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L’Arbre et la Source

Logo et Credo de Metahistory

John Lamb Lash

Traduction par Dominique Guillet de l'essai "Tree and Well. The Logo and Credo of Metahistory".

Durant des millénaires et dans de nombreuses cultures, l’imagination humaine a dépeint un arbre cosmique émergeant d’une source sacrée. Un sceau cylindrique, de la vallée de l’Indus, aux alentours de 2000 av. EC, représente l’adoration de la Déesse qui demeure dans le puits. Est agenouillé devant Elle le shaman cornu, le Chasseur ancestral qui représente un aspect de l’orientation primordiale religieuse de notre espèce, à savoir la révérence en présence des pouvoirs générateurs de vie de la Nature Sacrée. Les bourgeons coniques à l’extrémité des rameaux de l’Arbre Sacré ont notoirement une apparence de champignons. La Source est symbolisée par le cercle à la base de l’arbre.

Ascension et Descente

La mythologie Nordique présente la même image éternelle dans l’histoire du poète-shaman, Odin (ou Woden) qui doit rester pendu durant neuf nuits et neuf jours afin de recevoir la révélation sublime. Il monte dans l’Arbre pour s’abandonner à son flux de courants cosmiques émanant de ses branches et de ses feuilles. Grâce à cette épreuve, il acquiert les runes, un alphabet secret composé de symboles divinatoires. Les runes représentent les formules génératrices de tous les langages possibles, de toutes les expressions verbales et écrites par lesquelles la connaissance humaine puisse être capturée et transmise. Au travers de cette épreuve, le shaman Odin “pendu à l’arbre” acquiert le pouvoir magique du langage mais sans, pour l’instant, l’accès à la sagesse transcendante qui fera du langage son instrument. .

Pour acquérir cette seconde faculté, Odin doit descendre dans les mondes souterrains, à la racine de l’Arbre et boire à l'eau miraculeuse de la Source de Mimir. Le nom Mimir est corrélé au Latin memor et c’est pourquoi la Source de Mimir a été appelé la “source de la mémoire”. Voici ce qu’en dit Ralph Metzner:

«Il était dit que de boire de cette source conférerait la connaissance des commencements et des origines des choses - des humains, de la vie, des mondes... Dans les traductions Allemandes, le terme utilisé pour décrire la Source de Mimir est marchenreich, “empli d’histoires” - ce qui suggère que de boire de cette source était une expérience qui impliquait à la fois la faculté de vision et la faculté de raconter des histoires. Les histoires nous racontent notre passé et les visions nous parlent de notre futur. Boire de la Source de Mimir est, ainsi, pénétrer dans un état de conscience de remémoration, par lequel nous puissions nous souvenir de nos origines évolutives, de notre relation aux royaumes des plantes et des animaux, et de notre nature primordiale en tant qu’enfants de la Terre». (“Green Psychology”. Page 155).

Le logo de Metahistory dépeint “une source emplie d'histoire” et l'arbre du langage qui en émerge représente l'expression très ramifiée (multi-culturelle, multi-raciale) de ces histoires dans leur forme verbale et écrite.

En’Owkin: la Suspension de la Croyance

Metahistory est “une expérience qui implique à la fois la vision et la narration” et même un peu plus. Notre capacité d’être des vecteurs authentiques et véridiques de la sagesse innée de notre espèce est entravée par le conditionnement. Pour l’humanité moderne, la communion avec la Nature Sacrée (la Déesse dans l’Arbre) a été subjuguée par la socialisation: c’est à dire par l’éducation, par le conditionnement racial et politique et, peut-être surtout, par des siècles d’endoctrinement religieux. Encombrés par nos habitudes culturelles de pensée et de jugement, nous n’avons plus accès à la source de vie de la mémoire ancestrale. Notre conditionnement paralyse notre capacité de puiser aux ressources innées de la matrice biogénétique spécifique à notre espèce humaine. Incapables de découvrir le plein bénéfice de notre intelligence propre, nous en sommes réduits à suivre un ensemble de comportements qui ne reflètent pas la vraie promesse de la “sapience” humaine.

«Nous avons tous des systèmes de comportements acquis et culturels qui ont imprégné notre subconscient. Ces systèmes agissent tels des filtres sur notre vision du monde. Ils influencent nos comportements, nos structures de langage, nos gestes, les mots que nous utilisons et aussi la façon dont nous rassemblons nos pensées. Il nous faut trouver les moyens de remettre tout cela en question, continuellement.»

Ainsi s’exprime Jeanette Armstrong, auteur et artiste Okanaga, en conversation avec Derrick Jensen (“Listening to the Land”). Elle explique que son groupe Amérindien, les Okanagan de Colombie Britannique, ont une tradition de longue date appelée En’owkin. Cette tradition implique un processus de résolution des conflits grâce auquel toutes les parties acceptent de remettre leurs vues en question. «Pratiquer le processus d’En’owkin», dit Jeanette Armstrong, «me demande constamment de me discipliner à la déconstruction de ce que je crois et de ce que je perçois quant à la façon dont les choses fonctionnent et de remettre en question continuellement ce que je crois et d'accroître continuellement mes connaissances et ma capacité de compréhension.»

Cette phrase unique pourrait constituer “l’ordre de mission” d’un des aspects de Metahistory: la métacritique, à savoir l’analyse radicale et la déconstruction des croyances.

Tout comme l’En’owkin, la pratique de Metahistory implique un travail gigantesque de déconstruction et de déconditionnement. Pour que nous puissions accéder librement à la connaissance unique et innée de notre espèce, il nous faut nous engager à nous libérer de la distorsion et à lutter contre la désinformation. Tous les jours, nous entendons parler d’événements qui “font l’histoire”. Chez Metahistory, bien souvent, c’est tout le contraire qui nous importe: c’est de défaire l’histoire, de déconstruire les histoires qui ne reflètent pas le don sacré de nos facultés d’autoguidance.

Le Voyant à Un Oeil

La sagesse qui nous connecte à toutes les autres espèces, sur la Terre et dans l’entièreté du Cosmos, prend sa source dans l’imagination poétique et visionnaire mais, pour libérer nos pouvoirs d’imagination, il est nécessaire de faire taire notre mental conditionné. «La connaissance véridique s’acquiert par la discipline de l’apprentissage; elle n’est jamais donnée.» (Metzner, ibidem, Page 155). Selon le mythe Nordique, lorsqu'Odin arriva à la Source de Mimir, le gardien de la source le soumit à une épreuve. Le géant exigea d’Odin un acte d'abandon avant de lui permettre de boire de la Source. Odin dut donc abandonner un de ses yeux afin d'accéder à l'illumination par la mémoire mystique. C'est ainsi que ce shaman devint connu comme le Voyant à Un Oeil.

Le mythe nous enseigne par là que nous devons abandonner notre mode de vision et de compréhension unilatéral, à savoir le processus mental exclusif du cerveau gauche, afin de mettre en oeuvre les facultés poétiques et visionnaires de l'autre oeil, la conscience du cerveau droit. Il est curieux de constater que la mentalité de cerveau gauche, lorsqu'elle mise au silence, ne s'en va pas. Selon les Eddas Nordiques, «lorsque le géant Mimir, ou d'autres dieux de shamans en quête de connaissances, buvaient de la source, ils pouvaient voir que l'oeil d'Odin les regardait» (Metzner, ibidem). Immergé au fond de la source, l'oeil sacrifié (la faculté rationnelle, l'oeil gauche d'Odin) continue de voir.

Il apparaîtrait, à ce point, que l'enseignement supérieur de ce mythe propose une conception surprenante: si nous regardons avec assez d'intensité dans le puits de la sagesse ancestrale, la pensée rationnelle de cerveau gauche, avec laquelle nous sommes tellement identifiés et sur laquelle nous comptons exclusivement pour connaître le fonctionnement du monde, sera là, nous renvoyant notre regard. Le mythe convie ici une leçon clé de survie: la rationalité n'est pas exclue de la connaissance profonde et transrationnelle de l'antique voyance, même si les limites rationnelles de la cognition doivent être dépassées afin que cette connaissance profonde puisse être vécue. Ce paradoxe fut spécifiquement appréhendé dans la tradition des Gnostiques, les enseignants spirituels Païens, qui affirmaient la complémentarité fondamentale des modes visionnaire et rationnel de connaissance.

Une Dérive vers la Démence

LLe cours de l’expérience humaine, depuis 6000 ans, a été le témoin d’un déclin permanent de la capacité humaine d’accéder aux ressources poético-visionnaires symbolisées par l’Arbre et la Source. Pour des raisons qui sont éminemment difficiles à appréhender, la sagesse primordiale, préservée dans les traditions shamaniques biorégionales, a dégénéré ou a été éradiquée. A sa place, a émergé une autre orientation religieuse, un système dogmatique et totalitaire de croyances représenté principalement par les doctrines des credos Abrahamiques, à savoir le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.

Pourquoi la culture moderne de toute la planète est-elle dominée par des histoires qui ne reflètent pas la sagesse visionnaire authentique nécessaire pour guider l’humanité sur son chemin propre d’évolution?

Pour une raison ou pour une autre, durant le processus pluri-millénaire durant lequel nous sommes devenus aliénés de nos origines en la Nature Sacrée, l'idéologie religieuse a remplacé la sagesse poético-visionnaire en tant que récit d'orientation de notre espèce. Des histoires qui nous portent préjudice et qui nous induisent en erreur, qui incitent les êtres humains à se battre entre eux et qui nous poussent même à nous auto-détruire et à détruire notre environnement, ont été imposées à la race humaine par des personnes dévoyées qui ont introduit ces histoires pour servir leurs propres fins égoïstes, l'acquisition de pouvoir et de privilèges, ainsi que la prétention à une autorité divine et suprahumaine. L'agression, au service du pouvoir et de la possession, a été promulguée comme la forme la plus élevée de comportement humain. La violence fondée sur la foi religieuse a été, et continue de l'être, la force sociale modelante qui est dominante dans notre histoire.

Les systèmes de croyances, qui dominent couramment le monde, procèdent de dieux mâles célestes qui entérinent l'agression territoriale, le génocide, le contrôle par la violence, ou la menace de la violence, et la destruction totale des écosystèmes naturels. Sous certains égards, l'idéologie religieuse, qui adombre de tels comportements, constitue une perversion pathologique chez notre espèce - très littéralement, une dérive vers la démence.

Presque tous les aspects de la société moderne encouragent l'égoïsme et la séparation, divisant les êtres humains les uns contre les autres, en une lutte Darwinienne pour la survie. Ces comportements sont renforcés et encouragés par les scénarios scientifiques, religieux et culturels qui sont le reflet d'une soif insatiable de domination et de contrôle. Les histoires dominantes de notre époque conduisent l’espèce humaine vers la discorde et l’auto-immolation.
Il nous faut ainsi nous poser la question suivante. Comment est-il possible que notre faculté de connaissance primordiale, l'héritage sacré symbolisé par l'Arbre et la Source, ait put être complètement subjuguée par des inclinations pathologiques? Si la sagesse primordiale acquise par Odin est innée, et à ce point essentielle pour notre nature et notre intégration dans le grand plan universel, comment a-t-elle pu être éradiquée par des conceptions qui sont manifestement trompeuses et étrangères à notre chemin réel?

Il semble inconcevable qu'un tel retournement puisse être advenu mais il est, cependant, irréfutable. Le cours de l'histoire, durant les 6000 dernières années, nous présente un exemple après l'autre et il n’est que de se tourner vers les médias quotidiens si tant est que des preuves actuelles en soient nécessaires. Un des défis de Metahistory est d'élucider les causes originelles de cette perversion spécifique à notre espèce humaine, et de dessiner la trajectoire de ce tournant fatidique. Bien que la problématique soit loin d'être résolue, certains principes ont été développés et validés subséquemment. Katherine Keller, par exemple, qui est professeur de théologie à l'Université de Drew dans le New Jersey, a développé un certain nombre de concepts métahistoriques sur le problème du détournement de l'espèce humaine:

«Nous n'avons aucune raison de croire que, de tout temps, la vie ait été fondée sur la domination du plus faible par le plus fort, et nous n'avons pas plus de preuves que les êtres humains aient toujours vécu dans l'état d'être défensif qui caractérise la vie moderne... Au sein d'un groupe dans lequel les mâles guerriers s'imposent et dominent le village ou la tribu, tous les membres du groupe vont commencer à développer une nature d'être différente de ce qu'elle était lors d'époques antérieures, une nature d'être qui est le reflet des défenses que la société elle-même configure... C'est ce que nous pouvons voir, encore aujourd'hui, dans des situations dans lesquelles les mauvais traitements se transmettent d'une génération à une autre. A maintes occasions, nous voyons que la perpétuation de la douleur - destruction et mauvais traitements - procède d'une blessure antérieure... Comme ce sont les personnes, qui incarnent cet état de défense, qui vont dominer ces sociétés, cette sorte de défensive qui lèse l'individu, détruit la communauté et tue l'environnement, va proliférer comme un cancer» (Entretien avec Derrick Jensen. Ibidem. Pages 273/274).

Si la société moderne, dans son ensemble, est impulsée par un système de domination enraciné dans une lésion originelle, “une blessure antérieure”, il serait donc très éclairant de déterminer comment cette blessure s'est manifestée. C’est à partir de plusieurs angles d’approche que Metahistory explore ce problème extrêmement grave.

Le Guérisseur Blessé

Dans la vallée de l'Indus, en Islande et dans de nombreuses autres régions du globe, le shaman était le personnage central dans la narration des modes par lesquels la sagesse ancestrale est continuellement sollicitée (descente à la Source) et renouvelée (ascension vers la conscience cosmique, exprimée dans le langage du discours poético-visionnaire: l’Arbre Sacré). Mais l'histoire narrée par le shaman ne se réduit seulement pas à cela. Un thème secondaire, mais non moins signifiant, dans la tradition shamanique, concerne la blessure du voyant. Cet événement pourrait-il être corrélé, d'une certaine manière, avec la blessure originelle (non pas le péché originel) à laquelle Katherine Keller et d'autres ont fait référence?

Joan Halifax, très réputée pour faire revivre les traditions ancestrales, a sous-titré son ouvrage sur le shamanisme “Le guérisseur blessé”. Elle écrit que «des récits du voyage intérieur de tourmente et de détresse du shaman, chanté et mis en poésie, condensent le symbolisme personnel au travers d'une lentille mythologique qui englobe l'expérience humaine plus générale». (Page 19). Il est clair que la blessure primordiale du shaman est un événement d'importance essentielle pour la destinée humaine, une destinée que nous tentons d’élucider avec Metahistory.

Il nous faut élucider, par différentes voies, l'éradication de l'orientation religieuse shamanique originelle de notre espèce et son remplacement par un système de croyances totalitaires. La transition de l’orientation religieuse shamanique originelle de notre espèce vers la domination de systèmes de croyances totalitaires doit être retracée à partir de nombreuses directions différentes.

Vision Originelle

Quel que soit ce qui est advenu à la quête visionnaire propre à notre espèce et qui a, d’une certaine manière, généré un terrible détournement du cours de l’expérience humaine, il ne peut être connu qu’en recouvrant l’histoire réelle permettant de le décrire. Le théologien et éco-philosophe Thomas Berry insista sur le fait que nous vivons dans un moment crucial de l’évolution humaine qui requiert de «ré-inventer l’humain au niveau de l’espèce». (Cité dans Metzner, ibidem). Un tel acte de ré-invention n’est possible qu’en accédant aux ressources de la vision originelle symbolisée par l’Arbre et la Source.

Il y a moins d’un siècle de cela, la Déesse de la Vallée de l’Indus dans l’Arbre était encore une image vivante, incarnée et ressentie. Les facultés visionnaires étaient cultivées par des pratiques shamaniques, préservées dans les biorégions, de diverses cultures indigènes de par le monde. La machi, la shamane des Mapuche du Chili, se tient en transe dans l’arbre sacré en battant son tambour cérémonial. La photo ci-contre est celle de la Déesse de la Vallée de l’Indus dans l’Arbre incarnée sous une forme humaine. Elle nous offre le témoignage d’une continuité millénaire qui est, de nos jours, menacée d’être brisée par un coup final et dévastateur. Les traditions shamaniques se meurent sur toute la planète. Nous sommes témoins, au 21ème siècle, d’une extermination délibérée de la petite poignée restante de shamans qui représentent cette continuité.

Alors que j’écris ces lignes, les San Bushmen du désert de Kalihari ont été finalement déplacés de leur habitat par les agents du développement des multinationales. Relocalisés dans des camps où ils ne peuvent plus survivre en comptant sur les savoir-faires qu'ils ont développés depuis 16 000 années, ils reçoivent des rations de nourriture industrielle et de la bière en cartonnages de deux litres. Leurs adolescents portent déjà des walkman et sont atteints du sida. Un journaliste de CNN interviewa une femme de la tribu qui refuse de quitter la terre de ses ancêtres. Elle est de petite taille et semble frêle, tout comme les Bushmen le sont par nature. Son visage doux est tendu, tel un masque de douleur indicible et violente mais ses yeux lancent des éclairs de défi farouche lorsqu'elle dit dans un Anglais haché qu'elle ne partira pas, qu'elle ne sera pas enlevée par la force, qu'elle mourra là où elle est plutôt que d'aller dans un camp de relocalisation...

Réfléchissant sur l'appel de Thomas Berry pour un mythe spécifique à notre espèce humaine, Ralf Metzner observe que «Je considère que cela signifie que les paradigmes culturels existants ne peuvent pas solutionner adéquatement les problèmes auxquels nous faisons actuellement face et cela signifie donc que nous devons puiser à la sagesse évolutive de l'espèce humaine dans ses relations avec les autres espèces et les écosystèmes. La survie de l'espèce humaine et son mode d'adaptation au monde naturel sont menacés. Tous les systèmes de vie de la biosphère sont dans une impasse dangereuse de par les conditions que nous avons créées». (Ouvrage cité. Page 171). De par son cadre favorisant l'imagination et la déconstruction, Metahistory met en exergue l'importance de la narration pour une réorientation cruciale de l'humanité vers un mode de vie harmonieux et soutenable. «L'espace participe de l'endroit tout comme le temps participe du récit» (Metzner. Page 183). Nous sommes des histoires vivantes dans un double sens: nous vivons des histoires (nous en sommes les acteurs) et nous sommes des histoires qui vivent. Toutes nos histoires personnelles sont entrelacées avec l'histoire qui embrasse toute l'espèce humaine mais nous avons perdu le fil-clé du récit de cette suprême aventure. Metahistory est une approche, une préparation pour recouvrer ce fil.

Pour Célébrer et Aimer

Quelle que soit la forme de la vision originelle que nous recherchons, elle doit révéler le mystère de la blessure du shaman, à savoir l'événement unique qui a désorienté notre espèce au point que nous risquons de perdre totalement notre chemin. La découverte de la blessure est la seule façon d'éliminer le schéma de domination et de violence infligée qui, de nos jours, se propage de lui-même dans les vagues de la douleur qui se répand de la blessure. La poétesse et nouvelliste Chickasaw, Linda Hogan, a dit que «notre régénération procède souvent de la perte, de la douleur et des cendres; nous sommes tels des sequois géants, avec une vie nouvelle émergeant de nos êtres tombés» (Entretien avec Derrick Jensen. Page 122). Ces paroles expriment la douleur qui fonde le processus rédempteur de guérison à l'échelle de l'espèce. Ensemble, l'Arbre et la Source représentent la puissance du langage comme instrument de notre connaissance primordiale, la sapience qui nous rend humains.

Le commentaire de Linda Hogan sur le langage pourrait bien être le credo de Metahistory. «L’histoire est la chose essentielle que nous ayons. D'une certaine manière, c'est la seule chose que nous possédions. Certaines personnes qui ont besoin de guérison vont voir un thérapeute auquel ils racontent l'histoire de leur vie. Ils perçoivent alors cette histoire d'une manière différente, changent de schémas de vie et cela les guérit. Les histoires fournissent un raccourci vers le monde de l'émotion, un chemin direct vers le mythique et l'inconscient...

Le langage est. Il a de la force. Quelqu'un comme N. Scott. Momaday dirait que le langage est une entité, un être vivant. Il se peut que tout langage soit une prière ou un chant. Octavio Paz écrivit que lorsque l'on va vers des modes plus primitifs de pensée, le mot et le sujet sont une même chose. Il n'y a pas d'abîme entre le mot et ce qu'il évoque.

Vus de cette façon, les mots possèdent un grand potentiel de guérison, sous tous aspects. Et nous avons besoin de les apprendre, de trouver un moyen d'évoquer tout d'abord le problème, la vérité, contre la destruction, et ensuite de trouver un moyen d'utiliser le langage pour remettre les choses à leur place, de vivre dans le respect, de chanter et de célébrer la Terre, d'aimer.»


John Lash Septembre 2002.

Traduction de Dominique Guillet.