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La Forêt Fruitière:

Un Entretien avec Maurice Chaudière par Jean Tonelli

JT - Cette forêt, vous l’avez transformée en verger ?

MC – Oui..., Mais c’est plutôt une garrigue !... Ce qui m'interesse en toute chose, c'est le rapport qui s'est instauré au cours des âges entre Nature et Culture... La Nature qui m'intersse n'a pas connu les avatars d'un “dévelopement durable” ! J'essaie personnellement, d'y toucher le moins possible. Si je greffe des arbres, c'est dans leur propre milieu... je respecte en tous cas leurs racines ! et je n'irai pas, en pleine garrigue, en planter d'autres !

Au Maroc , j’ai eu à connaître un “projet de développement” assez curieux : il s'agissait de produire des légumes frais, des salades. des tomates, des poivrons, et c, dans un milieu qui, visiblement, n'en voulait pas... rocailleux, escarpé et sans eau... Finalement tout a crevé. J’ai donc fait remarquer aux intéressés qu’autour du jardin il y avait des plantes, beaucoup de plantes, comestibles parfois, et qu'il aurait été peut-être plus sage de s'interesser d'abord, dans un tel milieu, à ce qui voulait bien y pousser spontanément.

En fait, il y avait autour de ce jardin, parmi les vegétations “sauvages,”diverses espèces particulièrement vigoureuses ... par exemple un Lyciet, en buissons épineux , de deux à trois mètres de haut. Personne n'en voulait , pas même les ânes ! Cela pousse là-bas au bord des routes, jamais dans un jardin : trop envahissants ce Lyciet !

Or, là-dessus, j’ai greffé un Lyciet de Chine, celui qu’on appelle je crois le Goji, et dont on achète actuellement les petits fruits dans les boutiques diététiques... mais assez cher ! Donc, par le simple effet de la greffe et sans aucun autre soin, on pouvait valoriser ces friches d’une façon simple et efficace. Si on greffait en place tous les Lyciets rencontrés là-bas, eh bien, les villageois pourraient en tirer un profit substanciel !... Une manière, en somme, de “Développement” sans “Investissement” !

Comme les gens ont vu que je m’intéressais aux végétaux, ils m'ont finalement amené des plantes, des graines, des branches à identifier. Le premier rameau que j’ai tiré de la touffe qu'on me présentait, c’était celui d'un Pistachier atlantique ; or c’est l'un des plus vigoureux porte-greffes du Pistachier vrai... il peut même pousser en plein désert ! Alors je leur ai dit : “vous rendez-vous compte de ce que vous avez là ? vous pourriez récolter des pistaches sur ces arbres, sans rien faire d'autre que les greffer ! vous imaginez ?

JA - Oui, j'imagine !

MC - Reste à programmer une opération de greffage en place... Et surtout ne rien planter dans un milieu aussi difficilement cultivable ! Voilà le genre d'expérience que je propose parfois ...mais n’est-ce pas aussi une solution d'avenir ? Un développement local, respectueux de son environnement, et sans arrosages ! On a tellement perturbé le milieux naturel à force de forages, de labours, d'engrais chimiques et de pesticides, qu’il faudrait peut-être s’intéresser davantage à ce qui n’a fait qu'échapper à l'exploitation forcenée du milieu ... prendre en considération tout ce qui vivait là depuis des siècles et dont nos ancêtres ont su parfois tirer parti. Voilà , ç'est tout ce que je cherche: à propos de Nature je n'ai pas d'autre ambition.

JT- Comment vous est venue l' idée de greffer ?

MC- Mon père savait greffer; je l'ai regardé faire , voila tout ! En cueillant des beaux fruits sur des arbres sauvages il dévelopait , sans le savoir, notre autonmie... J'ai eu depuis l'enfance un rapport, difficile parfois, avec mon propre milieu... mais d'échecs en échecs, alternés de quelques réussites, j'ai peut-être acquis une certaine expérience... Entre Nature et Culture j'essaie de trouver ma mesure...

La Nature, la Nature, tout le monde en parle en ce moment : mais c'est de la Planète qu'il s'agit... non ? Et puis, la Nature, elle est aussi en nous ; c'est elle qui nous porte; nous sommes Nature ; on peut donc l'avoir à demeure et la consulter sans aller bien loin. Si elle existe en nous, et autour de nous c'est que nous sommes encore là pour convenir de sa réalité !

Dans Paris il y a des plantes qui osent encore pousser au bord des trottoirs... comestibles parfois ! Mais on n’ira pas les manger bien sûr: elles sont trop polluées... Or elles sont là, elles existent. Cette opiniâtreté du vivant à se manifester, m’émerveille : voir comment s’exprime la Planète, comment elle propage la vie, comment elle la revendique... la nôtre, comme celle de l’abeille, (quand elle a échappe à nos spéculations...) C’est ce rapport, j’oserais dire “d'intelligence”, entre nous-mêmes et ce qui nous environne, c'est ce rapport que j'essaie de comprendre , si non de favoriser .

Quand l'homme a la chance de pouvoir s’accommoder d’un milieu intègre, eh bien, il a en plus la santé. Une santé compromise, perturbée précisément par tous les ingrédients, tous les “améliorants, toutes les saloperies en somme qu’on ajoute aux produits de consommation pour les stabiliser, les édulcorer et finalement les vendre ! Ces artifices prolifèrent aujourd'hui plus que jamais, et il devient difficile de trouver une nourriture vraie.. Si on la trouve, elle coûte cher... mieux vaut peut-être alors apprendre à la produire !

Quand on s’intéresse à un milieu que l’homme n ‘a pas trop perturbé, on a parfois la chance d'y trouver remède à quelques unes de nos carences... des nutriments de qualité, accompagnés de plantes arômatiques ou médicinales qui sauraient encore nous aider à vivre. C'est ce que je cherche à tout propos... un certain éqilibre entre l'homme et la Nature... Dans le fond, j’ai toujours été ainsi: je n'ai pas fait ça par éducation, je l’ai fait d’instinct parce que j'ai, comme tout le monde le goût de vivre au plus près du vivant.

Très petit, j'ai reconnu un jour un petit mûrier  qui poussait dans un pot. Je ne connaissais rien alors à la botanique; je devais avoir 5 ans... et je me suis dit : « mais tiens, çà ressemble un peu à un figuier... ça fait du lait si on le blesse...On pourrait peut être greffer un figuier la dessus ?  j’ai essayé, et çà n’a pas rien donné. J'ai donc tiré un trait sur ce projet et je n’ai jamais renouvelé l’expérience.... jusqu’au moment où, relativement récemment , il y a une quinzaine d’années , à l’occasion d’un colloque en Turquie, j’ai parlé incidemment de la chose, et on m'a dit qu’en Turquie on greffait effectivement le figuier sur le mûrier: le mûrier en effet ne fait pas des touffes de rejets comme le figuier... Un moyen sans doute de conduire l'arbre autrement... sur un seul tronc. Je n'ai malheureusement pas vu la chose, mais une femme agronome m’a confirmé que c’était faisable et qu’on le faisait...Tout petit, j’avais donc eu l’idée, ou l’intuition d’une certaine affinité entre ces moracées... Il m’a fallu tout une vie pour apprendre qu'en fait, le greffage de l'un sur l'autre était possible.

J’ai fait des tas de recherches dans ce sens ; ce que j'observe , avec une certaine distance aujourd'hui, c’est sans doute ce consentement de la Natue à supporter la Culture... Or très souvent la Culture, est devenue, pour décupler son efficacité, une “technoculture”... et Dieu sait les ravages qu’elle peut faire ! Voila, moi je suis toujours plus ou moins sceptique : je doute en tout cas de ce qu'on appelle le “ Progrès.”

JT - Vous êtes complètement en opposition avec tout ce qui est industriel... Que pensez-vous de la recherche scientifique sur les organismes génétiquement modifiés ?

MC – Non, je ne suis pas un intégriste , j’ai bien conscience de rouler en voiture, et d'être allé au Mexique ou en Inde en avion ... je m’accommode moi aussi, égoïstement peut-être, du progrès technique, c’est un fait, mais la spéculation sur le multiple ?... Si vous voulez, la Nature crée des êtres singuliers, des prototypes en somme, mais l’homme va les exploiter et pour ce faire, il va en multiplier la réplique, quitte à modifier aussi son patrimoine génétique ; il a, à la fois, le goût du simulare et celui du profit... donc il multiplie ce qui rapporte . Et pour ça, tous les moyens sont bons !

On sait très bien, actuellement, que pour devenir riche, il faut faire beaucoup et pas cher ! Quand on a compris ça, on est sûr de son affaire ! Seulement, pour faire beaucoup et pas cher, il faut investir dans la machine , celle qui va permettre de passer du prototype, au stéréotype. Elle aura éliminé du même coup la fonction artisanale et le travail manuel... etc., etc. N'est-ce pas comme çà qu’on fait fortune aujourd'hui ? Le tout est d'inventer un engin assez complexe, assez performant et assez autonome pour produire “ en illimité”, et pratiquement seul... un engin capable de multiplier le simulacre de la qualité escomptée. Encore faut-il avoir les moyens d’investir dans l'outil de production, si non on se plante !

Mais je me répète !... vous savez que c’est un thème que j'aborde souvent. J'ai même écrit un texte assez lyrique sur le sujet : “Dédale” , parce que je fais de ce personnage mythique, Dédale, le responsable de la dégradation de notre planète : il sait tout faire, Dédale, tout transformer: il a l'art du simulacre ; il est le technicien parfait ; dés qu’on lui pose une question, il répond, il a toujours la réponse ; il a la Sagacité . Donc j’ai écrit une pièce là dessus... Tout ce que je vous ai raconté s'y retrouve de quelque façon!

Finalement, je dis toujours la même chose ; je parle d'un rapport entre l'oeuvre et l'homme... du risque aussi de la prolifération du “simulacre” dont s'accommode si allègrement l'Industrie. Il se trouve que cette prolifération nous concerne tous . Donc j'écris ... et “prolifère”, moi aussi, pour témoigner sans doute d'une inquiétude singulière !

Jean Tonelli : Tant mieux, parce que je pense que c’est important que vous vous fassiez entendre et que nous disions : « respectons la nature, ne mélangeons pas tout, et arrêtons cette industrialisation du Vivant qui s'exerce à la fin contre lui !

MC – oui, voilà, c’est çà,