La Folie de l’Ego:
Un Magnifique Parallèle Bouddhiste-Gnostique
John Lash
Traduction de Dominique Guillet .
Le mythe de la création Gnostique a été qualifié de “théologie de science-fiction” en raison de la manière dont il présente le matériau théologique avec une imagerie fantastique et propre à l'âge de l'espace. Le personnage de science-fiction le plus saisissant, dans la cosmologie Gnostique, est Yaldabaoth, le démiurge ou faux dieu créateur. Des Gnostiques tels que Marcion identifièrent Yaldabaoth avec le dieu créateur mâle de l'Ancien Testament Yahvé-Jéhovah et, par conséquent, n'accordèrent à cette entité aucun rôle dans l'évolution correcte de l'humanité. Bien au contraire, Yahvé-Yaldabaoth est une divinité démente, un dieu qui oeuvre à l'encontre de l'humanité. Dans la recension Gnostique de l'Ancien Testament, il est clair que le statut monothéiste exigé par Jéhovah est due à la folie de ce pseudo-dieu.
Mais que pouvons-nous faire face à ce cas unique de démence cosmique?
Un Accident Cosmique
L'Hypostase des Archontes, et d'autres traités cosmologiques, décrivent comment Yaldabaoth émerge du chaos de la matière élémentaire en raison de l'impact de l'Eon Sophia dans les “eaux du dessous” - le royaume des bras galactiques à l'extérieur du coeur galactique (le Plérome). Le plongeon de Sophia à partir du coeur provoque un “avorton”, ou une naissance prématurée, dans les règnes de la matière élémentaire. Normalement, les formes de vie qui apparaissent dans les mondes-étoiles des bras galactiques sont émanées de l'intérieur du Plérome, imprégnées et informées par un dessein divin avant qu'elles puissent se manifester. Par contre, les Archontes générés par l'impact de Sophia émergent sans avoir été préfigurés par les dieux Pléromiques. “L'avorton” est un gâchis difforme à l'image d'un foetus prématuré dont les organes sont incomplètement formés et dont les facultés sont retardées.
Peut-on considérer le plongeon de Sophia comme un accident cosmique? Dans un certain sens, peut-être. Les accidents arrivent certainement dans l'immensité du cosmos. Dans les commentaires sur le mythos de Gaïa, j'ai proposé que le plongeon de Sophia puisse être une description mythopoétique d'un jaillissement puissant d'énergie émanant du coeur galactique. Les scientifiques ont récemment détecté un canal en forme de tunnel dans la galaxie, s'étendant directement du coeur galactique vers la région des bras tournoyants dans lesquels se trouve notre système solaire. Un tel jaillissement puissant d'énergie est au coeur de la théorie du Docteur Paul LaViolette concernant une supervague galactique ou un torrent de rayonnement cosmique. LaViolette affirme que de par l'émergence d'étoiles naissantes autour du coeur galactique, le puits de gravité de ce dernier s'approfondit et sa température interne et son énergie s'accroissent jusqu'à un paroxisme:
“ Le flux d'énergie du coeur galactique devient éventuellement si grand que des instabilités en résultent provoquant son explosion. Durant ce mode actif temporaire, sa luminosité s'accroit des millions de fois et il libère un torrent intense de particules de rayons cosmiques et un rayonnement de haute énergie qui s'achemine radiallement vers l'extérieur sous la forme d'une coquille croissante appelée une supervague galactique”. (Genesis of the Cosmos, page 93).
Il n'est nul besoin de dire que cela constitue un événement extrêmement violent avec des conséquences catastrophiques considérables et létales - selon la vision de LaViolette, du moins. Dans ma révision du mythe Gnostique, j'assume que le cosmos tout entier est vivant, animé et animant. Une supervague galactique, ou un jaillissement d'énergie émanant du coeur galactique, pourrait ne pas être, après tout, un jet létal de rayons cosmiques. Cela pourrait être un jaillissement de force vitale divine, et même un déversement d'une immense tendresse ou une ondulation de désir cosmique. C'est certainement, d'ailleurs, de cette façon que la mythologie Gnostique décrit le plongeon de Sophia.
Le parallèle astrophysique avec le mythe Gnostique est intéressant mais il ne doit pas nous induire à penser que le mythe requiert une validation scientifique pour être vrai ou pour être valorisé comme vrai. Si tant est qu'il existe des jaillissements cosmiques périodiques émanant du coeur galactique, nous serions avisés d'appréhender de tels phénomènes en termes imaginatifs, et dans un langage psychologique, afin de commencer à percevoir la complémentarité entre la psyché et le cosmos. A première vue, la narration concernant le démiurge semble être un événement unique et isolé qui ne ressemble à rien d'autre dans la mythologie du monde. De nombreux érudits ont assumé que le personnage de Yaldabaoth est totalement anormal, un mythologème insolite que l'on ne retrouve que chez ces amateurs bizarres de fantastique, les Gnostiques.
Mais il existe, en vérité, un parallèle exact au personnage Gnostique du Démiurge. Et on le trouve dans les traditions sacrées du Bouddhisme.
Genèse Bouddhiste
C'est sans doute le dernier endroit où nous serions enclins à porter notre regard. Pourquoi? Parce que les enseignements Bouddhistes n'accordent que peu d'importance à la genèse de l'univers. La notion de Création ne fait pas partie de la syntaxe Bouddhiste. Toutes les conditions qui émergent dans le cosmos ne sont que cela: des conditions qui émergent. Toutes les conditions présentes, physiques et psychologiques, proches et lointaines, intérieures et extérieures, émergent de conditions précédentes, selon la loi “d'origine interdépendante” et il n'y a rien de plus à dire. Si le cosmos n'est qu'un éternel devenir, tenter de déterminer le moment de sa création n'est qu'un exercice futile. De plus, le Bouddhisme tend à souligner la nature d'apparence de tous les phénomènes - cette approche est appelée docétisme dans l'analyse textuelle Gnostique. Non seulement le cosmos n'est-il qu'un éternel devenir mais encore n'est-il que la simple apparence d'un éternel devenir! Comment la notion de création peut-elle s'insérer dans une telle vision du monde?
Pour étonnant que cela puisse paraître, il existe en fait quelques indications de ce que l'on pourrait appeler un mythe de création Bouddhiste, une contrepartie Bouddhiste de la Genèse, si vous préférez. Les sources textuelles sont diverses mais tendent à être complètement négligées dans l'atmosphère actuelle des études Bouddhistes. On peut trouver ce qui est certainement un récit pré-Bouddhiste de création du monde dans les sources Pali telles que le Dighanikaya, l'Anuguttaranikaya et le Vishuddhimagga, le “Chemin de la Perfection”. Les ouvrages en langage Pali appartiennent à une sous-catégorie des études modernes Bouddhistes qui est réservée à une élite et il n'est pas donc surprenant que ces textes n'aient pas été pris en considération. Mais il existe également au moins deux textes en Sanscrit qui contiennent aussi des éléments d'une Genèse Bouddhiste; ce sont l'Abhidharmakosha et le Shikshasamuccaya.
Selon John Mrydhin Reynolds (Self-Liberation through Seeing in Naked Awareness), ces anciennes sources nous disent que Gautama, le Bouddha historique, expliqua à ses disciples que:
“l'humanité que l'on trouve sur cette planète Terre demeura autrefois dans un autre système planétaire. Dans un lointain passé, lorsque le soleil de ce monde se transforma en nova et que la planète fut détruite dans les éruptions solaires qui s'ensuivirent, la plupart de ses habitants... renaquirent dans un des plans supérieurs du Monde Formé ou Rupadhatu, un plan d'existence connu comme Abhasvara ou “claire lumière” (page 99).
Nous avons ici une description étonnamment claire d'un événement physique, d'une étoile qui se transforme en nova, combiné à un événement métaphysique, la transmigration des habitants d'une planète orbitant autour de cette étoile vers un autre plan d'existence. Le langage utilisé reflète, partiellement, la syntaxe scientifique courante de la théorie de la supervague galactique de LaViolette. Les scientifiques savent que les novas sont relativement des événements communs, alors que la supervague reste encore largement un concept théorique. Voilà pour ce qui concerne l'événement physique.
Quant à l'événement métaphysique d'une transmigration planétaire, c'est un drame cosmique qui se déroule alors. L'humanité qui demeurait dans le système solaire, qui explosa en nova, fut transportée sur le plan du Rupadhatu en raison de sa pratique assidue du dharma, selon les antiques sources. En ce lieu, “ils jouirent d'un bonheur et d'une béatitude incommensurables durant des eons” (ibidem). Mais lorsque ces conditions karmiques expirèrent, un autre monde, la Terre actuelle, était déjà en formation et certains des habitants bienheureux du Rupadhatu y furent attirés et commencèrent à renaître dans cette région, bien que pas encore sur la planète en émergence. Le royaume intermédiaire dans lequel ils se réincarnaient était appelé Brahmaloka, la “Zone du Créateur”. (Dans le mythe Hindou et dans la métapsychologie Bouddhiste, Brahma est le “dieu créateur”).
Tout d'abord, les êtres en transmigration (ce sont nous) ne prirent pas conscience d'où ils séjournaient et de ce qui leur arrivait exactement. Le premier qui s'éveilla réellement et qui réalisa qu'il était dans cette nouvelle sphère s'exclama immédiatement “je suis le Créateur”. La première entité s'exprima de cette façon parce que les conditions de conscience dans lesquelles elle vint à se percevoir étaient celles de la Zone de Création, le Brahmaloka. Cette entité, qui était une manifestation de l'humanité, en vint à croire que “il” était réellement le créateur de l'univers qu'il contemplait autour de lui. Il ne se souvint pas qu'il arrivait d'un monde précédent qui avait été détruit et il apparut comme s'il n'était pas né de parents. Dans l'absence de toute preuve du contraire, il sombra dans l'illusion d'être le seul créateur du monde émergent qu'il contemplait. J. M. Reynolds commente ainsi:
“En réalité, la manifestation de cet univers était due au karma collectif de toute cette communauté et sa propre manifestation individuelle, qui est un cas de naissance apparente, était due à sa grande quantité de karma méritoire qui venait à sa pleine maturation à ce moment-là parce que les conditions secondaires nécessaires étaient réunies. Cependant, il persista dans son illusion, dans cette idée qu'il était le Créateur réel de l'univers parce qu'il était le premier né au sein du système solaire en évolution et qu'il ne percevait personne d'autre qui l'eût précédé. Mais cette croyance était à mettre à l'actif de ses limitations et de son aveuglement, à savoir une ignorance primordiale de son origine véritable” (ibidem, italiques en gras ajoutées).
Tout cela, si je puis me permettre, pourrait être un sujet intéressant de science-fiction. La corrélation, point par point, entre les éléments Bouddhistes et Gnostiques, est ici fantastique. La “naissance apparente” du Créateur dans l'illusion est parallèle à “l'avorton” du mythos de Sophia. L'illusion du Créateur auto-proclamé est identique dans les deux narrations. Le Démiurge de la cosmologie Gnostique est également “né au sein du système solaire en évolution” et “il ne vit personne qui l'eut précédé”. Yaldabaoth est le chef des Archontes, des entités ainsi nommées parce qu'elles émergèrent en premier, avant la que la Terre, l'habitat des humains, ne se fût formée. Archonte vient du Grec archai “origine, commencement”. Il semble que la zone intermédiaire, le Rupadhatu inférieur, corresponde au chaos extérieur du mythe Gnostique. C'est là que le Démiurge émerge, apparaissant juste de nulle part: “un cas de naissance apparente”. Yaldabaoth est aveugle (en Copte BILLE) et ignorant de ses origines véritables. Dans la narration Bouddhiste, tout comme dans celle des Gnostiques, l'ignorance primordiale du Créateur va contaminer toute la race humaine.
Les parallèles sont cohérents et frappants, à l'exception d'un seul point. Le texte Gnostique ne dit rien au sujet du Démiurge ayant “sa grande quantité de karma méritoire”. Cependant, il est vrai qu'ils décrivent comment Yaldabaoth et les Archontes bénéficient de la sagesse cosmique de Sophia, la déesse qui les engendre. Le démiurge de la cosmologie Gnostique est une entité vide, clonique, incapable de rien créer; cependant, la merveille mécanique du système planétaire est créée à travers lui (et ses laquais) grâce aux pouvoirs occultes conférés par Sophia. Il existe peut-être quand même un parallèle entre ces deux visions mais il est certainement étrange de concevoir le Seigneur des Archontes comme une entité possédant une provision de bon karma!
Egoisme Cosmique
La divinité du Brahmaloka est dans l'illusion totale mais elle n'apparaît pas aussi démente que Yaldabaoth dans la façon dont elle est dépeinte. Dans les deux cas, le coeur de l'illusion est le sens du soi, la croyance dans l'existence d'un soi permanent. Selon Reynolds, l'illusion de l'entité s'éveillant fut “la première apparition de l'ego ou la croyance dans l'existence réelle d'un soi dans notre univers”. L'illusion de l'ego n'est pas la cause de l'univers que nous contemplons, mais elle constitue le facteur principal dans notre perception erronée de l'univers. Cette observation correspond étroitement à la théorie de l'erreur des Gnostiques.
Le drame continue car le reste de l'humanité en transmigration ne s'est pas encore éveillé à sa vie dans le nouveau système solaire. “Comme il était le premier parmi les Brahmas à renaître de l'Abhasvara, il devint connu comme le Mahabrahma ou Dieu”. Après avoir vécu durant de nombreux éons dans sa solitude glorieuse, (toujours selon Reynolds), Mahabrahma aspira à des sujets pour contempler sa gloire. Au moment même où il ressentait cette aspiration, le karma des autres Brahmas, non éveillés, vint à maturité et ils émergèrent de leur état de bardo de stupeur. De suite, Mahabrahma leur déclara: “Je suis Dieu, votre Créateur!” C'était absurde parce que ces êtres émergeaient en raison de leur propre karma venu à maturité et non pas en raison de son commandement ou d'un acte de conjuration. Mahabrahma alors “organisa ces myriades d'êtres qui apparaissaient dans l'espace alentour en hiérarchies célestes bien ordonnées”.
Dans la narration Gnostique, Yaldabaoth, le Seigneur des Archontes, commande à ses clones de laquais de créer un déploiement virtuel (stereoma) de mondes hiérarchiques à l'image du kaléidoscope fractal vivant des courants animés et conscients du Plérome, le coeur galactique. Le Démiurge ne peut qu'imiter, il ne peut pas créer ou émaner. Les textes Gnostiques sont clairement sarcastiques dans leur description des hiérarchies célestes des Archontes parce qu'ils considèrent que tout ce kitsch céleste n'a rien à voir avec la merveille de la vie qui va s'épanouir sur Terre, le royaume dans lequel Sophia est incarnée. La Terre est le lieu d'émergence de l'humanité. C'est un habitat spécifique à l'Anthropos.
L'enseignement Gnostique est sans ambages quant à la différence entre l'espèce générée par le plongeon de Sophia et l'espèce humaine. Il est intéressant de voir que la narration Bouddhiste ne souligne pas une telle différence. Elle rapporte que Mahabrahma en vint à être entouré par un nombre croissant d'humains se réincarnant, en transmigration du monde qui explosa en nova. Ces Brahmas inférieurs forment son entourage et ils croient totalement qu'il est le créateur de l'espace dans lequel ils demeurent présentement. Le mythe de la création Bouddhiste ne spécifie pas de différence entre les êtres qui émergent autour de Mahabrahma et les êtres humains. “Progressivement, au fil du temps, en raison de la présence d'une série de causes secondaires, certains des Brahmas pénétrèrent dans le cycle de l'existence matérielle et commencèrent à renaître à la surface de la Terre nouvellement évoluée, tout d'abord en tant qu'animaux et puis ultérieurement en tant qu'êtres humains.” (page 100).
La narration Bouddhiste retrace le chemin d'une humanité transmigrant d'une planète, qui explosa, vers la Terre que nous habitons - une perspective visionnaire remarquable. A la différence de la cosmologie Gnostique, elle ne distingue pas les êtres humains, dans l'entourage de Mahabrahma, des Archontes, la légion de type cloné du Démiurge. Le récit Bouddhiste ne prononce strictement aucune affirmation quant à la présence d'entités non-humaines dans le système solaire. La narration Gnostique, à cet égard, reste absolument unique. De plus, la tradition Bouddhiste assume que la Terre appartient au système solaire qui émerge en dessous du plan du Rupadhatu alors que la tradition Gnostique considère que la Terre n'appartient pas vraiment au système planétaire mais qu'elle en est seulement la captive.
Les corrélations Gnostiques-Bouddhistes sont extraordinaires, tout autant par leurs convergences que par leurs divergences.
Des réflexions subséquentes sur le créationnisme et sur l'égoïsme cosmique, inspirées de l'oeuvre du sage Nyingma, Long Chen Pa, seront présentées dans la dernière partie de cet essai.
John Lash. Août 2005.
Traduction de Dominique Guillet.
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