John Lash
Traduction par Dominique Guillet
Les Sages Gnostiques dans l'Art Bouddhiste
“La sphère des moyens vers la compassion est pour le Mahayana une sphère d'intervention et de transformation magiques; c'est ainsi que les pratiques Tantriques, en tant que pratiques relatives aux moyens, sont perçues dans le Bouddhisme Tibétain comme des pratiques magiques, dans le sens le plus large, pour transformer la réalité du monde en une forme plus adaptée à l'assistance à autrui”. Paul Williams. Mahayana Buddhism - The Doctrinal Foundations.
Bouddha debout. Art de Gandhara. Tokyo National Museum. Premier ou Second siècle EC
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En discutant des origines du mouvement Gnostique (Gnostiques ou Illuminatis?), j'ai utilisé une carte pour montrer le coeur caché de l'ancienne civilisation: le plateau d'Urmie dans le nord-ouest de l'Iran. La carte ci-dessous montre comment la latitude 38 N court d'est en ouest à partir de cette région. Vers l'est, la latitude 38 N traverse la région de l'Hindou Pamir où la culture de Gandhara a émergé à la suite de la pénétration par Alexandre le Grand. La ligne brune montre la route probable de la dissémination Gnostique vers l'Asie.
L'historien Paul Williams a souligné la forte probabilité des “influences Grecques et Méditerranéennes à l'oeuvre dans les transformations au sein du Bouddhisme durant la période Mahayana”. L'art de Gandhara illustre clairement la fusion intime des cultures Grecques et Bouddhistes, tel qu'on peut le voir dans l'image ci-dessous, qui montre Bouddha assis en lotus et drapé dans une toge Grecque.
Bouddha assis en lotus drapé d'une toge Grecque. Art de Gandhara.
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Le Bouddhisme et l'Hellénisme
Un examen attentif de l'art de Gandhara révèle que la physionomie de nombreux Bouddhas et Bodhisattvas sculptés est classiquement Gréco-Latine, plutôt qu'Asiatique. Les caractères typiques de l'iconographie Bouddhiste Asiatique, tels que le profilage du corps et la figuration idéale-mystique de la tête, sont rarement présents. Il y a plutôt une accentuation marquée, particulièrement dans les têtes, de traits Gréco-Latins, tel que nous le voyons sur la vue frontale ci-contre, à droite, et le profil d'une autre tête sur l'image ci-dessous.
Le chignon érigé de cheveux est caractéristique des traditions shamaniques Asiatiques, tel qu'on le voit souvent dans les représentations de Shiva, le chasseur-shaman de l'Inde Dravidienne. A ce jour, les sadhus errants portent ce type de chignon appelé l'ushnisha (pour mon interprétation personnelle de l'ushnisha, fondée sur une expérience mystique spontanée, voir Honeycomb, Light of the Christos).
Vue de profil, la tête ci-contre, également avec un chignon, est purement Gréco-Latine et ne présente aucune trace de physionomie Asiatique. La sophistication du chignon est unique et reflète des coutumes locales de l'Hindou Kush ainsi que des anciennes techniques Grecques de tressage de cheveux.
Une autre caractéristique des têtes de Gandhara est la moustache, considérée comme un emprunt aux coutumes des tribus Scythes qui se déplaçaient constamment dans la région. La Scythie était une région dont la culture attint son apogée au 4 ème siècle avant EC, lorsque les Mystères étaient encore intacts et prospères, à savoir 300 ans avant que leur déclin ne commence. Ses habitants parlaient une diversité de dialectes Iraniens. Le Plateau d'Urmie se trouve juste à la frontière entre la Scythie et la Parthie vers le sud, qui comprenait ce qui est maintenant l'Iran moderne. L'étendue de la Scythie vers l'est atteint Gandhara.
Il est significatif que la Scythie s'étendait vers le nord jusqu'aux montagnes de l'Oural, une région associée avec le shamanisme enthéogénique utilisant l'Amanita muscaria, ou amanite tue-mouche. (Voir Gordon, Soma: Mushroom of Immortality). Les Scythes étaient des chasseurs-shamans nomades et les Parthes étaient les archers les plus experts de l'ancien monde. En cohérence avec ce complexe chasseur-shaman, certaines sculptures de Gandhara montrent des guerriers Scythes avec des moustaches, généralement dépeintes comme souples et ondulantes. Il est curieux de noter que Padmasambhava, le personnage suprême du Bouddhisme Tibétain, qui est réputé avoir vécu au 9 ème siècle EC, est toujours dépeint avec une moustache, bien que ténue et soigneusement taillée. Ce détail iconique est-il un vestige atavique des guerriers-shamans Scythes de Gandhara?
Il semblerait que cela soit le cas car les premières images du Bouddha historique apparurent dans l'art de Gandhara et durent avoir fourni le prototype pour des versions ultérieures. Cependant, aucun autre Bouddha ou Bodhisattva ne présente ce trait, à l'exception de Padmasambhava.
Dans son ouvrage monumental, Indo-Tibetan Buddhism, David Snellgrove dit que “les premières biographies de Shakyamuni, relatant son histoire, de sa naissance à son nirvana final, furent rédigées à Gandhara et vraisemblablement pour des personnes de tendance plus réaliste qui souhaitaient connaître plus de choses sur Shakyamuni en tant qu'individu”. (Vol I, page 48). Ainsi, ce sont non seulement les représentations sculpturales du Bouddha mais aussi les premières biographies rédigées, qui procèdent de la même région et durant la même période, à savoir aux environs de 150 EC.
Snellgrove affirme “qu'il est très vraisemblable que l'inspiration initiale (pour les sculptures et les narrations) émana de convertis au Bouddhisme dont la culture était Helléniste” (ibidem). “Si l'inspiration originelle de créer une image du Bouddha sous une forme humaine était non-Indienne, ce qui semble être quasiment certain, alors le Bouddha Helléniste doit avoir été le premier” (ibidem). 150 EC était la période précise durant laquelle les premiers idéologues de l'Eglise commencèrent à attaquer les Gnostiques et les Mystères d'une manière flagrante et violente. La dissémination du Gnosticisme vers l'Asie avait alors duré depuis le temps d'Alexandre (330 avant EC), et sans doute même bien avant.
L'Idéal du Bodhisattva
Snellgrove explique en détails comment l'idéal du Bodhisattva émergea dans le Bouddhisme Mahayana aux environs de 150 EC. Je maintiens que ce concept était compatible avec le phoster Gnostique “l'illuminateur”, un instructeur éclairé - avec cette différence, cependant: l'illuminateur Gnostique n'enseignait pas seulement l'illumination mais développait le potentiel de création et d'adaptation du génie humain tel qu'il est appréhendé par des êtres humains éclairés. La tendance du Bouddhisme est, de façon très prédominante, d'enseigner la voie de l'illumination plutôt que la voie de la co-évolution illuminée. Cette dernière était la finalité ou le telos des Mystères.
En sus de l'idéal du Bodhisattva, l'efflorescence de Gandhara produisit également une série élaborée de Bouddhas qui apparaissent dans les âges du monde, avec une accentuation sur la Maitreya, “l'Ami Bienveillant” supposé apparaître dans un âge futur. Selon Snellgrove, Maitreya était “très populaire à Gandhara”. Je maintiens que le futur Bouddha était une version du “messie” universel ou instructeur mondial appelé Chrestos dans les cultures de la Méditerranée et du Proche Orient. Jusqu'au moment où le Christos fut investi d'une autorité divine par Constantin en 325 EC, le nom alternatif Chrestos, le “Bienveillant”, était utilisé par de nombreuses sectes proto-Chrétiennes, tout aussi bien que par d'autres groupes messianiques qui attendaient la venue d'un avatar pour l'Age des Poissons.
En fait, un inventaire du 19 ème siècle appelé les Inscriptions Chrétiennes de Blockh contient 1287 entrées montrant “qu'il n'existe pas un seul exemple d'une date antérieure au troisième siècle où le nom Christ n'est pas écrit Chrest ou Chreist” (Lloyd M. Graham, Deceptions and Myths of the Bible, page 411). De nombreux passages dans les Codex de Nag Hammadi utilisent Chrestos pour Christos, montrant que l'avatar divin, ou le messager-messie, attendu par de nombreuses personnes durant les premiers siècles de l'Ere Commune, était conçu comme un instructeur pleinement humain, une personnification de la bonté, un ami éclairé et un modèle d'humanité, à l'image de Maitreya.
Magie et Evolution
Le Sutra Avatamsaka est l'écriture Bouddhiste la plus longue et la plus élaborée. Il présente un panorama visionnaire d'une myriade de mondes qui s'interpénètrent, rappelant les multiples Pléromes du Gnosticisme. Les trois versions Chinoises qui ont survécu furent traduites d'un original en Sanscrit ou en Prâkrit, datant du second siècle EC, le moment clé dans la culture de Gandhara qui vit la formulation du Bouddhisme Mahayana. Le dernier chapitre du Sutra Avatamsaka est appelé le Sutra Gandavyuha, une allusion claire à Gandhara. Il décrit le monde dans lequel nous demeurons comme un endroit qui “peut être transformé à volonté par les actes mentaux des Bouddhas et des Bodhisattvas avancés”. (Paul Williams, Buddhist Thought, page 208).
Les Bouddhas des âges du monde et le Cycle du Révélateur du Gnosticisme constituent deux exemples d'un scénario d'intervention: à savoir, ce sont des narrations mythiques, et pseudo-historiques, qui promeuvent l'attente d'être éclairés et géniaux qui vont venir pour aider l'humanité à découvrir son chemin. Ce ne fut que progressivement que le Bouddha fut élevé à son niveau surnaturel. Originellement, dans les biographies de Gandhara, il était dépeint comme un être spirituellement évolué qui se réincarna pour le bénéfice d'autrui mais non pas comme une divinité supramondaine. Le Bouddhisme Mahayana, et le Bouddhisme Tantrique ultérieur, explicitèrent très précisément comment de tels êtres oeuvraient dans le monde ou en influant sur le monde.
Les Tantras Caryas sont une petite catégorie d'écritures dans le Kanjur Tibétain qui contiennent des instructions spécifiques sur la moralité magique, comme on pourrait l'appeler. Bien que cela ne soit pas un texte Tantrique, le Sutra Gandavyuha traite également de ces pratiques ésotériques, qui sont souvent centrées sur le personnage du shaman de l'éclair, Vairocana:
“Pour le Gandavyuha, Vairocana est le Bouddha, demeurant dans un monde transcendant de luminosité, de fluidité et de métamorphose magique, tout en étant simultanément présent à tous les niveaux en toutes choses. Selon cette perspective, Shakyamuni, le Bouddha historique, est une transformation magique produite pour le bénéfice des êtres conscients en souffrance... L'idée du praticien Tantrique, développant une identification méditative intense, avec une évocation de la divinité, paraît émerger durant la période des textes Carya. Les praticiens s'identifient, se visualisent, comme une divinité éveillée occupant un univers lumineux qui peut être magiquement transformé, précisément de la manière dont il peut être transformé dans le Sutra Gandavyudha”. (Paul Williams, Buddhist Thought, page 208).
Cette citation, ainsi que celle qui se trouve au début de l'essai, mettent en exergue certains des enseignements Bouddhistes Tantriques les plus ésotériques et les plus séduisants. Il est difficile d'affirmer, cependant, comment, ou si, de telles théories sont réellement mises en pratique. Dans Pas en Son Image, j'ai suggéré que la theurgia (littéralement “travail de dieu”) des Mystères pourrait être comparée à une “imagination active Jungienne ou, plus pertinemment, à des pratiques avancées de visualisation dans le Tantra et le Dzogchen” (page 6). Le yoga de la divinité, tel qu'il est décrit dans le paragraphe ci-dessus, appartient à la phase de développement du Dzogchen mais je suggérerais que la theurgia Gnostique était plus apparentée à la phase de perfection durant laquelle le praticien va au-delà de rites d'imitation de visualisation pour atteindre l'hyperception de l'extase pleinement somatique. Le flux de super-vitalité au travers des rlun ou des nadis (des canaux subtils dans le corps, supposés être au nombre de 72 000) est caractéristique de l'illumination psychosomatique de la Gnose. Dans les Mystères, les initiés se tenaient érigés, à l'image de certains Bouddhas de Gandhara (voir images). La tradition en vint à favoriser les Bouddhas assis en position de lotus intégral mais les Bouddhas debout, de style Grec, évoquent des représentations sculpturales tri-dimensionnelles des initiés Gnostiques et il semble difficile qu'ils s'en rapprochent beaucoup plus.
Dans un sens, le Bouddhisme est une Gnose qui est debout sur ses pieds et qui est insérée dans la nature. Les pratiques de théurgie de type Dzogchen maîtrisées par Hypatia, et quelques autres Gnostiques dont les noms sont historiquement connus, n'étaient pas des exercices en auto-déification. Elles étaient plutôt “des pratiques magiques, dans le sens le plus large, pour transformer la réalité du monde en une forme plus adaptée à l'assistance à autrui” (citation d'ouverture). Je suggère que, pour les Gnostiques, de tels actes de transformation magique étaient intimement associés avec le fait de ressentir la présence de la Déesse Sagesse, Sophia, et de communiquer avec Elle. En intégrant des connaissances de l'intelligence planétaire, les telestai des Mystères étaient capables de percevoir aux profondeurs du potentiel humain dans sa relation avec les finalités transhumaines de Gaïa. Nous avons assez de témoignages qui prouvent qu'ils étaient des adeptes des arts et des sciences de la co-évolution. Plutôt que de transformer le monde par des actes magiques, ils mettaient leur confiance dans la possibilité qu'a le génie inné de l'espèce humaine d'être tout aussi bon que n'importe quelle magie et, cultivé avec amour, dans sa faculté de produire un monde soutenable et bienveillant.
Telles sont les quelques inspirations que l'on puisse tirer de la fusion Bouddhiste-Gnostique à Gandhara. A ce jour, aucun érudit n'a exploré ces parallèles (à l'exception, peut-être, de l'érudit Bouddhiste, J. M. Reynolds, qui a écrit des manuscrits non publiés sur le Bouddhisme et le Gnosticisme. Le principal texte à avoir survécu sur la théurgie est On the Mysteries par Iamblichus. Il contient de nombreux passages qui présentent une comparaison étroite avec l'instruction Dzogchen sur le développement et les phases de perfection de l'Ati Yoga.
John Lash. 17 octobre 2006
Traduction de Dominique Guillet
Bouddha debout. Art de Gandhara
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Bouddha Maitreya debout. Art de Gandhara
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