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Chapitre 22
L'Imagination Divine
John Lash
Traduction de Dominique Guillet.
Si les Mystères sont l'antique racine pivot de l'écologie profonde, comme je le suggère, nous pouvons peut-être maintenant tenter d'évaluer la profondeur à laquelle cette racine s'enfonce. Elle s'enfonce à la fois dans les profondeurs du temps et dans les profondeurs de la psyché, dans la structure psychique de l'humanité. Dans Sacred Pleasure, Riane Eisler écrivit: “Afin de prendre conscience de ce qui ne peut pas être perdu, il est nécessaire d'appréhender ce qui a été réellement perdu.” Ce paradoxe s'applique au Gnosticisme de façon précise et poignante. La racine qui s'enfonce si profondément, la sagesse qui est enracinée si fermement dans la vie de l'âme de l'espèce, ne peut pas avoir été éradiquée. L'effort déployé pour la détruire a généré le drame de douleur et d'injustice le plus long et le plus violent que l'humanité ait jamais connu mais la magnitude même de cet effort témoigne de la force et de la profondeur de la sagesse native.
Il est véritablement miraculeux que notre espèce ait survécu à l'offensive lancée par le patriarcat pour éliminer la Déesse et ses Mystères. Je suis certain que sans la présence des peuples indigènes de toute la planète, qui préservent la sagesse native dans leurs vies, nous n'aurions jamais pu arriver à ce jour où j'écris ces mots. Le pouvoir destructeur du programme des dominateurs est immense mais ceux qui maintenant le contestent, avec tant de véhémence, commencent juste à comprendre pourquoi il a été si puissant. Comme le patriarcat utilise la théologie de la rédemption pour se légitimer, tous les croyants qui adhèrent au complexe du rédempteur sont des auxiliaires de la grande machination des dominateurs. En règle générale, il existe énormément plus d'individus sains et décents que de scélérats mais, cependant, ceux qui pratiquent la dissimulation, et exercent le mal, bénéficient d'un avantage disproportionné sur le monde entier parce qu'ils s'appuient sur le consentement passif des croyants. Voilà le sombre et répugnant secret au coeur de la collusion victime-perpétrateur.
Le patriarcat a donné naissance à un monde dominé par la terreur mais la terreur est simplement l'erreur épelée avec un T. Le T est la croix, l'instrument de torture Romain, le symbole catholique de l'amour divin (et ultérieurement, un accessoire à la mode, ce qui ne diminue en rien ses effets pernicieux). La terreur commence avec la doctrine fallacieuse de la rédemption, le message spécieux de l'amour. La terreur s'achève avec le type d'apocalypse anticipée avec ferveur par les Zaddikim. C'est vers cela que l'histoire va nous conduire, vers l'inéluctabilité de l'auto-destruction intégrale, si nous n'arrivons pas à nous désengager du drame prescrit. Nos comportements sont à l'image de nos croyances.
Comment pouvons nous détourner le cours historique de la terreur? Il serait très profitable de percevoir ce que les Gnostiques ont perçu car ils discernèrent la racine de la pathologie globale dominatrice. Se dissocier personnellement de la fixation sur la victime divine, c'est agir pour la libération de l'humanité dans son ensemble. Afin de faire face à ce défi, le dévoilement Gnostique du mal peut nous rendre un service inestimable. Les enseignements Gnostiques du réseau des écoles des Mystères préservèrent l'essence du shamanisme orienté vers la Déesse qui était le propre des cultures Européennes avant la Christianisation et que l'on retrouve dans les cultures indigènes de toute la planète. Ces enseignements présentaient, en même temps, une vision du monde unique, d'origine Indo-Iranienne, une vision qui émanait à proprement parler de l'extérieur de l'Europe. Les Gnostikoi étaient Egyptiens, Levantins, Syriens et Perses. Ils protégèrent, cependant, l'Europe ou du moins ils essayèrent. En raison de leur contexte historique et culturel, ils avaient développé une perception intime du mal qui allait s'étendre dans une Europe dont les peuples indigènes ne possédaient pas l'immunité psychique pour s'en défendre. Les Gnostiques du Proche Orient opposèrent la première ligne de défense contre la double menace de la théocratie et du rédemptionnisme. Lorsque cette ligne de défense tomba, quelque chose de foncièrement maléfique, une force étrangère oeuvrant contre la vie, envahit toute l'Europe. A l'instar d'une pestilence biologique, elle décima littéralement les peuples indigènes.
Ecognose
Jeffery Burton Russell, historien religieux et auteur d'une série d'ouvrages sur Satan, Lucifer et le Diable, remarqua que “le problème du mal transcende la religion”. Il aurait tout aussi bien pu ajouter qu'il la contamine également. Les Gnostiques enragèrent et scandalisèrent les premiers Chrétiens sur de nombreux points, mais plus particulièrement parce qu'ils affirmaient connaître la solution au problème du mal. Les hérétiques des Mystères refusèrent le concept selon lequel le bien et le mal émanent de la même source. Ce refus constituait pour les premiers Chrétiens une attaque de front contre l'omnipotence de leur dieu paternel. Il sapait également les fondations mêmes du plan divin. Les croyants en ce plan, d'alors et de maintenant, “attribuent l'existence de la terrible souffrance endurée par le monde à la volonté de Dieu de nous conduire vers le bien au travers du renforcement de l'âme et du mystère” mais les Gnostiques réfutèrent cette interprétation et insistèrent sur sa nature tout autant ridicule que dangereuse. Dans la perspective de recouvrer aujourd'hui la Gnose, il est clair que leur argumentation était sainement fondée sur une dualité à deux mondes par opposition à la dualité de source divisée de la théologie Judéo-Chrétienne. Dans une dualité à deux mondes, la source du mal ne réside pas dans la Divinité suprême mais exclusivement dans la sphère humaine.
Les initiés des Mystères avaient totalement élucidé le mensonge pervers du complexe du rédempteur. Dans le mythe de Sophia, ils présentèrent non seulement une explication de l'origine de la perversion mais ils en présentèrent également une alternative viable. Leur critique du rédemptionnisme était contre-balancée par une vision grandiose du potentiel humain. Ils auraient parfaitement intégré la psychologie transpersonnelle de Maslov car ils appartenaient à une tradition millénaire d'instructeurs qui se consacraient à promouvoir le génie inné de l'espèce humaine en travaillant avec “des expériences transcendantes”. Lorsque les Zaddikim consolidèrent finalement leur programme en 150 avant EC, les Gnostiques de la région étaient totalement préparés à en détecter les dangers pour l'humanité. Ils bénéficiaient de plusieurs milliers d'années de vision rétrospective sur la problématique de ce qui est ou non bénéfique à l'humanité quant à l'accomplissement de son potentiel divin. Ils étaient capables de percevoir comment le complexe patriarcal de la rédemption sape nos facultés innées à aimer et à apprendre, nous rend insensibles à l'Anthropos et dissipe nos liens de communion avec Gaïa, Sophia incarnée en la terre.
L'écothéologie, l'écopsychologie, l'écoshamanisme, l'écosophie (proposée par Arne Naess), le mysticisme de la nature et le mysticisme de la Déesse sont des termes qui peuvent tous être appliqués à la vision Sophianique des Mystères mais ce ne sont que des termes. C'est la réalité de l'expérience qui peut informer ces termes qui importe. De par l'intégration de la Gnose dans l'écologie profonde, “l'écognose” pourrait être le prochain terme à émerger dans le discours. Je propose la définition suivante: une perception intime de la force de vie sur la terre, telle qu'elle amène l'humanité en alignement avec la correction de Sophia.
En définissant ainsi l'écognose, nous pouvons assumer qu'elle est innée, que c'est une faculté qui opère dans la psyché humaine depuis les origines. C'est, par exemple, l'inclination primordiale de la spiritualité indigène et Païenne. Elle informe la vision sacrée du monde. L'écognose est le reflet de notre enracinement biopsychique dans Gaïa. L'exploration de cet enracinement nous fait pénétrer encore plus profondément dans les enseignements secrets des Mystères Païens. Elle s'enfonce au coeur d'un antique territoire mystique, au coeur de la sphère du paranormal. Et les non-initiés d'aujourd'hui pourront même avoir accès à la vision Gnostique s'il existe une compréhension générale du potentiel humain compatible avec l'instruction des Mystères. En termes Masloviens, le potentiel humain est notre capacité à vivre librement et pleinement et à prospérer en tout ce que nous entreprenons. Lorsque nous vivons comme nous avons été conçus pour le faire, selon les voies de Gaïa, l'écognose nous est donnée et elle oeuvre avec et au travers de la force de vie.
Confiance Gnostique
Les Gnostiques enseignaient que l'essence de notre potentiel humain est notre faculté d'imagination qu'ils appelaient epinoia pour la distinguer de phantasia, la chimère de la mentalité Archontique. La différence entre ces termes est fondamentale et de sa compréhension dépend la manière dont nous recouvrons et cultivons nos facultés écognostiques. Les instructeurs illuminés dans les Mystères prirent conscience que l'humanité est divinement dotée de facultés biopsychiques, un jeu de facultés écognostiques pour ainsi dire. Ils avaient une conception précise de ces facultés, de leur lieu d'origine dans la sphère divine et suprahumaine et de la manière dont elles sont “intégrées” dans l'organisme humain. En cohérence avec leur vision de l'existence pré-terrestre de l'espèce humaine, l'Anthropos, ils imaginèrent une panoplie de facultés écognostiques implantées dans le complexe de spore Anthropique, le génome humain, si vous préférez. Ils conçurent cette panoplie comme enracinée dans une unique faculté de base qui assume trois permutations.
Cette faculté de base est le “noos”, l'intelligence divine. Elle émane du Plérome, la Divinité. L'intelligence divine est non-née, non créée, une conscience de Bouddha. La Gnose est une connaissance directe et intuitive de ce que les dieux connaissent. Nous pouvons posséder la Gnose parce que nous avons le noos pour connaître. Notre capacité de connaître le Divin nous est donnée par le Divin et elle émane de la source primordiale. Notre capacité pour l'originalité, qui est innée au noos, émane directement de l'Originateur, la fondation suprême des Eons Pléromiques. Les Gnostiques appelèrent ce facteur autogenes, “l'auto-génération”. Cela est proche de l'autopoesis, “l'auto-organisation”, dont la présence dans tous les phénomènes de l'écosystème de la terre a été récemment validée par la théorie de la complexité. Autogenes implique une faculté d'auto-organisation qui est téléologique, à savoir qui s'auto-organise, et qui suscite un débat passionné au sein de la théorie Gaïa.
Des volumes entiers ont été écrits sur le Gnosticisme mais, cependant, il n'est aucune mention, dans tous ces exposés, du simple fait que les “Gnostiques enseignèrent que Dieu est Intellect et qu'il faut donc le rechercher avec le mental”. Cette affirmation se trouve dans le volume 1 de la Columbia Encyclopedia (j'en ai une trouvé une copie abandonnée dans une rue d'Augusta, dans le Maine, il y a de nombreuses années. Pour une référence rapide, c'est tout aussi bon que Google, et même parfois, meilleur). Regardez où vous voulez mais vous ne trouverez aucune assertion d'une telle simplicité directe dans un quelconque des ouvrages volumineux commis par les experts. Tout dépend, néanmoins, de la compréhension de “l'Intellect” à la manière précise dont l'entendaient les Gnostiques. Ils ne parlaient pas de la mentalité Cartésienne, froide, rationnelle, détachée de la matière et observant le monde avec la fixation mentale duelle, et mâle, sur l'analyse et le contrôle. Ils voulaient parler de l'intelligence autopoétique du monde naturel, dont le mental humain n'est qu'une facette ou qu'un facteur instrumental. Noos est l'Intelligence divine, présente au sein du mental, mais également perçue dans la totalité de la nature. Noos peut être connu grâce à la réflexion, en utilisant le mental pour s'observer lui-même, ou grâce à la perception, en utilisant le mental pour contempler l'intelligence de la nature.
Le noos de l'humanité diffère de celui des autres espèces Gaïennes par la présence de l'ennoia, “le miroir de l'intention ouverte”, ou plus simplement “l'intentionnalité”. Aucune créature n'est exempte d'intentionnalité, même au niveau microbiologique, comme les biologistes et les éthologistes commencent maintenant à le comprendre. Mais dans l'espèce humaine, l'ennoia se présente de telle façon que notre capacité d'intention va bien au-delà de notre programme général instinctif. “Ce que l'homme peut atteindre doit dépasser ce qu'il saisit sinon qu'est ce qu'une métaphore?” demandait le poète Robert Browning de façon enjouée. En bref, nous disposons d'un excès d'ennoia qui nous confère une latitude exceptionnelle en relation avec les programmes instinctuels qui garantissent notre survie. Cela explique nos capacités exceptionnelles pour la connaissance mais cela pose aussi le risque que nous divergions de notre chemin naturel d'évolution. Comme nous l'avons vu dans le chapitre 21, la théorie Gnostique de l'erreur prenait intimement en compte le potentiel de déviance de l'intentionnalité humaine tout comme ses magnifiques promesses d'accomplissement.
Le facteur intentionne,l dans l'intelligence humaine, est dynamiquement proche de la source divine. L'ennoia émane des dieux Pléromiques mais sa version humaine possède une configuration particulière en raison du travail d'équipe de Christos et de Sophia, ainsi que le décrit le mythe de Sophia (épisode 2). L'ennoia Pléromique génère l'Anthropos dont l'espèce humaine sur Terre en est une souche particulière. Nous manifestons l'ennoia qui est spécifique à nos conditions terrestres par des actes créateurs lorsque cette créativité est une expression authentique et véritable de notre humanité innée, mais non point lorsqu'elle est seulement l'expression de notre complaisance envers nous-mêmes. C'est une nuance Gnostique fondamentale. Elle est étroitement corrélée à la distinction fondamentale entre l'epinoia, l'imagination authentique et la phantasia, la simple fantaisie.
De par le narcissisme invétéré de l'Age des Poissons, il prévaut une inclination à chercher l'expression du soi pour soi-même plutôt que de laisser l'humanité atteindre à l'expression au travers du soi. L'expression de soi-même pour l'expression de soi-même n'est qu'une impasse pour l'espèce humaine et c'est cependant ce que l'art est devenu à notre époque. Il est probable que les initiés des Mystères trouvèrent impossible de résister à la vague montante de la religion rédemptionniste parce qu'ils évaluèrent l'intensité du désir narcissique auquel elle faisait appel. Comme je l'ai souligné antérieurement, la mort de l'ego et l'abandon à la force de vie étaient les marques de l'initiation. Il est impossible d'appliquer la méthode téléstique du potentiel d'apprentissage humain lorsque la focalisation de l'intentionnalité est déterminée par l'identification au petit moi. Cela n'est pas pour dire, cependant, que les Mystères étaient voués à disparaître. Ils furent forcés de disparaître parce que ceux qui les dirigeaient n'eurent pas la liberté d'élaborer une nouvelle méthode qui fût adaptée à la tendance croissante, spécifique à l'Age des Poissons, de focaliser l'attention sur sa propre personne.
Les Gnostiques rejetaient les formes institutionnelles et doctrinales de la foi mais ils insistaient sur le fait qu'il nous faut faire confiance à notre héritage divin. Dans certains textes du mythe de Sophia, la Déesse est appelée pistis, généralement traduite par foi. Cette traduction est trompeuse si nous considérons que foi signifie l'acceptation aveugle des croyances sans une quête authentique ou sans l'évidence de l'expérience vécue. Pistis est mieux traduit par confiance en ce que l'on peut réaliser et expérimenter par soi-même, indépendamment des croyances et des notions héritées d'autrui. En d'autres mots, la confiance en ce qui est inné.
Sophia était appelée pistis dans les épisodes mythiques dans lesquels ses actions étaient influencées par sa confiance en l'humanité et en l'héritage divin de l'espèce humaine. Une fois de plus, les enseignements Gnostiques inversent la notion religieuse habituelle: au lieu d'avoir foi en Dieu, il nous est demandé de considérer comment la Déesse a confiance en nous. Comment pouvons nous intégrer cet acte divin de foi et rendre la pareille? C'est en nous engageant à accomplir ce qui peut être imaginé de façon authentique et véritable sans être dépendant de la croyance, de la supposition, ou de systèmes non vérifiables de description. Pistis implique la transcendance des croyances que l'on ne peut pas directement vérifier. Par ce qu'on pourrait qualifier de confiance cosmique, les initiés Gnostiques étaient capables de développer la faculté d'epinoia et de la distinguer de la phantasia. La méthode des telestai suivait le principe stipulé dans Artis Auriferae, une compilation de connaissances alchimiques datant du 17 ème siècle.
“La nature réalise ses oeuvres progressivement et je te demanderai assurément de faire de même: que ton imagination soit totalement guidée par la nature. Et observes selon la nature au travers de laquelle les substances se régénèrent dans les entrailles de la terre. Et imagines cela avec l’imagination vraie et non pas l’imagination fantastique.” (Artis Auriferae, “The Art of Goldmaking” 1610)
Facultés Noétiques
Selon les Gnostiques, tout événement qui arrive dans le cosmos se manifeste aussi, d'une certaine manière, dans la psyché humaine. Pas symboliquement mais “actionnellement”. Le parallélisme psychocosmique est une notion assez sophistiquée, il est vrai, mais elle est cohérente avec la sagesse indigène émanant des survivants les plus robustes de la planète. Les Aborigènes de l'Australie fondent toute leur vision du monde sur le concept de Temps de Rêve qui, pour eux, est une expérience réelle et non point une fantaisie ou une superstition. Le Temps de Rêve est la dimension organique de l'Eternel Maintenant ou de l'Eternité dans le moment qui passe. Tout ce qui est arrivé dans le Temps de Rêve en termes cosmiques et mythiques se manifeste aussi dans la psyché et dans la nature environnante. Par exemple, les ancêtres des diverses tribus Australiennes étaient des animaux magiques dont les exploits sont racontés dans des chansons élaborées et tracées dans le paysage en lignes de chansons. Les exploits réalisés dans le Temps de Rêve, pour la première fois, par des ancêtres totémiques se déroulent perpétuellement dans le moment présent. Le Temps de Rêve est actionnel dans tous les événements dans la nature et au sein de la psyché humaine. Ainsi, la pureté et l'essence de la réalité primordiale, ou originelle, imprègne tous les phénomènes du moment qui passe.
Pour les Gnostiques, les ancêtres magiques du Temps de Rêve étaient les Eons Pléromiques. De par la générosité sans limite, et détachée, typique des divinités, ils confèrent une partie de leur pouvoir infini aux créatures de leur Rêve, les habitants des mondes émergents. Le Mythe de Sophia explique spécifiquement comment l'epinoia, le pouvoir imaginatif, fut conféré à l'humanité. Dans l'épisode 6, la mère étoile (Sabaoth) devient le soleil central de notre système planétaire. En concomitance avec cet événement, Zoé, la “première fille” de l'Eon Sophia transmet “la lumineuse epinoia” à l'humanité. Juste après avoir ridiculisé le Démiurge, Sophia informe le chef des Archontes que l'humanité se tient au-dessus de lui et qu'elle le dominera:
“Après que Sabaoth eut pris la place de refuge en retour de sa metanoia, la Sophia Pistis confia à la Mère Etoile sa fille Zoé afin qu'elle puisse, en toute autorité, l'instruire sur toute chose qui existe dans l'Ogdoade” (Sur l'Origine du Monde. 104. 26-31).
Zoé est la “force de vie” mais pas juste comme une manifestation dans la vie biologique des créatures. Zoé est la vie éternelle et en perpétuelle régénération. L'immersion est la force de vie extatique produite dans la régénération psychosomatique (palingensia) des Mystères. Le mythologiste Karl Kerenyi explique que Zoé est le facteur Dionysien, la connexion à la “force indestructible”, en contraste avec bios, le processus de vie biologique limité. L'Etoile Mère, Sabaoth, “Maîtresse des Puissances Vitales”, est le dépositaire du prana, un mode de force de vie cosmique qui forme et informe les mondes organiques. Selon le mythe Gnostique, Zoé, la vie éternelle, instruit Sabaoth, la vie organique “sur toute chose qui existe dans l'Ogdoade”, le royaume des constellations. Le Zodiaque déploie des archétypes ou des structures génétiques qui opèrent au travers de la vie organique aussi bien que dans la psyché, au niveau psychologique. La Mère Soleil doit apprendre comment gérer ces structures pour le bénéfice optimal sur terre. C'est pour cela que le soleil passe cycliquement au travers des constellations zodiacales, traduisant continuellement les structures mythiques et archétypiques en activité organique. Les organes et la forme générique du corps humain sont élaborés de manière créative par les pouvoirs structurants du soleil. Ces enseignements des Mystères expliquent la corrélation entre les signes du zodiaque et les parties du corps humain. Ce n'est pas du non-sens superstitieux mais une intuition scientifique authentique procédant d'une perception paranormale. Dans la formulation moderne, les archétypes zodiacaux sont devenus banals mais la nouvelle biologie, tôt ou tard, les intégrera à sa façon.
Epinoia est la première permutation du noos. La conversion de Sabaoth illustre une seconde permutation, metanoia. La metanoia de la Mère Soleil est un acte de conversion spirituelle - en termes humains, c'est une transformation des croyances ou un changement de paradigme. Metanoia est notre capacité de penser au-delà de tout cadre donné de perception ou de toute croyance limitante que nous puissions inventer temporairement. Les idées, même les grandes idées, sont simplement des outils d'apprentissage et non pas des idoles à vénérer. Nous évoluons en élaborant et en rejetant des outils idéationnels pour l'apprentissage, nous évoluons en changeant de paradigme. En raison de la complexité élevée de l'ennoia humaine, il nous faut continuellement cadrer notre processus d'apprentissage d'une manière qui le limite afin que nous puissions optimiser certaines potentialités au sein des limites ainsi définies; ensuite, ayant fait cela, nous pouvons dépasser éventuellement ces limites et recadrer notre apprentissage dans un autre paradigme. Idéalement, les paradigmes que nous élaborons devraient harmoniser notre ennoia sans la gouverner et plus spécifiquement sans la dominer. Bien trop souvent, les croyances et les modèles que nous inventons se fourvoient dans des impasses que nous ne pouvons pas voir parce que les paradigmes nous ont rendus aveugles quant à la direction prise par notre mental.
La troisième permutation du noos est dianoia, la raison. Dans un passage important mais sévèrement endommagé, Le Dialogue du Sauveur dit que “le pouvoir raisonnant” est ce qui nous permet de savoir où se trouve la vérité et de faire face aux forces tyranniques de l'erreur personnifiées par le “gardien du seuil” - un jargon Gnostique pour nommer les Archontes. Le seuil qu'ils gardent est l'interface entre la biosphère et le système planétaire dans lequel la terre est capturée. Ainsi, dans le rôle qui leur sied, les Archontes sont des démons interdimensionnels, décrits comme des trolls et des gardiens de portes dans les écrits Gnostiques. “Car le seuil te menace et t'effraye; mais passes-le en focalisant ton mental!” (III, 5:124). Le mental focalisé est le mental sobre, capable de penser d'une manière claire, systématique et détachée. Les Enseignements de Silvanus donnent les conseils suivants:
“Enfants, écoutez mes conseils. Ne soyez pas arrogants en vous opposant à toute opinion sensée mais prenez pour vous-mêmes l'attribut de la divinité de raison. Observez les instructions sacrées du Révélateur et vous pourrez vivre en harmonie en tout lieu de la Terre et soyez honorés par les messagers angéliques et même pas les archanges qui les envoient. Vous les acquerrez ensuite comme amis et alliés et vous aurez accès à toute place dans les royaumes célestes” (CNH, VII, 4:91-92).
La raison est divine parce qu'elle procède de noos, bien que cela soit la troisième permutation et la plus éloignée. Dianoia inclue la pensée critique mais non pas dans un sens réducteur et rationnel, non pas en termes Cartésiens. Avec Dianoia, la pensée critique est simplement le tranchant du bon sens commun. Elle affine et amplifie, la révélation, la vision et l'imagination plutôt que de les exclure. Pour les Gnostiques qui développèrent leur dianoia à un niveau très élévé, il n'existait pas de contradiction entre la raison et la révélation. Leur travail dans les Ecoles de Mystères requérait d'eux qu'ils traduisent ce qu'ils avaient appris au travers de l'instruction par la Lumière, la suprême expérience de révélation. Leur maîtrise de la dianoia en faisait des conférenciers et des écrivains éloquents qui pouvaient aisément se mesurer aux dialecticiens les plus avisés d'Athènes et d'Alexandrie.
Science Somatique
L'epinoia est le pouvoir directeur de l'imagination, l'authentique facteur de rédemption dans la Gnose. L'Apocryphe de Jean indique comment la Divine Sophia, lorsqu'elle prit conscience du problème que l'humanité allait confronter avec les Archontes, investit Zoé de “la lumineuse epinoia”, la force de vie, afin que nous puissions porter une faculté imaginative dans notre constitution biologique. Cet enseignement est très proche de ce que le revivaliste des Ecoles de Mystères, Jean Houston, dit du rôle du mythe dans l'expérience humaine:
“Les mythes servent de structures originelles procédant des fondements de notre être. Bien qu'ils semblent n'exister que dans la sphère transpersonnelle, ils sont la clé de notre existence historique et personnelle, l'ADN de la psyché humaine”.
Si notre constitution biologique porte le pouvoir imaginal de l'epinoia, ainsi que l'enseignèrent les Gnostiques, alors le mythe n'est pas juste figurativement “l'ADN de la psyché humaine”; il est réellement inscrit dans l'ADN de l'espèce. Pour l'humanité, le pouvoir de l'imagination mythique est profondément corrélé à la force vitale. La présence de l'epinoia induit le rayonnement photobiotique dans nos cellules, qui fut détecté pour la première fois en 1923 par le médecin Russe Alexander Gurvitch, qui l'appela “radiation mitogénétique”. Un phénomène parallèle, connue comme bioluminescence, est évident dans la nature, par exemple, dans les vers luisants, les lucioles, et le plancton tel que le krill Atlantique. Cinquante années après Gurvitch, le biophysicien Allemand Fritz-Albert Popp détecta ce qu'il appela des biophotons dans les microstructures et l'ADN de la cellule humaine. La théorie des biophotons de Popp ouvrit la voie à l'élucidation du rôle de la lumière dans les processus biochimiques, la croissance, la différentiation cellulaire et la mutation. Des recherches ultérieures révélèrent que la longueur d'onde, à laquelle l'ADN émet des photons, se situe dans le spectre étroit de la lumière visible. L'epinoia est lumineuse, visible à l'échelle de la perception sensorielle humaine. Le lauréat Nobel Ilya Prigogine, un pionnier de la théorie de la complexité, affirma l'importance de la recherche biophotonique pour la théorie de la vie. Aucune biologie du futur ne sera complète sans cela.
“L'epinoia lumineuse” est le fondement de l'illumination somatique au niveau cellulaire. L'expérience durant des états paranormaux possède plusieurs aspects, dont la perception directe des processus moléculaires de la nature. Comme nous l'avons déjà souligné, c'est un siddhi, ou une faculté occulte, attribué aux yogis de l'Asie, tout autant qu'aux ayahuasqueros, les shamans des plantes. Dans les rites anciens des Mystères, les Gnostiques utilisaient la chimie psychoactive des composés de la tryptamine, ou des hallucinogènes dérivés du tryptophane, non par pour halluciner mais pour observer. “Avec l’imagination vraie et non pas l’imagination fantastique”. La différence, là encore, se situe entre epinoia et phantasia. Comme Henri Corbin l'a argumenté dans ses discussions sur le soufisme, la dimension imaginale de l'expérience mystique n'est ni un monde contrefait ni une hallucination. L'epinoia ouvre l'accès à un monde imaginal réel et existant véritablement, incluant l'infrastructure de la matière.
Pour les Gnostiques, la discipline d'utilisation des plantes psychoactives était au coeur de la méthode téléstique, mais elle était restreinte aux groupes internes des cellules régionales (l'Ogdoade, représentée par les pétales intérieurs de la rosette à Eleusis et ailleurs). La radiation mitogénétique et d'autres opérations qui frisent l'épigenèse, la reprogrammation de l'ADN par l'ARN ou par des exercices rituels extérieurs, ne peuvent jamais être accomplies ou réfutées par la théorie et l'analyse. Elles doivent être expérimentées somatiquement, dans la chair. Wilhelm Reich observa que les scientifiques auront d'autant moins tendance à se fourvoyer qu'ils ne s'éloigneront pas des facultés sensorielles. Il en est de même pour les facultés extrasensorielles. Dianoia, le pouvoir de la raison, peut interpréter les résultats de l'illumination psychosomatique mais il ne peut pas les remplacer. De même, la metanoia, la seconde permutation du noos, doit suivre la direction impulsée par l'expérience visionnaire vécue, sinon le pouvoir des paradigmes établis dominera la Gnose, l'acte direct de voir comme les dieux voient. Finalement, il n'existe pas de façon d'accéder à la dimension imaginale, et de l'explorer, tant que nous restons liés par l'ego et par ses fixations narcissiques liées à la culture.
Les enseignements Gnostiques des Mystères présentent une métacritique lucide des croyances dérivées de l'autorité exclusive mâle. Ils offrent également un mythe alternatif, une narration écoféministe et orientée vers Gaïa, pour la tribu humaine. La participation dans le mythe de Sophia est volontaire et personnelle, ouverte et non-institutionnelle. Le mythe enseigne que nous, l'espèce humaine, ne sommes pas fait à l'image d'un dieu créateur mâle, ou de toute autre dieu ou déesse. Il réfute le dogme patriarcal selon lequel nous sommes “faits en Son image”, et nous met en garde contre toute déviance mystique due à l'équation Dieu/soi. L'expérience ultime d'apprentissage procède d'une contemplation extatique avec les yeux de l'imagination. Nous voyons le cosmos, et ce que nous sommes dans le cosmos, grâce à la faculté de l'intuition illuminée et enracinée biologiquement. C'est de cette façon, et seulement de cette façon, que nous pouvons savoir que nous sommes des instruments auto-guidés de l'imagination divine et non pas des projections de l'égoïsme divin. Plus grande est l'amplitude de l'epinoia et plus humble est la vision qu'elle présente. L'imagination mythique est notre pouvoir inné de percevoir par nous-mêmes comment le cosmos opère et comment les dieux jouent mais ce n'est pas une permission de jouer à Dieu.
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