Codex Alimentarius:
non tout ne va pas changer le 1er avril 2011
Sylvie Simon
Depuis 2008, nous avons lu et entendu tout et n’importe quoi sur le Codex alimentarius créé en 1963 par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et la FAO (Food and Agriculture Organization) des Nations Unies. Il a pour objet de définir les normes pour tous les produits alimentaires et compléments alimentaires. Les 27 pays membres de l’Union Européenne (UE) utilisent de plus en plus le Codex pour façonner la réglementation alimentaire en conformité avec les lois européennes.
Ses partisans affirment que le Codex Alimentarius est une référence pour l’alimentation et qu’il n’y a aucune obligation faite aux pays de l’adopter, qu’ils soient membres d’un Codex ou de toute autre organisation de commerce international. Loin de moi l’idée de défendre le fait que l’Organisation mondiale du commerce utilise le Codex Alimentarius comme référence internationale pour la résolution des conflits concernant la sécurité alimentaire et la protection des consommateurs, car je pense qu’il représente une terrible menace pour l’accès futur aux compléments en vitamines et oligoéléments utilisés dans les thérapies naturelles, mais il convient de ne pas raconter n’importe quoi sur un sujet aussi grave.
Déjà, en 1996, la délégation allemande avait fait une proposition pour qu’aucune plante, vitamine ou minéral, ne soit vendu librement pour raisons préventives et que les compléments alimentaires soient classés comme drogues. Cette proposition a été validée mais jamais appliquée car de nombreuses protestations ont succédé à cette annonce.
En juillet 2005, lors de la 28e session de la Commission du Codex Alimentarius, les Directives concernant les compléments alimentaires en vitamines et sels minéraux ont été adoptées. Ce texte ne vise pas à interdire les compléments alimentaires, mais à imposer certaines informations sur leur étiquetage comme la consommation minimale et maximale de vitamines, ainsi que des normes de sécurité et d’efficacité pour leur fabrication. L’OMS a ajouté que ces directives assurent aux consommateurs des effets bénéfiques sur leur santé, ce qui n’est pas évident, car les pays membres peuvent choisir arbitrairement le classement des compléments alimentaires comme alicaments ou médicaments. En outre, le Codex sert plutôt les intérêts des multinationales de l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire, car il a permis de remettre sur le marché des pesticides interdits, et recommande que le bétail soit traité aux antibiotiques et à l’hormone de croissance commercialisée par Monsanto.
Néanmoins, comme l’indique fort justement Thierry Thévenin, secrétaire général du syndicat S.I.M.P.L.E.S : «il a le mérite de mettre en lumière un phénomène bien réel et inquiétant: l'inflation galopante des outils et des procédures réglementaires qui, sous le louable prétexte de protéger le public, le déresponsabilisent et l’assujettissent progressivement aux rares groupes de pression ou d’intérêt (industriels, distributeurs, médias,...) qui sont suffisamment organisés et puissants pour avoir les moyens de décrypter, analyser, orienter ces mesures ou même plus simplement d’exister légalement en passant à travers le crible de ces dispositions juridiques d’une incroyable complexité.»
Il est évident qu’il est impossible, aussi bien financièrement que temporellement de valider la diffusion légale des milliers d’espèces médicinales qui sont utilisées à travers le monde. Mais cette impossibilité ne correspond pas pour autant à une suppression totale de ces produits.
Or, ces derniers temps, nous avons été inondés de mails émanent de Heidi Stevenson, repris à l’unisson par l’ANH (Alliance for Natural Health International) et des centaines d’associations, qui titrent : «Grande victoire pour l’industrie pharmaceutique : Les plantes médicinales bientôt interdites dans L’UE». Ils ajoutent que, dès le 1er avril 2011, les préparations à base de plante vont disparaître, ainsi que la possibilité pour les herboristes de les prescrire et que toutes les plantes médicinales seront illégales dans l’Union Européenne. Comme si, du jour au lendemain, toutes les boutiques diététiques devaient fermer leur portes et tous les fabricants de produits naturels allaient mettre au chômage leur personnel, ce qui représente des dizaines de milliers de personnes. À vrai dire, si c’était exact, ce serait presque trop beau car cela réveillerait peut être un peu l’inertie de la population qui ne se révolte jamais, excepté pour défendre ses «acquis sociaux» sans comprendre que d’autres «acquis» sont tout aussi importants.
Tout d’abord, cette annonce fait l’amalgame entre le Codex régissant les vitamines et les compléments alimentaires et la Directive européenne concernant ces mêmes compléments mais qui sont deux choses différentes. La Directive européenne a été adoptée par la FAO, alors que c’est l’OMS qui gère le Codex et son application. Or la Directive européenne n’a pas encore établi la proportion maximale de vitamines et minéraux que peuvent contenir ces compléments ni à quelle date, ces restrictions seront appliquées. Il est donc inexact d’affirmer que tout va changer le 1er avril 2011. Le danger principal serait de limiter la concentration de vitamines et minéraux à des dosages très faibles, donc sans aucun effet. Cependant, même si cela se produisait, les consommateurs compenseraient en prenant plus de tablettes ou capsules, ce qui entraînerait un coût bien plus élevé qu’aujourd’hui, mais ne verrait pas la disparition de ces produits. Quant aux plantes, si l’on ne les appellent pas « médicinales » on pourra toujours les vendre.
L’avis d’observateurs compétents
Paul Anthony Taylor est depuis six ans observateur délégué officiel aux réunions du Codex Alimentarius, au nom de la National Health Federation. Il affirme que: «Toutes les normes alimentaires définies par le Codex sont déjà obligatoires, précisément parce qu’elles servent de référence juridique à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) dans ses arbitrages internationaux.»
Toutefois, il précise que le Codex est aujourd’hui le front principal d’une guerre politico-économique pour le contrôle des sources de nourriture et qu’il définit aussi les normes pour les vitamines et compléments alimentaires, les nomenclatures de soins, les aliments bios ou OGM, l’étiquetage sur les emballages alimentaires, la publicité pour les aliments et les additifs alimentaires, ainsi que les résidus de pesticides et de drogues vétérinaires dans les aliments. «Le Codex Alimentarius considère que les intérêts du commerce international sont bien plus importants que la protection de la santé des consommateurs. La preuve en est dans le financement. Le Codex reçoit 86 % de son budget de la part de la FAO (7,2 millions de dollars) et seulement 14 % (1,2 millions de dollars) de l’OMS.» Il est indéniable qu’il privilégie toujours les intérêts économiques, surtout ceux des industries pharmaceutiques, chimiques et génétiques, avant ceux de la santé humaine.
Ainsi, nous devons considérer le Codex comme une menace pour les produits et compléments alimentaires naturels qui ne seront pas totalement interdits mais dont la concentration de vitamines et minéraux risque d’être limitée à des dosages très faibles, donc sans aucun effet, par l’Union européenne. Ce risque est certain, mais ce n’est pas une raison pour affoler la population de manière irresponsable.
C’est pour cela que j’adhère totalement avec la déclaration du 18 octobre 2010 de Thierry Thévenin, cité plus haut et lui-même producteur de plantes, botaniste et enseignant pour la formation professionnelle. Il se passionne depuis une vingtaine d’années pour la recherche, la pratique et la transmission des savoirs traditionnels et modernes autour des plantes sauvages alimentaires et médicales. Il est donc bien placé pour savoir de quoi il parle. «Je le redis, je ne souscrirai pas à l’appel de Mme Stevenson car il est erroné, subjectif et présente, à mon avis, un ton manipulateur qui dessert la cause qu’il veut soutenir.»
À l’annonce que les plantes médicinales seront bientôt interdites dans L’UE, il répond : «Non, c’est faux ! C’est la vente d’une plante en tant que médicinale (c’est à dire délivrée avec des indications thérapeutiques) qui sera interdite tant qu’on n’aura pas obtenu une AMM (autorisation de commercialisation) auprès du HMPC (Committee on Herbal Medicinal Products). Il s’agit d’ailleurs de l’aboutissement effectif de la Directive N° 2004/24/CE du 31 mars 2004 relative aux savoirs traditionnels (plantes médicinales traditionnelles), directive citée plus bas par Mme Stevenson.» Il confirme qu’il s’agit là de pure désinformation destinée à susciter de l’émotion chez le lecteur.
Il nous informe que cette directive est censée permettre une procédure d’autorisation de mise sur le marché « simplifiée » pour l’enregistrement des médicaments traditionnels à base de plantes sans exiger les renseignements et les documents classiques des tests et essais sur la sécurité et l’efficacité, à condition qu’il existe suffisamment de preuves d’une l’utilisation médicinale du produit éléments bibliographiques ou rapports d’experts - pendant une période d’au moins 30 ans, dont au moins 15 ans dans la Communauté Européenne.
Thierry Thévenin regrette cependant que «cette procédure même “simplifiée” par rapport à celle qui est prévue pour les médicaments classiques, reste trop lourde et coûteuse pour des petites structures artisanales, surtout si elles ont une grande gamme de remèdes à faire valider. Ce sont donc les petits acteurs de la filière qui seront poussés vers l’illégalité le 1 avril 2011.»
Quant à la déclaration que réglemente l’usage des produits à base de plante qui étaient auparavant librement échangés, il répond ironiquement : « Librement échangés ? Certainement pas : en France, en tout cas, le libre échange des plantes n’existe plus légalement depuis le début du XIIIe siècle, époque de l’institution des corporations des professions de santé (apothicaires, herboristes, médecins, épiciers...). De même, dans le plus grand nombre la totalité ? - des autres pays de l’Union, des dispositions réglementaires légifèrent depuis très longtemps sur la question de l’échange des plantes médicinales. »
Selon son opinion, dans ce texte, ce sont les gros distributeurs de compléments alimentaires qui «crient au loup» car ils sont en guerre médiatique contre leur «ennemi naturel»: les gros distributeurs de l’industrie pharmaceutique.
«Les producteurs du syndicat Simples ainsi que tous les petits acteurs indépendants de l’herboristerie européenne se trouvent quelque part dans un espèce de no-man’s land au beau milieu du front de la bataille et dans l’ombre de ces deux géants.»
Il faut savoir que le diplôme d’herboriste a été supprimé par le gouvernement de Vichy en 1941, peu après la création de l’Ordre des médecins. Il existe encore des herboristeries qui continuent de vendre des plantes médicinales au nom des derniers titulaires du diplôme d’herboriste, mais légalement, seuls les pharmaciens ont le droit de vendre les plantes présentées selon leurs propriétés médicinales. Une tolérance existe cependant pour les personnes travaillant avec les herboristes diplômés, même si officiellement les herboristes n’exercent plus depuis longtemps.
Aussi, le syndicat S.I.M.P.L.E.S. réclame une réhabilitation rapide du métier d’herboriste, « qui prenne en compte les évolutions multiculturelles et les exigences environnementales qui caractérisent notre époque et notre continent, ainsi qu’une intégration de la transmission des savoirs populaires relatifs aux plantes médicinales dans l’éducation en général et dans l’éducation à la santé en particulier. »
Le texte d’Heidi Stevenson ajoute : «Bien sûr, les plantes sont loin d’être des médicaments. Ce sont des préparations faites à partir de sources biologiques. Elles ne sont pas nécessairement purifiées, car cela peut modifier leur nature et leur efficacité, comme pour tout aliment. C’est une distorsion de leur nature et de la nature de l’herboriste de les prendre pour des médicaments».
Une nouvelle fois, à l’instar de Thierry Thévenin, je ne peux souscrire à cette affirmation qui pour moi est erronée.
Si pour la plupart des gens le mot «médicament» est réservé à un produit pharmaceutique de synthèse, je suis d’accord, les plantes ne sont pas des médicaments. Mais si on considère comme médicament toute substance ou composition qui possède des propriétés curatives ou préventives des maladies humaines ou animales, et qui peut restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, alors les plantes sont des médicaments !
De même, on peut considérer comme médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques qui ne sont pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique.
Scott Tips est un avocat américain, spécialiste international des lois qui régissent la nourriture et les médicaments. Il est président et conseiller juridique de la NHF (National Health Federation), la plus ancienne organisation mondiale qui défend la liberté des consommateurs en ce qui concerne leur santé, et représente sa clientèle internationale sur plusieurs continents. Il profite de son exceptionnelle expérience pour discuter non seulement de la structure et de la marche du Codex, mais de la restriction de la qualité et la quantité de vitamines et de minéraux dans la nourriture actuelle.
J’ai eu la chance de le rencontrer il y a plusieurs années, nous sommes devenus amis, et je lui ai demandé certaines précisions sur ce fameux Codex.
Voici ce qu’il m’a répondu :
«En ce qui concerne l’Union européenne, je pense que sa Directive sur les compléments alimentaires a déjà “cloué le cercueil” de nombreux produits. Ils disparaissent des étagères des pays libéraux qui permettaient de les vendre (comme le Royaume-Uni, l’Irlande, la Hollande et même la Suède).
Ceci dit, le guide du Codex sur les suppléments alimentaires ne sera achevé que d’ici deux ans environ. Je pense que d’ici là, le monde aura bien changé et j’espère que toute sa structure corrompue aura disparu, emportant tout le non-sens actuel avec elle.»
Nous ne pouvons que partager son espérance que le monde aura changé d’ici deux ans mais, en attendant, nous devons rester rigoureux dans nos affirmations et notre combat. Il est certain que les industries agro-alimentaires et pharmaceutiques sont des ennemis du bien-être de l’humanité, mais nous ne pouvons pas affirmer n’importe quoi.
Que pouvons-nous faire?
Thierry Thévenin croit que «la protection de la santé et liberté de mouvement des préparations médicinales des citoyens de l’Europe passera, non pas par une lutte médiatique ou juridique pour des droits ou des espaces commerciaux, mais plutôt par la revendication y compris s’il le faut par une certaine résistance citoyenne d’espaces légaux d’éducation et de formation pour la préservation et la transmission des savoirs médicinaux traditionnels.
L’ensemble de ces savoirs est immense et précieux, il est le fruit d’innombrables siècles d’adaptation, d’innovation, d’expérimentation des peuples, ne laissons pas accaparer, appauvrir ou enfermer ce patrimoine commun dans des cadres prétendus sécuritaires, juridiques ou scientifiques, lesquels ne sont bien souvent en réalité que des outils servant des monopoles ou des intérêts particuliers. Et faisons également attention de ne pas nous laisser berner par des discours de propagande marketing qui viseraient à nous faire défendre au nom d’un prétendu principe de libre échange, un mode de consommation néolibéral aveugle et outrancier de ce même patrimoine.»
La première des choses à faire est de ne pas consommer ce qu’on nous propose officiellement. Comme le disait si bien Coluche, si on ne consommait pas, on ne fabriquerait pas. Nous devons également faire passer le message sur les risques que nous courrons en persistant à avaler n’importe quoi sous le prétexte que « ce n’est pas cher » ou que « c’est remboursé », car notre santé n’a pas de prix. Mais nous devons aussi nous garder de dire n’importe quoi et de faire circuler des messages qui nuisent à notre cause, provoquant ainsi l’effet inverse de celui que nous voudrions obtenir.
Aussi, au lieu de nous battre contre des géants omnipotents, essayons plutôt de changer nos habitudes, de bannir la peur du «qu’en dira-t-on» et de prendre parti ouvertement contre ce que nous réprouvons. La résistance passive est plus efficace que la guerre aveugle et notre bon sens doit être notre guide principal.
Je terminerai en signalant que Paul Anthony Taylor soutient l’Initiative pour un Référendum Européen afin d’obtenir le droit de soumettre à un référendum tous les changements de lois significatifs au niveau national ou européen.
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