Le Scandale de l'Affaire Jésus Continue
John Lash
Traduction par Dominique Guillet.
Les Enseignements Gnostiques Vengés par le Directeur du “Terminator”
Le New York Times du 27 février 2007 présentait un article signé de Laurie Goodstein et intitulé “Les corps conservés, dans une crypte, de Jésus et de sa famille, selon un film”. Cet article décrit un documentaire de télévision qui “affirme fournir la preuve qu'une crypte exhumée il y a 27 ans à Jérusalem contenait les ossements de Jésus de Nazareth”.
Cette nouvelle arrive alors que la vague de quatre années de controverses sur le Da Vinci Code de Dan Brown est en train de refluer doucement. Avec la parution du film (largement considéré comme un navet) fondé sur ce roman, l'intérêt du public sur la vie personnelle de Jésus a rapidement commencé à s'amoindrir. Mais est-ce bien le cas? Jésus est vraisemblablement le personnage central de l'histoire Occidentale et l'intérêt pour sa vie, et pour tout ce qui touche à sa vie, va sans doute perdurer à jamais. Mais dans quelle mesure l'importance de Jésus dépend-elle de la revendication de sa divinité? S'il était prouvé qu'il n'était qu'un simple mortel, notre intérêt pour sa personne, pour ne pas mentionner sa mission, souffrirait-il d'un déclin permanent et profond?
Supérieur à la Raison
Dan Brown s'inspira de L’Enigme sacrée de Baigent, Lincoln et Leigh, qui fut publiée en 1982. Que se passa-t-il durant les vingt années qui préparèrent le terrain pour le succès, sans précédent, du Da Vinci Code? La réponse semble résider dans l'attrait sans cesse croissant pour une femme de scandale, Marie Madeleine. Son intégration à l'histoire de Jésus change l'histoire mais remet-elle en question la croyance en la divinité du sauveur? Pour certains, il est difficile d'accepter que Jésus, s'il était divin, se serait impliqué dans une relation sexuelle et qu'il aurait enfanté une progéniture. Avec Marie-Madeleine dans le tableau, la menace vis à vis de la divinité de Jésus se manifesta de façon indirecte de par la remise en question, restée à ce jour sans réponse, de sa survie miraculeuse à la mort. Avec le documentaire de Cameron, cette menace s'élève de façon directe en se fondant sur des preuves archéologiques et généalogiques (analyse d'ADN) pour réfuter la résurrection.
Le film de Cameron soutient l'affirmation selon laquelle Jésus et Marie Madeleine étaient mariés et ajoute qu'ils avaient même un fils qui s'appelait Judas et qui fut enseveli avec eux. Ce film produit comme preuve deux ossuaires supposés avoir contenu leurs ossements. Dans sa réponse sceptique à cette affirmation, Lawrence E. Stager, professeur d'archéologie à Harvard, dit que des “personnes bibliquement illettrées” seraient dans l'impossibilité d'évaluer de telles preuves supposées. Cela n'a que peu d'importance, bien sûr. Peu parmi ceux qui croient à la Bible l'ont lue, avec discrimination, ou entièrement, si tant est qu'ils l'aient lue.
Pour des millions de croyants, la divinité de Jésus est un fait irréfutable même s'il n'existe aucune possibilité de le prouver- ou, plus pertinemment, parce qu'il n'existe aucune manière de le réfuter. La croyance souvent possède, ou semble posséder, plus de puissance que la raison parce qu'elle n'est pas dépendante de la logique ou de l'argumentation, qui peuvent être en défaut. Ce qui ne peut pas être réfuté par la raison semble être supérieur à la raison - mais seulement pour ceux qui ont abandonné leur pouvoir de raisonnement et leurs facultés critiques avant même que le processus de validation ne soit initié. En fait, la raison peut réellement réfuter les croyances fondées sur des doctrines reçues telles que l'Incarnation mais les croyants s'accrochent à leurs convictions plus pour ce qu'ils en retirent que pour ce qui en est vérifiable.
Que cela soit vrai ou non que Jésus fut ressuscité dans la chair par le Père, de le croire confère du courage et de la consolation à des millions et des millions de personnes et génère la foi en une agence supra-humaine qui peut nous permettre de vaincre la mort. La puissance de la foi aveugle ne réside pas dans sa véracité mais dans ce que le croyant gagne en garantissant une crédibilité à des propositions irrationnelles. La croyance repose sur l'effet de placebo. Cet effet est si puissant que les croyances peuvent demeurer inébranlées, même lorsqu'elles ont été irrémédiablement contredites par la réalité.
La problématique, dans le film de Cameron, est la réfutation de la résurrection et l'attribution d'une mort normale à Jésus. Il n'a pas ascensionné dans les nuées mais il fut enseveli comme un mortel ordinaire. L'idéologie rédemptionniste associe la résurrection avec le statut de la divinité: parce que Jésus fut le fils divin né d'une vierge et de Dieu le Père, il était on ne peut plus qualifié pour être ramené des morts par Dieu. En réfutant cette prouesse surnaturelle de résurrection, le film de Cameron remet également en question la divinité supposée du sauveur.
Historiquement, la divinité du sauveur est un dogme catholique établi durant le Concile de Nicée en 324 EC. Des récits de témoins oculaires décrivent comment l'empereur Constantin demanda à ses gardes armés de basculer leur lance verticale à l'épaule en position horizontale, pointe vers l'avant, afin de faire basculer le vote pour la divinité de Jésus par une menace ouverte de violence. Loin d'être des débats ennuyeux parmi les patriarches barbus, les conciles de Nicée furent le théâtre de méchantes confrontations sur des sujets doctrinaux. Ils se terminèrent parfois par des rixes et même par le meurtre de membres non consentants. Comme je l'ai expliqué par ailleurs sur ce site et dans mon ouvrage Pas en Son Image, la déclaration par l'Empereur Romain Constantin, selon laquelle le Christianisme devenait religion d'état fut un acte politique. Il importait à Constantin que la figure de proue soit considérée comme divine afin que l'empereur puisse couvrir ses politiques par une agence supra-humaine, en invoquant une autorité qui ne pouvait pas être remise en question par de simples mortels. Voilà pourquoi le dogme de l'Incarnation fut mis en place. Il établit le précédent pour la conquête du monde sous l'emblème de la croix: “in hoc signo vinces”, “par ce signe, tu conquiers”.
Une Fiction à "Sensation"
Il pourrait être objecté que la divinité de Jésus fut reconnue par des personnes de son entourage en son temps et attestée par certains passages dans le Nouveau Testament. Mais, en fait, les références à la divinité de Jésus dans le Nouveau Testament sont extrêmement ambiguës. Rien qu'il ne dise et rien qui ne soit dit à son sujet, dans les passages anecdotiques des Evangiles, confirme d'une manière claire qu'il était considéré comme un être divin, le fils incarné de Dieu le Père. L'affirmation directe de filiation divine dans l'Evangile de Jean n'est que cela: une revendication doctrinale, non étayée, énoncée par son auteur. Il en est de même de l'assertion de Paul qui éleva Jésus au rang de “Christ” sans même l'avoir jamais connu en termes humains, en chair et en os. Le Nouveau Testament ne contient aucune évidence historique, et pas même une seule et unique anecdote convaincante, qui prouverait que Jésus soit considéré comme divin à son époque et dans son environnement. Certain livres du Nouveau Testament affirment que Jésus était divin mais il n'est nulle part montré qu'il soit traité comme tel par le biais d'une situation ou d'une scène réalistes.
Robert Eisenman, John Allegro, Hugh Schonfield, et bien d'autres, ont démontré que des assertions telles que “Il est le Christ en vérité” - c'est à dire le “messie”, christos étant l'équivalent Grec de mashiah - ne peuvent être interprétées comme une affirmation de la divinité de Jésus parce que mashiah ne possédait pas une telle connotation, soit dans l'Hébreu originel, soit dans la translittération Grecque. Cela dénote seulement que Jésus était réputé être, ou supposé être, le messie annoncé dans l'Ancien Testament: à savoir le roi-guerrier pleinement humain attendu par les insurgés Juifs qui luttaient pour supplanter la domination Romaine en Palestine et établir une théocratie Juive.
Et même si un passage anecdotique validait cette affirmation d'une façon catégorique, comment pouvons-nous savoir si les Evangiles rapportent un fait plutôt qu'une fiction? Les Chrétiens qui croient en la divinité de Jésus doivent aussi croire que le Nouveau Testament présente une “preuve” textuelle valide de sa divinité - précisément parce que Dieu fit en sorte que cela y soit écrit. La croyance dans le statut divin et la résurrection de Jésus ne peuvent pas être soutenus sans assumer la paternité surnaturelle des documents qui sont censés pourvoir une preuve de ces croyances. Les Chrétiens portent un lourd fardeau de crédulité: on leur demande non seulement de croire en un agent divin qui sauve l'humanité de sa condition déchue mais aussi de croire en la paternité divine des textes qui pourvoient un récit de cet exploit unique de rédemption.
Ecriture Crétrice
Le Da Vinci Code porta un double coup fatal. Non seulement brisa-t-il le portrait reçu de Jésus mais encore ébranla-t-il les fondements de l'assertion de l'Eglise selon laquelle la Bible est divinement inspirée et, en tant que telle, ne peut être remise en question. Les gens qui veulent croire en Jésus, parce que l'histoire de l'intercession du sauveur pour l'humanité, et son triomphe de la mort, leur amène du courage et de la consolation - même si ce n'est qu'une histoire - doivent adhérer aux assertions de l'Eglise au sujet du fondement textuel de l'histoire. Un des phénomènes les plus troublants du Christianisme, et qui explique sa longévité mais non pas sa véracité, c'est le nombre de personnes qui ont adhéré à cette histoire et c'est la longueur de la période durant laquelle ces assertions ont tenu bon à toutes les remises en question critiques. En fait, l'historicité des Evangiles fut démolie au 19 ème siècle par Ernest Renan (La vie de Jésus, 1863), parmi d'autres, et puis ensuite par Albert Schweitzer (Le secret Historique de la vie de Jésus, 1906) mais cela demanda encore près d'un siècle avant que l'effet de vague de la déconstruction Biblique n'atteigne le grand public.
Il n'est pas souvent souligné que les livres du Nouveau Testament, qui affirment la filiation divine de Jésus, furent écrits bien avant les Evangiles anecdotiques de Matthieu, de Luc et de Marc. La matière la plus ancienne du Nouveau Testament est constituée par des lettres de Paul, composées aux environs de 50-60. Elles affirment le statut divin de Jésus avant que l'histoire de Jésus ne soit racontée de façon anecdotique. En d'autres mots, l'idéologie du rôle de sauveur de Jésus précéda sa biographie. Aucun des évangélistes, auxquels les biographies sont attribuées, n'a été le témoin des événements qu'il décrit et nous ne sommes pas sûrs de l'identité de ceux qui rédigèrent les Evangiles qui sont certainement de l'écriture collective et du pastiche.
La Christologie Paulienne initia le projet d'écriture biographique avec l'ajout par Jean d'encore plus de structure doctrinale aux alentours de l'an 90, lorsque les Evangiles n'avaient encore la forme que de brouillons. La Christologie Paulienne-Johanine était si bizarre, si anormale, que l'équipe d'auteurs qui produisit les Evangiles, même s'ils acceptaient le concept de sauveur, ou bien étaient obligés de l'accepter sous la pression de leurs contremaîtres, ne purent trouver une façon convaincante de l'intégrer au scénario. Les Evangiles appartiennent à cet ancien genre dénommé “roman Helléniste”, une forme de fiction “à sensation” de l'époque. D'autres romans, tels que la Vie d'Apollonius de Tyane, sont remplis de miracles, de prouesses magiques ou shamaniques, et d'événements surnaturels, mais le caractère surnaturel de la nouvelle Christologie était à ce point bizarre - plus particulièrement les trois aspects évoqués ci-dessus - qu'on n'arrivait même pas à le rendre attractif aux foules Païennes qui consommaient la fiction à sensation des temps anciens. C'est pour cela que les assertions, par Paul et Jean, quant à la filiation divine sont validées de façon ambivalente et inconsistante par les biographies des évangélistes.
Supersition Dépravée
Jésus était-il réellement reconnu comme divin par son entourage? Afin de répondre à cette question, il nous faut d'abord nous demander ce qui pouvait être considéré comme “divin” dans les cultures Juives et Païennes qui constituaient le contexte de vie de Jésus. Le Judaïsme rejette purement et simplement la notion de divinité humaine et maintient une stricte division entre le dieu paternel et l'humanité; on ne peut donc pas se référer à des sources Juives quant à cette problématique. Quant à la vision Païenne de la divinité, elle s'appliquait, de façon large, à diverses manifestations surnaturelles, incluant la divinité des formes naturelles telles que les montagnes et les sources, et les animaux, et elle s'étendait même aux accomplissement intellectuels élevés des initiés et des sages tels que Plotinus, et aux actes de bravoure accomplis par des héros tels qu'Héraclès et Achille. Dionysos était dépeint sous une forme humaine tout autant que sous la forme d'une panthère ou d'un taureau, mais il n'était pas un dieu incarné dans le même moule que Jésus, à savoir une divinité incarnée dans une personne historique unique. Les représentations humaines de Dionysos dans l'art classique ne prétendent pas représenter une personne historique particulière qui incarnait Dionysos. Une telle incarnation d'une divinité Païenne n'a jamais existé.
Les croyants vont argumenter que tout cela prouve que l'incarnation de Jésus était exactement ce que les autorités ecclésiastiques disent: un cas unique, qui ne peut être comparé à aucune divinité Païenne. On ne peut pas le comparer, et encore moins le réduire, à un exemple typique d'épiphanie Païenne (ou théophanie, our employer le terme correct “la manifestation du dieu ou du divin”). C'est peut-être le cas mais pas vraiment de la façon sur laquelle insistent les croyants. Cameron et ses collègues seraient peut-être surpris d'apprendre que les idéologues Chrétiens, qui prétendaient que Jésus était divin et qu'il était monté au ciel dans un corps ressuscité, étaient rigoureusement confrontés par certains contemporains Païens qui dénommaient cette prétention anomia, une aberration.
Les érudits du Gnosticisme traduisent anomou par “pervers, dépravé”, en accord avec les visions Païennes exprimées par exemple par Pline l'Ancien qui appelait le Christianisme “une superstition dépravée”. Selon la vision Païenne, la superstition déplorable de la foi Chrétienne consistait de trois propositions imbriquées: l'incarnation unique humaine d'une divinité (“le fils unique engendré du Père”, selon la théologie de Jean le Divin), la résurrection physique de la personne divine après sa mort par crucifixion et, sans doute l'aspect le plus réfutable pour le sens éthique et religieux Païen, la valeur rédemptrice de la souffrance du sauveur divin, par procuration.
Les écrits Gnostiques tels que le Second Traité du Grand Seth rejettent carrément la résurrection et l'appellent dédaigneusement “la doctrine de l'homme mort” et mettent en garde, en termes clairs et nets, contre l'ignorance et l'illégitimité de l'ordre apostolique. Un point fondamental de l'argumentation Gnostique était que les Chrétiens revendiquent à tort le statut spécial de divinité pour Jésus parce qu'en premier lieu ils étaient incapables de percevoir l'humanité en tout être humain: “C'est ce que les humains couraient en tous sens pour trouver vainement parce qu'ils ne percevaient pas l'Humanité Authentique (l'Anthropos) en eux-mêmes”. (Le Second Traité du Grand Seth. 53:12-17).
Pour les Gnostiques du 4 ème siècle, les affirmations scandaleuses du film de James Cameron auraient paru familières et véridiques et coulant de source. Ils mirent en garde, il y a presque 2000 ans, conre le fait que l'Incarnation est une arnaque maléfique.
John Lash. 28 février 2007
Traduction de Dominique Guillet
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