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Eloge de la Base
Jean-Louis Gueydon
Rien n'est plus énervant que de voir de grandes organisations écologistes, auxquelles on fait confiance pour mener des combats essentiels, comme le WWF ou FNE, capituler devant les autorités, négocier avec les pollueurs, mettre de l'eau dans leur vin, accepter les demi-mesures, et finalement trahir plus ou moins la cause écologique.
Et c'est pourtant bien ce que l'on voit parfois. Comme FNE cédant dans le cadre du Grenelle sur le principe d'une augmentation sans fin de la production de bois, et signant un accord avec l'ONF et les forestiers privés pour produire plus de bois « tout en préservant mieux la biodiversité », mais avec une conception bien limitée de la protection de la biodiversité du genre « sauver les hêtres du Ciron » ou « protéger le bois de Païolive » (1).
Ou encore FNE toujours eux soutenant le label de certification forestière PEFC, si peu contraignant qu'il est plébiscité par les exploitants forestiers, qu'il permet aux pires d'entre eux de se « verdir », et dont on sait qu'il est des plus laxistes en ce qui concerne la protection de la biodiversité, avec des préconisations du genre « il est nécessaire de respecter la réglementation existante », « il faut se tenir informé des mesures de protection en vigueur », etc (2)....
Ou le WWF faisant la promotion de la culture « responsable » du soja en Amérique du Sud, alors qu'il n'existe pas de soja responsable, dès lors que l'expansion sans fin de cette culture détruit les forêts et leurs habitants, et que la Table Ronde pour une Soja Responsable, à laquelle participe le WWF, n'écarte pas l'utilisation des ogm et préconise le développement des agrocarburants (3)...
Et ces gens prétendent parler au nom de tous les écologistes !
C'est pourquoi, dans tous les combats pour l'environnement, il y a toujours le choix entre des actions de lobbying, tout là-haut auprès des pouvoirs publics, en partenariat avec les entreprises pollueuses, et des actions de terrain menées au plan local. Les premières sont généralement conduites par les grosses associations « représentatives » comme celles dont il est question ci-dessus, celles qui manient si bien la communication, et que l'on voit à la télé serrer la pince des ministres, et les secondes plutôt par les petites associations locales que personne ne connaît, mais qui mobilisent directement les citoyens-électeurs contre des projets inacceptables.
Certains diront que les deux sont complémentaires. Soit....mais l'efficacité comme la démocratie ont plus à gagner des actions locales que des actions de lobbying nationales ou internationales. Parce que les actions locales, pour être entendues et efficaces, doivent nécessairement s'appuyer sur un soutien populaire ( par voie de pétitions, par exemple ) et que ce soutien populaire de citoyens-électeurs fait réfléchir des élus locaux qui risqueraient gros à ne pas en tenir compte. Parce que les actions locales doivent, pour être soutenues par la population, tenir compte des souhaits des gens. Et parce qu'en cas d'échec c'est directement devant eux qu'il faudra rendre des comptes.
Bien souvent, les grosses associations fréquentent les mêmes colloques, et ont le même langage, technocratique et scientiste, que les fonctionnaires ou les cadres des entreprises auxquels ils s'attaquent, par une sorte de mimétisme comme on en voit parfois entre les policiers et les gangsters....Quelque part ils appartiennent au même monde, et ne sont que deux aspects d'une même réalité, loin, très loin, de la vie des gens ordinaires...
Et puis si Greenpeace ou le WWF n'obtiennent pas tout ce qu'ils demandent des ministres ou des députés, qu'importe, ils auront quand même montré à leurs membres qu'ils font quelque chose, ils pourront en parler dans leurs belles brochures et leur rapport annuel, et ils pourront continuer sur cette base à solliciter des dons. Car le problème de ces grosses organisations c'est avant tout leur financement. Sait-on par exemple que seulement un peu plus de 50 % des dons reçus par Greenpeace vont aux campagnes de terrain, alors que 33% servent à financer la recherche d'autres dons, et le reste l'administration de cette organisation (4) ? Ce souci du financement ne peut-il aussi parfois inciter à une certaine prudence dans les critiques à l'égard des autorités ou des entreprises pourvoyeuses de subventions ? Peut-on croire par exemple que la Fondation Rockefeller ou la Fondation Veolia financeront allégrement des projets associatifs critiques du capitalisme libéral ou de la techno-science ? Ou que des organisations « écologistes » dont les salaires sont subventionnés par le Ministère de l'Agriculture attaqueront ouvertement cette administration ?
A l'opposé, les petites associations de terrain sont le plus souvent animées par des bénévoles, fonctionnent avec des budgets minimes, et ne se soucient pas prioritairement de trouver des subventions. Du coup elles sont souvent plus indépendantes et plus radicales dans leurs prises de position...
Dans ces associations il y a des personnalités extraordinaires, des battants inoxydables et desintéressés...C'est fou comme parfois il suffit d'une seule personne réellement décidée pour battre en brèche un projet soutenu par le Maire, le Préfet, les élus, le Conseil Général, et quelque multinationale. Et tout cela gratuitement, bénévolement, juste pour le bien commun.
N'a-t'on pas vu ainsi tout récemment une petite association, la QV, et son animateur, Michel Gueritte, réussir à mobiliser la population et faire reculer l'ANDRA et ses millions d'euros dans ses projets de stockage dans l'Aube de déchets nucléaires de faible intensité et longue vie, recul provoquant au passage la démission du maire de l'une des communes pressenties, celle d'Auxon (5) ?
On pourrait citer des centaines et des centaines de cas similaires. Comme par exemple les projets d'incinérateur d'ordures ménagères, ici ou là, qui ont été stoppés par des personnes décidées : par un Paul Plougonven de l'association SLT à Tours, ou par un Maurice Sarazin de l'association Appel à Lunel-Viel (6). Ou, autre exemple, celui du Professeur Gilles Eric Seralini, qui a réussi à lui tout seul à déstabiliser Monsanto en démontrant que le Round-Up était un perturbateur endocrinien susceptible de favoriser l'apparition de cancers hormono-dépendants, et dont l'étude a fait le tour du monde (7). Ou encore le petit Kokopelli maintenant la pression contre les géants semenciers, sans la moindre concession aux bureaucrates faiseurs de catalogues officiels et de réglements.
Il y a de la beauté et de l'espoir dans ces combats, et c'est pourquoi il faut les soutenir. Ce ne sont pas les combats de machines bien huilées, et d'arpenteurs de couloirs de ministères. Ce sont des combats humains, au corps à corps, sur le terrain. C'est souvent aussi du bricolage, de l'inspiration du moment, de la solidarité entre compagnons de batailles. Ce sont des réseaux d'avocats bénévoles, fournissant gratuitement leur aide, des volontaires prenant des risques personnels de se retrouver dans le panier à salade, ou condamnés à payer des dizaines de milliers d'euros.
Tout cela est admirable et précieux. Bien plus admirable et bien plus précieux que les pétitions sur internet en un clic, ou les communiqués de presse vengeurs mais sans effet. Et si parfois le succès, la victoire, ne sont pas au rendez-vous, peu importe, le combat continue et la morale est sauve : des hommes et des femmes se sont battus pour préserver leurs valeurs contre la « rationalité » politico-économique et la prétendue impossibilité de « faire autrement » qu'assènent quotidiennement les pouvoirs en place, quitte à la faire comprendre concrétement par des escadrons de CRS.
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