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A propos des preuves scientifiques

Jean-Louis Gueydon

La science est devenue infréquentable ces temps çi, si l'on se soucie quelque peu de la planète et de ses habitants. Ou plus exactement une certaine science, celle des experts vendus à l'industrie, ce qui fort heureusement n'est pas le cas de tous les scientifiques.

Ceux-là se sont mis au service de qui les payent, et sont prêts à tout pour garder leurs contrats, leurs postes et leurs avancements, fut-ce au prix de l'honnêteté intellectuelle, ou même de l'honnêteté tout court.

Triste spectacle que celui de ces pratiques entretenues par des multinationales comme Monsanto qui consistent à contacter les labos dont les travaux peuvent gêner et à mettre sur la table de gros billets pour avoir les résultats espérés, ou pour cacher au contraire ceux qui ne conviennent pas, en exigeant bien sûr d'avoir une exclusivité de ces résultats pour mieux les enterrer, ce qui ne va pas dans le sens d'une saine diffusion des connaissances...

Et combien de ces "experts" oublient-ils de déclarer les conflits d'intérêt potentiels liés à leurs contrats avec l'industrie – comme la loi les y oblige dans le domaine médical et comme la morale devrait les y inciter en toute situation – lorsqu'ils siègent dans des commissions appelées à conseiller les pouvoirs publics?

Mais il y a aussi – et c'est peut-être le pire – la malhonnêteté intellectuelle, celle qui consiste par exemple à publier de prétendues "revues" exhaustives de l'état de la science sur un sujet sensible, tout en oubliant de mentionner les études qui ne vont pas dans le sens souhaité. Ces cas sont nombreux et récurrents, comme celui du scandaleux et contesté rapport de 2007 du CIRC ( Centre International de Recherches sur le Cancer, lié à l'OMS ) et de l'Académie de Médecine sur les causes des cancers, concluant que les pollutions ne sont à incriminer que dans 0,5 % des cas... Ou les très contestés résultats intermédiaires de l'étude Interphone sur le risque de cancers liés à l'utilisation du téléphone portable, coordonnée par le CIRC (encore eux)... et en partie financée par les opérateurs de téléphonie!! Ou encore les récents avis de l'AFSSA (Agence Française de Sécurité des Aliments) sur le Bisphénol A et l'acide perfluorooctanoïque, vivement contestés par le Réseau Environnement Santé parce que ne prenant pas en compte les articles scientifiques les plus récents...

Au titre de la malhonnêteté intellectuelle on peut aussi mentionner celle qui consiste à oublier de citer des travaux antérieurs et à faire semblant d'avoir tout découvert. Comme par exemple l'IRSN (Institut de de Radioprotection et de Sureté Nucléaire) lançant une vaste étude épidémiologique sur les liens entre la présence de Césium 137 et les arythmies cardiaques dans la région de Tchernobyl, sans guère mentionner les travaux antérieurs des Professeurs Nesterenko et Bandazhevsky, et ceci après avoir longtemps nié l'intérêt de ces travaux, voire la possibilité même de pathologies liées à une exposition prolongée au Césium 137....

Ou encore, pour les grandes revues scientifiques à "comité de lecture", comme les très anglo-saxonnes Science ou Nature, ou d'autres plus spécialisées, la malhonnêteté qui consiste à refuser de publier des travaux scientifiquement valables – ou à demander qu'ils soient modifiés – lorsqu'ils pourraient leur attirer l'ire d'un establishment scientifique peu ouvert à la nouveauté: ainsi en fut-il des travaux de Benveniste sur la mémoire de l'eau, cas célèbre d'une tentative de boycott par la revue Nature, ou plus près de nous les travaux du Professeur Seralini sur la toxicité du Round-Up, qui eurent quelques difficultés à être publiés, comme par hasard...

Tout ceci s'appuie sur un art consommé de noyer le poisson, et de nous prendre pour des imbéciles, en ne concluant pas franchement sur les dangers de telle ou telle pollution, quand les résultats des études sont pourtant évidents. Et de réclamer toujours plus d'études et de recherches, pour être vraiment sûrs, ce qui ne mange pas de pain, remet à plus tard les décisions difficiles, et permet aux industriels pollueurs de gagner du temps. Les gens qui font cela devraient relire les textes du grand épidémiologiste anglais Austin Bradford Hill, qui écrivait en 1965 que l'expert ne peut se contenter d'une position irresponsable car: «pour affirmer une causalité et agir nous n'avons pas toujours besoin de rester assis à attendre les résultats des recherches...», en particulier lorsqu'il s'agit de santé humaine.

Dans ce domaine l'une des perles est la méthode d'évaluation des dangers des OGM pour la santé humaine, grossier tour de passe-passe qui manipule la notion de preuve scientifique, et trompe ainsi le public et les autorités, en substituant à la preuve de non-toxicité, qui serait nécessaire mais ne peut être apportée avec les tests prévus, l'illusoire affirmation que l'on ne peut prouver leur toxicité. Et en effet il est probable que si l'on ne regarde pas au bon endroit et avec les bonnes lunettes on ne verra rien, et on ne pourra affirmer qu'il y a un danger, même si ce danger existe réellement... C'est ce que s'est efforcé d'expliquer en vain le biologiste Frédéric Jacquemart du GIET – entre autres - aux experts de l'EFSA et du Comité de Préfiguration de la Haute Autorité sur les OGMs au moment de la discussion de la clause de sauvegarde du maïs Mon810...

Mais il y a d'autres nombreux cas de manipulation de la notion de preuve scientifique... Juste un exemple: le 8 décembre 2007 le Suddeutsche Zeitung rendait publique une étude réalisée en Allemagne à partir de données épidémiologiques couvrant la période 1980-2003. Cette étude montre que les enfants de moins de 5 ans vivant à proximité de réacteurs nucléaires ont deux fois plus de chances d'avoir une leucémie que la moyenne nationale. En outre cette étude établit que plus on habite près de la centrale et plus le risque est élevé. Ce qui est rigolo et illustratif, c'est la façon dont ces résultats ont été aussitôt commentés en France par les experts du nucléaire. Ecoutez ce charabia: « L'interprétation de ces résultats reste délicate, un lien statistique ne signifiant pas un lien de causalité. Plusieurs hypothèses ont été avancées. Celle d'une exposition du père à des rayonnements ionisants a été écartée. Celle du brassage de populations autour des grands chantiers nucléaires, favorisant la transmission de virus - certaines leucémies sont d'origine infectieuse - reste à démontrer. Les épidémiologistes invoquent aussi le "hasard" des agrégats statistiques ». Et pourquoi pas l'âge du capitaine ou la couleur des yeux du directeur de la centrale comme cause des leucémies?

Qu'est-ce donc qui ne va pas avec cette science repoussoir? Est-ce que ce sont les brebis galeuses de la science, ou la science elle-même qu'il faut incriminer? Bien sûr il existe de très nombreux scientifiques honnêtes et désintéressés, mais n'y a-t'il pas quand même un problème de fond dans le place de la science dans la société, et au delà dans la démarche scientifique elle-même? Marx déjà affirmait que la science étant nécessairement au service des puissants, elle ne pouvait que refléter leurs intérêts dans ses conclusions.... Des philosophes comme Heidegger ou Feyerabend ont poussé le bouchon plus loin en émettant l'idée que la "raison" qui guide la science est par nature instrumentale et dominatrice, qu'elle est nécessairement une forme d'idéologie répressive qui tend à dénigrer et éliminer touts ce qui ne rentre pas dans sa vision réductrice: voir à ce sujet comment l'establishment scientifique qualifie de charlatanisme et de démarche sectaire tout ce qui ne lui plaît pas... Citons enfin Molière, le grand Molière, qui écrit dans les Femmes Savantes: « un sot savant est bien plus sot qu'un sot ignorant », profonde pensée en vérité qui suggère que trop de science rend idiot...

Si l'on veut comprendre ce qui ne va pas, il faut en priorité se poser des questions sur cette fameuse preuve scientifique, qui est clairement le coeur du rationalisme obscur et de la science arrogante refusant de se soumettre aux impératifs sociaux. Ainsi qu'en témoignent les envolées lyriques du Professeur Tubiana de l'Académie de Médecine, lors d'une récente audition publique de l'OPECST sur le principe de précaution: «...les associations et citoyens demandent des interdictions sans preuve scientifique... Le recours au principe de précaution (inscrit dans la constitution, rappelons le) aboutit à l'interdiction, au blocage de la recherche scientifique... Le principe de précaution donne le primat aux émotions sur la rationalité...» On voit bien là que ce qui gêne le Professeur Tubiana dans le principe de précaution, c'est qu'il permet de se passer de preuve scientifique.

Pourtant la preuve scientifique n'est pas un point de passage obligé:

1. Tout d'abord elle a ses limites intrinsèques, et à vouloir lui faire dire ce qu'elle ne dit pas, on risque de s'égarer. Elle n'est pas synonyme de vérité, lorsque l'hypothèse à vérifier a été mal formulée, que ce soit intentionnellement ou non, ou lorsque les conclusions que l'on en tire sont orientées par des considérations plus idéologiques que scientifiques. De plus l'absence de preuve n'est pas la fausseté, on le sait bien avec les médecines alternatives comme l'homéopathie: ce n'est pas parce que l'on ne peut pas apporter de preuve de son efficacité que pour autant cette efficacité n'existe pas, au moins pour une partie de la population. Ou dans le cas des OGMs déjà cité, où l'absence de preuve de toxicité n'implique pas nécessairement l'absence de toxicité....

Ce sont d'ailleurs les scientifiques eux-mêmes qui montrent que l'on peut se passer de preuves dans le cas du GIEC et de son fameux "consensus" concernant le réchauffement climatique: car c'est bien parce qu'il n'y a pas de preuve scientifique du réchauffement climatique que les membres du GIEC s'appuient sur un consensus pour faire part au monde de ce qui n'est finalement qu'une opinion, une conviction intime d'un certain nombre de scientifiques.

2. Plus profondément, le besoin de preuve provient à l'évidence du fait que l'on craint de se tromper, de s'illusionner ou de se laisser submerger par ces émotions qui font si peur au Professeur Tubiana. Mais – cher Professeur - si l'on craint d'être entraîné par ses émotions, il faut peut-être faire un travail sur soi, ce serait probablement fort utile pour ceux qui prétendent faire avancer la connaissance et maîtriser la nature. Et si l'on craint de se tromper c'est sans doute parce que l'on est coupé de la réalité, qu'on ne la ressent pas à l'intérieur de soi. Car l'on n'a pas besoin de prouver ce dont on est sûr, parce que ressenti intérieurement. Et ce besoin de prouver est lié à la façon dont l'homme occidental se positionne par rapport au monde, position extérieure au monde, coupée de la nature, qu'il "observe" de loin, et même de plus en plus loin, pour en découvrir les lois.

A contrario l'homme primitif, le chamane, n'est pas coupé du monde, car le monde est en lui et il est le monde. Ainsi il connaît le monde de l'intérieur, intuitivement, et n'a pas besoin d'expérimenter scientifiquement pour en découvrir les lois: les animaux, les plantes, lui parlent directement et lui disent qui ils sont, et à quoi il peut les utiliser. Pour cet homme là tout est vivant, le monde lui-même est un être vivant harmonieux dont il est une partie organique, sorte de microcosme participant au macrocosme. Dès lors la connaissance de soi c'est la connaissance du monde: si je rentre en moi je me relie à ce qui m'entoure, et je vois le monde tel qu'il est réellement... Et que l'on ne vienne pas nous dire que c'est là un retour au sein maternel ou un désir névrotique de fusion, contresens fait parfois par ceux qui n'ont pas expérimenté directement cette co-naissance et ont trop lu Freud. Mais il est vrai qu'il y a beaucoup de féminin là dedans, car cette expérience directe de la nature intime des choses et des êtres vivants nécessite une attention, une douceur, et un respect, qui ne sont pas si fréquents chez les rationalistes masculins purs et durs.

C'est pourquoi le dépassement des dérives mortifères de la science occidentale passera sans doute par la redécouverte de cette vérité que le monde a un esprit, une âme féminine, qu'on la nomme Anima Mundi, Sophia, ou Gaïa, et que cette âme imprègne tous les êtres qui en font partie, de sorte qu'ils sont en elle et qu'elle est en eux.

Alors il ne sera plus nécessaire de "prouver" que les téléphones portables ou les OGMs sont dangereux pour la santé, parce que chacun le ressentira en lui et en aura donc la certitude...