Grippe "porcine": un joli coup
Louis Dalmas
L’affaire de la grippe “porcine” est instructive à bien des égards.
D’abord, elle illustre la frénésie préventive qui s’est emparée de nos sociétés modernes. Voilà une maladie dont on n’est même pas sûr qu’elle soit la cause des quelques centaines de morts qu’on lui attribue dans le monde entier. Provoquée par un virus que les savants pataugent à définir mais qui doit forcément être nouveau, redoutable et mutant pour faire la “une” de l’actualité elle présente les symptômes d’une banale affection passagère, moins grave que la rougeole ou les oreillons, que nous avons tous connue à un moment de notre existence. Elle passerait presque inaperçue si on ne l’avait pas promue au rang de menace universelle. Pour une poussée de fièvre, une désagréable migraine, quelques courbatures et le nez qui coule, l’Organisation mondiale de la santé a sonné le tocsin de la pandémie ; les gouvernements se mobilisent ; les statistiques alarmantes pullulent ; la presse sort ses manchettes des grands jours ; on réunit des cellules de crise ; on ferme les écoles, les salles de spectacle, les lieux publics ; on isole des zones infectées ; on transforme les foules en meutes de chiens muselés ; on publie par millions des manuels de protection, bref c’est l’état de siège comme si une armée de terroristes étaient dans les faubourgs. Cela équivaut à peu près à s’emmitoufler dans un imperméable parce que quelques gouttes fuient du robinet de la salle de bains, ou à insonoriser la maison pour éviter d’entendre le voisin roter après son déjeuner.
Pourquoi cette démesure, cette débauche de précautions (particulièrement choquante alors qu’on sacrifie allègrement des centaines de militaires et qu’on tue sans sourciller des milliers de civils en Irak ou en Afghanistan) ? C’est là où ça devient intéressant.
La peur savamment distillée dans le public (on se garde de provoquer la panique, mais on entretient l’inquiétude), outre qu’elle fournit aux médias un bon sujet à sensation pour la période creuse de l’été, joue un double rôle.
D’abord, elle détourne l’attention des vrais problèmes politiques ou sociaux. Le prolo à qui l’on recommande de se calfeutrer chez lui ne va pas risquer la contagion en manifestant dans la rue. La mère de famille qui se demande comment elle va faire garder ses enfants si son école est fermée ne va pas défiler pour son pouvoir d’achat. La santé prime sur le porte-monnaie. En évoquant l’éventualité d’un raz de marée de mortalité à la rentrée, on fait prévaloir le souci de survivre sur le souci d’argent. Le slogan est efficace : protégez-vous avant de revendiquer.
Mais surtout l’affaire est juteuse pour l’industrie pharmaceutique. Comme par hasard, un an avant que le premier cas de la prétendue grippe porcine ne soit décelé, la grande firme Baxter a déposé un brevet pour un vaccin contre le H1N1 (brevet US 2009/0060950 A1). Aujourd’hui les services de santé du gouvernement britannique envisagent un scénario qui prévoit 65.000 décès durant le prochain hiver, dont plusieurs milliers d’enfants. Ils ont commandé à Baxter et à GlaxoSmithKline 133 millions de doses de vaccins. Mêmes délires en France, en Allemagne et ailleurs, ou des sommes considérables sont consacrées à l’achat de millions de médicaments douteux et de vaccins qui n’ont pas fait leurs preuves. Et pour couronner le tout, la secrétaire d’Etat US à la santé, Kathleen Sibelius, vient de signer un décret conférant une totale immunité aux fabricants de vaccins en cas de poursuites judiciaires. Les gros industriels de la santé font non seulement d’énormes profits, mais ils le font en toute sécurité.
Le coup est énorme, et il est bien joué. Jusqu’à quand accepterons-nous d’être les dindons de ce genre de farce ?
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