Une "Grippette" dans l'Hémisphère sud
La grippe saisonnière dans l'hémisphère sud,
dont les pays émergent de l'hiver
Jean-Pierre Petit
Puisque la grippe est censée sévir avec plus d'efficacité dans les pays tempérés en pleine saison hivernale ou automnale, penchons-nous aussitôt sur les pays de l'hémisphère sud qui ... émergent de l'hiver, et où cette pandémie du virus A(H1N1) a déjà sévi.
L'Argentine réunissait, en théorie, toutes les conditions évoquées par l'OMS ( l'Organisation Mondiale de la Santé ) pour subir une attaque pandémique cataclysmique, à savoir un virus arrivant en plein hiver, dans un pays au climat tempéré, avec des agglomérations importantes. Ce pays possède tout un réseau de surveillance, comparable à celui de la France. L'Argentine a donc dû opérer un suivi :
- De la dispersion des régions touchées
- Du taux de croissance de l'épidémie
- De l'intensité des manifestations de cette affection.
- De l'impact sur le fonctionnement des services de santé (élevé, moyen, faible).
Les résultats suivent. Mais, bizarrement, l'OMS ne fait aucun mention de ces données rassurantes.
- Le premier cas de grippe pandémique a été identifié en Argentine le 17 mai 2009. Il y a eu ensuite une augmentation progressive du nombre de cas, un brusque pic, entre le 22 et 25 juin 2009, puis l'épidémie a entamé une phase de décroissance.
Ce qui est évidemment important est d'effectuer une comparaison par rapport aux chiffres de l'année précédente, qui sont parfaitement connus.
- Le nombre de syndromes grippaux recencés durant cet hiver argentin qui vient de s'achever et de 812.00 cas, contre plus d'un million l'année précédente.
- Le nombre de cas de maladie de type influenza déclaré a été cet hiver de 202 cas par 100.000 habitants ( 2% ) contre 295 cas pour 100.000 habitants (3% ) l'année précédente.
- On a recensé dans cet hiver qui vient de s'écouler en Argentine 439 décès, alors que l'épidémie habituelle de grippe saisonnière provoque entre 2000 et 4000 décès chaque année.
Autrement dit cette " nouvelle grippe ", au lieu de provoquer une hécatombe, a causé de quatre à huit fois moins de décès que la grippe saisonnière habituelle ( pdf, page 6 )
On constate une différence de mortalité selon les tranches d'âge. Le nombre des cas réels est probablement plus important que ceux recensés mais le faible impact sur la fréquentation des services de santé est un signe de la bénignité du virus.
21 septembre 2009:
Le bilan de l'effet de la grippe A (H1N1) en Australie :
Sophie Roselli, Sydney
Alors que l’hémisphère Nord se prépare au pire pour cet automne, l’hémisphère Sud fait face à la grippe A depuis près de quatre mois. L’Australie n’a pas subi la paralysie redoutée. Quelles leçons tirer de cette expérience?«Nous n’avons pas cessé les réunions, ni changé nos habitudes au bureau. Personne ne porte de masque. La seule différence c’est que tout le monde tousse…», relativise Serge, expatrié suisse employé dans une compagnie d’assurances à Sydney.En Australie, la grippe A(H1N1) a infecté 26 400 personnes en quatre mois (chiffres non exhaustifs), sur 20 millions d’habitants, sans affecter durement la vie quotidienne.Très tôt considérée comme l’une des plus touchées au monde et actuellement plongée dans l’hiver austral, cette nation multiculturelle aux infrastructures modernes «peut fournir des enseignements utiles aux pays de l’hémisphère Nord pour l’hiver prochain», selon le Département australien de la santé. Même s’il est difficile d’établir des comparaisons entre la Suisse et l’Australie, il reste intéressant d’analyser comment le scénario catastrophe s’est dégonflé aux antipodes.
Santé: des craintes éclipsées
La grippe A(H1N1) a fait à ce jour 88 victimes; on en craignait 6000.
Toutes appartiennent à des groupes à risque (personnes souffrant de maladies graves et chroniques, femmes enceintes, aborigènes, etc.).
«Les craintes ont été éclipsées par la réalité. La grippe A est bénigne dans la majorité des cas», dit le porte-parole du Département de la santé de l’Etat de Victoria. Et dans cet Etat, comme en Nouvelle-Galles du Sud (NSW), les autorités observent une tendance à la baisse des consultations dans les hôpitaux.
Etonnant, car les prévisions annonçaient au contraire un pic de la pandémie en plein milieu de l’hiver austral. Explications possibles: soit le nombre de malades diminue grâce à une météo clémente ou à un bon suivi des précautions d’hygiène, soit les patients, moins inquiets, préfèrent se rendre chez leur médecin.
Quoi qu’il en soit, «le pire est derrière nous», assure John Mackenzie. Cet éminent virologue australien craint plutôt une mutation du virus qui reviendrait lors d’une deuxième vague, «l’hiver prochain peut-être»: «Avec les pandémies, nous devons nous attendre à l’inattendu.» La Suisse héritera-t-elle alors de la souche classique du virus ou d’un puissant mutant? Impossible, à ce stade, de le prévoir.
Ecoles: de rares fermetures
L’Etat de Victoria (5 millions d’habitants), qui a fait face à la première vague de cas du pays, a fermé en mai et juin 18 écoles et mis en quarantaine des élèves de 67 autres établissements. Depuis, ces mesures ont été abandonnées.
«La fermeture des écoles peut aider à ralentir la propagation de la maladie, car nous savons que le virus se transmet plus vite chez les enfants, poursuit le professeur Mackenzie. Mais cela ne peut pas l’arrêter.»
Anthony Harris, directeur adjoint du Centre d’études économiques sur la santé de Victoria, se montre encore plus sceptique: «Ce n’est pas vraiment efficace, c’est une perte de temps. Car si cette action de prévention n’est pas suivie d’un isolement à domicile, elle ne sert à rien.» Lorsque la grippe s’est propagée en NSW, on a privilégié des fusions des classes. En Suisse, les deux solutions sont au programme.
Quarantaine: une solution inefficace
«La mise en quarantaine ne marche pas», dit le professeur Mackenzie, qui la déconseille même au début de la propagation de la maladie. Les autorités ont abandonné l’option au changement de la phase d’alerte en juin et juste après un épisode très critiqué: la mise en quarantaine de 2000 touristes à bord d’un luxueux bateau de croisière, contraint d’errer sur la côte est en attendant un feu vert pour débarquer.
«C’était ridicule et cela a provoqué la panique», réagit le Bâlois Daniel Gschwind, directeur de l’association des industries touristiques de l’Etat du Queensland.
Absentéisme: des craintes remises en question
Le taux d’absentéisme pourrait atteindre 40%, soit le double des années précédentes, selon la Chambre économique de NSW, mais cette analyse est contestée.
«L’impact sur l’absentéisme sera très faible, presque insignifiant, parce que peu de personnes ont été touchées», assure le professeur Anthony Harris, par ailleurs chargé par le gouvernement d’étudier l’impact économique de la pandémie.
Quant à savoir si des malades imaginaires ont pris le prétexte de la grippe A(H1N1) pour rester chez eux, l’idée fait sourire le chercheur qui n’a rien observé de tel. Cette crainte existe pourtant en Suisse, où l’on peut obtenir un certificat médical par un simple coup de fil. Le taux d’absentéisme prévu en tout cas par le Secrétariat d’Etat à l’économie attendrait 25 à 40%.
Entreprises: des conseils impossibles à suivre
Garder une distance sociale, éviter les voyages, préférer les réunions en plein air. En Australie comme en Suisse, les entreprises ont eu droit à des conseils similaires. Mais dans les faits, rien n’a changé. «Cette liste est inefficace. Le pays aurait été paralysé si on l’avait respecté!» ironise Daniel Gschwind, qui représente 3000 acteurs touristiques. C’est juste une façon pour les gouvernements d’éliminer tous les risques d’un point de vue légal.» Même point de vue du côté scientifique, avec John Mackenzie: «Ce n’est pas possible à respecter. Le seul conseil utile est de rester à la maison si l’on a les symptômes de la grippe».
Vente et transport: pas de paralysie
En Suisse, alors qu’on envisage les pires scénarios dans la vente et les transports, rien de tout cela n’est arrivé aux antipodes. Non seulement on ne recense pas de fermeture de commerces par manque de personnel ou de marchandises, mais la clientèle n’a pas renoncé à faire ses courses, même dans les grands centres urbains, dit en substance Scott Driscoll, directeur de l’association australienne des commerces de détail. Quant aux transports publics, ils n’ont pas connu de baisse de régime, même dans l’Etat de Victoria, pourtant l’un des plus touchés.
Les «Aussies» ont eu jusqu’à présent plus de peur que de mal. La grippe porcine a même fait l’objet de mauvaises plaisanteries à travers de fausses affichettes annonçant sa présence dans certains lieux publics en NSW. En fait, l’évaluation de l’impact de la pandémie sur la société commence à peine. Une quarantaine de recherches viennent d’être lancées afin de répondre au mieux aux menaces futures. Les résultats seront présentés en décembre et serviront de référence à la communauté mondiale.
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