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Histoire Alternative du Graal

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Une Histoire Alternative du Graal

Pour défier et vaincre le Mensonge Paternel

4. La Pierre de Sagesse Rayonnante

John Lash

Télécharger l'essai avec les illustrations.

Traduction par Dominique Guillet de l'essai " The Radiant Wisdom Stone"

Sagesse des Mystères dans la Légende du Graal

Le psychologue Suisse C. G. Jung (1875-1961) fut quasiment l'unique acteur du renouveau moderne de l'intérêt pour l'alchimie. (Jung fut initialement connecté à l'alchimie par sa patiente, protégée et maîtresse, Sabina Spielrein qui, jusqu'à récemment, n'apparaissait pas dans le tableau de sa vie). Jung, et tous ceux qui le suivaient, faisaient remonter l'origine de l'alchimie à l'oeuvre de Zosimos, un mystique Alexandrin de Panopolis, (une cité sur le delta de l'Egypte). Des témoignages littéraires se rapportant à Zosimos sont datés au 3 ème siècle mais les érudits s'accordent sur le fait que les racines de l'Art sont beaucoup plus anciennes, et remontent aux écoles secrètes des Mystères Egyptiens.

Le travail de Jung sur l'alchimie fut complété par l'ouvrage La Légende du Graal rédigé par sa femme Emma Jung et son amie et collègue Marie-Louise von Franz. Les auteurs affirment que:

“les attributs nombreux et magnifiques du Graal, qui le qualifient comme 'trésor dur à atteindre', et son analogie à la Pierre alchimique, qui chez Wolfram va jusqu'à l'identification, justifient qu'il soit considéré comme un symbole du Soi” (pages 155-156).

Mais de telles justifications ne font du sens que dans le système tautologique de la théorie Jungienne “selon laquelle l'inconscient s'explique par lui-même” (page 142). Pour Wolfram von Eschenbach et ses contemporains, le Graal n'était pas un symbole du Soi ou de quoi que ce soit d'autre. C'était un certain objet magique et mystérieux, un numen tel qu'on le décrit dans la mythologie pré-Chrétienne d'origine Irlandaise et Celtique. Un commentaire Français sur la Légende du Graal, “l'Elucidation” dit:

“C'est del Graal dont nus ne doit
Le secré dire ne conter”.

Ces paroles rappellent quelques lignes de l'hymne Homérique à Déméter qui se réfèrent au secret des Mystères d'Eleusis:

“Elle leur enseigna le ministère de ses rites
Et leur révéla ses magnifiques Mystères
Qu'on ne peut ni transgresser, ni pénétrer, ni divulger
Car la crainte des dieux est telle que les langues ne se délient point.

La même aura de secret, qui enveloppait les Mystères, enveloppait aussi le Graal. La question suivante est ainsi soulevée: le Graal avait-il été révélé aux anciens initiés avant que la Légende médiévale ne prît forme et avant que l'alchimie n'apparût en Occident?

Une Demi-Vérité qui Porte à Conséquence

Quiconque se plonge dans les études concernant le Graal va trouver sur son chemin un livre unique et extrêmement influent: From Ritual to Romance de Jessie L. Weston. Comme nous l'avons déjà souligné, cet ouvrage (publié en 1920) était évoqué dans le célèbre poème moderniste The Wasteland de T. S. Eliot. Passionnément débattu par Eliott, et d'autres écrivains de son époque, et figurant ultérieurement dans les livres de chevet du dérangé Colonel Kurtz, joué par Marlon Brando dans Apocalypse Now, le livre From Ritual to Romance affirme que la Quête du Graal dérivait des Mystères Païens. Weston était très explicite quant à sa thèse principale. Elle écrivit dans son Introduction : “Nous pouvons maintenant démontrer, grâce à des preuves écrites, les parallèles existant entre chacun des traits de l'histoire du Graal et le symbolisme consigné des cultes des Mystères”.

Cette affirmation est peut-être la demi-vérité qui porte le plus à la conséquence pour l'érudition moderne concernant les Mystères. Weston avait raison de faire remonter l'origine de la Légende du Graal aux “cultes des Mystères”, mais elle avait tort dans sa perception de ce qui se passait dans ces cultes. Les érudits soulignent qu'il y avait deux niveaux de Mystères, un niveau populaire et un niveau élitiste. Cela se traduit, par exemple, dans la tradition Eleusienne par la célébration des Mystères Mineurs au Printemps et des Mystères Majeurs à l'Automne. Les premiers étaient destinés au peuple et ils célébraient des rites de renouveau saisonnier et d'immersion extatique dans la nature. Les seconds impliquaient des pratiques élitistes avec le kykeon, le breuvage enthéogénique qui induisait la perception “d'une lumière merveilleuse”. Lorsque les Mystères tombèrent en déclin, les rites furent perturbés (ou pervertis) et le kykeon en vint à être utilisé pour des libations récréatives (comme en témoigne le cas d'Alcibiades, le jeune ami charismatique de Socrates, une des rares personnes connues pour avoir été accusées de profaner les Mystères).

J'ai pu affirmer, quelque part sur ce site, que toute personne qui n'est pas passée par une expérience mystique personnellement vécue, équivalente à l'expérience de l'initiation dans les Mystères, n'est pas qualifiée pour commenter, avec pertinence, de tels sujets ésotériques. Il semblerait que Weston n'ait pas bénéficié d'une telle expérience. En fait, à l'image d'un grand nombre d'autres érudits, elle ne réussit pas à se faire une distinction claire entre les rites populaires et les rites élitistes. Elle présuma que les Mystères Païens impliquaient des “rites de fertilité”. C'est vrai mais ce n'est qu'une demi-vérité qui ne prend pas en compte les rites élitistes qui n'avaient rien à voir avec la fertilité. C'est un point tellement essentiel que je souhaiterais prendre un moment pour le clarifier dans le détail.

Chrismation

Dans le modèle archaïque de consécration royale de l'antique Proche Orient, le candidat mâle subissait une initiation sexuelle avec une femme représentant l'une ou l'autre Déesse identifiée avec la Terre. Ainsi, Ishtar, la déesse Assyro-Babylonienne (la Sumérienne Inana) et son amant humain, Tammuz (le Sumérien Dumuzi), le roi berger. Dans ce rite, la prêtresse représentait Ishtar et Tammuz ne représentait aucun homme en particulier, aucune personne historique, juste le nom rituel du prétendant à la royauté. La maîtrise d'un homme dans la chasse et sa force de guerrier étaient mesurées à l'aune de sa capacité à s'abandonner et à devenir totalement vulnérables aux plaisirs offerts par le corps d'une femme. Il était connu à cette époque que le plaisir affaiblit et qu'une union sexuelle intense peut affaiblir les genoux. Cependant, que le candidat royal accepte d'être faible n'était pas considéré comme une faiblesse. C'était plutôt considéré comme une preuve de sa capacité à donner et à recevoir de la tendresse - preuve de sa compassion. Les prétendants à la royauté devaient passer l'épreuve de la tendresse afin de prouver qu'ils possédaient des qualités “féminines” pour contrebalancer leur prouesses mâles et tempérer leur inclination masculine à la condescendance.

Ces rites conjugaux sacrés, sous l'égide des cultes de la Déesse, étaient pratiqués, bien sûr, dans l'intimité mais ils se reflétaient également dans des célébrations publiques par lesquelles le roi était représenté en accouplement avec la terre pour garantir la fertilité du sol. Dans l'imagination populaire, “les rites de fertilité” de la théocratie étaient perçus comme une pratique de magie propitiatoire qui puisse garantir les cycles de la nature mais ils n'avaient rien à voir avec la fertilité humaine. Ce n'était jamais le rôle de l'homme investi d'imprégner la prêtresse sacrée - cela eut été assurément une abomination, un sacrilège à l'encontre de la Déesse. Les prêtresses consacrantes étaient toujours des vierges, ou virgos - mots dérivés de la racine Indo-Européenne vir- “force héroïque, force” qui est aussi la base du terme virilité. Originellement, la vierge (en Grec parthenos) signifiait non pas la femme qui n'avait jamais eu de relations sexuelles mais la femme qui n'avait jamais procréé. Sa matrice était vierge non pas parce qu'elle n'avait pas copulé mais parce qu'elle n'avait pas conçu. (L'importance accordée à l'intégrité de l'hymen est symptomatique des sociétés patriarcales dans lesquelles les femmes étaient perçues comme un bien de propriété et/ou une souche génitrice.)

Au niveau le plus profond de compréhension, dans le sanctuaire intérieur des Mystères, l'initiation conjugale était un rite tantrique de consécration par lequel une femme adepte du yoga de la Kundalini initiait un homme qui développait ainsi des facultés paranormales. (Voir mon article She Who Anoints). Le rite populaire occultait une autre signification plus profonde ainsi qu'une autre encore, au coeur de cette dernière. Comme la plupart des érudits, Weston ne perçut que le premier niveau de signification. Elle pensa que l'initiation dans les Mystères était une ritualisation de pratiques primitives de fertilité qui se reflétèrent, par la suite, dans les deux motifs dominants de la Légende du Graal: la lance sanglante (le symbole phallique) et le Graal (le symbole du vagin ou de la matrice). Ainsi que Loomis, l'éminent érudit Arthurien, le souligne, “la théorie fascinante de Mademoiselle Weston d'un culte de mystère perdu, véhiculé par les marchands Orientaux de la Méditerranée à la Bretagne, et de rites d'initiation secrets pratiqué dans les anciens temps, est discrédité par l'absence d'un tel culte dans la masse de témoignages médiévaux sur l'hérésie” (The Grail - From Celtic Myth to Christian Symbol, page 49) - et j'ajouterais par un manque similaire d'évidence d'un tel charabia, sur la lance et le calice, au Proche Orient et en Egypte d'antan.

La plupart des érudits rejettent la thèse de From Ritual to Romance, mais ils perpétuent cependant une déduction spécieuse corrélée à la demi-vérité de Weston: le rite de consécration de la théocratie était une représentation populaire et mondaine de ce dont les initiés faisaient l'expérience dans le sanctuaire intérieur des Mystères. Cette interprétation fait référence à la théorie enthéogénique de la religion selon laquelle les initiés Païens passaient par des états altérés induits par l'utilisation de potions sacrées telles que le breuvage d'orge fermenté d'Eleusis (kykeon). Cette dernière assertion peut être aisément prouvée. Il a été avancé (Carl Ruck, The Apples of Apollo) que l'initiation enthéogénique aurait pourvu le fondement de la consécration des rois lors d'un exercice rituel qui répétait, devant les yeux du monde, ce dont les illuminés faisaient l'expérience au travers de l'ingestion de plantes et de potions psycho-actives. Cette extension de la théorie enthéogénique de la religion n'est qu'une supposition et rien de plus qu'une supposition. Il existe une pléthore de preuves, quant aux pratiques psycho-actives des initiés dans les Mystères, mais il n'existe strictement aucune preuve que ces initiés présidaient à des rituels publics destinés à exposer les rois nouvellement intronisés dans un état d'illumination ou d'extase divine.

Cette déduction est une autre demi-vérité, un poil plus près de la réalité que ce Weston découvrit. En premier lieu, elle reconnaît la nature véritable des rites secrets enthéogéniques pratiqués à Eleusis et ailleurs. Cette reconnaissance est plus profonde que la théorie communément acceptée de l'ancien rituel de fertilité corrélé à la royauté sacrée mais elle ne pénètre pas encore au coeur de l'expérience des Mystères. Timothy Freke et Peter Ganbdy (The Jesus Mysteries) affirment que l'initiation pourvoyait le modèle pour la royauté sacrée sans mentionner un seul mot sur les pratiques enthéogéniques. Carl Ruck (The Apples of Apollo) affirme la même chose mais souligne le facteur enthéogénique. Dans les deux cas, ces érudits savants confondent les rites de consécration de la royauté sacrée avec l'expérience initiatique mystique ou alors ils interprètent ces rites comme une expression exotérique et une extension d'une telle expérience. Ruck écrit, alors qu'il fusionne la tradition enthéogénique avec la religion Judéo-Chrétienne:

“Iesous était le nom du héros mythique Iason (Jason) car Iason était ainsi nommé en raison de la chrismation cérémonielle ou consécration qui fit de lui un shaman. Dans la tradition Hébraïque, Messie est le nom de celui qui est “oint”, qui en Grec est appelé Christos... Le rituel de chrismation est devenu une validation pour l'autorité des rois et des prophètes: mais l'onguent de l'onction conférait originellement son pouvoir au travers de l'enthéogène qui rendaient les récipients consubstantiels avec la plante sacrée de leur shamanisme” (The Apples of Apollo, pages 146-147).

En d'autres mots, la royauté sacrée aurait impliqué “originellement” l'initiation enthéogénique du prétendant à la royauté par des prêtres-shamans qui administraient un sacrement psychoactif. Il n'existe aucune preuve que la théocratie vit le jour avec de tels rites et je maintiens que c'est une erreur sérieuse d'inférer qu'il en fut ainsi. Un tel amalgame est particulièrement pernicieux parce qu'il donne l'impression qu'il y a, ou qu'il y avait originellement, une sorte de rite enthéogénique shamanique valide derrière la royauté sacrée et même derrière Jésus, le Christos. Il en est de même avec Freke et Gandy qui argumentent en faveur d'un type d'apologie du Paganisme par laquelle ils confèrent de la valeur aux Mystères Païens en les considérant comme le “fondement réel” des enseignements de Jésus et du Christianisme. En d'autres mots, les Mystères étaient un moyen vers une fin. Et comme la finalité était bonne, on peut assumer que les moyens étaient tout aussi bons. Selon cette approche, le Paganisme (quel qu'en fût la nature) devient acceptable parce qu'il constitua le fondement du Christianisme.

Très bien, mais la réalité est tout autre. Le Christianisme a volé quelques draperies au Paganisme - le bébé dans la mangeoire, par exemple, était une version enfantine de Tammuz, le berger Sumérien - et il a co-opté des rites Mythraïques pour concocter ses sacrements mais son éthique et son idéologie viennent d'ailleurs. La base historique du Christianisme réside dans le culte Zaddikim de la Mer Morte. Depuis l'époque du Patriarche Samuel, toute la communauté Juive fut entraînée dans les politiques théocratiques par les machinations des Zaddikim dont l'obsession d'un Messie culmina dans le Christ de Saint Paul. Le messie est “l'oint”, christos en Grec, formé du verbe echrisa “oindre”. Dans les anciennes théocraties du Proche-Orient, tout aussi bien que dans la tradition Judéo-Chrétienne, l'onction était le rituel-clé de l'investiture, au coeur de toute la construction idéologique du pouvoir d'ordre divin, mais il n'existe pas une once de preuve que la religion Païenne en Europe, en Afrique du nord et au Levant suivit cette coutume.

Le shamanisme enthéogénique dans les Mystères ne fut jamais utilisé pour instituer et légitimer l'auto-rité patriarcale ou la religion patriarcale. Les rites des Telestai n'étaient pas un moyen vers une fin politique séculaire. L'initiation n'avait rien à voir avec la consécration, si ce n'est la consécration au travers de la connaissance, si l'on peut se permettre cette analogie. Elle n'avait rien à voir avec les jeux de pouvoir politique et séculaire tels qu'ils existaient dans l'intronisation publique des théocrates en Palestine et dans le Proche-Orient d'antan. Aucun adepte sincère et non corrompu des Mystères aurait accepté d'introniser un personnage représentant l'autorité patriarcale ou politicienne. Et aucune cérémonie d'intronisation n'aurait pu refléter ce qui se passait au troisième niveau le plus profond de l'initiation.

Un Secret Dénaturé

Afin d'éviter plus de digressions, je vais clore ce sujet pour le moment, mais nous reviendrons ultérieurement sur les interprétations spécieuses de l'intronisation théocratique. Il est essentiel de clarifier cette question afin de confronter et de surmonter le Mensonge Paternel et sa résurgence actuelle dans la théocratie globale soutenue par le terrorisme. Pour l'instant, revenons sur “les trois courants” du Graal et abordons le sujet de cette leçon, “la Pierre des Sages”.

Comme nous l'avons expliqué dans la leçon 3, un des courants définit la direction des “Lumières” sociales, selon le modèle de Lohengrin. L'origine de ce courant remonte à la période qui s'étend du 10 ème siècle à l'humanisme de la Renaissance au 15 ème siècle. L'humanisme fut l'expression séculaire, et socialement orientée, de la générosité de la Noblesse qui servait le Graal.

Deux autres courants émanèrent de l'accomplissement du Graal par Perceval en 968. La rencontre directe avec le numen suprême de la magie indigène est profondément mystique et ne trouve pas son expression dans la vie sociale mais dans des tendances cachées et anti-sociales, et dans l'ésotérisme, la contre-culture et les mouvements underground de caractère cultique et cryptique. Comme nous l'avons souligné, ces courant cachés informent tous deux profondément le déroulement de l'histoire alternative. Ils opérèrent derrière la scène durant tout le Moyen Age mais ils émergèrent beaucoup plus tôt. A la différence de l'initiative Occidentale de philanthropie et d'altruisme social représentée par Lohengrin, ces deux autres courants trouvent leur origine ancienne dans les Mystères pré-Chrétiens.

La courant qui donne naissance à l'alchimie Occidentale est intimement corrélé au troisième niveau le plus profond de l'initiation. Derrière les rites sexuels populaires et saisonniers et même derrière les rites tantriques subtiles de l'accouplement sacré, se trouvait l'expérience rituelle suprême: l'instruction par la Lumière. L'Alchimie conserva une mémoire résiduelle de cette expérience mais non pas la méthode antique de transmission de cette expérience même. En d'autres mots, de par la fin du réseau des Mystères de l'Europe et du Proche Orient Païens, la continuité de l'accès à la Lumière Organique fut interrompue. L'expérience initiatrice suprême devint inconsistante et incohérente, et devint presque laissée à la chance - ce qui peut expliquer l'étrange légende inscrite sur le château du Graal selon laquelle “aucun chevalier qui ne le cherchait ne trouverait ce lieu sans que la chance ne l'y menât” (Tristan en Prose, cité par Loomis, The Grail - From Celtic Myth to Christian Symbol, page 206). Même lorsque le Graal fut révélé, les témoins ne pouvaient pas figurer ce qu'il était parce qu'ils ne possédaient pas la guidance de la structure des Mystères pour les accompagner. A partir du 4 ème siècle, l'instruction par la Lumière devint précaire et aléatoire.

Le problème avec l'alchimie, dont tous ceux qui l'explorent sont au fait, à leur grande exaspération, réside dans sa nature impénétrable, obscure et intimidante. Les alchimistes font constamment allusion à quelque chose qu'ils ont le privilège de connaître sans dire exactement ce que c'est. Ils ne le disent pas parce qu'en fait, ils ne savent pas ce que c'est. Ce fut certainement le cas pour ces exemples - et ce serait presque tous les exemples attestés par des écrits qui ont survécu - où les alchimistes paraissent occulter ce qu'ils savent alors qu'en réalité ils ne comprennent pas fondamentalement ce qu'ils tentent d'occulter.

C'est comme si je vous disais un secret sous une forme dénaturée et que je vous faisais confiance pour le garder. Dans le but d'honorer votre voeu, vous feriez tout en votre possible pour cacher le secret, sans savoir en fait ce qu'il était précisément.

Wolfram appelle le Graal une pierre et les alchimistes utilisaient universellement ce terme pour l'ultime secret de “l'Art”. Le dictionnaire alchimique de Dom Pernety (France, 18 ème siècle) donne plus de 600 définitions de la Pierre. Tout simplement. Le plus étonnant est que toutes sont correctes dans un sens ou dans un autre. Mais aucune n'est valide en ce qui concerne un accès sans médiation à l'expérience de la Pierre.


“Quant ele fu laiens entree a tot le graal
qu'ele tint,
Un si grans clartez i vint...”

Extrait du Perceval (3224-3225) de Chrétien de Troies en Français médiéval et couplets de rimes octosyllabiques. En Français moderne : “Comme elle entrait dans le hall, le graal qu'elle tenait rayonnait d'une lumière si belle ...”. Cela fut écrit avec un accès sans médiation à l'expérience de la Pierre. Dans King Arthur and the Grail (la meilleure introduction), Richard Cavendish écrit:

“Le Graal n'est clairement pas un objet ordinaire. Il est entouré de mystère; il est sacré et il en émane une lumière éblouissante (page 137)... Le Graal dans Parzival n'est pas explicité de manière adéquate, et de loin, comme un symbole de l'humilité. (Théorie de de R. S. Loomis, l'éminence grise des études Arthuriennes. note de John Lash.) Il est beaucoup plus proche de la Pierre Philosophale de l'alchimie qui est à la fois un objet mystérieux de taille gigantesque et un état spirituel. La Pierre Philosophale était considérée pouvoir transformer tout ce qu'elle touchait en or, de soulager toutes les maladies et de conférer la jeunesse et la vie éternelle à celui qui la possédait. Elle représentait aussi l'état spirituel “d'or”, le plus parfait et le plus élevé que l'on puisse concevoir, qui était l'état d'union avec Dieu ou la quasi-identification avec Dieu.

Tout comme le héros du Graal, l'alchimiste avançait sur son propre chemin de salut, indépendamment de l'Eglise, et donc suspect. L'alchimie attira l'attention de l'Europe Occidentale à partir du 12 ème siècle et Parzival fut écrit au 13 ème siècle” (page 161).

Je dirai que Chrétien préserve le témoignage authentique et direct de l'expérience des Mystères mais “éblouissante” est un qualificatif exagéré. La Lumière Organique est substantielle et douce, totalement à l'image d'un morceau de guimauve lumineuse. Cavendish fait la relation entre le Graal et la Pierre des Sages mais il lui attache une inférence théologique non appropriée. L'état de perfection associé à la contemplation du Graal - car personne ne peut le posséder - pourrait être interprété comme “l'état d'union avec Dieu ou la quasi-identification avec Dieu” mais cette interprétation rouvre le vieux piège de la déification qui n'était pas la finalité des Mystères bien que l'inflation (pour employer une expression de Jung) fût certainement un risque de l'initiation. (Carl Jung affirmait que l'identification du Soi avec Dieu - en termes mystiques, l'union avec la Divinité suprême - était et est toujours la réalisation spirituelle suprême de la psyché humaine mais qu'elle entraîne le risque de l'inflation de l'ego. J'avancerais que l'équation Dieu-Soi n'est rien d'autre que de l'inflation de l'ego, quelle que soit la manière dont on l'envisage).

La Lumière de Sagesse

Les Telestai Païens ne cherchaient pas à devenir Dieu même si l'initiation les rendait, dans une certaine mesure, à l'égal de Dieu car ils en venaient à connaître le monde comme Dieu le connaît. Ou plus précisément comme la Déesse le connaît. Comme nous l'avons expliqué dans A Sheaf of Cut Wheat, ils atteignaient l'Esprit de la Déesse.

Cavendish a presqu'une intuition du Graal en tant que révélation corporelle de la Déesse: “il n'est pas absolument clair de savoir si la lumière émane du Graal, ou de la jeune fille qui le porte” (page 137). Cependant, ni lui ni les autres auteurs qui ont écrit sur le Graal, n'identifie directement sa luminosité avec une présence féminine divine. Lorsque le Graal est associé avec une “Divine Présence”, il est assumé que ce c'est Dieu ou le Christ, en raison de l'épais filtre de Christianisation dont est recouverte la Légende. Néanmoins tout le matériau archaïque ou traditionnel qui soutient la Légende du Graal évoque la Grande Déesse, non pas Dieu le Père, ou son Fils Unique. Dans les sources Irlandaises ou Galloises de la Légende, le Graal était le chaudron magique de la Déesse du monde inférieur, Keridwen, ou Eruin-Erin, identifiée bio-régionalement avec l'Irlande (source des niveaux archaïques du matériau du Graal). Pour la participation imaginative et archaïque, le passage de la déesse qui garde le chaudron à la déesse qui est le chaudron aurait été aisé et naturel.

Dans son essai “Sophia, Companion to the Quest”, Caitlin Matthews, l'érudite revivaliste du Graal et des Mystères, fait l'observation importante selon laquelle la Quête du Graal est “plus concernée par la terre que par les gloires de la royauté” (At the Table of the Grail, page 116. Cette remarque est consistante avec la digression ci-dessus). Pour reformuler tout cela en termes Gaïens, la Quête est concernée par la Terre et les pouvoirs de la planète vivante, plutôt que par les rites paternels de la consécration. Matthews réussit assez bien à élucider le secret dénaturé. Dans un commentaire sur le blason aux colombes de la famille du Graal, elle écrit:

“La colombe a toujours été le symbole de la compassion divine. C'était un oiseau sacré pour la Déesse et elle passa dans la panoplie de la Shekinah dans laquelle elle symbolisait l'Esprit Saint de Dieu. Au sein du Christianisme, le genre douteux de l'Esprit Saint a été obscurci par sa symbolisation sous forme de colombe: la promesse d'une rédemption ultime, la demeure parfaite de Dieu... Néanmoins, l'Esprit Saint est théologiquement appréhendé de nos jours, il émane de ses origines en tant que partie du Féminin Divin: la sainte Maternité de Dieu. Dans cet écheveau de symbolisme, le Christ a assumé les attributs de la Sagesse.” (ibidem, page 123)

En d'autres mots, les attributs de Sophia. Pour les adeptes des Mystères Païens, la source “d'une lumière si belle” était ni le Dieu Mâle ni sa progéniture le Christ, mais la Divine Sophia. Au lieu de la divinité manifestée dans la chair de Jésus Christ - un dogme théologique rejeté par les Gnostiques Séthiens comme étant une perversion - ils faisaient l'expérience de la “Présence Divine” dans la présence de la Terre elle-même, dans la Déesse révélée comme une humble planète. Dans Parzival et dans d'autres légendes Arthuriennes corrélées au Graal, Cundrie, la sorcière hideuse (la Demoiselle Horrible) annonce la mission du héros et est identifiée, de façon énigmatique, avec la Jeune Fille du Graal. Dans la tradition Irlandaise primitive, une fée semblable à Cundrie est la première à offrir le Graal et à poser la question test comme nous l'avons expliqué dans Gaia et la Gnose lorsque nous avons étudié la légende Irlandaise appelée The Prophetic Ecstasy of the Phantom. La “sorcière” représente la nature ou la forme naturelle de la Déesse, Son corps planétaire.

La Pierre de Sagesse Rayonnante est le corps surnaturel de Sophia.

De nombreuses illustrations alchimiques et Rosicruciennes tardives dépeignent Sophia comme Dame Alkimia, Dame Nature ou simplement la Vierge, qui est graphiquement identifiée avec la Terre. Elle nourrit l'enfant Humanité avec Lac Virginis, le Lait de la Vierge - une métaphore pour la Lumière Organique.

La comparaison entre le lait et la Lumière Organique est très répandue non seulement dans l'ésotérisme Européen mais aussi dans la mythologie du monde entier. Dans une oeuvre classique de mythologie comparée, Myths of Pre-Columbian America, Donald A. Mackenzie consacre un long chapitre à “la Déesse du Lait et Son Pot”, en citant des douzaines d'exemples des déesses blanches associées à un “élixir de lait” venant de plantes et d'arbres sacrés sécrétant du lait. Dans de nombreuses cultures de par le monde, l'orientation religieuse primordiale du shamanisme enthéogénique octroyait un accès à la Lumière Organique mais, dans les Mystères, l'accès était systématiquement préservé pour la transmission au travers des générations par des cellules organisées constituées de seize initiés, huit hommes et huit femmes. Lorsque ce système fut détruit, la rencontre mystique suprême perdura de manière erratique.

La littérature du Graal s'inspira de la mythologie archaïque Irlandaise (ainsi que Loomis l'a démontré de façon extensive) qui, à de nombreux égards, reflète l'expérience shamanique de la Lumière Organique parmi les Bardes et les initiés de l'Ile d'Emeraude. La littérature alchimique reflète l'état d'esprit ambivalent de ceux qui n'avaient ni les Mystères pour les guider ni la tradition antique shamanique, avec des plantes psychoactives, pour les orienter vers la présence de la Lumière. Ils étaient, néanmoins, inspirés de façon erratique et profondément perplexes, avec une vague intuition que la Lumière mystérieuse existait et que son accès pouvait être direct dans de bonnes conditions.

Un témoignage vécu de l'initiation dans les Mystères Païens a été préservé dans ce qu'on appelle le fragment de Themistios: “L'âme au moment de la mort a la même expérience que ceux qui sont initiés dans les Mystères. On est frappé par la présence d'une lumière merveilleuse”. Dans les Codex de Nag Hammadi, des textes de révélation tels que le Discours sur le Huitième et le Neuvième (NHC VI, 6), témoignent de cette expérience et donnent la preuve irréfutable que les initiés recevaient la connaissance directement de la Lumière Divine. Dans ce texte, le hiérophante déclare: “Réjouissez-vous de cette révélation. Car déjà du Plérome vient le pouvoir qui est Lumière et qui nous recouvre. Car je la vois. J'en vois la profondeur indescriptible” (57:25-30).

La Lumière mystérieuse perdue des Mystères Païens était la Pierre de Sagesse, le rayonnement du Graal.

J'ai proposé le terme “Lumière Organique” pour le doux rayonnement blanc du corps de substance primordiale de la Déesse Sophia, en contraste avec son corps planétaire, consistant des éléments de l'atmosphère et du globe terrestre. Dans les Mystères Païens, il était interdit de décrire cette Lumière d'une telle manière explicite ou de dévoiler que les initiés en recevaient directement l'instruction. Ce fut le voeu secret qui ne fut pas rompu durant des milliers d'années - mais certains voeux sont destinés à être rompus afin que le secret qui en est l'objet puisse survivre. Tous ceux qui faisaient le voeu savaient que, dans une époque future, il serait rompu mais le pouvoir de ce dévoilement futur dépendait du fait que le voeu soit respecté en premier lieu. Il n'était tout simplement pas destiné à être tenu pour toujours.

La Lumière Organique, la Lumière Divine, la Lumière des Mystères, la Lumière Céleste - voilà quelques uns des termes attribués à la Pierre des Sages, la substance lumineuse qui confère la connaissance intime de la Déesse. Nous pouvons ajouter à cette liste la Lumière de Sagesse, l'épiphanie de Sophia. L'accès à cette Lumière était le secret que les Alchimistes protégeaient, sans savoir clairement et explicitement comment atteindre et maintenir cet accès. Mais certains alchimistes le savaient. Dans Parzival, on trouve la preuve d'une connaissance, qui a survécu, de l'expérience vécue en direct de l'illumination Sophianique. Wolfram offre même une version dénaturée de l'origine de la Pierre-Graal: c'est le lapsit exillis qui chuta de la couronne de Lucifer lorsqu'il plongea des Cieux. Ce motif rappelle le plongeon de la Déesse Sophia du Plérome. Elle est la figure Luciférienne suprême, la pourvoyeuse divine de Lumière.

Les Mystiques Atmosphériques

Dans leurs écrits volumineux, les alchimistes donnent souvent l'impression de chercher quelque chose qui se trouve devant leur nez mais sur lequel ils n'arrivent pas à poser le regard. La Lumière des Mystères était, pourrait-on dire, aussi claire que la gnose sur leur visage mais elle leur échappait cependant. Wilhelm Reich aimait beaucoup citer ces quelques lignes de Goethe:

“Quelle est la chose la plus dure de toutes?
C'est celle qui semble la plus facile:
Pour vos yeux de voir
Ce qui repose devant vos yeux”.

Sans pouvoir bénéficier de la guidance de la Lumière Organique, les alchimistes examinaient attentivement la lumière du jour pour des signes d'activité surnaturelle. Cet examen approfondi devait être extraordinaire car il leur permit de percevoir les opérations intimes de la nature. Ils détectèrent à la fois l'oxygène et l'hydrogène dans l'atmosphère avant que ces éléments fussent observés à l'aide d'instruments et quantifiés en langage chimique. Ils appelèrent l'oxygène Prima Materia, la Matière Primordiale, parce que tout ce qui vit dans le monde matériel, même les minéraux, réagit à ce gaz avant toute autre chose. Nous savons aujourd'hui que l'oxygène est un gaz hautement réactif et instable. Le niveau constant d'oxygène atmosphérique à 20 % est une anomalie de la Terre qui permet que la vie soit possible. Cette observation est essentielle à la compréhension de l'homéostasie terrestre dans la théorie Gaïa et, en fait, a conduit à l'élaboration de la théorie.

“La Pierre est projetée sur la Terre et exaltée sur les montagnes et demeure dans l'air et se nourrit dans les rivières...” C'est ainsi que s'exprime le commentaire pour l'Emblème XXXVI dans le Atalanta Fugiens de Michael Maier, une des épreuves alchimiques les plus influentes du 17 ème siècle. Les cubes sur la route, dans l'air et dans l'eau, suggèrent comment la Pierre mystérieuse, bien qu'elle soit présente partout, se cache dans les éléments naturels: l'eau, la terre et l'air (sa relation avec le feu est plus complexe et obscure). La preuve de la connaissance des physiques atmosphériques n'est pas très répandue dans les écrits alchimiques, mais elle s'y trouve cependant.

La théorie Gaïa dépend de notre connaissance de l'ensemble des gaz atmosphériques, définis et mesurés en termes modernes, selon les avancées réalisées par la chimie depuis le 17 ème siècle. Mais au moment où la chimie moderne émergea - signalé par la création de l'Academia de Cimento à Florence en 1667 - les alchimistes Européens étaient en train de transmettre ce qu'ils connaissaient à des scientifiques en herbes qui ne comprenaient ni ne respectaient l'art secret dont leur science matérialiste était l'héritière.

Johan Baptiste von Helmont (1577-1644) fut non seulement un chimiste éminent du 17 ème siècle mais il fut aussi un alchimiste accompli, un des rares qui ait admis publiquement avoir “réalisé la Pierre”. Von Helmont découvrit le gaz dioxyde de carbone qui est expiré par les humains et absorbés par les plantes pour être converti en oxygène. Il l'appela “gaz sylvestre” en référence à l'Arbre Alchimique, un symbole primordial de l'Art. Von Helmont découvrit-il cette association pertinente par hasard ou savait-il que les arbres absorbent le dioxyde de carbone? Il prouva la présence et l'action du dioxyde de carbone dans l'atmosphère avant qu'il ne fût détecté et mesuré par des instruments. Comment fit-il?

L'azote, qui est prépondérant dans l'atmosphère à près de 80 %, fut aussi découvert par des alchimistes. Ils l'appelèrent Azoth. Nous respirons à chaque respiration de l'oxygène et de l'azote mais comme ce dernier est un “gaz inerte”, nous ne ressentons rien. Il est possible, cependant, d'être somatiquement conscient de respirer de l'azote atmosphérique. Le résultat est une sorte de délire léger, comparable aux effets de l'oxyde de nitrate, “le gaz hilarant”. Les personnes qui ingèrent des champignons psycho-actifs peuvent devenir étourdis et se mettre à rire de façon hilarante. On sait maintenant que les propriétés de ces plantes ont pour source leur chimie rare azotée qui en fait des exceptions parmi les millions d'espèces végétales de la planète.

En 1988, dans un article pour la revue Anthroposophique Golden Blade, j'ai proposé que certains des alchimistes Européens étaient des “mystiques atmosphériques” qui possédaient une “rare clairvoyance infrasensorielle des éléments naturels”. Par infrasensorielle, je voulais dire qu'ils étaient capables de percevoir ce qui se passait au sein de leurs propres sens et, de par cette intensification de la perception sensorielle, ils atteignaient à une connaissance objective authentique des processus naturels. Goethe, qui s'inspira profondément de la tradition alchimique, appelait la faculté infrasensorielle auschauende Urteilskraft, “la puissance perceptuelle de la pensée”. Il fit l'expérience, sans nul doute, de ce dont il parlait, car il fut capable de faire des découvertes vérifiables dans la morphologie des plantes et des animaux et en optique. Goethe prouva que dans un état intensifié, la pensée se rapportant à ce qu'on observe fusionne avec les processus opérant dans ce qui est observé. Lorsque la pensée et la perception coopèrent de cette manière, il n'est pas nécessaire de penser dans l'abstrait au sujet du phénomène. Dans Goethe le Galilée de la science du vivant (Editions Novalis), Rudolf Steiner définit cette méthode de façon pertinente: “Elle ne résume pas ce qui est observé; elle produit ce qu'il faut observer”. Dans son étude lucide de la méthode de Goethe, The Wholeness of Nature, Henri Bortoft appelle cette méthode perception intensive.

L'affirmation selon laquelle les alchimistes percevaient de façon intensive, et acquéraient ainsi une connaissance sérieuse des processus naturels, peut aisément être rejetée par ceux qui protestent que je considère tout ce non-sens comme de la matière ésotérique. Admettons. Mais il existe des traditions parallèles qui fournissent des preuves corroborantes que la perception intensive n'est pas une illusion. Considérez, par exemple, les pratiques yogiques de l'Asie. Il serait peut-être exagéré de définir l'alchimie comme un yoga sophistiqué du mental et des sens mais plusieurs érudits ont, néanmoins, fait la connexion entre l'alchimie et le yoga. Dans The Alchemical Body, David Gordon White développe de nombreux parallèles entre le yoga Asiatique et l'alchimie Occidentale et démontre que “la transmission orale de la gnose alchimique” (page 149) était extensive, de l'Orient à l'Occident. Dans son ouvrage classique sur le yogi et mystique Tibétain Milarepa, W. Y. Evans-Wrentz écrivit:

“Milarepa était capable de survivre, non pas sans souffrances, auxquelles il était yogiquement indifférent, au milieu du climat quasi-arctique des hauteurs de l'Himalaya, avec une très nourriture très simple, grâce au contrôle indomptable de son corps physique, et fréquemment, en l'absence d'autres moyens de subsistance, par un processus quasi-osmotique, à partir de l'air, de l'eau et de la lumière solaire, similaire au processus par lequel la plante produit sa chlorophylle” (page xii).

La référence à la photosynthèse est frappante. Dans la littérature connue de l'alchimie, nous trouvons l'image d'un Lion Vert mangeant le soleil. Le Lion Vert est un symbole naïf indiquant comment la lumière se convertit en chlorophylle et fournit ainsi de l'énergie vitale sous forme de plantes comestibles. Cette image bizarre représente à la fois la puissance et le produit de la conversion photosynthétique. Il est possible que les alchimistes qui créèrent cette image se nourrissaient par osmose de l'atmosphère, ainsi que Milarepa était réputé le faire. (Ceux qui le font de nos jours et vivent sans l'apport de nourriture animale ou végétale, sont appelés des Breatharians). Il est entièrement concevable que les adeptes, qui avaient une perception intensifiée de la nature, aient appliqué cette faculté à leurs propres processus mentaux, métaboliques et physiologiques. De nombreuses légendes associées aux alchimistes suggèrent qu'ils arrivèrent à une condition similaire à celle de Milarepa et d'autres adeptes Asiatiques, des initiés de la nature qui contrôlaient leurs propres forces vitales. La tradition Européenne rapporte que des alchimistes vivaient avec des moyens très restreints et se nourrissaient de très peu, à l'instar des Rois du Graal souffrants qui se nourrissaient d'une fine hostie blanche qui leur était servie dans le Graal.

La photosynthèse est un fait. Asseyez-vous dessous un arbre et voyez si vous pouvez observer comment elle fonctionne. Essayez ensuite d'imaginer comment quiconque aurait pu faire une telle observation sans l'aide d'instruments. La réalité est que nous participons à la photosynthèse de façon organique et métabolique sans savoir ce que nous faisons ou comment nous le faisons. Cette participation peut être rendue consciente via l'instrument que les alchimistes appellent l'artifex, et que j'appelle le corps imaginal. Vous imaginez ce qui se passe dans votre corps, tel que la circulation sanguine, en utilisant une image, et vous méditez ensuite sur cette image jusqu'à ce que vous fassiez l'expérience de ce qui se passe déjà en vous. L'artifex, et non pas l'alchimiste, achève le Grand Oeuvre. Le corps imaginal nous permet de participer dans ce que nous visualisons tout d'abord à condition que nous puissions le visualiser avec assez d'intensité et de dévotion. Tout ce qui est fait pour nous naturellement et à notre insu, nous pouvons le faire avec la nature en pleine conscience.

Le secret de l'Art est de se mettre en phase grâce à une technique imaginale (l'artifex), à savoir de passer de l'état d'insertion inconsciente dans la nature à l'engagement conscient avec la nature, c'est à dire la co-évolution. C'était aussi une des finalités premières des Mystères dont les adeptes étaient dédiés à la Déesse Sagesse incarnée dans la Terre: Sophia.

Lux Naturae, Lumen Naturae

Les écrits de l'alchimie Occidentale contiennent beaucoup de scories et très peu d'or. Cependant, lorsqu'il s'avère authentique, l'Art reflète l'expérience des mystiques atmosphériques qui utilisaient la perception intensive pour chercher dans le monde naturel la présence surnaturelle du Graal, la Pierre de Sagesse. Dans quelques cas, les alchimistes travaillaient véritablement à partir de l'expérience directe de la Lumière Organique. Dans la plupart des cas, néanmoins, ce n'étaient pas des adeptes illuminés mais des dévots de la nature qui sentaient obscurément la sagesse vivante de la Terre et cherchaient à apprendre à son sujet, à défaut d'apprendre d'elle. De par la destruction du réseau millénaire des Mystères, la méthode avérée de l'instruction par la Lumière ne fut pas perdue mais la continuité de la méthode fut rompue. Les alchimistes qui poursuivaient le Grand Oeuvre devaient se reposer sur un processus, au petit bonheur la chance, d'auto-initiation.

Paracelse distingua deux sortes de lumière: lux naturae et lumen naturae. La première est la lumière atmosphérique naturelle. Dans une observation que les scientifiques ignorent à leur risque et péril, Wilhelm Reich souligna que la lumière naturelle ne vient pas du soleil mais est un effet local de l'atmosphère. On pourrait même dire que la lumière qui enveloppe la partie vivable de l'atmosphère terrestre est un effet photochimique dans l'air extérieur. Que la lumière atmosphérique opère de façon biochimique est bien sûr un constat de la science moderne mais la capacité de participer consciemment à des processus photobiochimiques est déniée par la science. La Lux naturae était le medium primordial du mysticisme atmosphérique. Le Grand Oeuvre était réalisé dans le vas hermeticum, l'enveloppe planétaire.

La lumen naturae était la Pierre du Graal, l'Elixir. Non pas la lumière atmosphérique, mais la luminosité douce et blanche du corps de substance primordiale de la Déesse. L'objet de la Quête du Graal était d'accéder à la Lumière Organique comme des générations d'initiés l'avaient fait dans les Mystères; comme beaucoup, cependant, de ceux qui entreprenaient la Quête ne savaient pas ce qu'ils cherchaient et n'avaient personne pour les guider, l'élément de fantasme jouait dans la Quête. Les alchimistes embrassaient la même finalité que ceux qui étaient en quête du Saint Graal mais ils le faisaient dans un environnement totalement différent: non pas dans la nature sauvage ou sur le lieu des tournois ou à la table du roi mais dans leurs laboratoires et dans leurs caves. Cherchant à pénétrer les secrets de la nature, ils étaient considérés par l'Eglise comme des hérétiques qui étaient de connivence avec les esprits maléfiques supposés animer le monde naturel. Ils ne savaient qu'à moitié ce qu'ils faisaient et ils devaient cacher une grande partie de cela pour éviter d'être persécutés pour hérésie.

L'alchimie Européenne était, dans une grande mesure, un exercice chaotique de fantasmes, d'expérimentations chimériques et de spéculation métaphysique démentes. En raison du lien étroit entre la Quête du Graal et le Grand Oeuvre, de nombreux motifs et symboles appartenant à un genre se manifestent aussi dans l'autre. La cauda pavonis ou queue du paon représente “l'illumination psychédélique” achevée à la fin de l'Oeuvre. Avec l'épiphanie de la Lumière Organique, toutes les couleurs de la nature sont perçues différemment. Les objets apparaissent comme n'étant rien de plus que des taches palpables dans la Pierre Blanche, comme des aquarelles sur du plâtre ou des morceaux mous de verre coloré incrustés dans de l'albâtre. La vision du cauda pavonis rappelle la ligne de Shelley dans Adonais “La vie, telle un dôme de verre très coloré / Tache la lumière blanche de l'éternité”.

Le chapeau de feutre ondulé du Roi Pêcheur était agrémenté de la plume fleurie d'un paon.

John Lash. Flandres 22 avril 2006. Flandres

Traduction de Dominique Guillet