perdure, la Terre Vivante qui précipite à partir de la Lumière Organique de l’Eon Sophia. La double existence d’un corps planétaire, formé d’éléments visibles matériels et d’un corps de Lumière Organique qui ne peut être perçu que dans des états élevés de conscience, constituait l’un des secrets les plus profonds de l’initiation.
J'ai proposé des commentaires sur le long passage relatif à Eros par ailleurs sur ce site (Voir “Earthbound Eros” dans Coco de Mer II). Un commentaire plus élaboré de ce passage dépasserait les limites de ce Plan de Lecture et peut-être même de l'imagination humaine. Je voudrai juste souligner que les motifs arboricoles présentés ici appartiennent aux strates les plus anciennes de la mémoire humaine sur Terre, remontant à une période durant laquelle les seuls habitants de la planète étaient des femmes qui vivaient dans des arbres et qui étaient des nymphes des arbres, des dryades, des hamadryades. La connaissance mystique de “la créature femelle qui s'est transformée en un arbre” (118.10), fait référence à l'émergence originelle de la vie humaine dans la biosphère, probablement durant la fin de la période Ordovicienne, il y a 438 millions d'années. Les premiers humains étaient tous femelles parce que l'archétype de l'Anthropos avait été sectionné lors de la métamorphose de Sophia sous sa forme terrestre et la partie mâle de l'archétype fut laissée derrière, en suspens comme une toile d'araignée humide et déchirée, dans la nébuleuse d'Orion. Divers systèmes ésotériques et traditions indigènes font référence à cet événement en termes de “séparation des sexes”. Les hommes qui évoluèrent à partir de l'élément dissocié arrivèrent plus tard, plongeant comme des spores parachutés du haut du ciel.
La “romance chthonique” entre les hommes d'Orion et les nymphes arboricoles de Gaïa constitue le premier chapitre dans la préhistoire de notre espèce - une histoire que l'on retrouve dans une autre oeuvre de Mythopoésis écrite par votre serviteur: “Translations from the Andromedan”. Les commentaires sur ces “translations” constituent le troisième segment du Mythos de Gaïa, qui est en quatre parties, et dont le titre est “The Gender Rift”. “Sur l’Origine du Monde” fait des allusions à cette épopée “Le peuple des femmes arriva après la Terre, et fut filé dans le corps de Gaïa et tissé en plantes. L'accouplement arriva après le peuple des femmes, lorsque les hommes émergèrent. La procréation arriva après l'accouplement, tout d'abord pour le plaisir, non pas pour la progéniture. La dégradation de l'espèce arriva après l'acte de procréation” (109.20).
Pour plus d'informations sur cet aspect du Mythe de Gaïa, voir l'Overview.
“Sur l’Origine du Monde” contient aussi une autre allusion directe à la Lumière Organique: “L’Arbre de la Gnose dans sa gloire est telle la lune dans sa pleine radiance” (109.20). Ce long passage sur Eros, sur la Psyché et les dilemmes de l’union mystique parmi les filles vierges de Gaïa se clos par une tombée de rideau dramatique: “Et les ténèbres recouvrèrent immédiatement tout l’univers”.
Eve, l’Instructrice
Au passage 112, “Sur l’Origine du Monde” passe à une scène thématique complètement différente. Le rideau se lève sur un panorama cosmique où la Sophia inférieure modèle de grands corps lumineux et des étoiles pour servir de signes temporels et de saisons. “De cette manière, toute la région des cieux en fut parée” (112.5). “Le “huitième ciel” (ou simplement le Huitième) est un terme des Mystères pour indiquer le royaume du Zodiaque. L’enseignement ici se révèle profondément ésotérique. Il est dit que l’Adam de Lumière ne pouvait atteindre le Zodiaque et qu’il en produisit donc une version à l’intérieur de lui-même - c’est à dire qu’il intériorisa le Zodiaque. Cela est en accord avec les notions permanentes et universelles selon lesquelles la forme humaine est modelée à l’image des structures célestes perçues dans les constellations. Les Archontes, et c’est étonnant, aperçoivent Adam et ses archétypes célestes et se moquent de leur propre leader et de ses vantardises arrogantes. Même les Archontes réalisent que Yaldabaoth ne pourrait pas créer une telle splendeur.
Cet épisode introduit un nouveau thème: la tentative des Archontes de créer un humain ou une forme humanoïde. Pour ce faire, ils s’ingénient à produire un hybride “selon l’image de nos propres corps et aussi selon l’image de cet être, Adam” (113). Soyons clairs à ce stade qu’Adam n’est pas l’Anthropos dans son intégralité mais seulement l’élément mâle de l’archétype qui fut dissocié de l’élément femelle par l’impétuosité cosmique de “l’attraction foetale” de Sophia lors de sa méga-métamorphose en la planète Terre. Les Archontes tentent ainsi de créer un homme artificiel. La création d’une forme femelle est bien au-delà de leurs pouvoirs et encore plus de leurs rêves les plus fous.
L’instructeur dit maintenant que l’homme artificiel, la forme archontique mâle, deviendra “une prison de la lumière” (113.10). Cette affirmation a communément été interprétée à tort comme signifiant que l’esprit humain, en s’incarnant, devint prisonnier de la matière. Mais là encore, nous avons une vision pervertie de l’antique sagesse, qui attribue aux Gnostiques la croyance selon laquelle l’incarnation humaine provoque la captivité de l’étincelle divine qui doit donc être libérée en se dissociant de ce monde diabolique, etc, etc... Ceci est le summum de la perversité et ce ne fut pas enseigné par les Mystères. Loin s’en faut. La problématique réelle est plus complexe et n’implique pas une dichotomie infantile de l’esprit opposé à la matière. C’est parce que les Archontes tentent de tripoter la vie sur Terre que les complications se manifestent quant à la façon dont nous, l’espèce humaine, nous percevons en termes physiques. Nous avons de tels problèmes avec l’image de nous-mêmes que nous pouvons être leurrés à considérer une version artificielle de nous-mêmes comme notre nature véritable et authentique. C’est cela et non point l’emprisonnement de notre “étincelle spirituelle” dans la matière qui est le dilemme se présentant à l’humanité en raison de l’intrusion archontique.
La vision Gnostique de cette énigme cosmique est empreinte d’ironie. Et d’une dose généreuse d’humour ésotérique, si l’on peut dire. “Sur l’Origine du Monde” explique comment Sophia Zoé découvrit le stratagème des Archontes sachant qu'il leur était donné “la gnose nécessaire pour créer l'homme”, incapables qu'ils étaient de le faire de leurs propres capacités, et la permission de réaliser leur subterfuge. “Ils ne se rendirent pas compte de ce qu'ils étaient sur le point de réaliser”. Les Eons sont-ils étonnés par cette situation? Ils semblent, certes, l'être mais le divertissement ne leur fait pas oublier leur tâche essentielle. Zoé façonne son propre humain. La forme qu'elle produit émane de la vie, c'est une expression de la force de vie éternelle; ce n'est pas un artefact virtuel de processus inorganiques. Cette forme est composée de carbone vivant, de carbone aqueux (hydrates de carbones) et non pas d'une silice sèche comme la poussière.
Adam et la Bête
Une fois que la forme vivante, authentique et véridique de l’humanité a émergé du continuum de Zoé, la vitalité cosmique, elle doit être dotée de l’intelligence qui lui est appropriée - c’est à dire des facultés dont nous avons besoin pour faire face à la situation étrange posée par l’intelligence artificielle des Archontes:
“Maintenant, l’introduction de l’Instructeur se présente comme telle: Lorsque Sophia libéra une gouttelette de Lumière Organique, elle pénétra dans le manteau d’eau de la Terre et immédiatement, la forme humaine émergea avec les deux genres intacts” (113.20).
Nos corps sont des cellules d’eau et la forme particulière qu’ils assumèrent tout d’abord, à savoir la forme larvaire de notre espèce, était androgyne, une fusion des deux genres. “Mais cette gouttelette, Sophia lui donna d’abord une forme femelle” (113.25) parce que même si la matrice corporelle (plasma) était androgyne, l’élément génétique mâle en était absent. Eve, la femme originelle, est à la fois androgyne et femelle. Et c’est assurément la conception exacte d’un organisme femelle en termes biologiques. Nous savons aujourd’hui que le corps de la femme ne reproduit pas simplement l’espèce mais il est aussi la matrice génétique de l’espèce. Les mâles émergent d’une base femelle, par la simple addition du chromosome Y. Eve est androgyne dans son mode de reproduction et elle est femelle dans sa structure biologique. D'un point de vue anatomique, les femmes possèdent les rudiments inversés des organes mâles: le pénis (le clitoris) et les testicules (les ovaires).
C'est un soulagement de découvrir que ces notions ésotériques font du sens et peuvent être corrélées aux connaissances modernes de la biologie et de l'anatomie. Mais attention, il va falloir ramer fort. L'identification de l'Instructeur avec “la Bête” (therion) introduit un passage dense et empreint de langage énigmatique, dont une partie s'exprime en arétologies, des affirmations de “Je suis” qui rappellent un autre texte des Codex de Nag Hammadi “Le Tonnerre, intellect parfait” (8 dans le Plan de Lecture). Une chose est claire: la race originelle des femmes qui peuplait la Terre avant que les hommes ne rentrent en scène, et même pendant longtemps après que les hommes fussent arrivés, se reproduisait asexuellement “sans un mari” et “était sa propre sage-femme”. (Certaines éco-féministes, telle que Mary Daly, qui est à toutes épreuves et ultra-radicale, veulent revenir à ces bons vieux jours et se débarrasser totalement des mâles. Mais, à ce que je sache, les dryades de Gaïa n'étaient pas des lesbiennes qui haïssaient les hommes).
Le traité, ensuite, présente la manière étrange dont Adam, l'organisme mâle, vint à être formé. Ce processus complexe fut élaboré par étapes, par une sorte de montage en série d'organes et de membres. L'Apocryphe de Jean, un autre traité cosmologique majeur, décrit les organes et les membres et nomme chaque entité qui les façonne. Le texte présente une liste bizarre qui ressemble à l'inventaire de pièces manufacturées dotées chacune d'une estampille d'inspection. “Sur l’Origine du Monde” se dispense de dresser un inventaire mais décrit clairement le même processus. Imaginez cela: dans le réceptacle corporel originel ou matrice plasmique de la forme mâle, à savoir Adam, des organes sont insérés ou bien ils croissent à l'intérieur par un quelconque processus d’accrétion à long terme, comme s’ils étaient des corps étrangers qui sont déposés dans le moule et qui y prennent demeure, tout comme des symbiotes.
La Théorie de SET
En termes métaphoriques, la langage de “Sur l’Origine du Monde” et de “l'Apocryphe de Jean” se rapproche de la théorie, élaborée par Lynn Margullis, d’endosymbiose sérielle, la théorie de SET. Selon cette théorie, les organismes multi-cellulaires, nucléés et complexes, incluant de large animaux tel l’homme, évoluent à partir d’organismes moins complexes qui, en envahissant et en vivant dans le cytoplasme de certains organismes primaires, les incitent à muter en animaux complexes avec des membres et des organes internes bien définis. Les parasites internes qui ont été le vecteur de notre évolution sont des endosymbiotes, (“vivants dedans”). L’élaboration de l’organisme humain “prit place par morceaux, un à la fois” lorsque les symbiotes envahirent la matrice plasmique, la cellule humaine primordiale ou “le réceptacle animé” comme l’appelle le traité “Sur l’Origine du Monde” (115.5).
Pour imaginer ce processus, visualisez la forme humaine (tête, bras, torse et jambes) comme une enveloppe plasmique transparente mais sans haute définition, c’est à dire que ses caractéristiques externes ne sont pas complètement définies, ses extrémités sont vagues, sans structure osseuse interne, sans ongles, etc. Visualisez ensuite comment des points de symbiotes vivants et ondulants pénètrent au travers des membranes de l’enveloppe et y établissent leur demeure. Au fil de la croissance des symbiotes à l'intérieur du réceptacle animé, les organes apparaissent (le foie, les glandes, le coeur) et l'organisme acquière une définition plus précise (yeux, oreilles, structure des os, doigts, même les ongles, tous décrits dans l'Apocryphe de Jean). L'Instructeur de “Sur l’Origine du Monde” spécifie que “Adam a pris forme comme un avorton, sans la présence de l’esprit” (115.5). Cela signifie que le corps larvaire n’a pas évolué originellement au travers d’un principe interne d’organisation mais au travers de l’assimilation à partir de l’extérieur. Ce ne fut pas un processus d’autopoésis et cela ne pouvait pas évoluer de son propre pouvoir ou s’auto-motiver: “Adam ne pouvait pas se tenir debout” (115.10). Mais “Zoé Sophia fit pénétrer son souffle en Adam” et il devint vivant de façon autonome, doté d’un esprit intérieur.
Considérez ceci: non seulement le mythe Gnostique décrit-il la Déesse Sophia, plutôt que le Père Divin, modelant la forme humaine et lui insufflant la vie mais il resitue cet acte dans un panorama cosmique dans lequel l’humanité naissante est menacée par des entités exra-terrestres qui tentent de dupliquer l’exploit de l’Eon. Dès le premier moment de son existence, l’espèce humaine a été confrontée au risque de se méprendre sur sa nature organique réelle et de perdre son chemin dans le plan évolutif de la Terre. En raison de l’intrusion des Archontes, nous risquons de prendre un simulacre ou une copie pour ce qui est réel, abandonnant l’Anthropos véridique au profit d’une copie frauduleuse. Nulle part dans la mythologie Judéo-Chrétienne ne trouvons-nous quelque chose proche de ce scénario, quant au contenu ou quant à la sophistication.
Deux Générations
“Sur l’Origine du Monde” n’est pas compréhensible dans sa totalité, et plus particulièrement après le passage 115. Ce texte ne peut pas, et ne doit pas, être transposé ligne par ligne dans une description biologique du style de Lynn Margulis. Il est, cependant, extrêmement important de clarifier que le “réceptacle animé” d’Adam est distinct de la forme originelle d’Eve. Les Archontes tentent de dupliquer l’homme, le mâle, pas le génome humain en soi. Le mâle de l’espèce fut formé par l’accrétion symbiotique à long terme d’organes au contraire de la femelle qui précéda, de toutes façons, le mâle. La femelle de l’espèce humaine fut contemporaine de la vie végétale sur Terre, à la fin de l’âge Ordovicien. Il se peut que l’organisme mâle rudimentaire ait émergé à la fin de l’âge Silurien, il y a 408 millions d’années.
Imaginez cela: il y eut deux voies distinctes de génération ou de formation anatomique de l’espèce humaine. Tel est l’enseignement des Mystères - un sujet non pas de croyance ou de non-croyance mais un sujet à investiguer.
Rappelons que “la naissance arriva après l’accouplement et la dissolution arriva après la naissance” (109.20). Selon les enseignements des Mystères préservés à Eleusis et ailleurs (particulièrement dans les temples Egyptiens du Nil supérieur), la procréation sexuelle, à deux parents, fut imposée à la femelle par le mâle. A Eleusis, cet épisode ancien de l’évolution humaine fut conservé (encodé si vous voulez) dans le mythe du viol de Perséphone. Cela arriva ainsi parce que l’organisme mâle, abondant en organes symbiotiques, s’accoupla avec l’organisme femelle pour le plaisir mais éventuellement fusionna (se surimposa) avec lui dans le processus - tout comme l’homme et la femme fusionnent encore dans le flux tendre de l’abandon sexuel. Ce faisant, le mâle imposa tout son ensemble de traits symbiotiques au “réceptacle animé” de la femelle. Avant de s’accoupler avec les hommes, les femmes n’avaient pas besoin de se reproduire de cette façon, c’est à dire par duplication cellulaire tel que génère le jeu de chromosomes humains à partir de filaments combinés d’ADN. Les hommes ne se reproduisent pas simplement avec les femmes, ils imposent par la force le processus biologique de reproduction à l’organisme femelle parthénogénique. C’est pourquoi les Gnostiques refusaient l’acte de procréation qu’ils considéraient comme une forme de violence bien qu’ils embrassaient et célébraient -qui plus est, sacralisaient- l’union sexuelle sans enfantement.
“Sur l’Origine du Monde” continue du passage 116 à la fin - sept pages d’exposition ésotérique dense! Cela prendrait un ouvrage entier pour lui rendre honneur. Le lecteur intrépide qui fraye son chemin jusqu’à la conclusion découvrira: la narration Gnostique de la tentation dans le jardin de l’Eden (118-120), dans laquelle l’Instructeur (Eve-Serpent-Kundalini) est un allié de nos parents originels plutôt qu’un ennemi; la malédiction des Archontes et la supériorité d’Adam sur eux (120-1); l’origine de l’heimarmene (destin astral) (121); le phoenix et le taureau, symboles du temps cosmique (122); l’influence des Archontes “qui instruisirent l’humanité dans de nombreuses voies d’erreurs” et un commentaire très distinctement négatif quant à l’intrusion des Archontes (123); et une longue affirmation de résumé avec un message apocalyptique, rare dans les écrits Gnostiques (124-7). Vers la fin, “Sur l’Origine du Monde” retrouvre le ton didactique et formel des premiers passages.
|
|
|